La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à M. Jesús Posada, président du Congrès des députés du Royaume d'Espagne. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
Je suis également heureux de saluer la présence dans nos tribunes d'une délégation de parlementaires de l'Assemblée nationale du Mali conduite par M. Ouali Diawara, président de la commission des finances. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement sur des sujets européens.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes, pour un bref propos liminaire.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sous l'autorité du Premier ministre, nous agissons pour mettre en oeuvre la réorientation de la construction européenne souhaitée par le Président de la République. Avec la lutte contre la fraude fiscale et la politique de l'énergie, nous accomplissons de nouvelles étapes de cette réorientation. Nous le faisons au bénéfice de la croissance en régulant la finance, en assurant le financement de l'économie réelle et en mettant l'Europe au service de nos concitoyens.
Aujourd'hui même, le Président de la République est à Bruxelles pour s'entretenir avec le président de la commission européenne, José Manuel Barroso, et le collège des commissaires. Cela illustre son implication personnelle, en concertation étroite avec les institutions européennes.
Le sommet du 22 mai prochain sera l'occasion de réaliser de nouvelles avancées en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Ce combat est important pour l'équité entre les contribuables. Le Gouvernement y travaille, au niveau européen, depuis douze mois ; il est d'ailleurs regrettable que cet effort n'ait pas été engagé plus tôt. Lorsque la Commission a présenté en décembre dernier, à notre demande,…
S'il vous plaît, chers collègues, un peu de silence ! Veuillez être plus attentifs.
…sa stratégie de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, nous l'avons soutenue, tout en soulignant la nécessité de faire davantage encore.
Nous voulons systématiser l'échange automatique d'informations fiscales entre les États membres, pour mettre fin au secret bancaire et à la dissimulation des avoirs. À cet égard, le Gouvernement souhaite également que ce Conseil européen soit l'occasion de renforcer les obligations en matière de transparence au niveau européen dans d'autres domaines. À notre demande, la Commission européenne se prépare à proposer, dans les prochaines semaines, que les grandes entreprises publient la liste de leurs filiales, pays par pays, ainsi que leur chiffre d'affaires sur une base agrégée. Elle devrait aussi proposer la publication des effectifs de ces grandes entreprises et des impôts qu'elles payent.
En matière de lutte contre le blanchiment d'argent, une révision ambitieuse de la directive européenne est en préparation. Il nous faut cependant aller encore plus loin. L'harmonisation fiscale de la zone euro est une dimension essentielle de l'approfondissement du marché intérieur européen. Nous sommes donc mobilisés sur l'harmonisation de la fiscalité des entreprises, mais aussi sur la taxe sur les transactions financières.
Ce Conseil européen sera aussi consacré à l'énergie, dans le but de progresser vers une communauté européenne de l'énergie. Pour cela, nous devons développer une politique énergétique européenne favorable à la compétitivité, à la croissance et à l'emploi. L'énergie est une source de croissance ; c'est aussi un enjeu de compétitivité industrielle. Il est donc important de favoriser le développement de capacités de production d'énergie : nous mobiliserons les financements de la Banque européenne d'investissement et les fonds structurels à cet effet, sans oublier le contenu du cadre financier pour les années 2014 à 2020.
Nous devons aussi veiller à ce que les prix de l'énergie demeurent supportables pour les industries et les familles modestes, de manière à préserver à la fois l'emploi et le pouvoir d'achat. Le prix de l'énergie est en effet un facteur essentiel de notre compétitivité, mais aussi de la cohésion sociale de notre pays. Pour relever ce double défi, nous avons besoin que les prix de l'énergie soient abordables pour les consommateurs comme pour les industries électro-intensives.
Enfin, la troisième priorité que nous entendons promouvoir concerne la lutte contre le changement climatique. Nous voulons préparer activement la Conférence climatique internationale de 2015, pour l'organisation de laquelle la France s'est portée candidate. Cela passe par de nouveaux progrès dans la voie d'une transition énergétique.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, la position que la France entend promouvoir lors du Conseil européen du 22 mai prochain. Mes chers collègues, les membres du Gouvernement sont disponibles pour répondre à vos éventuelles questions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, au moment où nombre de peuples doutent de son efficacité, l'Union européenne, si elle veut devenir un réel espace de convergence économique et sociale, se doit de lutter contre l'évasion fiscale : vous l'avez dit, monsieur le ministre.
La France, par la voix de son Président de la République, doit continuer à jouer un rôle crucial pour la transparence. D'autres pays sont d'accord avec elle sur ce thème, mais quelques États membres bloquent toujours les propositions faites par la Commission européenne en la matière. Alors, à l'issue de la réunion du Conseil pour les affaires économiques et financières qui a eu lieu hier, et dans la perspective de la réunion du Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine, pouvez-vous, monsieur le Ministre, nous indiquer précisément les progrès accomplis sur les sept textes en discussion ayant pour but mettre un terme au secret bancaire entre les États membres et négocier avec les pays tiers comme la Suisse, Monaco, l'Andorre ?
Sur la question fondamentale de l'échange automatique des données, comment convaincre le Luxembourg et l'Autriche ? Ne faudrait-il pas agir en France sans attendre qu'une décision soit prise à l'échelle européenne, y compris sur la question de la responsabilité sociale des entreprises ? Tous nos concitoyens attendent des mesures fortes en ce domaine, des mesures symboliques d'une plus grande justice sociale.
J'espère que ces mesures permettront de restaurer un peu de confiance, alors que les doutes et les angoisses des peuples se focalisent sur l'Union européenne, face à l'austérité et à l'ultralibéralisme prônés par les droites européennes aujourd'hui majoritaires, en dépit des analyses du FMI lui-même. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Cette confiance passe aussi par des mesures positives comme la garantie jeunesse et la transition énergétique. Cette dernière permettra, si on lui en donne les moyens, d'insuffler un nouvel élan à l'emploi et à l'industrie. La politique énergétique de l'Union européenne sera d'ailleurs elle aussi à l'ordre du jour de ce prochain Conseil européen. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que le débat sur ce sujet ne sera pas escamoté ? Ne risque-t-on pas de voir revenir le sujet du gaz de schiste, ce miroir aux alouettes ? Les conséquences sur l'environnement seraient désastreuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.)
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Madame la députée, nous avons conscience du scepticisme d'une partie de nos concitoyens. Nous devons y répondre non pas par de grands discours abstraits, mais par des mesures compréhensibles. Voilà ce qu'attendent nos concitoyens ! C'est ce que l'Europe fera ; c'est ce qu'elle fait déjà. C'est d'ailleurs le sens de la réorientation de la construction européenne en faveur de la croissance et de l'emploi que promeut la France.
Pour répondre précisément à votre question la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, madame la députée, je vous indique que le conseil Écofin est parvenu, hier, à un consensus. Les États membres ont décidé à l'unanimité de confier un mandat à la Commission européenne pour négocier des accords fiscaux avec les pays tiers que vous avez cités. C'est positif, et cela permet d'entrevoir un accord sur les autres textes législatifs aujourd'hui en discussion : je pense notamment à la directive sur la fiscalité de l'épargne. En tout état de cause, et même s'il y a encore des réticences de la part de deux États, la réunion du prochain Conseil européen permettra de réaliser des avancées en matière de fiscalité.
Vous avez également évoqué le volet énergétique de ce prochain Conseil européen. Notre objectif est qu'un vrai débat ait lieu, pour une transition vers une économie sobre en carbone, préservant des prix de l'énergie abordables pour tous nos concitoyens, mais aussi pour les entreprises, de manière à renforcer la compétitivité des entreprises.
Enfin, vous avez mentionné la question du gaz de schiste. Vous connaissez la position du Gouvernement français à ce sujet : elle est constante. Les avis de nos partenaires européens sont parfois divergents sur ce sujet, mais les États membres gardent en tout état de cause la liberté, garantie par les traités, de choisir leur mix énergétique.
Comme vous le voyez, l'ensemble de ces efforts contribue à répondre aux aspirations de nos concitoyens en matière d'emploi et d'environnement. C'est comme cela que nous convaincrons les eurosceptiques ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, le 3 mai dernier, la Commission européenne a rendu public son avis sur la croissance et le déficit de la France. Contrairement aux projections du Gouvernement, la Commission prévoit un accroissement important du déficit à 3,9 % pour 2013 et 4,2 % pour l'année prochaine. Elle anticipe même une récession de 0,1 % avant un retour de la croissance en 2014, mais de 1,1 % seulement.
Face à cette détérioration de nos perspectives économiques, la Commission a décidé de nous accorder un délai supplémentaire de deux ans, soit jusqu'en 2015, pour nous permettre de ramener notre déficit à 3 %. Mais elle a aussi et surtout précisé que ce délai ne devait pas nous dispenser de prendre les mesures nécessaires pour redresser nos comptes de manière significative et durable.
Qu'il s'agisse des retraites, du droit et du coût du travail, des comptes sociaux, sans oublier la réforme de l'État et des collectivités territoriales, aucune mesure précise n'a été, bien sûr, été avancée par la Commission, puisque c'est de votre, de notre responsabilité.
Pouvez-vous donc nous indiquer quelles mesures vous comptez prendre ? D'une part, quelles sont les réformes structurelles – et nous insistons sur le mot « structurelles » – que vous entendez mettre en oeuvre pour répondre à nos engagements européens ? D'autre part, et sachant que 100 000 chômeurs en plus c'est 2,5 milliards de charges supplémentaires, quels investissements prioritaires entendez-vous proposer pour préparer l'avenir ? Enfin, compte tenu de la gravité de la situation, quelles mesures supplémentaires comptez-vous prendre pour cette année, puisque la récession ou la stagnation nous obligera à un effort bien plus important que prévu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)
Monsieur le député, vous venez, par votre question, de poser parfaitement l'équation de la relation que nous avons nouée avec la Commission européenne pour surmonter ensemble la crise à laquelle un très grand nombre de pays de l'Union européenne est aujourd'hui confronté.
Je veux, d'abord, comme vous l'avez fait, rappeler le délai supplémentaire accordé à la France comme à un certain nombre de pays de l'Union européenne pour assurer dans de meilleures conditions le redressement de nos comptes. Ce délai nous a été consenti parce que nous avons fait, au cours des derniers mois, des efforts d'ajustements structurels attendus par les autorités de la Commission européenne après des années de dégradation du déficit structurel. Je citerai simplement quelques chiffres pour montrer l'importance de l'effort accompli. Ainsi, entre 2001 et 2011, le déficit structurel de la France est passé de 30 à 100 milliards d'euros, sachant que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy il a augmenté de deux points.
Selon le rapport de la Cour des comptes, les efforts de ce gouvernement en matière de dépenses et, il est vrai, d'augmentation de nos recettes ont permis de rétablir, en 2012 et pour la première fois depuis très longtemps, la trajectoire des finances publiques puisque le déficit structurel a diminué de 1,2 point. Il doit baisser de 1,8 point en 2013 et nous poursuivrons l'effort en 2014 en essayant de le réduire encore d'un point.
C'est parce que nous avons fait ces efforts et que nous avons engagé en même temps, comme vous l'avez souligné, des réformes structurelles – je pense au CICE et à l'accord sur la sécurisation des parcours professionnels – que la Commission, dans une relation de confiance avec nous, nous a donné ce délai supplémentaire pour que l'effort de rétablissement des comptes n'obère pas la croissance.
Qu'allons-nous faire ? Premièrement, nous allons poursuivre l'effort de rétablissement de nos comptes et de la trajectoire des finances publiques dans lequel nous nous sommes engagés. Deuxièmement, nous allons poursuivre les réformes structurelles dans la concertation pour faire en sorte de préserver notre système de protection sociale – la branche famille, les retraites et nos services publics qui sont le patrimoine de ceux qui n'ont rien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
En mettant au coeur du débat européen, dès le soir de son investiture, la question de la croissance, le Président de la République a permis de faire bouger les lignes et de montrer sa volonté de réorienter la construction européenne, conformément à ses engagements. Ces derniers mois, l'Europe s'est progressivement détournée du « tout austérité » qui était devenu, sous la conduite des conservateurs, le seul et unique horizon de notre continent. Ce progrès, nous le devons à l'énergie déployée par le Président de la République pour engager un dialogue constructif avec nos partenaires, changeant, là encore, la méthode du « coup d'éclat permanent » qui prévalait jusqu'alors. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Des étapes décisives ont été franchies. Dès les 28 et 29 juin 2012, François Hollande a obtenu l'adoption par les chefs d'État et de gouvernement d'un pacte de croissance de 120 milliards d'euros indispensable à la relance de l'économie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les 13 et 14 décembre 2012, les 27 se sont mis d'accord pour créer une union bancaire qui permettra d'éviter que les crises financières ne se reproduisent. Le 22 janvier 2013, l'Union donne son feu vert pour la mise en place historique d'une taxe sur les transactions financières grâce à une coopération renforcée dans onze pays, une première en matière de fiscalité. Le 22 mai prochain, sous l'impulsion de la France et de son projet de loi bancaire précurseur en Europe, la lutte contre les paradis fiscaux reviendra sur le devant de la scène européenne.
La rencontre, aujourd'hui, du Président de la République avec les vingt-sept commissaires européens à Bruxelles doit permettre de poursuivre et d'approfondir ce travail exigeant pour notre pays, mais aussi pour l'avenir de nos sociétés à l'échelle européenne. C'est à travers une diplomatie moins exclusive et plus attentive à l'ensemble de ses partenaires que la France doit réussir à faire partager une conception de l'Union tournée vers la croissance, l'investissement et la solidarité. La France, une fois de plus, ne se bat pas que pour elle ! Beaucoup a été fait en un an.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, dresser un bilan de l'action européenne du Gouvernement, complétant, ainsi, vos propos liminaires, et nous en tracer les perspectives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Madame la députée, vous avez raison de dire que l'élection du Président François Hollande a suscité, à l'échelle de l'Union européenne, un engouement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…un dynamisme, pour faire bouger les lignes et pour déterminer une nouvelle politique européenne en faveur de la croissance et de l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Comme vous l'avez souligné, cela s'est traduit, en juin 2012, par l'adoption d'un premier pacte de relance de 120 milliards d'euros. Chacun, sur les bancs de cet hémicycle, devrait se réjouir du fait que la France, cette année, l'an prochain et l'année d'après, bénéficiera de la part de la Banque européenne d'investissement de 7 milliards d'euros (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
…pour accompagner les collectivités locales dans leurs projets et les entreprises dans leurs investissements pour, sur le terrain, construire et créer des emplois grâce à l'aide apportée par l'Union européenne.
Dois-je aussi rappeler l'accord qui est sur le point d'aboutir sur le cadre financier pluriannuel qui, grâce à 50 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la période 2007-2013, nous permettra d'investir sur la période 2014-2020 tout en préservant les intérêts de la PAC, sans oublier le retour sur les fonds structurels qui irrigueront nos territoires.
C'est aussi, madame la députée, et je veux insister sur cette disposition, la création, pour la première fois dans l'histoire du budget de l'Union européenne, d'une ligne de 6 milliards d'euros, ce qui permettra, dans notre pays et dans tous les pays de l'Union européenne, d'accompagner l'insertion professionnelle des jeunes dans toutes les régions où, hélas, le taux de chômage des jeunes est supérieur à la moyenne européenne.
Madame la députée, vous avez raison de dire que les lignes bougent. Il reste encore beaucoup de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mais je peux vous assurer que, sous l'autorité du Premier ministre, nous continuerons ! Nous sommes de plus en plus écoutés à l'échelle européenne, c'est aussi le résultat de l'orientation que nous avons souhaitée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
La parole est à M. Pierre Lequiller, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le ministre des affaires européennes, vous avez le sens de l'humour ! Vous confondez engouement et désarroi.
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France était à l'initiative sur les grands enjeux européens, en coopération étroite avec l'Allemagne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC) : sur la Géorgie, le Mécanisme européen de solidarité, l'aide à la Grèce, le paquet énergie-climat, la taxe sur les transactions financières que vous venez d'évoquer…
Aujourd'hui, la « confrontation » avec Mme Merkel, selon votre propre expression, monsieur le président Bartolone, isole la France de son principal partenaire, mais aussi des autres pays européens, qui constatent que la France ne pèse plus. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.) Sur le traité qu'il avait promis de renégocier, sur les eurobonds, sur le budget, François Hollande a reculé. Aujourd'hui, nos partenaires ne savent plus ce que la France veut pour l'Europe, d'autant qu'au sein du Gouvernement et de la gauche les couacs, les excès, les divergences se multiplient.
Quelle faute aussi d'opposer en Europe les pays soi-disant conservateurs aux pays soi-disant progressistes !
Un chef d'État travaille en confiance avec ses partenaires, même s'ils sont de couleur politique différente ; c'est ce qu'ont fait Giscard avec Schmidt, Mitterrand avec Kohl, Chirac avec Schröder. Ce n'est pas du niveau d'un chef d'État de qualifier ou disqualifier ses homologues, démocratiquement élus par leurs peuples. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
La France est isolée aussi parce qu'elle paraît faible et ne tient pas ses engagements. François Hollande avait promis le retour du déficit à 3 % en 2013. Le commissaire Olli Rehn vous a concédé deux ans de plus, mais c'est évidemment un échec…
Monsieur le député, vous vous trompez du tout au tout. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Vous ne pouvez pas sortir de votre obsession et de vos simplismes. Vous croyez que nous avons un problème avec l'Allemagne, mais cela relève des fantasmes qui vous animent, car vous êtes dans l'impuissance. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Je vous donne rendez-vous au prochain Conseil européen, le 22 mai. À l'ordre du jour figure la lutte contre la fraude fiscale, et la France sera à l'initiative ; elle se retrouvera avec l'Allemagne et beaucoup d'autres pays qui partagent la même ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
La France sera à l'initiative car elle fera aussi des propositions pour une Europe de l'énergie, et nous nous retrouverons avec d'autres pays, y compris l'Allemagne. Ce sera la même chose au Conseil du 28 juin.
Entre l'Allemagne et la France, monsieur le député, il existe en effet une histoire commune, celle de la construction de l'Union européenne, et il n'est pas envisageable, au-delà des divergences et des débats légitimes entre deux nations, de construire l'Europe sans que ce soit ensemble,…
…en mettant sur la table l'essentiel des questions, avec l'ambition de réussir, de recréer la confiance sur le projet européen.
Je vais vous donner un exemple, car vous êtes souvent dans l'ignorance et la petitesse des argumentations. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Le 23 mai, le Président de la République française est invité à Leipzig (« Ah ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI) pour commémorer un événement historique : celui de la fondation d'un grand parti démocratique allemand, le Parti social-démocrate. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Mais par qui est-il invité ? Il est invité pour prendre la parole aux côtés du président de la République fédérale d'Allemagne, en présence de toutes les personnalités politiques du pays, y compris la Chancelière.
Nous n'avons pas la même conception que vous des rapports avec l'Allemagne. Nous avons une conception démocratique, pluraliste (Mêmes mouvements), où la confrontation n'est pas la première question, où c'est le débat, le dialogue qui sont la première exigence.
Vous verrez qu'à cette occasion le Président de la République prononcera un discours (Rires sur les bancs des groupes UMP et UDI) qui sera celui de l'engagement européen, mais aussi celui d'une ambition que nous devrions partager : la relance du projet européen pour le progrès économique, la croissance, l'emploi, mais aussi pour l'Europe sociale, l'Europe des libertés, l'Europe du progrès. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.) C'est cela que nous avons à faire ensemble, au-delà de vos petitesses ; je vous les laisse ! Nous sommes au rendez-vous de l'histoire. Si vous voulez y venir, vous êtes les bienvenus. Nous serons quant à nous présents. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Huées sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
La parole est à Mme Catherine Troallic, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre des finances, hier, les ministres des finances de l'Union européenne étaient réunis pour engager la levée du secret bancaire et l'échange automatique d'informations entre États membres. Dans un contexte de forte mobilisation, avec une offensive légitime des peuples, des réticences demeurent, notamment de la part du gouvernement autrichien. Mais il est indéniable que nous sommes en train de faire des pas de géant. Ce dossier illustre également l'efficacité de la réorientation européenne engagée par le Président de la République.
Nous devons continuer de nous battre pour que l'Union européenne se donne enfin les moyens de lutter contre les stratégies égoïstes des contribuables et des entreprises qui contreviennent aux règles collectives, car ces territoires, improprement appelés paradis fiscaux, ne sont rien d'autre que des trous noirs financiers qui engloutissent des sommes d'argent colossales, détournées de l'économie réelle, de la croissance et de l'emploi.
Monsieur le ministre, l'Union européenne doit aller encore plus loin, et la France est aux avant-postes pour réclamer une renégociation serrée des conventions nous liant à certains de nos voisins, tels que la Suisse, Monaco ou Andorre. Dans le même sens, les députés de la majorité ont accueilli très favorablement les avancées du G7 Finances qui s'est tenu la semaine dernière.
C'est une évidence, grâce à l'action résolue de la France et d'autres États engagés dans une lutte impitoyable contre ces paradis fiscaux qui sont des enfers, les peuples s'apprêtent aujourd'hui à remporter d'importantes victoires contre la fraude fiscale. C'est aussi un enjeu d'intérêt national. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement envisage les prochaines étapes du processus ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
Vous avez raison d'insister sur ce fléau que constitue la fraude fiscale en Europe et en France. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Je voudrais profiter de votre question pour redire la détermination du Gouvernement à agir afin de juguler ce fléau.
En Europe, tout d'abord, comme vous l'avez indiqué, la France est à l'avant-garde des initiatives prises au sein de l'Union pour débusquer les fraudeurs, car il est normal, au moment où les citoyens des pays de l'Union consentent des efforts considérables pour le redressement de nos comptes, que ceux qui fraudent et n'assument pas leurs responsabilités de citoyens soient mis à contribution en subissant toutes les pénalités. C'est la politique du Gouvernement français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Nous allons profiter de deux occasions pour le faire : la directive sur l'épargne, depuis longtemps en panne, et la quatrième directive sur le blanchiment.
Nous essaierons dans un premier temps de créer les conditions pour la ratification de conventions harmonisées d'échange automatique d'informations entre l'ensemble des pays de l'Union européenne, ce qui suppose que certains pays comme le Luxembourg et l'Autriche acceptent de signer au sein de l'Union européenne des conventions du type de celles qu'ils ont signées avec les États-Unis. La France, face à ces pays hésitants, sera totalement intransigeante, car il n'y aura pas de grand marché intérieur européen aussi longtemps que de telles conventions n'auront pas été mises en place.
Nous poursuivrons par ailleurs notre action pour faire en sorte qu'au sein de l'Union européenne mandat soit donné aux institutions de l'Union de signer des conventions du type FATCA, à l'instar de ce qui s'est passé avec les États-Unis.
En outre, nous essaierons de faire en sorte que la liste des États et territoires non coopératifs soit désormais élaborée au sein de l'Union, de manière que la détermination des institutions européennes à lutter contre la fraude fiscale soit aussi pour nous une occasion d'agir plus efficacement au plan international. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, alors que nous avons terminé la dernière année du mandat de Nicolas Sarkozy avec une croissance de 2 %, comme l'a révélé l'INSEE, la France rejoint aujourd'hui la Grèce, l'Espagne et le Portugal sur la liste des pays en récession.
À la crise financière, à la crise de l'euro, à la crise économique qui touche tous les pays européens depuis un an, vous avez ajouté une crise bien spécifique à la France : une crise de confiance. Cette récession est le fruit de votre politique brouillonne, qui a alourdi le coût du travail en supprimant les heures supplémentaires, qui a supprimé la TVA compétitivité un jour pour l'augmenter le lendemain dans des secteurs moteurs comme celui du bâtiment et qui toujours fait le choix de taxer plus les entreprises et les entrepreneurs au lieu de réduire les dépenses publiques. Il n'est pas question d'héritage, ce n'est là que l'effet de vos choix.
Le prix de votre récession, c'est aujourd'hui les Français qui le paient avec la pire baisse de leur pouvoir d'achat depuis trente ans. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Quoi que vous en ayez dit, pendant tout son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait su, lui, préserver le pouvoir d'achat des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Cette baisse du pouvoir d'achat est une conséquence supplémentaire de vos décisions : la suppression des heures supplémentaires, l'augmentation de 16 milliards d'euros d'impôts sur les actifs et sur les retraités, et bientôt la hausse de la TVA et la baisse des allocations familiales.
Assurément, comme le disait ce matin M. Hollande sur le quai de la gare, « l'heure est grave ». Depuis un an, vous avez installé tous les courants du PS à Bercy, avec pas moins de sept ministres aux discours contradictoires. Qui est le véritable patron, que réclame même M. Fabius ? Il est vrai que les deux hommes compétents du PS en matière d'économie, MM. Strauss-Kahn et Cahuzac, ne sont plus désormais en mesure d'exercer leurs talents dans votre république exemplaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Sans eux, vous semblez perdus.
Quand allez-vous, monsieur le Premier ministre, répondre à la gravité de la situation et donner à notre pays la ligne économique dont il a besoin ?
La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget.
Monsieur Marleix, vous parlez comme un oiseau qui vient de sortir de l'oeuf (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Protestations sur les bancs du groupe UMP), comme si vous n'aviez aucune mémoire et que, jusqu'à cet instant, il n'y avait absolument rien eu. Permettez-moi de vous rappeler ce qui s'est passé juste avant que vous ne sortiez de l'oeuf.
Lorsque nous sommes arrivés en situation de responsabilité, la situation de la France était tellement merveilleuse…
…qu'il y avait 75 milliards de déficit pour le commerce extérieur, c'est-à-dire que pendant cinq ans, la compétitivité de notre économie s'était totalement dégradée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vous parlez des déficits, monsieur Marleix, mais je vais vous raconter ce qui s'est passé avant que vous ne sortiez de l'oeuf. Lorsque nous sommes arrivés en situation de responsabilité, le déficit des comptes publics de la France s'était constamment creusé : 30 milliards d'euros de déficit structurel en 2001 et 100 milliards d'euros lorsque vous avez quitté le pouvoir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais vous êtes heureux, monsieur Marleix, puisque vous ne le saviez pas – vous étiez encore dans l'oeuf au moment où tout cela s'est passé !
Permettez-moi de vous rappeler également quelles ont été vos relations avec les institutions de l'Union européenne. Vous parlez de rigueur budgétaire, mais lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé en situation de responsabilité, il s'est précipité à Bruxelles pour expliquer qu'il fallait qu'il obtienne des institutions européennes une dérogation au respect des règles budgétaires sur lesquelles la France s'était engagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Voilà ce qu'a été votre politique ! Vous parlez d'autant plus fort en nous donnant des leçons que votre bilan est ce qu'il faut bien qualifier de calamiteux. Nous faisons le contraire de ce que vous avez fait. Là où vous avez creusé les déficits, nous les diminuons. Le déficit structurel a diminué de 1,2 % l'an dernier, de 1,8 % cette année et diminuera de 1 % l'an prochain.
Là où vous avez augmenté les dépenses publiques de 170 milliards d'euros en cinq ans, nous commençons à les diminuer : cette année de 300 millions d'euros. Voilà la vérité ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Plusieurs députés se lèvent sur ces mêmes bancs.)
La parole est à M. Philippe Bies, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la ministre du commerce extérieur, le Président de la République, dans son discours prononcé devant le Parlement européen à Strasbourg le 5 février dernier, rappelait combien l'Union européenne, si elle « s'honore d'être un grand marché, se défend mal face aux concurrences déloyales ». C'est d'ailleurs une raison de la défiance dont la construction européenne fait aujourd'hui l'objet.
Convaincre nos concitoyens des bienfaits possibles de l'Europe passe par une meilleure défense de nos propres intérêts, là où les autres grandes puissances économiques ne se gênent pas pour se protéger.
Notre majorité est pour le juste échange et la réciprocité. C'est le sens des positions que vous défendez, madame la ministre, auprès de nos partenaires européens et internationaux. C'est pourquoi nous apprécions l'initiative de la Commission européenne qui menace de sanctionner enfin les importations chinoises de panneaux solaires.
Faut-il rappeler que la Chine exporte chaque année pour 21 milliards d'euros de panneaux solaires ? L'Europe absorbe 80 % de ce volume, que les entreprises chinoises vendent à un prix inférieur à leur coût de production. C'est une façon d'éliminer toute concurrence sur le photovoltaïque et cela n'est pas acceptable.
Nous devons préserver la capacité d'innovation des entreprises européennes dans ce secteur potentiellement créateur de nombreux emplois pour nos concitoyens.
Madame la ministre, les taxes douanières proposées avoisineraient les 50 % et pourraient, comme la Commission l'a annoncé ce matin, concerner également le secteur des télécoms. Elles permettront à l'Union européenne de mieux faire respecter ses intérêts et d'inviter les entreprises chinoises à renouer avec des pratiques commerciales plus loyales. La mise en oeuvre de ce type de mesures est essentielle et elle participe aussi à l'expression de notre conviction européenne.
Pouvez-vous nous indiquer dans quel état d'esprit se situe la France sur ce dossier ?
Le commerce mondial a des règles et l'Union européenne, qui représente la première force de marché du monde, est capable de faire respecter à tous ses partenaires les engagements qu'ils ont pris en entrant dans l'OMC – je pense notamment à tous les grands pays émergents qui ont quelques difficultés à assumer leurs responsabilités vis-à-vis du monde.
S'agissant de la procédure engagée par la Commission concernant les panneaux photovoltaïques, sachez que le 24 mai prochain, lors du comité anti-dumping, la France votera les propositions de la Commission européenne qui prévoient d'augmenter les droits de douane. Il en va de nombre d'emplois en France comme en Allemagne.
Ce matin même, la Commission a annoncé qu'elle pourrait ouvrir une enquête sur les pratiques anti-subventions et anti-dumping du secteur des télécommunications. En France, ce secteur est un grand équipementier : Alcatel-Lucent, par exemple, représente 9 500 salariés, et ce sont également 300 000 salariés des télécoms et de nombreuses PME. L'emploi et l'industrie française sont donc directement concernés, de même que l'industrie européenne.
Cette enquête, si elle est lancée, durera plus d'un semestre. Si les conditions sont remplies, la France soutiendra les propositions de la Commission. D'ici là, notre pays souhaite que les règles de réciprocité soient respectées avec ce partenaire majeur qu'est la Chine. Tel est le message que nous avons délivré à plusieurs reprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adressait au Premier ministre avant son départ quelque peu précipité… Enfin, il nous reste M. Cazeneuve, ses oeufs et ses volailles. (Applaudissements et sourires sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Depuis l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne en 2007, la France connaît une immigration de roms qui prend des proportions proprement intolérables, et d'abord pour ces personnes elles-mêmes : des familles entières, des villages entiers, fuient leur pays d'origine où ils sont traités dans des conditions indignes, pour s'installer dans des conditions très difficiles sur notre sol ; sans travail, sans logement, ils sont aujourd'hui pas moins de 30 000 à être ballottés d'un camp à l'autre, parfois dans des conditions tragiques, on l'a vu cette semaine avec la mort de deux femmes et d'un enfant. Mais c'est intolérable aussi parce que ces familles, y compris souvent les plus jeunes, sont prises en main par des groupes mafieux qui gagnent des centaines de millions d'euros en exploitant les enfants, qui sont prostitués dans les gares parisiennes, volent devant les distributeurs de billets, détroussent les Français, lesquels n'en peuvent plus, et bien sûr les touristes !
Face à tout cela, notre droit est apparemment impuissant puisqu'il s'agit de citoyens européens, et donc de la liberté de circulation, que le droit de séjour de trois mois n'est pas contrôlé et que, bien sûr, les mineurs ne sont pas sanctionnés. Bref, la République est désarmée.
Mais je veux dire ici que la cause principale de tout cela, monsieur le ministre de l'intérieur, tient aux pays qui exportent ces malheureux, c'est-à-dire à la Roumanie et à la Bulgarie, qui touchent, tenez-vous bien, mes chers collègues, 20 milliards d'euros provenant des contribuables européens pour gérer l'intégration de ces populations !
Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour mettre fin à l'incurie de la Commission alors que Mme Redding donne des leçons de morale ? Que compte-t-il faire pour mettre fin au comportement d'un État voyou qui prend l'argent du contribuable européen et nous exporte ses miséreux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le député, avant de vous répondre, laissez-moi marquer mon étonnement qu'un représentant du Parlement de la République s'en prenne à la Commission et traite d'État voyou un État membre de l'Union européenne. Je trouve cela sidérant de la part d'un ancien secrétaire d'État aux affaires européennes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En plus, vous venez nous donner ici des leçons concernant l'Europe, ce qui est tout de même assez étonnant.
Le dossier rom, comme bien d'autres, nous l'avons trouvé parce que vous et votre gouvernement n'aviez pas réussi à le résoudre (Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP) malgré des discours stigmatisants à l'égard de cette population. Il faut traiter ce dossier avec beaucoup de pragmatisme, de réalisme, en conjuguant à la fois le respect des personnes et la fermeté : évacuation de campements où les conditions sanitaires ou de sécurité, vous l'avez rappelé, sont intolérables ; reconduite à la frontière ; lutte contre le crime organisé. Sur ce dernier point, vous avez raison : l'exploitation des êtres humains est tout à fait insupportable. De ce point de vue, la coopération avec la police roumaine, à Paris, a été renforcée, elle produit des effets, il faut aller dans ce sens.
Nous avons supprimé l'aide au retour parce qu'elle avait malheureusement des effets pervers : faire venir ces populations dans des conditions très difficiles.
Et puis nous avons un dialogue et avec les autorités roumaines, et avec la Commission parce que c'est à ce niveau qu'il faut trouver des solutions.
Plusieurs députés du groupe UMP. Lesquelles ?
Ce dossier prendra du temps. Il nécessite l'implication de tous, y compris des collectivités territoriales, et beaucoup de fermeté. Croyez-moi : vous vous en tenez au discours alors que votre bilan est calamiteux et que vous n'êtes pas crédible au niveau européen ; nous, nous agissons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP. – Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Jean-Claude Buisine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l'agriculture, depuis un an, vous vous êtes mobilisé à Bruxelles pour apporter le soutien du Gouvernement au secteur agricole et agroalimentaire de notre pays.
La réforme de la PAC doit tendre vers plus d'égalité et d'équité.
Aujourd'hui, les exploitants agricoles rencontrent de grandes difficultés à maintenir une agriculture en phase avec leur territoire. Faut-il pourtant rappeler que l'agriculture est un secteur excédentaire pour la balance commerciale, qu'il est un fort pourvoyeur d'emplois et, enfin, qu'il participe largement à l'aménagement du territoire ?
L'accord négocié sur la PAC nous est clairement favorable tant en termes de budget que de priorités. Vous vous êtes engagé pour une agriculture de production qui allie la performance économique et la performance environnementale. Avec cet accord, nous estimons que la PAC sera demain plus efficace, plus équitable et plus acceptable pour la société.
S'agissant des priorités, vous vous êtes clairement mobilisé pour le soutien à l'élevage, un secteur qui connaît de grosses difficultés et qui doit être accompagné pour relever les défis de demain. Ainsi, concernant les aides directes et grâce à votre initiative, les possibilités de couplage ont été améliorées. La possibilité de majorer l'aide sur les cinquante premiers hectares a été confirmée, ce qui sera favorable à l'élevage et aux productions dont la rentabilité économique n'est pas fondée sur une logique d'agrandissement.
Concernant le verdissement des aides, 30 % des aides directes seront conditionnées au respect de normes environnementales.
Monsieur le ministre, je vous demande de nous indiquer quel est le degré d'avancement des négociations sur la PAC, suite à la réunion du Conseil des ministres de l'agriculture de lundi dernier et aux réunions se tenant dans le cadre du trilogue entre celui-ci, la Commission européenne et le Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Monsieur le député, vous avez retracé rapidement l'état des négociations sur la réforme de la politique agricole commune, qui ont commencé des 2009. Elles arrivent, je le déclare cet après-midi devant la représentation nationale, à leur terme. L'objectif fixé, c'est d'avoir un accord d'ici fin juin, sous présidence irlandaise, pour que la réforme puisse être mise en oeuvre dès 2015. Cet objectif nécessite encore des négociations dans le cadre de ce que vous avez appelé le « trilogue » puisque c'est la première réforme agricole qui est négociée avec un parlement européen co-décideur. Il y a donc maintenant un processus en cours entre le conseil des ministres de l'agriculture et le Parlement européen, chacun ayant exprimé ses positions. Aujourd'hui, les discussions sont donc en cours, elles portent sur plusieurs sujets importants.
Tout d'abord, il s'agit de la grande question de l'élevage et du rééquilibrage des aides. Il reste à débattre du couplage des aides et du niveau de couplage auquel on pourra aboutir en fin de négociations. La Commission a proposé 10 %, le Parlement 15 %, le conseil des ministres 12 %. On doit pouvoir progresser dans ce domaine.
Nous aurons aussi à préciser l'ensemble des conditions de mise en oeuvre de ce que vous avez appelé « le verdissement » de la politique agricole commune.
On doit également poser les conditions nécessaires à une régulation de l'ensemble des marchés dans le cadre de l'organisation commune de marché.
L'objectif de la France a été clair : apporter un soutien budgétaire à la politique agricole commune ; maintenir la diversité des agricultures sur l'ensemble européen, en particulier dans notre pays ; enfin, mettre en oeuvre des mécanismes pour que les agriculteurs puissent peser sur les choix faits dans le cadre des grandes filières, en particulier celle de l'élevage. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs des groupes écologiste et RRDP.)
La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Bernard Cazeneuve, je ne sais pas si l'opposition sort de l'oeuf mais le Gouvernement a fait une sacrée omelette ! (Applaudissements et rires sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Herr Ministerpräsident Ayrault, ich bitte Sie um eine Frage zu antworten ; Mister Prime minister, I wish to ask you a question :…
…au moment où la Commission bafoue le plurilinguisme de l'Europe et privilégie de manière outrancière l'anglais, la science française a-t-elle encore le droit de s'exprimer dans la langue de Molière, de Victor Hugo…
Un député du groupe SRC. De Myard !
…de Frédéric Joliot-Curie, de Louis Leprince-Ringuet, de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand, ou doit-elle s'excuser d'exister ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)
À l'évidence, on se doit de se poser la question puisque vous allez proposer de reléguer notre langue en seconde division, en lui ôtant son statut de langue universitaire exclusive au profit du globish. Il faut apprendre des langues étrangères, mais le globish n'est pas une explication du monde.
Vous oubliez que les ingénieurs que nous formons aujourd'hui travailleront encore dans vingt à quarante ans et que le « tout anglais » d'aujourd'hui est une faute stratégique, une vision erronée et obsolète à terme du monde qui va à marche forcée vers un plurilinguisme qui va relativiser très largement l'anglais (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)
Rappelez-vous Hamlet : « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans votre philosophie. » Croyez-vous vraiment attirer des étudiants non francophones ? Vous vous trompez : ils préféreront toujours l'original aux singeries. En définitive, nous n'aurons gagné que le mépris des autres, que le statut du vassal et de l'esclave.
Une langue, ce n'est pas seulement un moyen pour vendre des cacahuètes, c'est une pensée, une structure mentale, et le français demeure plus que jamais une langue de sciences ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député Jacques Myard, c'est en français que je m'adresserai à vous pour vous parler du projet de loi. Que dit le texte auquel vous faites allusion – si vous l'avez lu ? (Protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Il dit que la langue de référence de l'enseignement supérieur et de la recherche est le français. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
L'article 2 dispose simplement que les dérogations qui sont déjà prévues par la loi Toubon peuvent être élargies en étant très encadrées pour accueillir les étudiants de pays émergents, tels que la Corée, l'Inde, le Brésil, dans les matières scientifiques, économiques et techniques, qui ne viennent pas en France à cause de l'obstacle du langage.
Cette loi sera d'autant plus encadrée…
…qu'un accord est intervenu hier, en commission, entre partisans et opposants préalables à cette dérogation. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous avons décidé de l'encadrer encore plus en prévoyant une formation obligatoire au français pour ces étudiants, et elle sera prise en compte pour l'obtention de leur diplôme.
Aujourd'hui, il y a 790 formations en langues étrangères, plutôt en anglais. Elles existaient jusqu'à présent dans les écoles pour les enfants privilégiés. Cela ne faisait hurler personne. Aujourd'hui, nous voulons élargir cette possibilité et les introduire à l'université pour tous les jeunes, notamment ceux qui sont issus des milieux modestes, qui n'ont pas voyagé, qui ne parle ni l'anglais ni l'allemand.
Monsieur Myard, la France francophone, c'est la France qui s'ouvre au monde, au Maghreb avec Yamina Benguigui, à l'Afrique francophone que nous accueillons volontiers. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
En conclusion et en français : beaucoup de bruit pour rien, pour reprendre ce titre de Shakespeare.
La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le ministre du budget, comme l'a clairement démontré la commission d'enquête sénatoriale, créée à l'initiative des sénateurs de Front de gauche, la politique européenne de maîtrise de l'évasion fiscale reste à définir.
C'est au coeur même de l'Europe que l'on compte les paradis fiscaux parmi les plus prospères à l'ombre des listes qui les blanchissent. Le coût de l'évasion fiscale représente 40 à 50 milliards d'euros pour la France, et 1 000 milliards d'euros pour les vingt-sept pays de l'Union européenne.
À l'unanimité de ses membres, la commission d'enquête a formulé de nombreuses propositions pour fonder une politique qui soit efficace et lisible, en visant, par exemple, à promouvoir la fixation de sanctions pénales minimales communes, à consacrer le modèle d'échange automatique d'informations, à créer un fichier européen des comptes bancaires, à obtenir la création d'une obligation de transparence comptable, pays par pays pour les multinationales, à créer une assiette commune obligatoire pour l'impôt sur les sociétés, à adopter des mesures de rétorsion communes envers les États et territoires non coopératifs.
Monsieur le ministre, ma question est donc précise : le Gouvernement entend-il s'appuyer sur ces propositions et recommandations, premièrement, pour s'attaquer au scandale de la fuite des capitaux, que celle-ci soit légale ou illégale, et pour dénoncer le rôle des banques qui l'organisent, et, deuxièmement, pour porter au niveau européen des pistes nouvelles et radicales qui permettraient de combattre réellement et concrètement le fléau de l'évasion fiscale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Merci monsieur le député Dolez pour votre question. Je veux, sans attendre, vous confirmer le souhait du Gouvernement de s'inspirer des travaux qui ont été faits par certains parlementaires, soit à la faveur de la présentation ou de l'élaboration de propositions de loi, soit à l'occasion de la création de commissions d'enquête ou de missions d'information parlementaires.
Vous avez souligné notamment l'excellente réflexion qui est engagée depuis plusieurs mois par le sénateur Bocquet que je recevrai prochainement. Il a formulé des propositions très judicieuses. Bien entendu, nous profiterons du débat parlementaire qui aura lieu dans quelques semaines sur le texte déposé par le Gouvernement sur le bureau de votre assemblée sur la lutte contre la fraude fiscale pour inscrire certaines de ses propositions dans la loi.
D'abord, nous avons déjà fait beaucoup de choses pour lutter contre la fraude fiscale des particuliers et des entreprises, depuis plus d'un an. Nous avons, par exemple, pris la décision de taxer à hauteur de 60 % les contribuables ayant des dépôts à l'étranger qui ne sont pas en situation d'en établir la traçabilité.
Nous avons inversé la charge de la preuve pour le transfert à l'étranger des bénéfices de certaines entreprises.
À l'occasion de la loi sur la séparation des activités bancaires, nous avons obligé toutes les banques à rendre compte de l'activité de leurs filiales à l'étranger. Nous les avons également obligées à rendre compte à Tracfin des mouvements financiers suspects qu'elles découvrent, de manière à ce que nous puissions, sur la base de ces déclarations, engager toutes les investigations qui permettent de lutter contre la fraude fiscale.
Nous allons poursuivre cette action dans les semaines qui viennent à travers le texte de loi qui vous est proposé de façon résolue, en mettant en place un parquet financier spécialisé, en augmentant les sanctions contre les fraudeurs et en poursuivant l'action au sein de l'Union pour l'échange automatique d'informations et la mise en place de conventions de type FATCA (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Yves Foulon, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire
Monsieur le Premier ministre, c'est vous – même si vous avez quitté l'hémicycle – que je souhaite interroger sur l'amitié franco-allemande.
Mais d'abord, il faut se rendre à l'évidence : au bout d'un an, vous avez été incapable de fixer un cap et vous avez aujourd'hui – tout le monde le sait, les sondages l'attestent et on le clame dans les rues – perdu la confiance des Français.
Vous avez aussi perdu économiquement. Tous les jours, toutes les affirmations péremptoires du Président Hollande et de votre gouvernement, sur le chômage, les déficits, la croissance sont contredites par les faits – nous sommes d'ailleurs maintenant en récession. Et pour cause : la politique que vous menez nous envoie droit dans le mur !
Vous avez aussi, monsieur le Premier ministre, perdu socialement. Aucune des promesses particulièrement cyniques que le Président Hollande et votre gouvernement ont faites, que ce soit à propos de Petroplus ou de Florange, n'a été tenue.
Vous avez aussi perdu moralement. Tout le monde se souvient de la fameuse tirade du candidat Hollande, grand donneur de leçons. Aujourd'hui, avec l'affaire Cahuzac, c'est l'arroseur arrosé !
Vous avez finalement perdu tout court, et vous êtes en perdition puisque les Français vous ont retiré leur confiance.
Vous voilà maintenant perdu sur la scène européenne, notamment en ce qui concerne la relation franco-allemande.
Certains de vos amis de la majorité ici présents font beaucoup de dégâts. Vous en faites vous aussi, par vos déclarations qui abîment chaque jour un peu plus cette amitié et cette confiance réciproque entre nos deux peuples. Car nos amis allemands perdent de plus en plus confiance à cause d'un gouvernement français et de sa majorité toujours plus incohérents, incohérents parce qu'ils ne prennent jamais leurs responsabilités face à l'échec de leur idéologie politique et sont toujours d'accord pour dire que c'est la faute de l'autre.
Monsieur le Premier ministre, au bout d'un an de gouvernement, cessez de nous parler de l'héritage. Les échecs que connaît notre pays, ce sont vos échecs personnels. Certains disent vouloir passer la serpillière sur l'action de leurs prédécesseurs…
Merci.
La parole est à M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Nous avons compris, monsieur le député, que vous interrogez le Premier ministre sur la nature du couple franco-allemand. Je souhaiterais vous rassurer : ce couple franco-allemand, il fonctionne, au quotidien. C'est d'ailleurs grâce à la qualité des relations qu'entretiennent nos deux gouvernements que nous avons pu adopter la taxe sur les transactions financières portée par Pierre Moscovici et Wolfgang Schaüble. C'est de même grâce à la qualité du travail entre Michel Sapin et Ursula von der Leyen que va être adoptée au mois de juillet prochain une disposition pour la jeunesse de France et la jeunesse européenne.
Ce n'est pas parce que nous échangeons librement que nous sommes d'accord sur tout. C'est justement dans la confiance que l'on peut confronter les points de vue. Oui, la France et l'Allemagne ont des points de vue différents. Pour autant, le couple franco-allemand a-t-il été malmené au cours des derniers mois ?
Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !
Je dois vous dire que non. Cette relation est solide, cette relation est unique. Nulle part ailleurs dans le monde il n'y a des échanges comme ceux que la France et l'Allemagne ont chaque jour. Ce qui nous sépare, c'est vrai, de la droite française, c'est que nous assumons nos différences avec l'Allemagne. Nous ne sommes pas, comme vous l'avez été, dans l'alignement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…nous sommes dans un dialogue franc, sincère, et c'est ce dialogue qui a permis de faire avancer l'Union européenne au cours des douze derniers mois. C'est aussi parce que ce couple fonctionne que, par exemple, nos amis croates ont souhaité que mon collègue allemand et moi-même venions ensemble dans leur pays lundi, pour porter la parole de l'Union européenne au nom du couple franco-allemand, pour dire quelle est la direction de l'Europe. C'est ça, la réalité, ce ne sont pas les petites phrases que vous distillez dans la presse pour tenter de glisser des coins entre la France et l'Allemagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Laurent Kalinowski, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires européennes.
L'emploi des jeunes, en France comme dans le reste de l'Union, constitue une priorité majeure du Président de la République. C'est que nous sommes, selon l'analyse de l'OCDE, devant une « génération angoissée de jeunes travailleurs faisant face à un dangereux mélange de chômage élevé, d'accroissement de l'inactivité et de travail précaire ». La crise a entraîné un accroissement dramatique du chômage des jeunes qui a atteint, au mois de janvier dernier, un taux de près de 23,6 % dans l'Union, soit plus du double du taux de chômage des adultes. Quelque 7,5 millions d'Européens âgés de quinze à vingt-quatre ans sont sans emploi et ne suivent ni études, ni formation.
Le président du Parlement européen, Martin Schulz, n'hésitait pas à l'affirmer récemment : nous sommes en train de créer une génération perdue. La jeunesse européenne attend un signal fort de la part des chefs d'État et de gouvernement de l'Union.
Avec les emplois d'avenir et les contrats de génération, le Gouvernement a d'ores et déjà agi au niveau national. Il restait à compléter ce dispositif et à soutenir l'emploi des jeunes au niveau européen.
C'est chose faite depuis le Conseil européen du 8 février dernier qui, dans le cadre des négociations sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 et sous l'impulsion de François Hollande, a dégagé une enveloppe de six milliards d'euros en faveur d'une « garantie jeunesse » qui vise à permettre aux jeunes Européens originaires de régions économiquement défavorisées de bénéficier d'une offre d'emploi, de formation ou de stage.
C'est important pour un territoire frontalier en reconversion comme celui de la circonscription de Forbach, dont je suis l'élu, qui connaît un taux de chômage des jeunes plus élevé que la moyenne nationale.
Pouvez-vous donc, monsieur le ministre, nous préciser les contours de cette garantie jeunesse ? À quel jeune public s'adresse-t-elle ? Quelles régions européennes seront concernées ? À quelle hauteur la France pourra-t-elle en être bénéficiaire ?
La parole est à M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Merci, monsieur le député, pour cette question, car l'emploi des jeunes est de ces combats qui peuvent effectivement, si l'on répond aux aspirations concrètes des citoyens, permettre de réconcilier nos peuples avec l'idée européenne.
C'est une exigence d'autant plus pressante que le chômage des jeunes est, à l'échelle européenne, beaucoup trop élevé ; vous l'avez dit. C'est pourquoi, en France, le Président de la République a fait de la jeunesse la priorité du Gouvernement, avec la création, dans les premiers mois de la législature, sous l'autorité du Premier ministre, des emplois d'avenir et des contrats de génération. Eh bien, cette priorité, le Président de la République l'a fait porter à l'échelle européenne. À l'occasion du Conseil européen des 7 et 8 février dernier, ont été proposées, vous l'avez également dit, des dispositions spécifiques, sous la dénomination « garantie jeunesse ».
Elles permettront d'accompagner une dizaine de régions de France, celles où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est supérieur à la moyenne européenne. La garantie jeunesse prévoit notamment que soient proposés, dans les quatre mois qui suivront la sortie du système scolaire, un stage, une formation ou un emploi.
Nous pourrons bénéficier d'une partie de ces six milliards d'euros pour accompagner, notamment, les collectivités territoriales, dont les régions. C'est environ une centaine de milliers de jeunes qui, dès cette année, dans une dizaine de régions, bénéficieront de ces mesures financées, je le rappelle, par l'Union européenne.
Vous le voyez, monsieur le député, il s'agit d'actions concrètes, positives, déterminantes, qui traduisent aussi une nouvelle orientation de l'Europe en faveur de l'emploi, plus particulièrement de l'emploi des jeunes. Nous obtenons des avancées à l'échelle européenne. C'est la traduction concrète de la politique de réorientation de la construction européenne voulue par le Président de la République et portée par l'ensemble des ministres de ce gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Alors qu'on vient de célébrer, le 9 mai dernier, la fête de l'Europe, nous savons tous dans cet hémicycle que l'idéal européen doit être ranimé, que la construction européenne doit trouver un nouveau souffle, qu'il n'y a pas d'avenir pour la France sans l'Europe, mais également que l'Europe n'ira pas loin si elle reste dans une aussi grande mesure « hors sol ». C'est la conviction, vous le savez, des radicaux de gauche, qui sont des fédéralistes européens.
Or la période actuelle nous offre une opportunité unique de rapprocher l'Europe des citoyens à travers la construction d'une Europe des territoires. À cet effet, il est nécessaire que l'Europe, dans sa triple composante communautaire, intergouvernementale et interrégionale, reconnaisse le rôle des territoires qui la composent. La France peut être un moteur de ce progrès de l'Europe des territoires tant la République a su légiférer dans sa vocation universelle en maintenant la diversité des territoires : je pense bien sûr à la loi montagne de 1985 qui a construit la politique des massifs, mais aussi à la loi littoral ou à la politique en faveur des régions ultrapériphériques.
Alors que nous négocions le budget européen 2014-2020, alors que l'article 174 du traité de Lisbonne permet cette adaptation indispensable des politiques publiques aux spécificités de nos régions – qu'elles soient de montagne, insulaires ou à faible densité de population – et à la vie quotidienne, réelle, de nos concitoyens, une approche territoriale n'est-elle pas le meilleur moyen d'éviter les contradictions, voire les incohérences entre les dispositifs sectoriels et ainsi de faciliter l'accès de nos acteurs locaux – PME-PMI – et de nos collectivités territoriales aux programmes européens ?
Comment progresser – alors que ce sujet semble quelque peu oublié, au regard du processus de décentralisation et de l'accord de partenariat – sur le chemin d'une véritable intégration du FEDER, du FSE et du FEADER, dans le cadre d'approches fonctionnelles « multifonds » à destination de nos massifs, de nos îles et archipels ou de nos régions faiblement peuplées ?
Comment faire en sorte également que la Commission européenne reconnaisse que les handicaps naturels permanents de nos régions sont un facteur de progrès et d'innovation, notamment par sa politique en matière d'aides d'État à finalité régionale – qu'elle revoit actuellement –, qui devrait être plus respectueuse de la diversité des territoires ?
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le député Joël Giraud, je partage comme vous la nécessité d'ancrer l'Europe dans ses territoires. Il faut évidemment, pour ce faire, une bonne gestion des instruments que sont les fonds, une rationalisation de leur utilisation : vous trouverez des outils en ce sens dans le texte que défendra notamment Mme Marylise Lebranchu dans quelques mois.
Comme je vous sais, toutefois, très soucieux du détail de l'utilisation des fonds européens, je veux vous faire part de plusieurs avancées qui seront obtenues lors du vote du prochain cadre financier pluriannuel 2014-2020.
Les territoires de montagne pourront désormais, dans le cadre du développement rural grâce auquel les acteurs de montagne sont en mesure de porter des projets, financer un même programme opérationnel en additionnant les fonds du FEDER, du FEADER et du FSE.
Bien évidemment, les spécificités de nos territoires de montagne, insulaires ou ultra-marins, auxquels vous connaissez mon attachement, doivent être reconnues.
C'est pour ces territoires que nous avons défendu et obtenu, grâce à Stéphane Le Foll, le maintien de l'indemnité compensatoire du handicap naturel, qui permet d'allouer une enveloppe à l'agriculture de montagne.
C'est pour ces territoires que nous avons oeuvré, sous la houlette de Victorin Lurel, en faveur du maintien d'une allocation spécifique pour les régions ultrapériphériques dans la prochaine politique de cohésion, et que nous avons obtenu le maintien de l'enveloppe allouée à nos DOM.
C'est pour ces territoires que nous souhaitons permettre à plusieurs régions partageant un même massif de travailler au sein, notamment, de groupements d'intérêt public afin de mettre en oeuvre la politique de cohésion et de tenir compte, par exemple, de la dimension alpine du territoire – pour prendre le cas de votre région, monsieur le député.
C'est enfin pour aider ces territoires que nous avons obtenu, dans les arbitrages rendus, des retours en faveur de notre pays à la hauteur de ce qu'il avait obtenu par le passé. Avec des instruments mieux gérés, nous avons la certitude que, dans nos territoires, les sommes seront au rendez-vous.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, qui m'entend sûrement là où il se trouve. Elle porte sur la manière dont l'ordre est maintenu dans notre pays et sur l'émoi qu'elle provoque au sein des instances européennes. En effet, la France va être interpellée par le Comité des ministres de l'Europe, c'est-à-dire l'assemblée des quarante-sept ambassadeurs européens, sur le respect des libertés individuelles dans notre pays à l'occasion des actions de maintien de l'ordre commises en marge ou à l'occasion des manifestations contre le mariage gay, qui ont été relevées par notre collègue italien Luca Volontè.
Cette saisine du Comité des ministres européens fait état d'actions à caractère exagéré par rapport aux troubles occasionnés par les personnes interpellées ou gardées à vue ; je rappelle que, depuis le début des manifestations, nous en sommes à près de six cents interpellations et de cent gardes à vue prononcées à l'occasion des manifestations – je ne parle pas de ceux qui se sont rendus coupables de violences à l'égard des forces de police et qui connaissent, finalement, un destin qu'ils ont sans doute quelque peu cherché.
Au-delà, le manque de discernement des forces de l'ordre, ou du moins celui de leur hiérarchie, le déséquilibre entre le risque pour l'ordre public et leurs actions, parfois violentes, envers les personnes, les intimidations dans le cadre des procédures judiciaires, qui ne débouchent la plupart du temps sur rien, puisque, me semble-t-il, on ne dénombre que deux condamnations fermes sur près de six cents interpellations intervenues depuis quatre mois, la confiscation de vêtements ou d'objets, sans l'existence d'aucune espèce de circulaire ni d'un autre document juridique de référence, provoquent une inquiétude au sein des instances européennes et une dégradation de l'image de la France, notamment quant à sa manière de respecter les libertés publiques.
Monsieur le ministre, que va répondre la France lorsqu'elle sera interpellée par les instances européennes sur ce sujet ?
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le député Poisson, je m'étonne que vous repreniez à votre compte des prises de position de M. Luca Volontè, député italien de l'Union du centre, très connu pour ses propos homophobes (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP) et anti-avortement, plus que pour son engagement en faveur des principes de non-discrimination ou de la liberté individuelle.
Les parcours et les modalités des manifestations en faveur du mariage pour tous ont été définis en lien avec les organisateurs. Des débordements ont pu être constatés qui sont le fait, vous le savez, d'extrémistes qui ont appelé à ne pas respecter la décision interdisant le secteur des Champs-Élysées. Les forces de l'ordre ont fait cesser ces débordements, qui étaient conduits par certains éléments – je ne dis pas que tous les manifestants ont eu cette attitude.
L'action des forces de l'ordre, je le dis en l'absence du garde des sceaux (« Elle est là ! » sur les bancs du groupe UMP) – pardon madame la garde des sceaux, je voulais dire du ministre de l'intérieur –…
…a été proportionnée et a visé à garantir l'ordre républicain.
De surcroît, les droits des individus, dans notre pays, sont garantis : des plaintes peuvent donc être déposées si certains l'estiment utile. En tout état de cause, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe examinera la question écrite de M. Volontè et préparera des éléments de réponse le 29 mai prochain. À la lumière de ce débat, le Comité des ministres adoptera au cours d'une réunion ultérieure une réponse à cette question, mais il n'y a pas, comme vous le laissez penser, d'émotion particulière au sein de cette instance, je peux en attester.
Nous avons terminé la séance des questions au Gouvernement sur des sujets européens.
Conseil de l'Europe et maintien de l'ordre en France
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)
L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (nos 736 et 840).
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, madame la rapporteure, madame la ministre des droits des femmes, mesdames, messieurs les députés, il me revient l'insigne – et, allais-je dire, ingrat – privilège de vous présenter un projet de loi exclusivement composé de dispositions visant à transposer dans notre droit six instruments juridiques européens – des directives, des décisions-cadre et une décision – et sept instruments européens et internationaux – des conventions, un protocole, un accord et une résolution.
Vous le savez, cette transposition nous est rendue obligatoire par les dispositions de la Constitution – article 53 et articles 88-1 et suivants – et par les traités européens et conventions internationales. Le traité de Lisbonne prévoit d'ailleurs des sanctions lorsque les transpositions ne sont pas effectuées dans les délais.
Néanmoins, ces transpositions ne sont pas effectuées exclusivement en vertu d'une obligation juridique : elles le sont aussi parce que les dispositions des instruments en question vont contribuer à lutter contre la criminalité organisée, contre les violences faites aux femmes, contre les violences domestiques et contre les abus sexuels, notamment ceux qui sont commis contre les enfants.
Les dispositions que nous allons transposer datent pour certaines de 2006 – voire 2005, s'agissant du troisième protocole additionnel aux conventions de Genève – et 2008. Le travail de transposition avait été prévu pour certaines d'entre elles dans un texte de loi qui était resté bloqué au Sénat en février 2012. Afin que ces dernières soient transposées dans les délais, le Gouvernement a choisi de mettre en oeuvre la procédure accélérée.
Concernant les dispositions relatives à la lutte contre la criminalité organisée, nous voyons bien la nécessité de s'opposer à la facilité avec laquelle les délinquants et criminels ont pris acte de l'abaissement des frontières, du développement de l'Internet et des réseaux de communication, de la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux – propres mais aussi, souvent, blanchis. Il est donc important que nous procédions à l'harmonisation des incriminations, laquelle nous permettra de développer la coopération judiciaire. Il importe également d'harmoniser les dispositions procédurales, en particulier celles qui concernent la circulation des personnes mises en cause, c'est-à-dire les transfèrements, et ce afin de faciliter l'entraide pénale entre les États.
Ainsi que je viens de le rappeler, il s'agit de six textes européens et de sept textes européens et internationaux. Les mesures concernées sont donc assez diverses. Pour autant, le projet de loi n'est pas disparate, parce que l'ensemble des dispositions convergent vers la mise en place du programme de Stockholm, adopté pour la période 2010-2014. Celui-ci vise, au-delà des avancées permises par le programme de Tampere sur l'instauration d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, à créer un espace judiciaire européen, et donc à faire converger les dispositions pénales des États membres de façon à nous rendre tous plus efficaces dans la lutte contre les violences et contre la criminalité organisée.
Le texte de loi, composé de vingt-trois articles, comporte deux parties distinctes.
La première partie vise à transposer des textes européens. La première de ces transpositions renvoie à une convention extrêmement importante qui a été signée à Varsovie en mai 2005 et qui a pour objet la lutte contre la traite des êtres humains. Elle fait également référence au protocole additionnel à la convention de Palerme, qui a été signée en 2000. Ce sont des dispositions extrêmement importantes.
Le projet de loi élargit tout d'abord l'infraction de traite des êtres humains, en y introduisant notamment le prélèvement d'organe. En outre, alors que l'échange de rémunération était jusqu'alors le seul moyen permettant l'incrimination, des moyens alternatifs qui constituaient auparavant des circonstances aggravantes ont été introduits comme constitutifs pour caractériser l'infraction : les violences, les menaces, les contraintes.
La vigilance de la commission des lois a permis de détecter un risque de voir la sanction légèrement diminuée si l'on ne prenait pas la précaution de préciser que, dès lors que deux circonstances sont réunies, la peine encourue est fixée à dix ans. L'amendement qu'elle a déposé en ce sens recevra donc un avis favorable du Gouvernement. Il permet, par sécurité, que les dispositions qui consolident le contenu de l'incrimination n'aient pas pour conséquence le prononcé d'une peine inférieure à ce qui est prévu actuellement.
La traite des êtres humains est typiquement une infraction à caractère transfrontalier, international. Cette transposition permet de construire un espace européen de liberté, de sécurité et de justice efficace et au-delà, d'armer les États pour affronter une criminalité organisée de plus en plus astucieuse et performante.
L'article 3 traite de l'interprétation et de la traduction des actes dans le cadre des procédures pénales. Nos lois et notre jurisprudence imposent déjà le recours à un interprète ; cette disposition européenne ajoute l'obligation de traduction, à même de protéger les justiciables, qui doivent avoir pleinement connaissance des actes essentiels établis dans le cadre d'une procédure pénale.
L'article 4 traite de la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants et contre la pédopornographie. Ces dispositions émanent de la convention du Conseil de l'Europe signée à Lanzarote en 2007. Avec les dispositions de la convention relative à la lutte contre la traite des êtres humains également transposées, elles érigent en infraction pénale toutes les formes d'abus sur les enfants.
Les articles suivants transposent des dispositions qui visent à renforcer les droits procéduraux des personnes, inspirés des principes de la Cour européenne des droits de l'homme, et à permettre la reconnaissance mutuelle des décisions prises par les tribunaux en cas de non-comparution de l'auteur des faits. Elles concernent également les décisions portant sur une condamnation à une peine privative de liberté.
Les articles 7 et 8 transposent la décision-cadre de 2008 sur le renforcement d'Eurojust et modifiant la décision-cadre de 2002, qui instituait cette unité de coopération judiciaire. Ces dispositions diffèrent de ce que prévoient les articles 85 et 86 du traité de Lisbonne en matière de renforcement d'Eurojust et de création possible d'un parquet européen. S'il est important de renforcer Eurojust – la transposition prévoit de préciser les capacités de membre national –, la commission des lois a souhaité aller plus loin en adoptant une disposition qui anticipe la proposition de règlement que la Commission a prévu de présenter au Conseil Justice et affaires intérieures, règlement qui permettra de renforcer Eurojust et d'avancer vers la création du parquet européen.
La situation est pour le moins inédite puisque la commission des lois prévoit ainsi de transposer des dispositions qui n'ont pas encore été écrites, même si la Commission respecte un calendrier assez resserré. Cela ne nous paraît pas garantir une définition du parquet européen tel que nous l'envisageons et tel que nous avons commencé à y travailler, de façon méthodique et rigoureuse, avec mon homologue allemande, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger.
Ensemble, nous avons adressé une correspondance à la vice-présidente de la Commission et mis en place un groupe de travail franco-allemand, qui a rédigé un document, transmis depuis à la Commission. Nous avons mobilisé d'autres pays, comme la Pologne, l'Italie, l'Espagne, extrêmement motivés par l'idée d'un parquet européen. Celui-ci doit être conçu de façon à ce que son efficacité soit garantie, qu'il n'y ait pas de heurts avec les institutions judiciaires des États membres et qu'il puisse remplir au mieux la première mission qui lui sera confiée, défendre les intérêts financiers de l'Europe.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime qu'il serait plus prudent et raisonnable de s'en tenir à la transposition de la décision-cadre de 2008 et d'attendre de connaître le contenu du règlement. Anticiper sur un règlement nous paraît politiquement et juridiquement risqué : la démarche est sans précédent et nous ne pouvons préjuger ni de ce qu'il contiendra exactement ni des amendements qui lui seront éventuellement apportés. Nous débattrons plus longuement de cette question lors de la discussion des articles et confronterons les arguments du Gouvernement avec ceux de Mme la rapporteure.
Trois directives restent à transposer. Elles portent respectivement sur la lutte contre le racisme et la xénophobie, la reconnaissance mutuelle en matière de décisions sur la probation et la reconnaissance mutuelle en matière de décisions privatives de liberté avant jugement, c'est-à-dire de détention provisoire. Si les délais de transposition de certains textes remontant à 2005 ou 2006 nous ont placés dans l'urgence, nous avons aussi décidé d'inclure dans le présent projet de loi la transposition d'instruments juridiques dont le délai courait jusqu'en décembre 2014. Il n'en a pas été de même pour ces trois directives, dont la transposition doit être effectuée avant mars 2014 : leurs dispositions viendraient encore alourdir ce texte qui compte 23 articles. Les délais de transposition seront néanmoins respectés.
La deuxième partie de ce projet de loi est composée des mesures d'adaptation de la législation à des instruments européens et internationaux.
Le premier de ces instruments est la convention internationale pour la protection des personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l'assemblée générale des Nations unies en décembre 2006. Cette convention est marquée de l'empreinte de la France, qui, après avoir présenté une première résolution en 1978, a milité – avec les familles et les organisations non gouvernementales, fortement mobilisées – en faveur de son adoption, notamment au travers de l'action de l'un de ses ambassadeurs, M. Bernard Kessedjian, hélas décédé et pour lequel nous avons une pensée émue.
L'adaptation consiste notamment à introduire dans nos textes une définition des disparitions forcées plus précise que celle qui est prévue dans le statut de la Cour pénale internationale, la prise en compte des disparitions forcées non liées à un crime contre l'humanité et un délai de prescription adapté à ce type de crime.
Le deuxième instrument est l'accord relatif à la procédure de remise des personnes entre les États membres de l'Union européenne et la République d'Islande et le Royaume de Norvège. Cette procédure se situe entre la procédure d'extradition et le mandat d'arrêt européen, en cela que, au même titre que l'extradition, la remise de nationaux est prohibée et que la dispense de contrôle de la double incrimination est limitée à six infractions – le terrorisme, l'homicide volontaire, les violences, notamment les viols, les coups et blessures graves, le trafic de stupéfiants et l'enlèvement, la séquestration ou la prise d'otages.
Le troisième instrument est la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011. Avant même sa ratification – qui fera très prochainement l'objet d'un projet de loi porté par ma collègue Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes –, nous avons pu, au travers de ce texte, mettre notre législation totalement en conformité avec les obligations qui en résultent, l'essentiel des dispositions étant du reste contenues dans une directive.
Notre législation, qu'il faudrait encore affiner, couvre la plupart des infractions visées par la convention : violences physiques et psychologiques, violences sexuelles, harcèlement – sur lequel un texte, porté par Najat Vallaud-Belkacem et moi-même, a été adopté à l'unanimité par les deux chambres l'année dernière –, mutilations génitales, stérilisation forcée, interruption de grossesse sans consentement et mariage forcé.
Najat Vallaud-Belkacem évoquera plus précisément le contenu de cette convention et des modifications qu'il convient d'apporter à notre législation afin d'incriminer le mensonge qui conduit au mariage forcé, l'incitation à la mutilation sexuelle, la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de l'intéressée, et sans forcément de violences physiques ou psychologiques.
Les autres instruments, qui ne sont pas de moindre importance mais qui appellent simplement moins d'attention, sont le protocole additionnel aux conventions de Genève relatif à l'adoption d'un nouveau signe distinctif humanitaire et le « Mécanisme résiduel », qui permet de solder les dernières procédures des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.
Grâce à ce projet de loi, nous complétons et renforçons notre arsenal pénal relatif aux violences faites aux femmes, aux abus sexuels sur les enfants, à la criminalité organisée et à la délinquance transfrontalière. Nous permettons que des personnes incarcérées soient transférées pour purger leur peine dans l'État où elles ont leur lieu de résidence habituel, leurs liens de famille et où les conditions d'une exécution efficace de leur peine – préparation à la sortie, meilleure insertion ultérieure – sont remplies.
En transposant ces dispositions dans notre droit pénal, nous contribuons à renforcer l'espace de justice, de liberté et de sécurité, à resserrer la coopération judiciaire, au niveau européen bien entendu, mais aussi avec des pays avec lesquels des accords ont été signés et des règles proches mises en place – je pense en particulier à l'Islande et à la Norvège. Nous travaillons aussi avec d'autres pays dans le monde, car cette criminalité est transfrontalière et transcontinentale, ce qui explique que nous développions des coopérations bilatérales mais aussi multilatérales. Il y a quelques mois, j'ai signé au nom du Gouvernement l'adhésion de notre pays à une convention qui prévoit la dématérialisation des informations juridiques et judiciaires et l'amélioration de la circulation de l'information sur nos règles procédurales. Ces nouvelles dispositions faciliteront notamment l'exécution des commissions rogatoires internationales en améliorant la connaissance réciproque des règles procédurales mais aussi de la définition de fond des incriminations prévues par nos législations respectives.
Bien évidemment, parce que nous travaillons sur des instruments juridiques de nature assez différente – directives, décisions-cadre, décisions, conventions, protocoles, arrêts, résolutions –, nous avons parfois l'impression, au moment de la transposition, de disposer d'un matériau assez rétif qu'il arrive à certains de trouver mal rédigé. Ce n'est d'ailleurs pas très étonnant, car non seulement le document est traduit mais il est de surcroît le fruit de négociations auxquelles participent des juristes, des diplomates, des techniciens et d'autres praticiens du droit pour dégager des compromis. Surtout, l'Union européenne est elle-même tiraillée entre deux conceptions assez différentes du droit : d'un côté, le droit continental, romano-germanique, et, de l'autre, le common law, plus trivialement appelé droit anglo-saxon. Du fait de cette confrontation permanente, de ces compromis incessants, la rédaction n'est pas d'une parfaite rigueur juridique, car des périphrases peuvent être utilisées à la place d'un concept, laissant ainsi une impression d'approximation.
Il demeure bien sûr que, comme dans toute transposition, nous avons dû concilier deux contraintes contradictoires : rester fidèle au texte juridique que nous transposions tout en respectant les obligations que nous impose notre loi fondamentale.
La commission a accompli en la matière un travail admirable, et je salue l'impulsion qu'a donnée la rapporteure Marietta Karamanli. Le texte, à l'issue de ses travaux, est incontestablement amendé. À ce propos, je rappelle nos réserves concernant Eurojust, même si j'entends, je comprends, voire je partage votre impatience. Certes, vous voulez donner une impulsion et préparer mieux encore la création du parquet européen, mais il serait hétérodoxe d'anticiper le contenu d'un règlement qui n'a pas encore été définitivement rédigé. Sous cette réserve, le Gouvernement approuve le texte issu de la commission des lois ; j'aurai l'occasion de le répéter à plusieurs reprises lorsque nous examinerons les articles et les amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, après l'exposé de Mme la garde des sceaux, je voudrais commencer par la fin, et souligner l'importance de la convention d'Istanbul contre les violences faites aux femmes, à laquelle le chapitre XI du projet de loi fait référence.
Ce texte, que vient de présenter la garde des sceaux, adapte en effet notre droit pénal à cette convention, qui marque une étape importante dans l'histoire des droits des femmes.
Je présentais, ce matin, en conseil des ministres, le projet de loi de ratification de cette convention. Je sais combien cette ratification est attendue par les associations de lutte contre les violences faites aux femmes et par les parlementaires, en particulier les membres de la délégation aux droits des femmes, qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet et que je salue.
Cette convention était attendue car elle aborde un ensemble très large de violences faites aux femmes : violences sexuelles, violences physiques et psychologiques, harcèlement, mariages forcés, mutilations sexuelles génitales ou encore ce que certains appellent les « crimes d'honneur ».
Signée par la France en 2011, elle prend acte d'une réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes. Il ne s'agit pas en effet d'une succession de faits divers, d'actes isolés : il y a un continuum, dans nos sociétés, des violences sexistes, qui commence avec les stéréotypes et les inégalités et qui se prolonge, dans les cas les plus tragiques, avec les violences et les crimes.
Ce continuum des violences appelle une réponse globale des pouvoirs publics. Cette convention y fait écho à travers trois principes : la prévention, la protection et l'aide apportées aux victimes, la poursuite, la sanction et le suivi des auteurs.
Le droit pénal français est déjà largement conforme aux dispositions qui figurent dans cette convention, mais nous avons considéré, avec Mme Taubira, que nous devions être exemplaires sur ce sujet qui tient à coeur au Gouvernement. Or, ce texte est un levier formidable pour faire encore mieux sur notre territoire mais aussi en termes de diplomatie. J'ai ainsi invité les pays francophones, à l'occasion du Forum mondial des femmes francophones organisé à Paris en mars dernier, à adhérer à cette convention qui fixe un socle de droits fondamentaux assez ambitieux.
Je voudrais insister en particulier sur deux causes que ce projet de loi fait avancer : la lutte contre les mariages forcés et la lutte contre les mutilations sexuelles.
Ce texte nous permet de renforcer la lutte contre les mariages forcés grâce à l'introduction d'un nouveau délit dans le code pénal, constitué par le fait de tromper quelqu'un pour l'emmener à l'étranger lui faire subir un mariage forcé. Le droit français nous donne toutes les armes utiles pour lutter efficacement contre les mariages forcés sur notre territoire, mais c'est à l'étranger que les femmes vivant en France subissent le plus souvent ces violences.
Du reste, avec la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger, Hélène Conway-Mouret, nous avons mobilisé, ces derniers mois, les postes consulaires à l'étranger pour que nos ressortissantes soient beaucoup mieux protégées qu'elles ne l'étaient par le passé. Cette initiative a fait remonter beaucoup de bonnes pratiques mais aussi beaucoup d'interrogations. Nous nous sommes appuyés sur l'exemple britannique de la Forced Marriage Unit – nous reviendrons sur ce sujet devant vous pour en dresser le bilan. Parce que nos postes consulaires à l'étranger ne peuvent plus rester indifférents à la situation de ces femmes, nous devons leur donner les moyens de les prévenir et de les protéger.
Le mariage forcé est une réalité pour beaucoup de femmes en France. Les associations qui viennent à leur secours accomplissent un travail difficile et précieux. Je pense en particulier à l'association Voix de femmes, qui sait accompagner les femmes exposées à la violence de leur famille, avant d'être livrées à celle d'un conjoint. Nous avons décidé d'aller plus loin encore. C'est pourquoi j'ai saisi la Commission nationale consultative des droits de l'homme pour étudier les moyens de mieux protéger les droits des femmes qui vivent en France mais qui sont rattachées par leur nationalité à un droit qui reconnaît une inégalité entre les hommes et les femmes.
Je serai amenée, dans la prochaine discussion du projet de loi sur les droits des femmes, à vous proposer des dispositions en la matière, pour que jamais une femme ne soit prisonnière, en France, de l'application d'une loi étrangère qui lui accorde moins de droits qu'à son mari, à son frère ou à son père.
Ce texte nous permet également de progresser dans le combat que nous menons contre l'excision, contre les mutilations sexuelles génitales. Nous créons ainsi un nouveau délit, constitué par le fait d'inciter quelqu'un à subir une mutilation sexuelle. Un amendement a été déposé pour compléter le texte et sanctionner non seulement celui qui incite un mineur à subir une excision, mais aussi celui qui incite à faire subir une excision à un mineur. Nous y reviendrons dans la discussion.
Nous pouvons être fiers du combat que la France mène depuis quelques décennies contre les mutilations sexuelles. Notre pays a en effet été pionnier en ce domaine ; ce sont les grands procès menés en France qui ont encouragé, depuis les années 1980, les sociétés civiles des pays les plus concernés à réagir. La mobilisation de la société civile et de la communauté internationale a permis que l'assemblée générale des Nations unies se prononce, le 20 décembre dernier, par une résolution votée à l'unanimité, pour l'abolition des mutilations sexuelles génitales. Nous avons bien entendu accueilli cette résolution avec enthousiasme. Elle rappelle les chiffres : 100 à 140 millions de victimes dans le monde. L'ampleur du phénomène justifie cette mobilisation.
Les pratiques reculent, mais la France compterait encore 50 000 femmes victimes, ce qui justifie largement une nouvelle incrimination pénale.
Les mutilations sexuelles génitales, comme les violences d'une manière générale, posent la question de la place des femmes dans la société, de nos traditions, de nos représentations. Gardons-nous, en la matière, de tout raisonnement à l'emporte-pièce. Les mutilations sexuelles féminines sont trop souvent instrumentalisées, par ignorance ou malveillance, pour stigmatiser telle culture, telle histoire, telle religion. En vérité, la pratique de l'excision a précédé les religions monothéistes. Les amalgames ne servent pas la cause des femmes.
Cela étant dit, nous devons être au rendez-vous pour être encore plus efficaces et dissuasifs. Les procès sont une première réponse, mais la qualité de la prévention et de la détection en est une autre. Pour que les professionnels soient capables de prévenir et de détecter, en particulier les pédiatres du service public, dans les PMI, nous devons les former correctement. Nous avons lancé avec Christiane Taubira et d'autres collègues un grand plan de formation des professionnels, à l'attention de tous ceux qui sont au contact des victimes. Nous devons poursuivre dans cette voie. Au-delà, nous devons informer et sensibiliser les populations concernées ; nous y travaillons avec des associations comme le GAMS.
Enfin, nous voulons dire aux victimes que leur souffrance n'est pas nécessairement définitive. Le protocole chirurgical de réparation, élaboré grâce à des médecins engagés – je pense en particulier au Dr Pierre Foldes –, est désormais intégré dans la nomenclature de l'assurance maladie. C'est une nouvelle importante et un progrès considérable.
Un dernier mot, pour saluer les progrès que le projet de loi permet en matière de lutte contre la traite des êtres humains – Christiane Taubira s'y est longuement arrêtée – notamment en améliorant la définition de l'infraction. Il s'agit de se donner les moyens de mieux lutter contre la traite, une réalité dramatique qui évolue vite, au rythme des épisodes géopolitiques, et qui prend sur notre territoire des formes très différentes et souvent très difficiles à appréhender.
La majorité des victimes de la traite en France sont exploitées dans le cadre de réseaux de prostitution, essentiellement en provenance d'Europe de l'est, d'Afrique subsaharienne, du Maghreb, du Brésil ou de la Chine. C'est sans doute ce qui explique le dépôt de deux amendements portant sur la réponse pénale à apporter aux questions posées par la prostitution dans notre pays.
Le Gouvernement s'est récemment exprimé sur ce sujet, notamment dans le cadre du débat au Sénat sur l'abrogation du délit de racolage passif. Sans surprise, nous maintenons l'agenda que nous avions d'ores et déjà annoncé : un groupe de travail oeuvre depuis des mois déjà et prolonge, notamment à l'Assemblée nationale, les travaux engagés sous la précédente législature. Il devrait bientôt remettre ses conclusions. Nous ne voulons pas apporter à cette question une réponse précipitée.
Le chantier de la lutte contre la traite des êtres humains ne se limite pas, qui plus est, à la question de la prostitution. Il nécessite une mobilisation interministérielle et, au-delà, la contribution des partenaires associatifs et territoriaux.
C'est pour cela que la nouvelle Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains – MIPROF – s'y consacre d'ores et déjà pleinement. Elle est chargée d'élaborer pour le mois d'octobre prochain un plan gouvernemental de lutte contre la traite des êtres humains, en écho aux recommandations du GRETA, dont vous avez pu apprécier le diagnostic aigre-doux sur la France.
La création de cette MIPROF, qui réunit une équipe d'experts de haut niveau issus de différentes administrations, marque à cet égard un changement de rythme et de méthode fort bienvenu. Je sais que beaucoup des députés ici présents ont suivi ce programme de travail avec attention, et je n'ai donc guère besoin de m'étendre sur les progrès que cela nous a permis de réaliser.
Je tenais, pour conclure, à vous remercier une nouvelle fois pour votre engagement sur ces sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
La parole est à Mme Marietta Karamanli, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, ce projet constitue à bien des égards une étape dans l'affirmation d'un droit pénal partagé et commun aux différents États membres de l'Union européenne et, d'une façon plus générale, dans l'affirmation d'un droit international pénal.
Ce projet de loi a en effet pour objet de transposer plusieurs instruments de l'Union européenne et d'adapter notre législation pénale à plusieurs engagements internationaux, adoptés notamment dans le cadre du Conseil de l'Europe ou des Nations unies.
S'agissant du droit de l'Union européenne, ce texte traduit le franchissement d'une étape importante dans la construction de l'espace pénal européen. C'est en effet la première loi de transposition de directives dans le domaine pénal. C'est une conséquence directe de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui a communautarisé ce qui relevait de l'ancien troisième pilier de l'Union européenne, c'est-à-dire la coopération policière et judiciaire pénale.
Pour ce qui est du droit de l'Union, je souhaite faire ici un bref rappel d'histoire récente. Dès 1980, la Cour de justice des Communautés européennes, devenue depuis la Cour de justice de l'Union européenne avait, dans un célèbre arrêt Casati, posé le principe de la nécessité d'une compatibilité du droit pénal national avec la législation européenne : « En principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres. Cependant, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que, également dans ce domaine, le droit communautaire pose des limites. »
Depuis cette date, de nombreux textes ont donné une nouvelle valeur à l'articulation du droit pénal européen avec le droit national. Je ne prendrai que trois exemples.
D'une part, les traités d'Amsterdam, en 1997, et de Nice, en 2001, avaient prévu des dispositions en matière de coopération policière et judiciaire en vue de prévenir et lutter contre la criminalité.
D'autre part, le traité de Lisbonne, en 2007, a formalisé ce qu'il dénomme un espace de liberté, de sécurité et de justice, en donnant compétence à l'Union pour établir des règles minimales, notamment sur l'admissibilité des preuves, les droits des personnes dans la procédure pénale ou les droits des victimes.
Par ailleurs, en 2009, le Conseil européen a établi un programme dit de Stockholm, auquel a fait référence la garde des sceaux et qui entend, entre autres objectifs politiques, renforcer la cohérence des dispositions pénales dans les différents instruments de l'Union, avec notamment la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et, dans le domaine de la détention, l'adoption de définitions communes et de seuils minimaux communs pour les sanctions maximales.
Ainsi, pour faire simple, si les réalisations dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale ont été extrêmement limitées au niveau de l'Union pendant les premières décennies, elles se sont progressivement développées depuis la fin des années 1990, dans le cadre du troisième pilier du Traité sur l'Union européenne.
Nous entrons ainsi, en quelque sorte, dans une troisième phase de l'espace pénal européen. Dans la première, issue du traité de Maastricht, seules des conventions, qui devaient être ratifiées par tous les États membres, et des actions ou positions communes sans portée contraignante pouvaient être utilisées.
À partir du traité d'Amsterdam, ce sont les décisions-cadres, plus efficaces mais dépourvues d'effet direct, qui ont été employées.
Depuis le 1er décembre 2009, l'Union européenne peut adopter des directives, dotées d'effet direct, et la Commission peut déposer des recours en manquement contre tout État membre qui n'aurait pas transposé dans les délais, ou qui aurait mal transposé. Ces recours peuvent conduire à des condamnations par la Cour de justice, à une amende – dont le montant minimal, forfaitaire, est de 10 millions d'euros pour la France – et à une astreinte par jour de retard.
C'est dire toute l'importance d'une « veille européenne » efficace, qui permette d'anticiper les difficultés éventuelles en amont, dès la négociation des directives, et de les transposer ensuite correctement, en temps et en heure.
Le présent projet de loi comporte désormais, après son examen par la commission des lois, vingt-six articles, qui transposent onze instruments européens ou internationaux.
Les articles 1er et 2 transposent la directive de 2011 concernant la lutte contre la traite des êtres humains. C'est la directive dont la transposition est la plus urgente, puisqu'elle devait être effectuée avant le 6 avril 2013. Elle conduit notamment à modifier la définition de l'infraction de traite et à renforcer les droits procéduraux des mineurs victimes.
L'article 3 transpose la directive de 2010, relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.
L'article 4 transpose la directive de 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants. Il aggrave certaines peines et crée ou étend certaines infractions en la matière.
Les articles 5 et 6 transposent la décision-cadre de 2009 sur les décisions rendues en l'absence de la personne concernée lors du procès.
Les articles 7 et 8 transposent la décision de 2008 sur le renforcement d'Eurojust, dont le caractère opérationnel et l'efficacité seront accrus. Nous aurons l'occasion d'y revenir au moment de la discussion sur les amendements, mais je voulais rassurer la ministre et lui dire que nous n'avons nullement la prétention d'anticiper sur un règlement européen. Les propositions que la commission des lois a adoptées à l'unanimité témoignent simplement de notre volonté de ne pas nous contenter d'une transposition a minima, dans la limite des trois possibilités qu'offre la décision-cadre en débat.
Les articles 9, 20, 21 et 22 transposent la décision-cadre de 2008, qui a pour objet de faciliter les transfèrements de condamnés entre États membres.
L'article 10 transpose le troisième protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949, qui a créé un signe distinctif humanitaire additionnel, le « cristal rouge », dont l'usage doit être encadré.
Les articles 11 et 12 transposent une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, qui a institué, pour succéder aux deux tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, une juridiction intitulée « mécanisme résiduel », chargée d'exercer les fonctions restantes de ces deux juridictions.
Les articles 13, 14 et 18 transposent une convention des Nations unies de 2006 relative aux disparitions forcées.
Les articles 15 et 23 adaptent la législation française à l'accord de 2006 entre l'Union européenne et la Norvège et l'Islande, qui met en place un mécanisme inspiré du mandat d'arrêt européen avec ces deux pays. L'article 15 met également notre droit en conformité avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 septembre 2012 sur le mandat d'arrêt européen.
Les articles 16 et 17 transposent la convention du Conseil de l'Europe de 2011 sur les violences faites aux femmes.
Enfin, l'article 19 répare une omission de la loi du 9 août 2010 sur la Cour pénale internationale, en prévoyant l'inscription des auteurs de crimes contre l'humanité au Fichier national automatisé des empreintes génétiques.
Je voudrais, en conclusion, dire quelques mots de l'esprit dans lequel j'ai cherché à travailler en tant que rapporteure de ce projet de loi. Notre sentiment premier, lorsque le Parlement est saisi d'un projet de loi de transposition, pourrait être que le législateur a peu de marges de manoeuvre pour modifier le texte qui lui est soumis. Certes, nombre d'éléments des textes européens et internationaux sont contraignants pour le législateur – d'où l'intérêt de la veille européenne que nous assurons avec Guy Geoffroy pour les textes relevant de la compétence de la commission des lois. Néanmoins, le rapporteur d'un projet de loi tel que celui dont notre assemblée est saisie peut jouer un double rôle.
Il peut d'abord chercher à s'assurer que la transposition est exhaustive et fidèle, et que le projet de loi n'a pas omis de transposer ou mal transposé – ne serait-ce que sur un strict plan rédactionnel – le texte européen ou international. La majorité des modifications que la commission des lois a apportées au texte a ainsi eu pour objet d'améliorer la qualité et la fidélité de la transposition réalisée par le projet de loi : sur l'article 4, par exemple, une nouvelle infraction a été créée, afin de transposer l'obligation de pénaliser l'assistance à un spectacle pornographique impliquant la participation d'un enfant.
Ensuite, il peut chercher à utiliser au mieux les marges de manoeuvre dont dispose le législateur national dans l'exercice de transposition, car ces marges existent, et le législateur a encore un certain nombre de choix politiques à faire lorsqu'il transpose des textes européens ou internationaux.
Je donnerai ici deux exemples de modifications opérées par la commission des lois, qui, tout en étant pleinement conformes aux textes internationaux à transposer, consistent à aménager les choix de transposition proposés par le projet de loi du Gouvernement.
Sur l'article 8 relatif à Eurojust, le texte à transposer laisse trois options possibles concernant les pouvoirs conférés au membre national d'Eurojust pour accomplir certains actes d'investigation. Les pouvoirs prévus peuvent être soit de simples pouvoirs de proposition, soit des pouvoirs décisionnels, sur demande ou autorisation d'une autorité judiciaire compétente, soit encore des pouvoirs propres exercés sans demande ni autorisation, en cas d'urgence. La commission des lois a choisi de ne pas transposer le texte a minima et de privilégier l'une des options offertes par la décision à transposer.
Sur l'article 9, qui prévoit la possibilité de transférer une personne condamnée à une peine de prison d'un État membre à un autre sans son consentement, la commission des lois a ajouté un cas de refus de ce transfèrement : le cas où il a été porté atteinte aux droits fondamentaux de la personne condamnée parce qu'elle a été condamnée en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou encore de son orientation ou identité sexuelle.
Dans ces deux cas, notre assemblée a su, me semble-t-il, faire entendre une voix distincte et constructive.
Je souligne enfin que la commission des lois a adopté un amendement tirant les conséquences de l'arrêt du 14 mars dernier, par lequel la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, dans l'affaire Eon, pour violation de l'article 10 de la Convention, garantissant la liberté d'expression. Le nouvel article 17 bis du projet de loi abroge à cette fin le délit d'offense au chef de l'État. Cette incrimination, héritière du crime de lèse-majesté de l'Ancien Régime, constitue un privilège exorbitant qui n'a plus sa place dans une démocratie moderne.
L'adoption à l'unanimité par la commission des lois de cet amendement a fait l'objet, à ma grande surprise, de nombreux commentaires dans les journaux étrangers, soulignant l'évolution positive qu'elle constituait pour de nombreux observateurs de notre pays et de sa justice. Le délit d'offense à chef d'État étranger a d'ailleurs été abrogé, pour les mêmes raisons, en 2004.
D'autres améliorations ou compléments seront apportés au texte, je l'espère, cet après-midi. Je songe notamment aux amendements à l'article 1er de nos collègues Axelle Lemaire et Catherine Coutelle et des membres du groupe SRC, qui tendent à améliorer encore la rédaction des dispositions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi qu'aux amendements visant à créer trois nouvelles infractions relatives au travail forcé, à l'esclavage et à la servitude.
Il s'agit là d'avancées importantes qui combleront de vraies lacunes de notre droit et dont, je l'espère, notre délibération pourra, le cas échéant, encore améliorer la définition et la portée.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous invite, chers collègues, à adopter le texte dont notre assemblée est saisie aujourd'hui et à faire un pas supplémentaire sur la voie de la coopération européenne et du droit pénal européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Mesdames les ministres, le groupe UMP ne vous reprochera pas de mettre en oeuvre la procédure accélérée pour l'examen de ce projet de loi, tant il est important que notre assemblée, avant que le Parlement se prononce dans son ensemble, se penche, pour les approuver, sur les textes qu'il s'agit aujourd'hui d'examiner et élabore la meilleure des transpositions.
Ces textes sont importants et divers. On pourrait penser – vous l'avez d'ailleurs évoqué, madame la garde des sceaux – qu'ils sont de nature disparate, mais ils présentent tous la même caractéristique : cet ensemble composé de sept textes d'origine européenne et de quatre textes d'origine internationale montre, en un même moment, comment, tant en amont qu'en aval, le Gouvernement et le Parlement, dans chacun des pays de l'Union européenne, peuvent travailler utilement à façonner le droit tel qu'il doit s'appliquer à l'échelle européenne et à en permettre une déclinaison fidèle aux principes de chaque État membre.
Marietta Karamanli l'a rappelé, il s'agit de onze textes, que nous avons l'habitude de « visiter » régulièrement, pour certains d'entre eux, dans le cadre de la mission que nous a confiée le président de la commission des lois. Nous exerçons ensemble cette mission de veille européenne, qui nous permet de mesurer les limites de l'exercice, mais aussi d'apporter notre patte à ces textes, non pour le plaisir de voir le Parlement combler un éventuel oubli, mais pour améliorer – malgré une marge de manoeuvre que l'on dit réduite – l'efficacité et l'opérationnalité de textes décidés à l'échelle européenne ou internationale. Ces textes, nous devons les faire nôtres pour qu'ils soient efficaces.
Fidélité, donc, aux textes de référence, mais parfois, c'est le cas dans ce projet de loi, des choix à opérer au moment de la transposition avec plus ou moins d'audace. Je voudrais dire, au nom du groupe UMP, madame la rapporteure, que, grâce à vous, l'audace a été plutôt bénéfique, car nos travaux ont contribué à améliorer le texte et à le rendre plus efficace. Il va dans le sens souhaité par le Gouvernement, ce qu'ont exprimé les ministres, au nom de la nation tout entière, dans leurs deux interventions complémentaires.
Pour en venir plus précisément au projet de loi, il s'agit de sept textes européens et de quatre textes de nature plus internationale. Il faut insister sur le fait que c'est la première fois, depuis l'entrée en vigueur au 1er décembre 2009 du traité de Lisbonne, que nous avons à transposer des directives de nature européenne dans le droit pénal français. Il n'est pas négligeable de le rappeler – Marietta Karamanli l'a souligné –,depuis le traité de Lisbonne, feu le troisième pilier a cédé la place à la communautarisation de la coopération policière et judiciaire pénale à l'échelle européenne.
Je ne passerai pas en revue tous les textes qui ont été évoqués. Ils sont tous facilement compréhensibles et la commission a fait un travail fidèle pour ce qui est de leur application. Je voudrais néanmoins revenir sur deux articles qui ont fait l'objet d'explications de la part du Gouvernement et de la commission : il s'agit des articles 7 et 8, qui portent plus particulièrement sur Eurojust et sur l'évolution, que nous attendons depuis maintenant plus de dix ans, vers un parquet européen et une meilleure coordination, afin que la criminalité transnationale, qui est importante et ne cesse de se développer à l'échelle du continent, puisse enfin être endiguée d'une manière mieux coordonnée, concertée et efficace.
Les articles 7 et 8 permettent des adaptations significatives : l'extension de trois à quatre ans de la durée du mandat du représentant national auprès d'Eurojust, désormais appelé « membre national » ; l'extension des possibilités d'action d'Eurojust aux fins de lui permettre de coordonner et de faciliter l'exécution des demandes d'entraide judiciaire émises par ou à destination d'un État tiers ; la possibilité de signaler au collège d'Eurojust les difficultés ou les refus rencontrés dans l'exécution de demandes d'entraide ; la création d'une procédure de recommandation écrite d'Eurojust aux autorités judiciaires nationales ; les dispositions nécessaires pour qu'Eurojust puisse accéder, dans des conditions identiques à celles des autorités judiciaires, aux informations contenues dans les fichiers ; enfin, une rédaction plus précise des situations où les autorités judiciaires ont l'obligation d'informer Eurojust.
À ce propos, je tiens à dire que nous avons, au sein de la commission des lois, grâce au travail de notre rapporteure, pleinement utilisé les possibilités qui s'offraient à nous. Nous aurions pu nous contenter d'un strict respect, d'une stricte transposition de la directive. Notre rapporteure, que tous les membres de la commission ont suivi, a souhaité aller au-delà – vous l'avez évoqué tout à l'heure, madame la garde des sceaux. Je ne crois pas que cela pose problème, tant au plan juridique que politique. Il faut parfois être audacieux au plan politique pour anticiper l'efficience juridique des textes qui nous sont soumis. C'est dans l'air du temps, c'est le sens de l'histoire que d'aller, à la fois audacieusement et raisonnablement, vers la création de ce parquet européen. Les ajouts proposés par la commission sont à ce titre tout à fait consistants. Par exemple, substituer à un simple pouvoir de proposition un pouvoir décisionnel est important. Il fallait le faire et, même si nous avons bien entendu ce qu'a dit Mme la garde des sceaux, je crois qu'elle ne doit avoir aucune inquiétude à ce sujet. Nous sommes pour notre part tout à fait sereins.
Par ailleurs, le projet de loi transpose quatre instruments internationaux : le protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949 et le « cristal rouge » ; la résolution 1966 de 2010 instituant un mécanisme international chargé d'exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux ; la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ; enfin, un texte extrêmement important, la convention d'Istanbul du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
Mesdames les ministres, je terminerai mon propos par ce sujet.
S'agissant des violences – auxquelles a trait l'article 1er –, la traite des êtres humains est un sujet fondamental sur lequel nous n'avons pas le droit de donner le moindre sentiment d'un ralentissement de notre action ou d'une altération de notre volonté. Nous ne devons pas donner l'impression de piétiner devant la masse de questions à traiter.
J'ai entendu, madame la ministre des droits des femmes, ce que vous avez dit à propos des deux amendements que je défendrai tout à l'heure concernant la lutte que nous devons mener dans notre pays contre la prostitution, cette violence ultime faite aux femmes. Il nous faut saisir l'occasion d'un texte comme celui-ci pour afficher notre détermination à responsabiliser la société tout entière face au fléau de la traite des êtres humains et à l'une de ses manifestations les plus douloureuses, les plus incroyables, les plus inacceptables qu'est la prostitution.
J'espère donc vous convaincre tout à l'heure en défendant ces deux amendements. En tout état de cause, il était pour le moins indispensable d'évoquer aujourd'hui ce sujet et nous serons tous réunis, le moment venu, pour traiter de ce sujet si notre assemblée décide de ne pas le faire aujourd'hui.
Sans surprise, le groupe UMP votera, avec la satisfaction d'un vrai travail accompli par le Gouvernement et par notre assemblée, ce texte en remerciant le Gouvernement de nous l'avoir proposé. Pour une fois, nous ne lui tenons pas rigueur de mettre en oeuvre la procédure accélérée et nous saluons le travail de la commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le texte sur lequel nous allons nous prononcer vise à transposer divers textes de l'Union européenne et divers instruments internationaux, adoptés dans le cadre du Conseil de l'Europe et des Nations unies. Il s'agit également de mettre notre droit en conformité avec deux arrêts, l'un de la Cour de justice de l'Union européenne, l'autre de la Cour européenne des droits de l'homme.
Par ce projet de loi, nous allons adapter notre législation pénale aux normes européennes et internationales dans des domaines aussi différents que la prévention de la traite des êtres humains, le renforcement d'Eurojust ou encore la protection des personnes contre les disparitions forcées.
Notre discussion précède l'examen d'un projet de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable. Une partie de la journée et de la soirée sera donc consacrée à la transposition de textes européens et internationaux. On peut regretter ce recours à des « TGV législatifs » aussi denses sur des sujets d'importance. La commission des lois a certes adopté une centaine d'amendements. Mais cette manière de procéder amoindrit la portée de notre travail parlementaire, d'autant qu'il s'agit d'un exercice contraint.
Contraint, car la plupart de ces textes doivent être transposés dans l'urgence : parmi eux, les deux décisions-cadres, la décision sur le renforcement d'Eurojust, ainsi que la directive relative à la lutte contre la traite des êtres humains, auraient déjà dû faire l'objet d'une transposition dans notre droit interne.
Contraint, car, en ce qui concerne les directives, la France court toujours le risque de se voir infliger des sanctions financières, amendes forfaitaires et astreintes journalières, qu'en application du traité de Lisbonne, la Cour de justice peut désormais prononcer dès le premier arrêt de manquement. En outre, rappelons qu'à compter du 1er décembre 2014, la Cour de justice disposera des mêmes compétences en matière de décisions-cadres. Il est donc indispensable de limiter ces condamnations qui, rejaillissant sur nos finances publiques, seraient pour le moins malvenues dans le contexte actuel.
Certes, sur le plan de la transposition des textes européens, la situation de la France s'est nettement améliorée depuis une dizaine d'années. Nous ne sommes plus, comme nous l'étions en 2002, au dernier rang des États membres, avec le nombre le plus élevé de directives en retard et de procédures d'infractions pour transpositions incorrectes. Néanmoins, la France peut encore progresser, ne serait-ce que pour consolider sa place dans les négociations au sein de l'Union européenne. On ne peut prétendre exercer un leadership politique en Europe en restant un mauvais élève en matière de transposition. Nous devons encourager les initiatives qui vont dans le sens d'une amélioration, à l'instar de la série de mesures prises en 2011, qui prévoient notamment la réservation d'un créneau parlementaire, afin d'éviter que de tels retards ne se reproduisent ou ne s'aggravent.
Le Parlement, s'il est tenu de procéder à des transpositions exhaustives et fidèles, dispose néanmoins d'une certaine marge de manoeuvre. Il doit jouer pleinement son rôle normatif au stade de la transposition des textes européens ou de l'adaptation de notre législation au droit international.
Sur le fond, le projet de loi comporte un caractère inédit. Pour la première fois de son histoire, la France s'apprête à transposer dans son droit interne des directives pénales, premiers éléments de droit pénal adoptés par l'Union européenne dans le nouveau cadre institutionnel issu du traité de Lisbonne. Celui-ci permet en effet à l'Union de légiférer en matière de rapprochement des législations pénales en adoptant des directives transposées ensuite par les États membres. Ce faisant, nous franchirons une étape importante de la construction de l'espace pénal européen qui, depuis le traité de Maastricht en 1992, se concrétise un peu plus chaque jour.
Ces textes s'inscrivent également dans le programme de travail établi par le Conseil européen en matière pénale, qui nous amènera à modifier et adapter une part importante de notre droit pénal et de notre procédure pénale. L'adoption du projet de loi nous fera donc franchir une étape supplémentaire sur la voie de l'établissement d'un véritable espace pénal européen.
En l'espèce, outre la transposition des quatre instruments internationaux, les sept textes européens intégrés dans le projet de loi comportent plusieurs avancées. Ils introduiront dans le code de procédure pénale un article relatif au droit à la traduction des pièces essentielles à la défense et à la garantie du caractère équitable du procès. Ils procéderont à quelques adaptations de la prévention de la traite des êtres humains et de la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants. Ils harmoniseront et approfondiront les instruments et les mécanismes mettant en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle, renforçant notamment la confiance réciproque placée par les États dans les décisions judiciaires prononcées par chacun d'eux.
En outre, le projet de loi comporte des dispositions essentielles relatives à la coopération judiciaire dans l'Union européenne, car il prévoit de transposer une décision destinée à renforcer l'efficacité opérationnelle d'Eurojust dans la perspective de la création d'un parquet européen. Il s'agit d'une étape cruciale pour l'avenir de l'espace judiciaire européen. L'ouverture des frontières a accru le développement de la criminalité transfrontalière sans que les États européens soient parvenus à enrayer cette prolifération. En inscrivant dans les traités le concept de parquet européen, compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d'infractions entrant dans son champ de compétence, le traité de Lisbonne a constitué une étape capitale.
Fort de ces constats, le groupe UDI, profondément européen, votera en faveur du projet de loi, qui procède à des transpositions déterminantes. L'adoption du texte s'inscrit dans la logique de notre devoir de coopération loyale avec les autres États membres. Nous formons cependant le voeu qu'à l'avenir les conditions d'un tel travail de transposition soient, si possible, améliorées afin de donner plus de recul à la réflexion et aux améliorations que nous pourrons y apporter.
Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, vous connaissez l'engagement des écologistes en faveur de la construction européenne et d'une Union européenne à la cohérence renforcée en matière de justice pénale mais également sociale et environnementale. À l'heure où le désamour des Français à l'égard de l'Union européenne ne cesse de se développer dès lors que l'Europe apparaît désormais comme synonyme d'austérité, de privatisations et de perte de pouvoir d'achat, il est essentiel de montrer qu'elle peut également être source d'inspiration en matière de démocratie et de justice. Telle est la dynamique dans laquelle s'inscrit le texte dont nous discutons aujourd'hui.
Le présent projet de loi ayant pour objet d'adapter notre législation à sept textes de l'Union européenne et à plusieurs conventions internationales ne peut donc que recueillir notre assentiment, car ceux-ci viennent renforcer très largement les droits de nos concitoyens européens mais également ceux des citoyens de pays tiers. Il met également en conformité notre droit avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne et un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la France pour violation de la liberté d'expression. Je tiens à saluer l'excellent travail mené par la rapporteure pour assurer la transposition de textes très techniques et très divers et garantir le rôle du législateur national dans cette transposition.
Certains des textes européens concernés présentent un retard de transposition important, comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux. Mais, ainsi que l'a souligné la rapporteure, l'absence de condamnation de la France à cet égard ne retire rien à l'obligation de transposer les directives le plus rapidement possible. La directive du 5 avril 2011 relative à la lutte contre la traite des êtres humains devait quant à elle être transposée avant le 6 avril 2013 ; nous avons donc quelques semaines de retard. La France a très largement réduit son déficit de transposition au cours des dernières années et le présent gouvernement a manifestement à coeur de continuer à le résorber. Nous avons encore du travail avant que la France n'assure une transposition totale du droit européen mais nous avons pris la bonne direction.
J'aimerais que le Gouvernement et le Parlement trouvent conjointement un rythme plus régulier afin d'assurer un travail plus spécialisé sur chacun des textes et d'éviter l'écueil d'une transposition commune de nombreux textes d'importance, comme c'est le cas aujourd'hui. Un tel travail nous permettra également à l'avenir d'éviter des décisions telles que celle de la Cour de justice des communautés européennes relative à la garde à vue des sans-papiers pour le seul motif de séjour irrégulier.
À cette étape de la discussion, je crois bon de rappeler qu'à plusieurs reprises, les institutions européennes, l'Union mais aussi le Conseil de l'Europe, sont venues nous rappeler la nécessité de mieux respecter les droits humains. Je pense en particulier à la question des Roms, dont l'actualité nous rappelle l'urgence, aux droits des personnes LGBT ou encore aux conditions de vie dans nos prisons. L'évocation par la rapporteure des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme me permet d'ouvrir le débat sur l'adaptation de notre droit à cette jurisprudence, qui fait partie du corpus du droit européen.
Nous pouvons regretter qu'une fois de plus, la France soit en retard sur certains aspects de la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier la liberté d'expression et les droits de la défense. On se souvient notamment d'une décision relative à notre système de garde à vue qui a semé le trouble. En 2010, la Cour européenne des droits de l'homme avait ainsi indiqué que la France ne respectait pas le droit à un procès équitable. Cela nous avait menés, suite à une décision de la Cour de cassation, à réformer notre droit en urgence alors que nous aurions pu réfléchir à une amélioration de notre législation bien en amont. J'ai donc déposé un amendement en ce sens.
Un arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l'homme rendu le jeudi 18 avril 2013 concluait en effet que la conservation des empreintes d'une personne non condamnée constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et donc de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour note en particulier que le droit interne doit faire en sorte que ces données soient pertinentes, non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées et conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas le temps nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont recueillies. L'amendement permettrait de mieux préserver les droits des personnes reconnues innocentes, relaxées ou acquittées dans un contexte d'accroissement du nombre des contentieux dans ce type d'affaire.
J'aimerais revenir sur trois points particuliers qui figurent dans le texte et me paraissent spécialement importants. Tout d'abord, la question des disparitions forcées. L'article 18 du présent projet de loi adaptera des dispositions du code pénal aux stipulations de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui sont des enlèvements pour motifs politiques non suivis de revendications et dont les auteurs agissent pour le compte de l'État ou avec son aval. Ces disparitions non élucidées et impunies constituent une pratique odieuse, fondée sur la terreur et l'oubli.
Nous avons ratifié, en 2008, la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, victoire d'un combat trentenaire mené par la société civile, les organisations non gouvernementales et les défenseurs des droits de l'homme et des libertés. Elle marque le refus de l'oubli par les États signataires et rend enfin justice à ceux que Julio Cortazar a appelés, lors d'un colloque contre les disparitions forcées tenu à Paris en 1981, le « peuple de l'ombre ». C'est ainsi que le poète et écrivain argentin avait entrepris de dénoncer les disparitions massives pratiquées par les dictatures latino-américaines : par un cri d'alarme qu'il avait choisi de lancer depuis notre sol, depuis la France, patrie des droits de l'homme pour bien des combattants de la liberté aux yeux desquels elle reste la terre d'asile que de nombreux Latino-américains ont choisie lorsqu'ils ont fui les dictatures du continent.
Cependant, comme l'ont démontré les travaux en commission, les conditions actuelles d'application de l'article 113-8-1 du code pénal ne permettent pas l'adaptation adéquate des dispositions prévues par les stipulations de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées adoptée le 20 décembre 2006. Les modifications de l'article 113-8-1 du code pénal qui sont proposées permettent une adaptation pleine et entière des stipulations de ladite convention, en particulier de son article 11. Il s'agit donc d'une nouvelle définition de ce crime. C'est une bonne chose.
Je voudrais également évoquer le mandat d'arrêt européen. Les modifications apportées par le présent projet de loi constituent, là aussi, une avancée. Toutefois, si plusieurs initiatives ont été prises afin d'interdire le mandat d'arrêt européen en cas de risque de violation des droits fondamentaux, il aurait été souhaitable d'aller plus loin. En effet, l'harmonisation pénale en Europe n'est pas encore effective et l'on a pu observer, dans le cas d'Aurore Martin, extradée en Espagne pour des chefs d'inculpation qui n'en sont pas en France, un problème de justice et de respect des droits fondamentaux. Nous devrons travailler davantage sur cette question.
Les avancées notables en matière de lutte contre la traite des êtres humains et l'inscription de la traduction et de l'interprétation comme principes généraux de la procédure pénale, évoquées à la tribune par Mme la ministre et par notre collègue Guy Geoffroy en conclusion de son intervention, ne peuvent nous faire oublier que l'Union européenne, qui se doit d'être exemplaire en matière de droits humains et de justice sur son propre territoire, a également une véritable responsabilité vis-à-vis des pays tiers. La sous-traitance de la lutte contre l'immigration clandestine et illégale aux pays voisins, du sud ou de l'est par exemple, ne peut mener qu'à des violations des droits humains et au développement à nos frontières de systèmes et de réseaux de traite. Lutter contre la traite, c'est aussi élaborer une véritable politique de coopération avec les pays d'émigration et réformer en profondeur des organes tels que FRONTEX. La responsabilité de l'Union européenne est également forte en matière de respect des droits humains et du droit du travail par les entreprises européennes dans les pays tiers. Est-il nécessaire de rappeler le terrible drame ayant récemment frappé le Bangladesh ?
Enfin, puisque le texte évoque les crimes contre l'humanité, je tiens à rappeler la proposition de reconnaissance du crime d'écocide formulée par la juriste britannique Polly Higgins et en France par Laurent Neyret. Ainsi que je l'indiquais en introduction, l'harmonisation des dispositions pénales en matière environnementale n'est pas encore aboutie. Elle est tout simplement embryonnaire à l'échelle européenne. Instaurer un délit général d'atteinte à l'environnement au sein de l'Union européenne et défendre la création d'un crime d'écocide nous permettra d'avancer vers une Union européenne plus cohérente et plus forte en matière de justice et vers un monde plus juste, plus solidaire et plus respectueux de notre environnement. Le texte que nous étudions aujourd'hui est un premier pas et j'espère que nous continuerons sur cette voie. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, veuillez tout d'abord m'excuser de ne pas avoir assisté à vos interventions. Comme chacun sait, on court ici d'une salle à l'autre en permanence et je viens de terminer une intervention sur un sujet lui aussi européen.
L'objectif du texte qui nous est présenté est de mettre en conformité le code pénal et le code de procédure pénale avec nos engagements internationaux et de tirer les conséquences de la jurisprudence européenne, en particulier un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 septembre 2012 relatif à l'exécution du mandat d'arrêt européen, à l'heureuse initiative de la rapporteure, notre collègue Marietta Karamanli, et un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 14 mars 2013 relatif à l'abrogation du délit d'offense au chef de l'État prévu par l'article 26 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les radicaux savent ce que la Troisième République leur doit, mais ils savent aussi que l'institution présidentielle a évolué et que cette rémanence du crime de lèse-majesté, alors que le Président gouverne autant qu'il préside, est désormais obsolète.
Les textes qu'il s'agit de transposer dans notre droit interne – certains auraient dû l'être depuis longtemps – sont divers et importants pour la modernisation de notre droit pénal. Ainsi, la directive du Parlement et du Conseil du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, marque l'engagement de l'Union européenne dans la lutte contre la traite des personnes. Cette directive, qui élargit la notion de trafic, prévoit des sanctions plus fortes et des peines minimales plus sévères. Une redéfinition de l'infraction est proposée autour de la distinction entre les victimes mineures et les victimes majeures, et l'élément intentionnel est déterminé. Les éléments constitutifs d'une infraction aux contours plus larges faciliteront l'établissement de la preuve ; les délais de prescription ont été étendus et les aggravations de l'article 225-4-2 du code pénal ont été complétées. Par ailleurs, la compétence des tribunaux français a été élargie à la traite commise à l'étranger par un Français.
La directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales introduit, quant à elle, l'obligation d'interprétation, à tous les stades de la procédure, ainsi que de traduction – une obligation qui ne figurait pas encore dans le code pénal. Comme le signalait la rapporteure du Parlement européen, Sarah Ludford, il s'agit d'encourager l'ensemble des États de l'Union à se doter des standards contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme. Il faut en effet se féliciter que les députés européens aient obtenu la limitation par principe du recours à des traductions partielles ou orales – le suspect ne pouvant, par ailleurs, renoncer à ce droit sans avoir bénéficié d'un conseil juridique préalable. Ce droit, essentiel pour assurer un procès équitable – autre droit reconnu par la Convention – et au titre duquel la France a malheureusement souvent été condamnée, reste difficile à exercer en pratique, car sa mise en oeuvre nécessite des moyens suffisants.
La directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie vient pénaliser plus fortement la sollicitation en ligne d'enfants à des fins sexuelles par un adulte et ajoute d'importantes dispositions en matière de protection des victimes. La notion d'agression sexuelle est étendue, la peine encourue pour agression sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans est portée de sept à dix ans, et la compétence des juridictions françaises est étendue si l'auteur est un étranger résidant en France en cas de proxénétisme aggravé. Cette extension du principe de territorialité de la loi est particulièrement bienvenue dans ce cas de figure et un aménagement de ce principe est prévu, symétriquement, pour le tourisme sexuel touchant les enfants, au moyen de l'introduction d'une clause destinée à permettre le jugement extraterritorial des ressortissants. La notion de consultation d'un site pédopornographique, punie de deux ans d'emprisonnement, est étendue à l'assistance « en connaissance de cause » à des spectacles pornographiques impliquant la présence d'un enfant, ou la consultation occasionnelle – et non plus habituelle – d'un site s'il est payant. Les peines pour atteinte sexuelle sont, elles aussi, aggravées.
Trois décisions du Conseil, les décisions-cadres du 26 février 2009 et du 27 novembre 2008, ainsi que la décision du 16 décembre 2008, sont également transposées. La première vise principalement à fixer des règles de procédure en matière de citation à comparaître, révision de procès, recours appropriés et représentation en justice. Il s'agit de renforcer la protection des personnes, tout en favorisant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions judiciaires émanant d'un État étranger. Cela concerne plus particulièrement le mandat d'arrêt européen et les procédures de remise entre États membres. Désormais, et comme cela a été confirmé dernièrement, les États membres ne pourront plus refuser d'exécuter un mandat d'arrêt européen que dans les cas de non-exécution limitativement prévus, au nombre de quatre.
La deuxième décision-cadre, du 27 novembre 2008, concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne, a pour objet de faciliter le mécanisme de transfèrement d'un État membre à un autre État membre des personnes condamnées pour leur meilleure réinsertion. Cette décision, visant à faciliter la réhabilitation sociale des condamnés, touche à l'une des pierres angulaires de la justice, insuffisamment développée et trop souvent escamotée jusqu'à présent.
La troisième décision, relative à l'unité de coopération Eurojust, commande une mise en conformité du code pénal. Les nouvelles compétences, notamment en matière de coopération judiciaire avec les pays tiers non-membres de l'Union européenne, ainsi que les pouvoirs d'Eurojust en matière d'investigation particulière et d'avis en cas de conflits de compétences et d'accès aux informations contenues dans les divers fichiers, sont ainsi introduits dans notre droit national.
À ce sujet, le Parlement européen a insisté pour que les membres nationaux d'Eurojust disposent des mêmes pouvoirs judiciaires que ceux dont ils jouissent dans leur propre pays, afin que les relations entre Europol et le réseau judiciaire européen soient renforcées, et pour la création de liens avec les autres agences telles que FRONTEX, Interpol ou l'Organisation mondiale des douanes. Un juste équilibre a, par ailleurs, été recherché entre les pouvoirs d'Eurojust et les droits des prévenus. Une inquiétude subsiste toutefois à l'égard du devenir des données transmises à des pays tiers ou des organisations internationales.
Pour conclure, ce projet de loi a pu utilement servir de véhicule législatif pour une série d'adaptations et de mises en conformité de la législation française avec certains de nos engagements internationaux. Parmi celles-ci, je citerai l'adaptation de la législation française à la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Plusieurs incriminations spéciales sont créées : la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de l'intéressée, le fait de tromper une personne aux fins de l'emmener à l'étranger pour la forcer à conclure un mariage, l'incitation d'un mineur à subir une mutilation sexuelle. Puissent ces actes barbares et lâches être désormais punis à la hauteur de leur ignominie.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce texte, même si d'autres dispositions, telles que l'enregistrement au Fichier national automatisé des empreintes génétiques des auteurs de crimes et délits de guerre, mériteraient que l'on s'attarde encore sur ce projet de loi qui vient actualiser notre droit pénal et moderniser notre procédure, dans une recherche d'équilibre entre les droits de la défense et la nécessaire efficacité de l'action publique, efficacité dont nous aurons bientôt l'occasion de débattre, à une échelle plus « franco-française », avec l'examen prochain du projet de loi relatif aux rapports entre la chancellerie et le parquet.
Vous l'aurez compris, mesdames les ministres, les membres du groupe RRDP approuvent ce texte et le voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd'hui, alors que le Président de la République se trouve à Bruxelles pour participer à un Conseil européen, il semble que le désamour de nos concitoyens vis-à-vis de l'Europe soit plus grand que jamais. Une étude récente souligne le défaitisme et les désillusions des Français au sujet du projet européen.
Il nous semble loin le temps où, il y a 63 ans, l'éminent juriste et ancien membre de la commission des lois de cette assemblée, Robert Schuman, prononçait tout près d'ici, dans les salons du Quai-d'Orsay, la déclaration qui fonda les bases de l'Union européenne que nous connaissons. Peut-être serait-il étonné de voir les immenses progrès accomplis par les pays de l'Europe dans certains domaines. S'il est une réussite à porter au crédit de la construction européenne, c'est bien la constitution progressive d'une communauté de droits et de libertés. La Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme ont peu à peu acquis le statut de juridictions suprêmes et contribuent chaque jour un peu plus à l'État de droit en Europe, quand, il y a soixante-dix ans, régnaient sur notre continent l'arbitraire, l'ignominie et la négation des droits fondamentaux et des libertés individuelles.
La protection des droits des victimes, les garanties procédurales, la coopération judiciaire : voilà une grande réalisation, incroyablement ambitieuse, née de ce combat initié le 9 mai 1950. Je tenais à le souligner ici, à l'heure où certains sèment le doute quant à l'utilité de l'Union européenne et où d'autres – je pense aux plus conservateurs de nos voisins d'outre-Manche – ne pensent qu'à en sortir. Cependant, le travail n'est pas terminé : de ce point de vue, ce projet de loi constitue une utile contribution.
Son titre, au demeurant imprononçable tant il est long, dissimule la nouveauté de la méthode sur laquelle il repose et les avancées qu'il porte. Je veux évoquer cette méthode, ainsi que les améliorations induites par ce texte, tant à l'initiative du Gouvernement qu'à celle des députés. Cet exercice de transposition de textes tant européens qu'internationaux en matière pénale est à la fois un délice et un cauchemar pour le législateur – le plaisir l'ayant emporté, tant fut grande la satisfaction de travailler avec Mme la rapporteure et d'apprécier la qualité de sa réflexion sur ces sujets.
C'est un délice, car c'est la première fois, je dis bien la première fois, que le Parlement français – mais aussi, dans une phase initiale, le législateur européen – est amené à participer à la construction de l'espace pénal européen par la transposition de directives dans ce domaine, comme nous y autorise le traité de Lisbonne. Un délice aussi parce que la démarche concentre toutes les problématiques de l'articulation entre la législation nationale et les sources internationales du droit, toutes les tensions entre l'affirmation de la souveraineté judiciaire et la nécessité de coopérer efficacement dans le domaine judiciaire pour appréhender des phénomènes de criminalité de plus en plus complexes et transversaux, tout le risque de reproduire fidèlement le résultat d'arbitrages diplomatiques qui accouchent de normes a minima et le désir de préserver nos propres traditions juridiques.
Il en ressort – et c'est là le cauchemar, même si le mot est un peu fort – un inventaire à la Prévert, composé de treize textes de nature diverse à transposer rapidement dans notre droit : trois directives européennes, deux décisions-cadres, une décision du Conseil européen, six conventions internationales, un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne et, pour finir, une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Difficile de trouver là une ligne conductrice, si ce n'est le constat que, même si la législation pénale française offre déjà un haut niveau de protection juridique, celui-ci peut s'élever encore sous l'impulsion et la pression des institutions européennes et des organisations internationales.
Alors, qu'apporte ce projet de loi présenté par le Gouvernement ? Un certain nombre d'avancées réelles qui touchent tant au fond des dispositions pénales qu'aux moyens formels de coopération judiciaire entre les pays. Sur le fond, je citerai quelques exemples, à défaut de pouvoir aborder tous les sujets, tant ils sont vastes. Ils concernent essentiellement les violences à l'égard des femmes et à l'égard des mineurs. L'article 1er est un article important, car il redéfinit l'infraction de traite des êtres humains en facilitant la charge de la preuve, puisque les éléments constitutifs sont plus nombreux, mais deviennent tous alternatifs – ainsi, il n'y a plus d'exigence de marchandisation ou de transaction économique exclusive –, tout en respectant l'échelle des peines antérieure.
De nouveaux éléments constitutifs de la traite apparaissent. Il en va ainsi du prélèvement d'organes, par exemple, qui nourrit un trafic ignoble généré par le décalage entre l'offre d'organes dans les pays pauvres et la demande d'organes dans les pays riches : 15 % à 30 % des patients inscrits sur les listes d'attente décèdent avant de pouvoir être greffés. La traite des êtres humains inclut donc désormais ce que l'on dénomme cyniquement le « tourisme de transplantation ».
Une autre disposition fondamentale est relative à l'incitation à faire subir des mutilations génitales féminines : c'est la simple incitation qui est désormais réprimée, et non plus seulement le passage à l'acte, afin de pénaliser celles et ceux qui, souvent issus de l'entourage familial des fillettes ou des adolescentes – c'est malheureusement souvent le cas des grands-mères – encouragent les parents à imposer cet acte de barbarie à leur enfant. La répression de l'incitation au mariage forcé est également introduite, grâce à la convention d'Istanbul.
Parmi les garanties procédurales, je veux en citer une à laquelle je suis particulièrement sensible du fait que je réside à l'étranger, à savoir l'introduction d'un droit à la traduction des pièces essentielles à l'exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès – car on sait bien que le droit ne sert à rien s'il n'est pas compris.
Sur la forme, ce texte apporte de la fluidité au mécanisme de coopération judiciaire entre les pays, ce qui permet un meilleur dialogue entre les autorités administratives et judiciaires.
C'est vrai par le renforcement des pouvoirs d'Eurojust, mais également par la reconnaissance mutuelle des jugements, et la reconnaissance d'une compétence quasi universelle des tribunaux français en matière de disparition forcée. C'est vrai enfin en matière de transfèrement des détenus : dans ce domaine, l'objectif est de favoriser leur réinsertion sociale lorsqu'ils sont renvoyés dans leur pays de nationalité et de résidence. Nous reviendrons peut-être, lors de ce débat, sur la question d'Eurojust ; sachez simplement, par exemple, que c'est dans le cadre de cette institution qu'une équipe commune d'enquête franco-britannique, appelée ECE, a été mise en place. Composée de magistrats et de policiers français et britanniques, elle enquête sur l'affaire de la tuerie de Chevaline, ce quadruple meurtre commis en Haute-Savoie en septembre 2012. Cette enquête implique en effet de rechercher des preuves à la fois en France et au Royaume-Uni, en Suède, en Irak, voire aux États-Unis.
Les obligations d'information d'Eurojust concernent en particulier la fraude en bande organisée, ou les fraudes dont le caractère transfrontalier est probable du fait de leur ampleur. J'espère que le futur procureur de la République financier – qui doit être créé par le projet de loi de renforcement des dispositions relatives à la fraude fiscale, que nous examinerons bientôt dans cette assemblée – sera amené à travailler avec le représentant de la France à Eurojust. Il serait dommage, madame la garde des sceaux, de ne pas s'engager dans ce sens, au moment même où les pays affichent avec détermination leur volonté de lutter contre la fraude fiscale.
Enfin, des avancées ont été rendues possibles grâce au travail des députés. Au-delà du travail effectué par la délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente, Mme Catherine Coutelle, un amendement me semble particulièrement intéressant : celui relatif à l'esclavage. En effet, l'esclavage a profondément marqué l'histoire de notre pays ; il a ouvert des plaies qui ne se refermeront sans doute jamais. Pourtant, même si le droit international l'interdit, particulièrement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'esclavage existe toujours sous des formes nouvelles, humiliantes, réduisant des personnes à l'état de choses. Des jeunes filles venant de l'étranger, par exemple, se voient confisquer leur passeport, sont enfermées, maltraitées, violentées – y compris sexuellement. On les force à travailler à un rythme inhumain. La répression de cet esclavage-là n'est pas prévue par notre droit, car il n'est pas reconnu comme un crime par le code pénal. Je saisis l'occasion que me donne l'examen de ce texte, qui fait référence à l'esclavage sans pour autant le définir, pour demander l'introduction d'une telle définition dans notre droit, afin d'apaiser le débat relatif à l'incrimination d'esclavage.
L'Europe des droits et de la liberté, celle qui protège, l'Europe de la coopération internationale et du dialogue entre les nations : voilà l'Europe qui nous plaît et qui reste encore à approfondir. Permettez-moi de terminer cette intervention en citant une phrase prononcée par le Président de la République il y a quelques jours, à l'occasion de la commémoration de l'abolition de l'esclavage : « La liberté n'est pas un don de la nature ou un acquis de la civilisation, c'est un apprentissage, une conquête de chaque jour, une victoire jamais achevée. » Ce projet de loi participe à cette conquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, il est vrai que les députés présents dans cette assemblée, aujourd'hui, sont en majorité des femmes !
Les violences domestiques et la traite des êtres humains sont des fléaux mondiaux qui touchent essentiellement les femmes. On estime à un milliard le nombre de femmes victimes de violences dans le monde. Fuyant les guerres, la misère économique, les violences, les mariages forcés, les mutilations sexuelles, les femmes candidates à la migration se retrouvent trop souvent dans les filets des réseaux mafieux. L'exploitation dont elles sont victimes prend des formes multiples, comme le travail forcé ou encore la prostitution.
Mesdames les ministres, on m'a alerté hier soir sur le sort des femmes syriennes, en Syrie et dans les camps de réfugiés des pays frontaliers. Même dans les camps sous contrôle du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, elles sont victimes de violences, de viols, de mariages forcés et de mariages de plaisir. Elles sont parfois même enlevées et emmenées dans des pays étrangers. La France pourrait peut-être alerter l'ONU sur ce sujet dramatique.
Le commerce du sexe constitue la troisième source mondiale de revenus illicites, après les armes et la drogue. « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. C'est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s'appelle prostitution. » Cette déclaration de Victor Hugo date du XIXe siècle : elle est malheureusement toujours d'actualité.
La France est un pays de destination de cette traite. La transposition de la directive de 2011 sur la prévention de la traite des êtres humains est une avancée : elle ajoute de nouvelles incriminations liées aux prélèvements d'organes, à l'esclavage – Axelle Lemaire vient d'en parler – et au travail forcé. Toutefois, des questions subsistent. Mesdames les ministres, vous avez tenté d'y répondre ; j'aimerais pouvoir rassurer les associations sur ces aspects.
La définition actuelle de la traite des êtres humains figurant dans le code pénal français dépasse, sur certains points, les exigences des instruments internationaux. Les violences, l'abus d'autorité ou de vulnérabilité constituent des circonstances aggravantes en droit français. Or ces actes sont considérés comme des éléments constitutifs de l'infraction par la directive de 2011. Le projet de loi conduit donc à prendre en compte les moyens employés par l'auteur au titre des éléments constitutifs de la traite. Pour les mineurs, en revanche, l'infraction sera constituée sans tenir compte des moyens employés. Il y avait là, sans doute, un problème. On peut se demander s'il n'aurait pas été souhaitable de maintenir la définition plus protectrice de la traite tant pour les mineurs que pour les majeurs. Des associations, des avocats nous ont alertés sur ce point : ils craignent que cette modification trouble inutilement la lisibilité du droit français, sans améliorer pour autant la protection des victimes. Pouvez-vous, mesdames les ministres, nous rassurer sur ce point ? Cette définition n'est-elle pas moins protectrice pour les femmes qui souhaiteraient porter plainte ?
Par ailleurs, l'abaissement de dix à sept ans de la peine d'emprisonnement encourue par les auteurs de traite ayant fait emploi de contrainte envoie un signal négatif. Des amendements déposés sur ce texte devraient permettre de l'améliorer sur ce point. À cet effet, la délégation aux droits des femmes a proposé des amendements à l'article 1er qui ont été, je crois, acceptés par la commission des lois, ce dont je me félicite. Un autre amendement permet l'accompagnement des victimes par des associations qui peuvent se porter partie civile.
Les articles 16 et 17 de ce projet de loi transposent la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul, le 11 mai 2011. Cette convention précise que la violence faite aux femmes est « une forme de discrimination » et « désigne tous les actes de violences fondés sur le genre. » La notion de genre est définie précisément à l'article 3 de cette convention, qui rappelle que les femmes et les filles sont souvent exposées à des formes graves de violence, telles que le harcèlement sexuel, le viol, le mariage forcé, du fait même qu'elles sont femmes.
Une fois ce diagnostic posé, deux exigences sont formulées. Il convient, d'une part, d'éliminer toutes les formes de discriminations sexistes, et, d'autre part, de mettre en place un instrument juridique incluant ce que l'on appelle les « trois P » : protéger les femmes, poursuivre les auteurs, prévenir et éliminer ces violences. La délégation a proposé plusieurs amendements pour renforcer les sanctions qu'encourent les personnes incitant aux mutilations sexuelles.
Pour conclure, ces dispositions de transposition permettent d'harmoniser les législations européennes. Pour être efficace, cette politique doit être concertée au niveau européen. Plusieurs des orateurs qui se sont exprimés à cette tribune l'ont dit : il s'agit d'une nouvelle étape dans la construction de l'espace pénal européen.
Ces dispositions permettront également de conforter des textes en préparation que nous examinerons, dans cet hémicycle, dans un avenir proche. Comme vous l'avez dit, madame la ministre, et comme le souhaite également Guy Geoffroy, notre délégation prépare une proposition de loi visant à respecter les engagements de la France en matière de lutte contre la prostitution. Je salue le travail réalisé au sein de la délégation aux droits des femmes par Maud Olivier, Guy Geoffroy, Ségolène Neuville, Monique Orphée et Edith Gueugneau, au sujet des violences faites aux femmes et de la traite.
Vous préparez d'ailleurs, madame la ministre, un projet de loi consacré aux droits des femmes, qui comportera un volet important sur les violences sexistes, de manière à compléter notre arsenal juridique. Pour être effective, la loi doit s'accompagner d'un ensemble de politiques publiques. C'est à cette condition que sera concrétisé le droit effectif auquel vous faites souvent référence.
L'action de la France dans ce domaine est observée à l'étranger. Les échanges récents à l'ONU lors de la 57e session de la Commission de la condition de la femme, à laquelle j'ai accompagné Mme Najat Vallaud-Belkacem, l'ont prouvé. Un engagement fort de la France en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences est attendu. Une véritable diplomatie des droits des femmes est en marche. Pour obtenir d'autres avancées, il faut poursuivre cette démarche avec la communauté internationale.
Consciente de ces enjeux, j'ai demandé à l'Assemblée nationale la création d'un groupe d'études sur le genre et le droit des femmes à l'international, que je coprésiderai avec Axelle Lemaire. Nous devons être volontaires et exemplaires. C'est un devoir de justice, une nécessaire solidarité et une exigence républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la rapporteure, je connaissais déjà le piano transpositeur. Je découvre aujourd'hui le Parlement transpositeur ! Ce n'est pas la même musique, mais c'est le même procédé : on transpose. En conclure que notre souveraineté en prend en coup, cela ne vous étonnera pas de ma part. De toutes les manières, nous n'avons pas le choix, sous peine d'être punis, d'être mis à l'amende. J'attends le jour où l'on attribuera aux parlements de nos démocraties un permis à points : on nous en retirera quand nous ne transposerons pas les directives dans les délais requis.
Non, nous n'avons pas encore de permis à point de ce type, que je sache, à moins que j'aie manqué cette évolution !
Madame la garde des sceaux, je vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt. Je dois dire que, même si je ne partage pas souvent vos opinions, j'apprécie la qualité de vos interventions. Elles ont au moins le mérite de ne pas endormir l'auditoire ! Vous avez dit des choses particulièrement intéressantes, que je me plais à relever. À dire vrai, vous m'avez obligé à réécrire mon intervention à cet effet.
Il est vrai que nous devons transposer plusieurs instruments juridiques sous peine de sanction. Ces instruments juridiques permettent de lutter, avez-vous dit, contre la criminalité organisée due à l'« abaissement des frontières ». Mais alors, reconnaissez-vous donc que les frontières sont abaissées, et que cet abaissement a pour conséquence d'aggraver la délinquance ?
Le trafic d'organe provient du Brésil ou d'Inde, pas d'Europe ! Cela n'a rien à voir avec l'augmentation de la délinquance !
L'abaissement des frontières a bien pour conséquence d'aggraver la délinquance : vous avez raison de le dire. Madame la ministre, il est indispensable de lutter contre cet abaissement des frontières qui provoque une sorte de mécanique des fluides diabolique.
Je ne suis pas opposé à la transposition des textes luttant contre la traite des êtres humains, les violences faites aux femmes, la pornographie, les atteintes à la jeunesse, etc. Tout cela, c'est très bien ! Que les textes luttant contre les violences faites aux femmes soient transposés, c'est indispensable ! La convention d'Istanbul nous y oblige d'ailleurs. Permettez-moi de faire remarquer au passage qu'Istanbul est un lieu très bien choisi pour défendre les droits des femmes : il y a près de 91 ans, à l'époque d'Atatürk, le port du voile était supprimé, et voilà à présent que le port du voile revient en Turquie ! C'est une manière, dit-on, de libérer les femmes.
Quoi qu'il en soit, il n'y a rien à redire à la transposition de la convention d'Istanbul. Il est vrai par ailleurs que le projet de loi que nous examinons, madame la ministre, est – selon votre expression – un « matériau rétif et mal rédigé ». Vous aimez ce mot, « matériau » : il est tellurique, et très poétique. Nous sommes en effet loin de l'époque où Stendhal lisait le code civil avant de s'endormir.
Deux conceptions du droit s'affrontent : d'un côté, le droit romain, issu des Institutes de Justinien, et, de l'autre, le droit anglo-saxon. Nous touchons là à la disparition de notre norme juridique. Ces deux droits sont différents : le premier est statutaire, il définit et il prévoit, il est pérenne ; le second est adaptatif, il est fondé sur le système des précédents et fait de la réalité telle qu'elle apparaît une manière de définir le droit. Ce sont deux mondes différents : comme le disait Michel Villey, grand professeur de philosophie du droit, notre conception romaine offre la sécurité pour demain, alors que leur conception anglo-saxonne ne propose que l'incertitude. Malgré tout cela, nous transposons : allons-y !
Deux articles de ce projet de loi me préoccupent plus particulièrement. Je vous expliquerai les raisons de cette préoccupation, s'il me reste suffisamment de temps de parole. Prenons, pour commencer, le futur article L. 728-68 du code de procédure pénale. Un résident français condamné à une peine de prison par une juridiction étrangère, se trouvant sur le territoire français, est placé en détention provisoire.
Mais cet article interdit tout placement en détention ou sous bracelet électronique si la peine à exécuter est inférieure à deux ans. Voilà, votre circulaire est transposée ! Bravo ! C'est bien vu ! Aucun juge ne pourra plus condamner à l'enfermement, selon le principe de l'application des peines, un délinquant condamné à deux ans de prison !
Je conclurai en évoquant l'article 728-59 aux termes duquel il n'y a aucune possibilité de révision autre que dans l'État condamnateur. Nous sommes, à ce moment-là, obligés d'appliquer le texte en vigueur dans le pays qui condamne. Sait-on jamais, demain, un pouvoir communiste pourra apparaître quelque part et il faudra, alors, exécuter sans broncher sa décision.
Ces transpositions peuvent être inquiétantes !
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi très dense est une étape très attendue dans la construction de l'espace pénal européen, encore embryonnaire et très difficile à mettre en oeuvre. Grâce au droit européen et à la volonté d'harmoniser nos textes, le droit pénal français évolue lentement, mais sûrement, notamment en terme de libertés, et ce en dépit des grandes différences de nos systèmes procéduraux. Le droit pénal européen a toujours fait évoluer très favorablement le nôtre, surtout en matière de procédure pénale. L'objectif essentiel reste la coopération entre États membres et le renforcement des garanties procédurales pour tous les justiciables européens.
Permettez-moi de développer deux aspects novateurs de ce projet de loi, d'une part, la transposition de la directive relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et relatives à l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, droits également garantis par les articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; d'autre part la transposition de la décision-cadre concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution au sein de l'Union européenne.
À la différence du droit à l'interprétation, l'obligation de traduction est actuellement totalement absente, ce qui est d'ailleurs choquant, de notre code de procédure pénale. Grâce à la proposition pertinente de Mme la rapporteure devant la commission des lois, ce nouveau droit à la traduction des pièces essentielles entre dans le code de procédure pénale par la grande porte, puisqu'il figurera au sommet, donc à l'article préliminaire qui énonce les grands principes de la procédure pénale et le droit à un procès équitable. C'est une avancée essentielle, très importante pour les droits de la défense, qui donnera très certainement lieu à une nouvelle jurisprudence intéressante sur la définition des pièces essentielles à traduire. Pour autant, ce nouveau droit à la traduction des pièces essentielles ne doit pas ralentir les procédures et il faudra veiller tout particulièrement à l'indépendance des traducteurs, nommés par les enquêteurs ou par les magistrats, ainsi qu'à la qualité de leur traduction. Il en va du caractère équitable du procès. Le recours à des interprètes amateurs ou de fortune comporte, en effet, un vrai risque dont il convient de tenir compte. Ce texte nous donne donc opportunément l'occasion de réfléchir à l'encadrement d'une profession nouvelle, à savoir les traducteurs interprètes, que l'on pourrait considérer comme des auxiliaires de justice en les dotant, enfin, d'un statut et d'une déontologie.
Mais c'est la transposition de la décision-cadre du 27 novembre 2008 qui apporte l'évolution procédurale probablement la plus novatrice en termes d'exécution de peines. Elle concerne l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté et procède, ce qui est fondamental, de la création de soixante-neuf nouveaux articles dans le code de procédure pénale. Les personnes incarcérées pour l'exécution d'une peine privative de liberté prononcée dans un État partie pourront désormais purger intégralement leur peine dans l'État dont elles sont ressortissantes, même si l'exécution de la peine n'a pas encore débuté dans l'État ayant prononcé la condamnation. Très clairement et en pratique, cela signifie que la France pourra transférer vers les États dont elles sont ressortissantes, les personnes condamnées dont la peine à purger est supérieure à six mois d'emprisonnement, sans leur consentement et sans obligation de recueillir préalablement l'accord de l'État d'exécution. Jusqu'à présent, l'application de cette décision était soumise à ce double accord. De façon symétrique les autres États de l'Union européenne pourront désormais renvoyer les Français condamnés chez eux, en France. Cette décision-cadre est fondée sur une confiance réciproque nécessaire entre États et vise l'objectif évident de réinsertion sociale.
Étant moi-même élue du pays basque, je suis particulièrement sensible à ce nouveau texte, tant la question du rapprochement des détenus de leur lieu de vie est récurrente et justifiée par le maintien des liens familiaux, sociaux et culturels. La prise en compte de cet aspect est fondamentale pour prévenir la récidive, humaniser les conditions de détention et donner un sens positif à l'exécution de la peine.
Le projet de loi intègre également une décision-cadre de 2009 relative au mandat d'arrêt européen. Cette décision-cadre prévoit que, lorsqu'un mandat d'arrêt européen est émis aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté, son exécution est refusée dans le cas où l'intéressé n'a pas comparu en personne lors du procès à l'issue duquel la peine ou la mesure de sûreté a été prononcée. Après dix ans d'application, notre assemblée devra bientôt faire un bilan d'étape nécessaire quant aux effets positifs et négatifs du mandat d'arrêt européen. Sergio Coronado a cité le cas, devenu célèbre, il y a de cela quelques mois, d'une compatriote interpellée en France, poursuivie pour des faits qui n'étaient pas constitutifs d'infraction à la loi pénale en France. C'est, aujourd'hui le droit européen qui guide les grandes réformes de procédure pénale ainsi que la jurisprudence novatrice. La preuve vient, d'ailleurs, de nous en être donnée avec une décision historique du Conseil constitutionnel, en date du 4 avril 2013, qui a transmis, pour la première fois de son histoire, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne avant de répondre à une question prioritaire de constitutionnalité concernant le mandat d'arrêt européen. Il s'agit là d'une vraie brèche. Le juge de la constitutionnalité des lois, reconnaissant ne pas être en mesure de tirer les conséquences des textes soumis à son contrôle, interroge la Cour de Strasbourg sur l'interprétation des dispositions de la décision-cadre afin de pouvoir régulièrement exercer son pouvoir de contrôle de la conformité des lois à la Constitution. Dès lors, le Conseil constitutionnel place le juge de l'Union européenne face à ses responsabilités. Cette décision constitue un tournant. C'est aussi incontestablement la reconnaissance par le juge constitutionnel français que l'Europe est un espace de droit sûr, garantissant à chacun le respect d'un même standard de protection.
Le projet de loi soumis à notre vote est un pas décisif vers la construction d'un droit pénal européen unifié, que chacun appelle de ses voeux. C'est pourquoi nous le voterons avec enthousiasme et confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, on parle trop souvent de l'impuissance supposée de l'Union européenne à construire un espace protecteur pour ses concitoyens pour ne pas se féliciter, aujourd'hui, de franchir un pas nouveau dans l'harmonisation de nos législations.
Le texte qu'il nous est proposé de voter est une illustration de ce que l'Europe peut et doit continuer à construire : un droit commun, une protection et une sécurité juridiques pour ses citoyens, une capacité collective de combattre ceux qui exploitent le faible, qu'ils soient « fournisseurs » ou « consommateurs ».
Certaines des adaptations présentées dans ce projet de loi retiennent particulièrement mon attention : en l'occurrence celle relative à la pédopornographie, elle-même intimement lié aux questions de la cybercriminalité. Nul ne peut oublier, en effet, que la traite et les réseaux des esclavagistes modernes ignorent les frontières des États. Nul ne peut oublier non plus que les frontières numériques n'existent pas. Ainsi, sans « communauté juridique » ni coopération renforcée, les États membres de l'Union européenne se condamnaient sur ces sujets à une relative impuissance. Jusqu'à ce jour, plusieurs entraves empêchaient, en effet, au niveau européen, d'enquêter sur la cybercriminalité pédopornographique et de poursuivre ses auteurs de manière efficace. Il s'agissait, notamment, des limites de juridiction et de l'absence de coopération régulière avec les parties prenantes chargées de la cybercriminalité. Rappelons que nous parlons, ici, d'un marché estimé à 2 milliards d'euros dans le monde sur les réseaux de prostitution enfantine. Notons également qu'en décembre 2005 plus de 400 000 sites pédocriminels avaient été recensés. Rien qu'en France, en 2003, on estimait à 8 000 enfants le nombre de mineurs qui se prostituaient. Enfin, selon l'Unicef, ce sont, chaque jour, 3 000 enfants dans le monde qui sont victimes de l'esclavagisme sexuel et du travail forcé. Ces exemples illustrent la nécessité de doter l'Union européenne d'un arsenal judiciaire et législatif cohérent pour lutter efficacement contre l'existence et le développement des réseaux de traite d'enfants et de la cybercriminalité pédopornographique.
Quels sont les outils actuellement à notre disposition ? Le premier d'entre eux est notre volonté politique et sa traduction en actes. C'est chose faite et pas uniquement avec ce projet de loi. Depuis 1998, la Gendarmerie nationale a développé des structures spécifiquement dédiées à la traque des utilisateurs de ces réseaux. La brigade de protection des mineurs a ainsi la possibilité de pratiquer la cyber-infiltration depuis 2009. Le prolongement de notre engagement contre ces réseaux, qu'ils soient virtuels ou réels, passe aussi par la construction d'une Europe de la justice, ici et maintenant. Nous renforçons donc nos capacités institutionnelles au niveau national et européen en nous dotant des moyens juridiques qui permettront à la justice d'être sans frontière. Nous devons soutenir les projets liés à ce combat comme le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité, inauguré le 11 janvier 2013 ou encore la lutte contre le blanchiment financier des ressources de ces réseaux.
Les conventions auxquelles nous adhérons, celle des Droits de l'enfant comme celles de l'Organisation internationale du travail ou encore celle de Lanzarote d'octobre 2007, nous mènent vers la coopération judiciaire par l'intermédiaire d'Eurojust et par le soutien aux initiatives traduisant en actes une volonté commune de défense des intérêts supérieurs de l'enfant. Aucun enfant ne doit être une victime. Aucun de ses bourreaux, qu'il soit trafiquant, client ou « maître chiourme » ne doit penser qu'il peut agir en toute impunité. Quelques jours après avoir commémoré l'abolition de l'esclavage – et je salue la loi Taubira, donc je vous remercie, madame Taubira, de nous avoir permis à tous de pouvoir le faire – notre vote sur ces adaptations est symbolique. Il montre aux marchands de chair et à leurs clients, à celui qui tient le fouet et celui qui enferme, que nous construisons la Maison européenne. Nous la concevons et nous la bâtissons en l'élevant sur des fondations solides : justice, protection, humanisme et coopération. C'est donc avec enthousiasme que nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
J'ai déposé, à l'origine, un seul amendement sur cet article 1er. Or il a été divisé, pour des raisons logistiques par le service de la séance, en une série d'amendements, nos 11 rectifié , 26 , 27 et 22 rectifié . J'aimerais, par conséquent, si vous me le permettez, madame la présidente, les défendre ensemble puisqu'ils portent tous sur le même sujet.
Je vous en prie, madame Lemaire. Vous avez donc la parole pour défendre cette série d'amendements.
Il s'agit, sans doute n'est-ce pas un terme juridique, d'un « toilettage » de l'article 1er pour le rendre plus clair et surtout pour faciliter la charge de la preuve pour la victime. Pour atteindre cet objectif, nous proposons de supprimer les circonstances aggravantes qui figuraient dans certains cas en tant qu'élément constitutif de l'infraction et, dans certains cas, en tant que circonstances aggravantes. De plus, afin de s'assurer que le niveau antérieur des peines est maintenu – et c'est un exercice quasi mathématique – il est prévu d'instaurer le principe d'une aggravation des peines à dix ans d'emprisonnement dès que deux moyens distincts caractérisant la traite des êtres humains ont été employés ou dès que l'un des moyens de l'article 225-4-1 et l'une des circonstances de l'article 225-4-2 ont été utilisés.
J'ajouterai juste un mot sur l'amendement n° 11 rectifié , qui tend à substituer à l'alinéa 5, « Soit par abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité » deux alinéas décrivant l'abus d'autorité.
On vise les ascendants légitimes, naturels ou adoptifs de cette personne ou une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, et on précise ensuite la cause de la vulnérabilité, l'âge, la maladie, ou l'infirmité, par exemple.
Bref, il s'agit d'expliciter la formulation initiale.
Favorable.
La commission des lois avait déjà essayé d'améliorer la rédaction initiale et y était parvenue partiellement. Les amendements proposés nous permettent de mieux prendre en compte la réalité. Il est ainsi précisé qu'un même élément ne peut être à la fois un élément constitutif d'une infraction et une circonstance aggravante. Dans certains cas, en effet, les peines auraient pu être inférieures à ce qu'elles sont actuellement. Aujourd'hui, par exemple, la traite des êtres humains commise avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive est punie de dix ans d'emprisonnement. Ces faits constituant la circonstance aggravante prévue par le 7° de l'article 225-4-2, avec le projet de loi, elle n'aurait été punissable que de sept ans d'emprisonnement.
La rédaction proposée met fin de manière très astucieuse à cette situation. La traite des êtres humains sera sanctionnée de dix ans d'emprisonnement dès lors que l'une des dix circonstances aggravantes est présente, soit deux des quatre circonstances ou moyens définis à l'article 225-4-1, soit l'une de ces quatre circonstances et l'une des sept circonstances déclinées à l'article 225-4-2.
Ces propositions sont donc très complètes et améliorent vraiment la rédaction du texte.
Favorable, pour les raisons que j'ai exposées d'ailleurs dans mon intervention.
Les circonstances aggravantes sont devenues des éléments constitutifs de l'incrimination. Les éléments constitutifs de l'incrimination étant devenus alternatifs également, en cohérence avec le droit pénal, il fallait éviter que la sanction ne soit inférieure à ce qu'elle est dans le texte actuel. Préciser que, dès que deux circonstances sont réunies, la sanction s'élève à dix ans d'emprisonnement nous permet de ne pas diminuer la sévérité du droit actuel. C'est une réelle amélioration.
Très bien !
(Les amendements nos 25 , 11 rectifié , 26 , 27 et 22 rectifié sont successivement adoptés.)
Cet amendement crée une infraction, le travail forcé : le fait, par la violence ou la menace, de contraindre une personne à effectuer un travail sans rétribution ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
Nous souhaitons, en effet, mettre le droit pénal français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, puisque la France a été condamnée sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne, et ce à deux reprises, la législation française étant insuffisante puisque les articles 225-13 et 225-14 du code pénal ne concernent que la soumission à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine et ne permettent pas de toucher toutes les situations de travail forcé.
La création de cette incrimination nous permet de mieux protéger les victimes.
Favorable. Cela nous permet de rendre notre droit totalement conforme aux décisions de la Cour européenne, ce dont nous pouvons nous féliciter. Après les arrêts de 2005 et 2012, c'est cette majorité qui le réalise.
Favorable. Comme vient de le dire Mme la rapporteure, cette disposition rend notre droit conforme notamment à l'arrêt Siliadin C'est donc un progrès.
(L'amendement n° 12 est adopté.)
Après l'article 1er, qui a permis de transposer les dispositions concernant la traite des êtres humains, il s'agit de marquer ici et maintenant la volonté du Parlement de commencer à donner une suite concrète à l'ensemble du travail effectué dans le consensus, à l'unanimité, de notre assemblée, durant la précédente législature. Je fais référence au travail mené sous l'animation de la présidente de la mission d'information sur la prostitution en France, Danielle Bousquet, au rapport de votre serviteur, à la résolution présentée par l'ensemble des groupes politiques de notre assemblée, adoptée à l'unanimité ici même en décembre 2011 et à la proposition de loi qui en a découlé que j'avais eu l'honneur de signer avec Danielle Bousquet, les travaux d'analyse et d'amélioration se poursuivant, comme l'a souligné tout à l'heure le Gouvernement.
Les amendements n°s 3 et 4 sont plus que des amendements d'appel, l'objectif étant de commencer à concrétiser le travail d'approfondissement de la volonté abolitionniste de la France. L'amendement n° 3 prévoit une véritable incrimination pénale pour le client de la prostitution, non pour le punir bêtement mais pour l'inviter à réfléchir, et l'amendement n° 4 vise à donner tous les moyens pour que cette invitation à la réflexion soit responsable.
Pour lutter contre l'un des facteurs pour lesquels la traite des êtres humains, avec sa manifestation ignoble qu'est la prostitution, est encore en cours dans notre pays, il faut d'abord responsabiliser ceux qui y ont recours. La plupart du temps, les clients ne savent malheureusement pas à quoi ils contribuent en s'adonnant à ce qu'ils croient être le plus vieux métier du monde. C'est l'esprit et la lettre de ces deux amendements.
Je sais, pour les avoir entendues, quelles sont les réserves, non pas de fond mais de méthode, du Gouvernement, mais, sur l'une des grandes problématiques, et vous ne pourrez pas dire le contraire, mesdames les ministres, le Sénat est sorti un peu récemment des sentiers que vous souhaitiez tracer sans que vous vous y opposiez. Accordez à l'un des parlementaires un peu mobilisé sur cette question le droit de sortir un peu de votre chemin comme vous l'avez fait pour nos collègues sénateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous savons que vous êtes impliqué depuis très longtemps dans la lutte contre la prostitution, monsieur Geoffroy. Il n'y a pas eu seulement la résolution, vous portez continuellement le flambeau sur cette question.
Cela dit, ce n'est pas forcément le meilleur texte pour inscrire de telles dispositions et je vous invite à retirer vos amendements. Il y a aura à l'automne une proposition de loi sur la prostitution. Un groupe de travail a été constitué, dont vous faites partie et dont vous suivez avec assiduité les travaux. Honnêtement, il serait plus adéquat d'en débattre et d'avancer de manière plus globale. Les dispositions que vous proposez sont, en effet, un peu un cavalier dans le texte qui est présenté aujourd'hui.
Je crois que vous connaissez mon avis, monsieur Geoffroy. J'irai évidemment dans le sens de la rapporteure mais je veux vous rassurer sur la philosophie qui est celle du Gouvernement.
Si votre ambition est d'avancer vers davantage de responsabilisation du client, nous la partageons totalement, d'autant plus que, vous l'avez rappelé, la résolution de décembre 2011 a fait l'objet d'un vote unanime, vote sur lequel nous nous appuyons pour que les travaux continuent et que soient proposées dans quelques semaines des conclusions qui feront l'objet d'une proposition de loi plus complète sur la lutte contre la prostitution. Cela me semble être un cadre bien mieux adapté pour traiter des stages de sensibilisation que vous proposez ou même de la nature de l'infraction que l'on pourrait imaginer.
Il me paraît prématuré d'utiliser ce cadre législatif pour faire passer votre idée, qui n'en reste pas moins belle. Je vous suggère tout simplement de continuer le travail dans le cadre du groupe auquel vous appartenez, et nous en reparlerons très bientôt. Je vous demande donc de retirer vos amendements et, à défaut, j'y serai défavorable.
Je suis très heureux et non surpris d'entendre que l'idée est belle, il était important que ce soit dit dans cet hémicycle. Je ne veux faire ni la forte tête, ni le parlementaire engoncé dans ses certitudes, mais il me paraît utile de prendre les choses en main et de ne pas renoncer à ce petit pas, même s'il n'aboutit pas, que constituera un vote sur ces amendements.
Je ne refuse donc pas de les retirer par provocation à l'égard de quiconque, je pense que le fait de les maintenir après les avoir présentés est probablement un service global à rendre à la cause que nous défendons tous.
J'avais peur que vous ne retiriez ces amendements car c'est effectivement un service que vous nous rendez, monsieur Geoffroy, en me permettant de préciser le calendrier.
La délégation aux droits des femmes a désigné un groupe d'études, chargé de l'élaboration d'une proposition de loi sur la prostitution. Conduit par Maud Olivier, il a déjà procédé à un certain nombre d'auditions et, surtout, fait un certain nombre de déplacements en province. Il est allé à Strasbourg, à Rennes et dans le 18e arrondissement de Paris voir les différentes formes de la prostitution et rencontrer la totalité des professionnels qui travaillent pour lutter contre cette traite majeure et cette violence faite aux femmes.
Vous le savez, monsieur Geoffroy, la France est abolitionniste depuis 1960 ; cela a été rappelé dans la résolution que nous avons votée à l'unanimité, et c'est également la conclusion du rapport que vous avez coproduit avec Danielle Bousquet, et que nous avons tous voté.
C'est dans cette logique que le travail se poursuit. Nous voulons parvenir à une loi efficace, qui permette à la fois de lutter contre les réseaux, de protéger les victimes et de responsabiliser les clients. Nous nous efforçons de trouver les formules qui permettent d'atteindre ce triple objectif. Je vous remercie de vos amendements ; je pense qu'ils ne sont pas à leur place ici, mais le travail se poursuit, vous-même y contribuez.
Je ne voterai pas ces deux amendements, non que j'estime qu'ils ne seraient pas à leur place dans le présent texte, mais tout simplement parce que je n'en partage pas du tout la philosophie. Je crois que l'on peut se définir comme abolitionniste, en référence à la convention de 1949, sans considérer que cela doive se traduire par une criminalisation croissante à la fois des prostituées et des clients.
L'exemple de la Suède suscite débat. Plusieurs études ont montré que la pénalisation des clients n'était pas, alors que c'est ce que ces amendements proposent, la solution. Il s'est produit des phénomènes de déplacement de la prostitution aux frontières, une précarisation accrue. Certains chercheurs, intellectuels, militants s'interrogent sur l'efficacité de cette politique.
Les arguments que vous avez utilisés sont les mêmes que ceux qui ont présidé à l'adoption du fameux délit de racolage passif, qu'Esther Benbassa a eu l'intelligence et le courage de faire abolir au Sénat. La majorité de l'époque avait utilisé les mêmes termes pour criminaliser l'activité des prostituées, les rejetant dans une plus grande marginalité, clandestinité et précarité, en contradiction même avec la philosophie de la convention de 1949, qui ne présente pas les prostituées comme coupables mais comme victimes.
Madame Coutelle, je ne vous ai pas interrompue ; permettez-moi de conclure.
L'unanimisme que vous avez souligné, monsieur Geoffroy, sera rompu au moment du débat, car je n'entends pas suivre cette pente qui consiste à criminaliser cette activité. C'est d'aide, de droits, de soutien qu'ont besoin les personnes prostituées, non d'une chasse policière de tous les instants.
Rassurez-vous, je n'entrerai pas dans un échange qui prolongerait trop la discussion et nous ferait véritablement sortir du cadre de ce projet de loi, mais je souhaite préciser un point à l'attention de ceux qui nous regardent et nous écoutent. Le travail que nous avons fait et ce vers quoi nous souhaitons aller, sinon unanimement, du moins, je le crois, de façon très nettement majoritaire dans cette assemblée, ce n'est pas de jouer les uns contre les autres. Nous avons dit – et si nous ne continuons pas à le dire, nous ferons fausse route – qu'il faut responsabiliser la société tout entière.
Les seules cibles avec lesquelles aucun dialogue n'est possible, si ce n'est celui du droit, et du droit fort, ce sont tous ceux qui, par la traite, le proxénétisme, prennent en otage des vies humaines.
Les chiffres sont contestés par certains, mais il y a aussi peu d'arguments pour les contester qu'il n'y en a à dire que rien ne vient les étayer. La réalité, dans notre pays, aujourd'hui, c'est que la très grande majorité des personnes qui se livrent à la prostitution sont en réalité livrées à la prostitution, sont victimes de la traite des êtres humains. Tous ceux qui prétendent que la prostitution serait ce « plus vieux métier du monde » dont aucune société ne pourrait se passer, sont les complices indirects et coupables de la traite des êtres humains, dans la très grande majorité des cas. Je tiens à le dire car c'est une réalité qui ne peut être sérieusement contestée.
Il faut s'attaquer aux proxénètes et accorder toute notre attention à la responsabilisation des clients, mais surtout – c'est le coeur du sujet – il faut protéger les personnes prostituées, éviter que l'on ne rentre dans la prostitution, et aider les personnes à en sortir si malheureusement elles y sont entrées.
Nous avons un texte sur la traite. L'une des finalités de la traite, c'est la prostitution. Aujourd'hui, 90 ou 95 % des prostituées, on ne sait pas très bien, sont victimes de la traite. Nous n'avons jamais dit que nous interdisions la prostitution : nous interdisons la traite, qui est la violence la plus grande qui soit faite aux femmes et aux jeunes filles. C'est un phénomène mondial qui alimente les paradis fiscaux. Nous pouvons tous nous retrouver sur la nécessité de trouver une solution qui nous permette d'intervenir. Nous ne sommes pas pour pénaliser les femmes qui se livrent à la prostitution, bien au contraire : nous voulons retirer ce délit du code, mais il faut trouver les formules qui nous permettent d'intervenir et de faire sortir les femmes de la prostitution.
(Les amendements nos 3 et 4 , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
Cet amendement vise à créer les crimes d'esclavage et de servitude, et à les introduire dans le code pénal français. Il y a plusieurs raisons à cela : une obligation négative, à l'égard de l'État français, et une obligation positive.
Ce que j'appelle l'obligation négative, c'est le constat que le droit français est actuellement insuffisant. Les deux dispositions pouvant éventuellement traiter des situations en lien avec l'esclavage sont les articles 225-14 et 225-13 du code pénal. Le premier concerne le travail et l'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, le second la fourniture de services non rétribués à la hauteur du travail fourni. Il faut prouver la vulnérabilité et l'état de dépendance de la victime ; c'est un niveau d'exigence relativement élevé, s'agissant qui plus est d'un délit, avec une peine assez faible de cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.
Avec l'esclavage et la servitude, nous passons dans le domaine du crime. L'article 2 du présent texte fait désormais référence à l'esclavage, puisqu'il transpose la directive européenne concernant la traite des êtres humains, mais sans le définir précisément, ce qui contrevient au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, fragilisant ainsi le texte et l'exposant à un risque de question prioritaire de constitutionnalité.
Enfin, et surtout, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, de manière honteuse pour nous, récemment encore, puisque le dernier arrêt remonte à octobre dernier, la Cour ayant considéré que la législation française était insuffisante au regard des exigences du droit européen et du droit international, car notre code pénal ne comporte que les dispositions précitées concernant les conditions de travail ou d'hébergement.
Pour l'ensemble de ces raisons juridiques, sans même parler des raisons politiques et symboliques, je vous saurai gré, madame la garde des sceaux, d'accepter d'intégrer dans le code pénal français ce crime d'esclavage.
Madame la députée, je vous ai laissé développer vos arguments, mais vous venez de défendre l'amendement n° 10 et non le n° 13. Nous pourrons considérer que vous avez défendu l'amendement n° 10 par anticipation.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir, d'un mot, l'amendement n° 13 .
Cet amendement consiste à ouvrir aux associations la possibilité de se constituer partie civile dans les contentieux du crime d'esclavage que vient de présenter avec brio notre collègue Axelle Lemaire et dont nous espérons qu'il sera instauré par l'Assemblée.
Favorable. Lors de nos travaux préliminaires, nous avons rencontré les associations et elles ont exprimé cette volonté d'accompagner les personnes vulnérables, qui ont besoin de conseils.
L'avis du Gouvernement est également favorable, pour le parallélisme, non des formes, mais de l'écriture du code. Sur des incriminations de même gravité, nous avons déjà ouvert aux associations la possibilité de se constituer partie civile. Il existe une condition : il faut l'accord de la victime, si elle est majeure, ou de son représentant légal, si elle est mineure ou sous protection de tutelle. Nous avons ouvert ce droit, pour le harcèlement sexuel, aux associations déclarées ayant au moins cinq ans d'existence au moment des faits.
(L'amendement n° 13 est adopté.)
(L'article 2, amendé, est adopté.)
Je suis saisie d'un amendement n° 10 tendant à insérer un article additionnel après l'article 2, et qui fait l'objet de plusieurs sous-amendements. Mme Axelle Lemaire a déjà défendu cet amendement.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir les six sous-amendements nos 29 , deuxième rectification, 31, 34, 30, 33 et 32.
L'amendement n° 10 et les sous-amendements créent deux nouvelles infractions d'esclavage et de servitude. Il était important de définir précisément ces infractions dans le code. De même que l'amendement sur le travail forcé, l'amendement n° 10 met notre droit en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a jugé à deux reprises, à sept ans d'intervalle, en 2005 et 2012, que notre législation était insuffisante.
Avec les sous-amendements, nous souhaitons y apporter quelques modifications : des modifications relatives à l'emplacement de la nouvelle section dans le code pénal, de façon à commencer par les atteintes aux libertés de la personne les plus graves, et des modifications de conséquence assurant que toutes les peines complémentaires prévues aux articles 224-9 et 224-10, ainsi que le suivi socio-judiciaire, seront applicables aux nouvelles infractions d'esclavage et de servitude.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les sous-amendements et l'amendement ?
Ce ne sont pas des propositions à caractère banal. L'amendement est extrêmement important, et les sous-amendements l'améliorent incontestablement ; ils apportent des précisions et encadrent davantage les choses. Mais le sujet lui-même est relativement lourd, et je dois exprimer la difficulté du Gouvernement.
Nous sommes persuadés effectivement qu'il faut définir cette incrimination, parce que sa définition n'existe pas dans le code pénal. L'esclavage est évoqué dans ce code, à l'article 212-1, des crimes contre l'humanité également, comme le génocide ; mais il s'agit de l'esclavage institutionnalisé, organisé, non pas d'une incrimination concernant une personne physique qui en serait l'auteur. L'esclavage est évoqué comme crime contre l'humanité, mais pas défini, alors qu'il est incontestable que cette incrimination existe, qu'elle se développe, que ce soit dans les réseaux de traite ou de criminalité organisée. Nous savons qu'elle nous touche ici, puisqu'il y a sur notre sol des personnes qui se rendent coupables ou complices de cette pratique.
Une seule définition de référence existe, celle de la SDN, en 1926, reprise en 1956 dans la Convention des Nations Unies. Selon cette définition, l'esclavage est la « condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux ». Vous avez choisi une définition qui semble plus précise. Au début de mon intervention, je disais que le Gouvernement éprouve une certaine gêne liée à l'exigence de rigueur. Nous aurions voulu être sûrs d'avoir sécurisé cette définition ; or le calendrier d'examen de ce texte ne garantit rien. La définition que vous proposez paraît satisfaisante, mais le code pénal s'écrit à la virgule près afin d'éviter toute difficulté par la suite.
Or je ne suis pas certaine que votre définition en l'état soit suffisamment précise. J'ai vu à quel point les membres de la commission des lois sont motivés pour introduire cette incrimination avec cette définition qui me paraît fiable, mais je ne sais pas si elle est totalement sécurisée. Pour cette raison, je serais tentée de demander un retrait de l'amendement. Toutefois, parce que j'ai longtemps été parlementaire, je sais que l'on ne demande pas un retrait si l'on ne propose pas autre chose. Par exemple, tout à l'heure, monsieur Geoffroy, vous avez décidé de ne pas retirer vos amendements – et tout le monde vous a donné raison – mais vous saviez que la ministre du droit des femmes vous proposait d'y revenir très rapidement, dans le cadre d'une discussion déjà inscrite dans l'agenda parlementaire. Il ne s'agissait donc pas d'un retrait sans frais, mais d'un retrait aux frais d'un débat qui est repoussé de quelques semaines.
En ma qualité d'ancienne parlementaire, je ne me permets pas de déclarer un sujet important pour vous demander ensuite de retirer votre amendement avant de nous retrouver aux calendes grecques. (Sourires)… Pardon, madame Karamanli, il y a certaines formules… Mais cela prouve leur universalité et leur enracinement historique, puisque je me rappelle l'avoir apprise à l'école primaire.
Je proposerais donc un retrait et la mise en place d'un groupe de travail adossé à la chancellerie, qui disposerait de toute sa technicité, de toute sa logistique et de toute son expertise, avec un calendrier que l'on peut fixer. La difficulté que je rencontre est celle du calendrier parlementaire pour le véhicule législatif auquel on raccrocherait cette disposition. Cette proposition n'a rien de malhonnête, bien au contraire, elle est claire et transparente. La définition me paraît convenir mais je ne pense pas que nous l'ayons complètement sécurisée juridiquement : c'est pourquoi j'aurais préféré que nous nous donnions un peu de temps. Je n'émets donc pas d'avis défavorable et demanderais plutôt le retrait de l'amendement à la condition de la création de ce groupe de travail, selon un calendrier que nous fixerions ensemble.
Merci, madame la ministre, pour votre engagement qui prouve que l'insertion dans le code pénal d'une définition de l'esclavage et de la servitude est aujourd'hui devenue nécessaire.
Ma remarque sur les calendes grecques est sans rapport avec mes origines : ce que nous pouvons faire aujourd'hui, il ne faut pas le remettre à demain. Je partage votre interrogation relative à l'amélioration de la rédaction, mais je crois que bientôt le Sénat sera saisi de ce texte. Il serait dommage de retirer aujourd'hui cet amendement quand on est si proches d'un aboutissement, d'autant que vos travaux témoignent également de votre engagement dans la lutte contre l'esclavage et la servitude. Ce serait là un pas supplémentaire. Poursuivons le travail de rédaction du législateur et faisons confiance au Sénat pour compléter et améliorer cet amendement. Ne le retirons pas.
Madame la ministre, malgré l'affection incommensurable (Sourires) que nous vous portons, nous maintenons cet amendement. Nous avons relevé le problème que vous soulevez à votre tour avec pertinence. Nous savons les difficultés rencontrées ces dernières années pour construire un instrument législatif dans lequel l'incrimination de l'esclavage réponde aux conditions légales de l'incrimination sans laquelle la loi pénale ne peut se construire.
Le texte soumis au vote reprend des formulations déjà utilisées par la Cour européenne des droits de l'homme, y compris pour sanctionner notre grand et beau pays. « Le fait d'exercer sur une personne les attributs du droit de propriété » : voilà la meilleure formule pour traduire ce qu'est l'esclavage. Nous avons judicieusement ajouté à cette formule, et c'est important, « ou de maintenir une personne dans un état de sujétion continuelle ». Cette précision, qui n'avait jamais été utilisée dans les délibérations et qu'Axelle Lemaire et notre rapporteure ont trouvé pertinent d'ajouter à la formulation première, me paraît réduire considérablement les aléas dont vous êtes comptables dans l'application de la loi pénale sur le territoire national.
La définition de l'esclavage, dans cette formulation, a été bien resserrée. La deuxième est moins difficile puisqu'il s'agit de l'enjeu relatif aux servitudes.
Dans l'intérêt juridique du débat, vous avez raison d'attirer notre attention sur ce point, mais je pense qu'il est préférable de maintenir l'argumentaire pour qu'il soit amélioré, à l'occasion de la navette et des examens successifs du texte. Nous avons même l'obligation de le faire, à la lumière des décisions qui ont sanctionné notre pays. Il serait regrettable que la France continue à être sanctionnée par la Cour européenne, alors qu'elle a porté haut et fort le combat contre l'esclavage.
Quel est l'avis définitif du Gouvernement sur cet amendement n° 10 et les sous-amendements, puisqu'ils sont maintenus ?
Je m'attendais à ce maintien clair et sans appel, car sur tous ces bancs nous refusons les oppressions impunies, nous refusons qu'un être humain dispose d'un autre, par esclavage, qui est l'absolu, ou par une autre forme de domination, comme la contrainte à la mendicité, cas dans lequel quelqu'un dispose bien de quelqu'un d'autre, même si cela ne correspond pas exactement à l'esclavage qui possède une dimension plus englobante.
Je vous ai entendus. Vous savez nous prendre par les sentiments, madame la rapporteure, et j'espère que le Sénat vous en saura gré puisque vous nous demandez de lui faire confiance. Le calendrier est très serré, parce que le texte arrive très vite au Sénat. Faute partagée par le Gouvernement et la réalité, puisque nous avons demandé la procédure accélérée : nous devrions donc avoir une commission mixte paritaire. En considérant que nous avons deux étapes qui permettraient de vérifier la sécurité juridique de cette définition, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée, non sans savoir dans quelle direction elle penche.
Si nos collègues du groupe SRC n'avaient pas maintenu l'amendement, j'aurais proposé de le reprendre, car je pense qu'il est essentiel que nous votions sur ce sujet, de manière très paisible à l'égard du Gouvernement. Il y a trois raisons pour lesquelles nous devons nous prononcer aujourd'hui.
Premièrement, dans l'article 1er du projet de loi, où il est question de transposer de nouvelles dispositions concernant la traite des êtres humains, il est fait référence à l'infraction d'esclavage. Deuxièmement, la définition de cette infraction, comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, est ancienne puisqu'elle remonte à la Société des Nations, en 1926, ce qui date. Troisièmement, il existe de nouvelles formes d'esclavage. J'en parlais d'ailleurs tout à l'heure avec Axelle Lemaire et je lui disais qu'il faudrait que nous prenions l'habitude de ne plus parler d'« esclavage moderne », car c'est donner le sentiment qu'il peut y avoir une certaine modernité dans l'esclavage, ce qui est absolument monstrueux. Il existe de nouvelles formes d'esclavage qu'il vaut mieux définir dans la cohérence de ce texte dont nous avons tout à l'heure adopté l'article 1er.
Il y aura le travail du Sénat, comme l'a dit notre rapporteure, et Mme la garde des sceaux a confirmé son utilité – la commission des lois du Sénat a l'habitude de faire du bon travail. Il y aura enfin la commission mixte paritaire, à laquelle certains d'entre nous participeront. S'il faut qu'à l'issue du bon travail que ne manquera pas de faire le Sénat nous ajoutions une contribution coordonnée des deux assemblées dans le texte de la commission mixte paritaire, je crois que nous aurons fait oeuvre utile, nécessaire, efficace et juridiquement sécurisante. Cela est déjà le cas dans l'article 1er que nous avons adopté tout à l'heure.
(Les sous-amendements n°s 29 , deuxième rectification, 31, 34, 30, 33 et 32 sont successivement adoptés.)
(L'amendement n° 10 , sous-amendé, est adopté.)
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 6 .
Je vous remercie pour cette unanimité lors du vote. L'amendement n° 6 est un rédactionnel.
Cet amendement apporte en effet une précision qui clarifie le texte. Avis favorable.
(L'amendement n° 6 est adopté.)
(L'article 3, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 7 rectifié .
Cet amendement vise à améliorer la rédaction de l'article 222-22-2 du code pénal adopté par la commission des lois pour réprimer le fait de forcer une personne à subir une atteinte sexuelle commise par un tiers. L'expression « atteinte sexuelle » est meilleure que « activités sexuelles ».
(L'amendement n° 7 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 4, amendé, est adopté.)
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l'amendement n° 20 .
Cet amendement vise à rétablir le texte initial puisque j'ai exposé dans mon intervention liminaire que le projet du Gouvernement transpose des instruments juridiques qui existent déjà, en l'occurrence la décision-cadre de 2008 qui renforce Eurojust en modifiant celle de 2002. La commission des lois a choisi d'aller au-delà en transposant ce qui n'existe pas encore. J'ai entendu les arguments de Mme la rapporteure et de plusieurs députés, y compris de M. Geoffroy, à savoir que le Parlement peut s'autoriser, de par sa légitimité, à dépasser la simple transposition, ce que je conçois parfaitement. S'il n'y avait rien d'autre en perspective, cela n'aurait pas prêté à discussion, mais nous savons qu'il y a un projet de règlement qui s'appuie sur les articles 85 et 86 du traité de Lisbonne pour renforcer Eurojust à travers la création d'un parquet européen. Le Gouvernement est en débat avec la Commission parce que sa conception actuelle de ce parquet n'est pas celle que défend la France.
De fait, j'ai pris des initiatives avec l'Allemagne : une lettre cosignée par ma collègue allemande et moi-même, adressée à la Commission ; la mise en place d'un groupe de travail franco-allemand qui a travaillé de façon très consistante ; et nous avons transmis à la Commission, il y a un bon mois, un projet sur lequel nous avons déjà réussi à mobiliser d'autres pays européens, telles la Pologne, l'Espagne et l'Italie.
Pour toutes ces raisons, il me paraît prématuré d'anticiper le contenu de ce futur règlement en introduisant dans notre code de procédure pénale les dispositions prévues par la commission des lois. Je propose par cet amendement de revenir, je le répète, au projet de loi initial qui se contente de transposer la décision-cadre de 2008. Cela étant, j'entends que les parlementaires puissent s'autoriser à vouloir aller au-delà mais, pesant les choses, je pense qu'il est plus sage et plus raisonnable d'en revenir au texte du Gouvernement.
L'avis est évidemment défavorable à l'amendement parce qu'il propose de revenir sur une avancée acceptée à l'unanimité en commission. Dans mon propos liminaire, j'ai répondu aux questions évoquées par Mme la ministre : il ne s'agit aucunement d'anticiper, mais tout simplement d'un choix parmi les propositions de la décision-cadre.
Je rappelle à mes collègues les termes de l'article 9 quater, relatif aux « pouvoirs exercés en accord avec une autorité nationale compétente : « En leur qualité d'autorités nationales compétentes, les membres nationaux, en accord avec l'autorité nationale compétente, ou à sa demande, et cas par cas, peuvent exercer les pouvoirs ci- après : émettre et compléter des demandes de coopération judiciaire et des décisions dans ce domaine, relatives notamment à des instruments donnant effet au principe de reconnaissance mutuelle ; exécuter dans leur État membre des demandes de coopération judiciaire et des décisions dans ce domaine, relatives notamment à des instruments donnant effet au principe de reconnaissance mutuelle ; ordonner dans leur État membre des mesures d'enquête jugées nécessaires lors d'une réunion de coordination organisée par Eurojust pour fournir une aide aux autorités nationales compétentes concernées par une enquête concrète et à laquelle les autorités nationales compétentes concernées par l'enquête sont invitées à participer ; autoriser et coordonner des livraisons contrôlées dans leur État membre. » L'alinéa 2 précise que « les pouvoirs visés dans le présent article sont en principe exercés par une autorité nationale compétente ».
L'article 8 figure donc bien dans la décision-cadre. La commission ne se serait jamais permis d'anticiper une décision communautaire, surtout de nature réglementaire. Mais comme la décision-cadre propose trois types d'adaptations, au lieu de faire une transposition a minima, nous avons souhaité choisir une des trois. Cela nous permet en plus de confirmer la volonté de la France d'avancer sur la question du parquet européen. Vous l'avez très bien rappelé, madame la ministre : on n'avait pas entendu depuis longtemps un gouvernement français manifestant sa volonté d'avancer sur ce point.
Sur le plan constitutionnel, le traité de Lisbonne nous met en conformité et évite l'obligation d'une réforme constitutionnelle pour que le parquet européen se construise à partir d'Eurojust.
La commission ne fait donc qu'appliquer ce que permettent la Constitution, le traité de Lisbonne et la décision-cadre.
Pour toutes ces raisons, la commission et moi-même tenons absolument à rester sur cette proposition qui a été adoptée à l'unanimité.
Madame la rapporteure, vous me permettrez de lire un autre passage de la décision-cadre. Aux termes de l'article 9 sexies relatif aux « demandes émanant des membres nationaux lorsque les pouvoirs ne peuvent être exercés » « Le membre national […] est au moins compétent pour soumettre à l'autorité compétente une proposition […] lorsque l'attribution de ces pouvoirs à un membre national est contraire : aux règles constitutionnelles ou à des aspects fondamentaux du système de justice pénale ». J'ai rappelé que les instruments juridiques auxquels aboutit l'Union européenne résultent de compromis entre des conceptions et des cultures juridiques différentes, et des systèmes juridiques divers. Nous sommes dans une telle situation puisque tous les pays européens n'ont pas un ministère public organisé comme le nôtre. En France, la Constitution, en vertu de l'ordonnance organique de 1958, réserve l'action publique au parquet, plus précisément au procureur. Notre membre national d'Eurojust est évidemment choisi au sein du parquet, mais une fois affecté à La Haye, il n'exerce plus l'action publique au titre de l'ordonnance organique.
Or les compétences que vous proposez de donner au membre national d'Eurojust seraient susceptibles de le conduire à exercer l'action publique, c'est-à-dire à mobiliser la police judiciaire, conformément aux articles 30, 32 et 34 du code de procédure pénale, se retrouvant à agir comme s'il représentait le parquet installé en France, exerçant l'action publique sous l'autorité hiérarchique du procureur général. Il y a donc là un risque réel, sur lequel j'attire votre attention, et que la décision-cadre prend en compte puisque l'article 9 sexies prévoit que si jamais il y a un empêchement lié soit à l'organisation de l'institution judiciaire, soit aux lois constitutionnelles, le membre national est dispensé d'exercer les compétences prévues aux articles 9 quater et 9 quinquies.
Madame la présidente, je souhaite une suspension de séance de quelques minutes.
Article 8
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
Madame la présidente, après ces discussions qui nous ont permis d'approfondir la question, le groupe SRC a décidé de se prononcer pour une transposition de la décision-cadre telle qu'elle apparaît dans le texte issu des travaux de la commission, donc de suivre l'avis défavorable à l'amendement du Gouvernement exprimé par Mme la rapporteure.
des sceaux. Nul n'ignore le respect de longue date que j'éprouve à l'égard des parlementaires, que je manifeste constamment, il me semble, par mon attitude au Parlement. Je respecte donc cette volonté du Parlement, tout en insistant sur le fait que l'organisation du ministère public français n'est pas un système courant en Europe. Nous sommes dans le cadre de l'article 9 sexies qui prévoit qu'en cas d'empêchement par les règles constitutionnelles ou du fait de l'organisation judiciaire, il est possible de déroger à ce choix maximal des compétences du membre national d'Eurojust.
Du point de vue pratique – qui est de ma responsabilité et non pas de la vôtre, j'en conviens très volontiers –, en tant que garde des sceaux, je serai confrontée à une organisation assez inattendue des juridictions. J'imagine ce membre national d'Eurojust déclenchant l'action publique, pouvant mobiliser les officiers de police judiciaire, conduire des enquêtes. Je ne vois guère comment tout cela peut s'articuler avec le fonctionnement de nos institutions.
J'insiste pour que le texte soit rétabli tel que le Gouvernement l'avait rédigé mais je m'inclinerai devant le vote si vous choisissez de maintenir la rédaction de la commission des lois.
Cependant, je voudrais répondre à un argument de Mme la rapporteure, à savoir que la commission des lois n'a pas cherché à anticiper sur le contenu du règlement, que ce n'est pas sa démarche. Je veux l'entendre même si, en découvrant cette nouvelle écriture, j'ai pensé que c'était une façon d'anticiper la création du parquet européen, de donner une impulsion pour y arriver plus vite. Je veux bien entendre que c'est complètement hors sujet.
Cela étant, nous ne sommes pas dans l'air ni dans la stratosphère : des travaux ont commencé en vue de créer, sur les bases d'Eurojust, un parquet européen qui est prévu par l'article 86 du Traité de Lisbonne. La Commission a un projet de texte ; nous en avons soumis un avec l'Allemagne. Compte tenu de cette dynamique, même si ce n'est pas votre intention, les choses sont objectivement liées.
Toutefois, je m'inclinerai de bonne grâce si vous décidiez de rejeter mon amendement et d'en rester à votre texte.
La manière dont se déroule la séance légitime la vérité des propos : nous ne sommes pas dans des positionnements mais dans la réflexion.
Pour ma part, je suis assez proche de l'appréciation du Gouvernement parce que je suis actuellement en charge du rapport sur le texte qui vise à modifier les liens entre la chancellerie et le parquet. À cette occasion, je n'ai pas manqué de m'interroger sur la place et le statut du parquet, dans la perspective de la création d'un parquet européen.
La volonté de la commission des lois traduit un doute, une crainte. La chancellerie doit dire que le parquet européen représente un progrès. Je crois comprendre que mes collègues s'inquiètent d'une réticence à voir la France entrer pleinement dans l'enjeu européen auquel nous croyons tous de manière indéfectible.
En revanche, je reconnais que plusieurs points posent de grandes difficultés : le statut, comme nous allons le voir dans le cadre de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le lien entre la chancellerie et le parquet, comme nous allons le voir dans le projet de loi ; l'article 5 du décret de 1958, c'est-à-dire la situation des membres du parquet en tant que tels.
Autre question que nous venons d'évoquer : comment un membre d'Eurojust, qui n'est pas un magistrat français, peut-il utilement mettre en oeuvre des instruments de l'action publique, y compris les diligences de la police judiciaire ? C'est une vraie difficulté.
En dépit de cette importante difficulté technique, il existe une forte aspiration de la commission des lois – je traduis le sentiment de mes collègues – à ce que la France ne dissimule pas derrière ce questionnement une sorte de réticence à l'égard de la création du parquet européen. J'ai voulu dire objectivement les choses dans l'intérêt de mes collègues et en défendant la position de la commission des lois, tout en comprenant les difficultés dans lesquelles se trouve la chancellerie.
Je veux, en quelques mots, rassurer complètement Mme la garde des sceaux.
La question de la création d'un procureur européen – aujourd'hui, on parle plutôt d'un parquet européen – ne date pas d'hier. L'Assemblée nationale a elle-même commencé à travailler sur ce sujet il y a plus de dix ans, et j'ai été le rapporteur, pour la délégation aux affaires européennes, puis pour la commission des affaires européennes, puis pour la commission des lois, d'un certain nombre de textes, d'un certain nombre de résolutions, qui, tous, ont aidé notre gouvernement à définir, en relation avec l'Allemagne, les contours de ce qui figure aujourd'hui dans le traité de Lisbonne et de ce qui sera demain la réalité de ce procureur, de ce parquet européens. Il n'y pas d'inquiétude à avoir quant au fait que, récemment, nous aurions décidé avec l'Allemagne d'aller quelque peu à l'encontre des positions de nos partenaires de l'Union sur ce sujet. Avec l'Allemagne, nous sommes déterminés, depuis plus de dix ans, à faire en sorte de créer, à partir d'Eurojust, l'esquisse puis la réalité d'un parquet européen.
D'ailleurs, vous ne reprenez pas votre projet initial dans vos amendements : vous allez un tout petit peu plus loin et reconnaissez que le projet initial était un peu restrictif et saucissonnait quelque peu les appels au membre national d'Eurojust. Vous revenez sur cela et reconnaissez implicitement que votre texte initial était un peu réducteur. Je confirme, pour ma part, que le texte adopté par la commission n'est pas un texte aventureux, surtout pas au regard de la démarche engagée depuis plus d'une dizaine d'années par la France conjointement avec l'Allemagne, qui vise à la création d'un parquet européen. Je confirme tout à fait les propos de Jean-Yves Le Bouillonnec. Comme jamais la France, sous aucun gouvernement, n'a montré de timidité s'agissant de la création de cet outil de poursuite à l'échelle européenne pour lutter contre la criminalité transnationale, ne craignez pas que les dispositions que, je l'espère, nous adopterons fragilisent le Gouvernement. En tout cas, nos débats feront foi : il n'est pas question pour nous de fragiliser le travail que poursuit, avec l'Allemagne, notre gouvernement en vue de la création de ce parquet.
Je considère que l'Assemblée est suffisamment éclairée. Nous passons au vote.
(L'amendement n° 20 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l'amendement n° 28 .
Même avis sur cet amendement que sur le précédent. Défavorable, donc.
(L'amendement n° 28 n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l'amendement n° 5 .
Il s'agit de prévoir que l'autorité judiciaire devra motiver le refus opposé à la demande d'autorisation.
Vu l'état du texte, cette disposition me paraît mériter un avis favorable du Gouvernement. (Sourires.)
(L'amendement n° 5 est adopté.)
(L'article 8, amendé, est adopté.)
Il s'agit d'un amendement rédactionnel, de coordination qui précise que, s'agissant de l'exécution d'un jugement privatif de liberté, l'égalité de traitement s'impose entre personnes de nationalité française et ressortissants étrangers, que les personnes concernées fassent l'objet d'un mandat d'arrêt européen ou non.
(L'amendement n° 14 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
Il s'agit simplement de préciser que les observations présentées par la personne détenue qui fait l'objet d'une décision de transfèrement peuvent être orales ou écrites, afin de lui offrir davantage de garanties procédurales.
Favorable à cet amendement qui consacre une liberté, un droit nouveaux.
(L'amendement n° 15 , accepté par la commission, est adopté.)
Cet amendement s'inscrit dans la même logique que le précédent, puisqu'il s'agit encore une fois de préciser que les observations formulées par la personne chargée d'accompagner le mineur concerné peuvent être orales ou écrites.
Avis favorable, puisqu'il s'agit d'offrir une protection au mineur justiciable.
Les observations écrites à joindre au dossier permettront d'éclairer les autorités compétentes au moment de déterminer quelle est la meilleure réinsertion possible. Cette transcription est nécessaire pour que le dossier de la personne mineure condamnée soit le plus complet possible et que le choix de réinsertion soit le plus adapté et le plus éclairé. Cet amendement s'inscrit aussi dans le droit fil de l'engagement du Gouvernement en faveur de la réinsertion et de la prévention de la récidive des mineurs, ainsi que des conclusions du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, rendues publiques le 19 février dernier.
(L'amendement n° 16 , accepté par la commission, est adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 23 .
La disposition en cause nous en offre un bel exemple : la démagogie peut augmenter le nombre d'amendements. Il ne nous reste, certes, plus que cela, puisque nous jouons maintenant à plein notre rôle de chambre d'enregistrement de Bruxelles, mais c'est un autre débat.
Vous maniez les termes juridiques avec de bonnes intentions, mais je crains que cela n'entraîne un certain nombre d'imprécisions. J'aimerais donc quelques éclaircissements. Comment définissez-vous une condamnation pouvant porter atteinte à la situation d'une personne ? Cela laisse quand même une latitude extrêmement large au juge pour créer une exception et donc remettre en cause la réciprocité. De même, qu'est-ce, selon vous, qu'une condamnation en raison de la langue ? Ce sont quand même là des imprécisions majeures.
J'ai aussi du mal à comprendre votre logique. Vous transposez un texte dont l'objet est d'assurer une coopération en matière de justice, une réciprocité, et, dans le même temps, vous estimez qu'il peut arriver, encore aujourd'hui, qu'un pays de l'Union européenne condamne une personne en raison de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques. Voilà qui est inquiétant, et cette hypothèse est tout de même assez étonnante de la part de gens qui ne cessent de défendre le fédéralisme européen.
C'est pourquoi je propose la suppression de cet alinéa.
Tout d'abord, cet amendement m'étonne. Il nie qu'il puisse arriver qu'une personne soit condamnée en raison de son orientation ou son identité sexuelles ; le fait n'est pourtant pas impossible. Je rappelle aussi que, en commission, cette disposition a été adoptée à l'unanimité, y compris, donc, par des collègues de votre groupe.
Ne soyons pas angéliques. Voyez la situation politique actuelle en Hongrie. Tout est possible, comme par le passé.
Il est également erroné de prétendre que la formulation retenue est vague. Elle s'appuie effectivement sur considérant n° 13 de la décision-cadre de 2008. Je vous invite à en prendre connaissance. Par ailleurs, de tels cas de refus d'exécution sont également prévus par le code de procédure pénale, en matière de mandat d'arrêt européen, de gel des avoirs ou de confiscation des biens.
En ce qui concerne, enfin, la mention de l'identité sexuelle au côté de l'orientation sexuelle, celle-ci n'est pas inédite dans la législation française. Je pense à la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel. Il y a donc bien une cohérence.
L'avis de la commission est donc défavorable.
J'émets également un avis défavorable, pour un certain nombre de raisons.
J'ai bien noté, ces dernières semaines, ces derniers mois même, que quelques personnes, dans cet hémicycle, étaient assez obsédées, de manière monomaniaque, par la théorie du genre, qui semble surgir de nulle part et, principalement, de l'enfer. Bien évidemment, ces choses ne relèvent pas de la compétence et de l'expertise du Parlement, encore moins de celles du Gouvernement.
Pour quelles raisons considère-t-on que ce motif de refus d'exécution est légitime ? Tout d'abord, il figure déjà dans la charte des droits fondamentaux et dans notre code de procédure pénale.
Vous prétendez qu'une fois de plus le Parlement sert de chambre d'enregistrement. Évidemment, c'est aux autres parlementaires de vous répondre à ce propos, mais, si vous aviez assisté, à l'ensemble des travaux, vous auriez constaté à quel point c'est un travail dense et d'une grande importance qui a été mené, avec clairvoyance.
J'en profite pour vous confier un message, mais vous n'êtes pas obligée, madame la députée, de le transmettre, puisque mon propos figurera au Journal officiel. Votre appréhension des textes, de la théorie du genre, des hypothèses me paraît tout aussi approximative que les appréciations formulées tout à l'heure par M. Collard. Celui-ci a déclaré que j'avais pris une circulaire pour que toute peine dont le quantum est de deux ans soit dispensée d'exécution. Je pense que vous aurez l'extrême amabilité de porter à sa connaissance le fait qu'il s'agit d'une disposition de la loi pénitentiaire de 2009, et il m'avait complètement échappé que j'étais au pouvoir à cette époque… De toute façon, dans notre droit, une telle disposition ne peut être prise par circulaire ; cette idée est d'autant plus étonnante que c'est un praticien du droit qui l'avançait.
Enfin, notre droit n'est pas fantaisiste, et la loi pénitentiaire a prévu que les peines dont le quantum est, au maximum, de deux ans, peuvent faire l'objet d'un aménagement. Un avocat est censé savoir que semblable possibilité d'aménagement relève du juge, d'abord celui qui prononce la peine et ensuite, éventuellement, le juge d'application des peines, qui ne prend pas une telle décision par caprice mais en se fondant sur le dossier présenté par les conseillers d'insertion et de probation.
Je ne vous faisais évidemment pas un cours de droit, mais la discussion m'offrait le plaisir de dire à quel point nos magistrats sont des magistrats de qualité, qui font leur travail sérieusement et qui jugent selon leur droit. De même, des fonctionnaires, les conseillers d'insertion et de probation, font un travail important en fournissant au juge d'application des peines les éléments qui lui permettent de prendre ses décisions en toute clairvoyance et en toute indépendance, une indépendance que nous renforcerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à Mme Axelle Lemaire, pour soutenir l'amendement n° 24 rectifié .
Cet amendement de précision prévoit l'application de la règle du prononcé obligatoire des peines complémentaires relatives aux armes – règle créée, pour un certain nombre d'infractions graves, par la loi du 6 mars 2012 qui portait précisément sur les armes. Il s'agissait d'ailleurs d'une préconisation de la mission d'information sur les armes, présidée par M. Bruno Leroux et dont M. Claude Bodin était le rapporteur.
L'amendement a pour objet de préciser que le prononcé des peines complémentaires s'applique également, à titre obligatoire, aux crimes de disparition forcée.
Ces dispositions, à notre avis, ne se heurtent nullement au principe de nécessité des peines, compte tenu de la gravité du crime concerné.
Mon avis est également favorable, de même d'ailleurs qu'à l'amendement n° 19 , dont il me semble qu'il aurait pu faire l'objet d'une discussion commune avec celui-ci.
(L'amendement n° 24 rectifié est adopté.)
L'amendement n° 18 de Mme Axelle Lemaire est rédactionnel.
Quel est l'avis de la commission ?
Je vous épargne le décompte tout à fait intéressant que j'ai sous les yeux et émets un avis favorable.
(L'amendement n° 18 est adopté.)
(L'article 15, amendé, est adopté.)
Madame la présidente, mesdames les ministres, chers collègues, la France, au travers de son Gouvernement paritaire et de son ministère aux droits des femmes, le premier de plein exercice depuis vingt-six ans, travaille quotidiennement et ardemment pour atteindre l'objectif d'une égalité réelle entre les hommes et les femmes. La lutte contre les violences faites aux femmes constitue un des aspects centraux de cet engagement, hier avec la mise en place de la MIPROF, demain avec la prochaine loi-cadre, et aujourd'hui par ce texte, qui concrétise, sur le plan international, l'engagement pris par ce gouvernement en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
En effet, son article 16 adapte la législation française à la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul, signée par la France.
Si notre législation est déjà en grande partie conforme aux obligations de cette convention, l'article 16 du projet de loi introduit des dispositions importantes sur les droits reproductifs des femmes et sur leur droit à disposer de leur corps. Il punit le mariage forcé, qui contraint la future épouse à quitter le territoire national, comme une infraction à part entière, alors qu'il était jusqu'ici considéré par le code pénal comme une circonstance aggravante des violences ; il punit la tentative d'avortement sans le consentement de la femme, ainsi que toute promesse ou pression exercée pour soumettre une femme à une mutilation sexuelle.
Ces nouvelles dispositions constituent un premier pas nécessaire à la ratification de la convention d'Istanbul, à laquelle s'est engagée cette année la ministre déléguée aux droits des femmes.
Elles renforcent notre législation en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et protègent mieux les femmes qui vivent sur notre territoire.
Elles constituent également un signal très fort envoyé aux autres pays membres du Conseil de l'Europe. La convention de l'ONU sur le statut de la femme, qui était consacrée cette année aux violences, a bien démontré le poids de la France dans ce combat.
Seuls trois pays ont ratifié, pour l'heure, la convention d'Istanbul. Or, elle ne peut entrer en vigueur que si elle est ratifiée par dix pays, dont huit appartenant au Conseil de l'Europe.
J'espère qu'aux côtés de la Turquie, de l'Albanie et du Portugal, la France saura jouer un rôle moteur pour éradiquer ces violences qui causent chaque année plus de décès que le cancer, le paludisme, les accidents de circulation et les guerres réunis.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l'amendement n° 17 .
Cet amendement vise à apporter aux mineurs une protection particulière, renforcée par rapport à celle offerte aux adultes. En effet, si un mineur subit une mutilation sexuelle, son auteur, et éventuellement la personne qui aura incité à la commission de cet acte, seront condamnés. L'objet de cet amendement est de condamner des mêmes peines les auteurs d'incitation, voire de prosélytisme à la mutilation. Cela permettra en particulier d'intenter une action judiciaire en cas de pressions émanant d'un groupe en vue de soumettre des mineurs à des actes bafouant les droits humains universels.
La commission a accepté cet amendement car, dans ce type d'affaires, les parents font souvent l'objet d'incitations à commettre de tels actes.
Mais, quand bien même la commission a accepté cet amendement, je tiens à rappeler que sa mise en oeuvre se heurterait à deux difficultés techniques.
D'une part, il fait double emploi avec les articles 23 et 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui incrimine les provocations publiques à commettre un crime ou délit. Le présent amendement vise tant les propos tenus publiquement que ceux exprimés dans un cadre privé : la frontière entre les deux pourrait être difficile à tracer.
D'autre part, sans remettre en cause la nécessité de lutter contre la persistance de pratiques culturelles qui valorisent l'excision, il me semble que cette limitation de la liberté d'expression jusque dans la sphère privée est, dans une certaine mesure, trop intrusive et pourrait se révéler contraire à la Constitution.
Au demeurant, un tel délit commis dans un cadre privé serait extrêmement difficile à prouver.
Pour l'ensemble de ces raisons, il serait sans doute préférable que cet amendement soit retiré, mais il convient d'entendre, au préalable, l'avis du Gouvernement. Il pourrait être rediscuté dans le cadre de l'examen d'un futur projet de loi, à l'automne. Techniquement, je le répète, il mérite d'être revu et retravaillé, éventuellement dans le cadre de la navette parlementaire.
Merci, madame la rapporteure. L'amendement a donc bien été accepté par la commission ?
J'entends parfaitement les bémols techniques évoqués par Mme la rapporteure. Pour autant, la position du Gouvernement est plutôt favorable à cet amendement, dans la mesure où les mutilations sexuelles génitales constituent un sujet très précis au sein du sujet plus général des violences faites aux femmes.
C'est une infraction très particulière, plus difficile à dénoncer que les autres, car elle s'opère généralement sur des mineurs, dans un contexte intrafamilial, et n'est pas perçue, pour beaucoup, comme étant une violence en tant que telle. En effet, beaucoup de parents, en pratiquant ces actes, parfois incités par une communauté, n'ont pas le sentiment de mal faire.
Comme je le disais tout à l'heure à titre liminaire, la France s'est distinguée, au cours des dernières décennies, par un combat très actif contre les mutilations sexuelles génitales, qui a notamment emprunté la voie de grands procès, dont la vertu pédagogique est très importante.
Ces grands procès, ces peines renforcées, sont bienvenus, à un moment donné, pour former, d'une certaine façon, l'ensemble d'une population à cette violence bien spécifique qui n'est pas appréhendable aussi facilement et évidemment que les autres.
Le fait d'incriminer l'incitation faite à un adulte de procéder à une mutilation me semble être un pas de plus vers ce cadre global que nous essayons de créer, dans lequel, petit à petit, les adultes comprennent qu'ils agissent mal.
Cet amendement me paraissant bienvenu, j'oscille entre l'avis favorable et la sagesse, mais, la commission ayant émis un avis favorable, je suis encline à faire de même.
Nous maintenons cet amendement.
Par ailleurs, je veux dire à la ministre et, partant, faire remarquer à l'Assemblée, car nous n'en avons pas parlé jusqu'à présent, que cet amendement vise les mutilations sexuelles, et non les mutilations sexuelles génitales. Au cours de nos travaux, nous avons en effet fait face à une difficulté : il nous a été dit que le fait de mentionner ce dernier type de mutilations se traduirait par une discrimination et ne saurait être accepté. Cet argument, qui a été introduit au début de notre débat, m'a d'abord fait bondir, si je puis dire, car il me paraissait difficile de ne pas qualifier les mutilations sexuelles de « génitales ». On nous a fait valoir, j'ai eu l'occasion d'en discuter souvent avec Mme la rapporteure, qu'il fallait conserver l'appellation générique de mutilation sexuelle, principalement parce qu'il semble qu'à l'heure actuelle, sont pratiquées outre-Atlantique des mutilations sexuelles sur de jeunes garçons. Puisque nous voulons prendre en charge la totalité du phénomène, il convient de maintenir cet amendement.
Par ailleurs, le fait de se livrer à l'apologie ne concerne pas nécessairement le domaine privé.
Enfin, s'il peut y avoir des dispositions communes avec la loi sur la presse, il peut être opportun de le repréciser dans ce nouveau cadre.
Je suis assez satisfait d'entendre, de manière très explicite, que le sujet des mutilations sexuelles est au coeur de la question des violences faites aux femmes. J'étais rapporteur de la loi de 2005 et je m'étais permis, avec l'aval de la commission, d'introduire dans cette loi des dispositions – les premières depuis très longtemps – visant à traiter la question des mutilations sexuelles, même commises à l'étranger. On m'avait alors fait le grief, sans que cela prenne de plus amples proportions, d'avoir qualifié des faits qui avaient peu à voir avec les violences faites aux femmes. Le chemin parcouru depuis valide totalement ce point de vue ; les propos tenus par Mme la ministre vont d'ailleurs dans ce sens.
Il convient en effet de maintenir cet amendement mais je veux suggérer à ses auteurs, sans être certain que cela soit possible techniquement, d'en revoir la rédaction, qui me semble quelque peu ennuyeuse, tant au plan de son expression littéraire que de son sens général. Il me semble que mieux vaudrait le rédiger ainsi : « est puni des mêmes peines le fait de provoquer directement autrui à faire subir une mutilation sexuelle à un mineur, même si elle n'a pas été réalisée (…) ». Non seulement cela permettrait, sur le plan grammatical, d'éviter une redondance, mais de surcroît il vaut mieux dire que la même peine s'applique même si l'acte n'a pas été réalisé plutôt que de dire que la même peine s'applique lorsque l'acte n'a pas été réalisé.
Je suggère, à condition, je le répète, que cela soit techniquement possible, que nous parvenions, par sous-amendement, à cette nouvelle rédaction, qui exprime certes la même chose mais d'une manière probablement plus claire et plus compréhensible.
Madame la rapporteure, êtes-vous d'accord avec le texte suivant, tel que M. Geoffroy propose de le modifier : « est puni des mêmes peines le fait de provoquer directement autrui à faire subir à un mineur une mutilation sexuelle, même si elle n'a pas été réalisée, ou d'en faire l'apologie » ?
Je pense que le débat se poursuivra au Sénat. Par ailleurs, je ne propose pas de modification de la rédaction parce que le terme « lorsque » vise explicitement la complicité.
Il me semble que la fin de la phrase s'accorde mal avec votre formulation. Aussi, si vous en êtes d'accord, nous suggérons que la rédaction actuelle soit pour l'heure conservée et qu'elle puisse être peaufinée dans le cadre de la navette.
Les auteurs de l'amendement ne paraissent pas d'accord avec votre proposition, monsieur Geoffroy. La rédaction pourra éventuellement être améliorée lors de l'examen du texte par le Sénat.
(L'amendement n° 17 est adopté.)
(L'article 16, amendé, est adopté.)
Cet article a attiré mon attention, puisqu'il vise à abroger le délit d'offense au chef de l'État afin d'adapter la législation française à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme rendu le 14 mars 2013 dans l'affaire Eon c. France. Cette affaire concerne la pancarte qui avait été brandie lors du passage du précédent président de la République et sur laquelle était inscrite la phrase « casse toi pov'con », des propos qui avaient justifié alors l'utilisation du délit d'offense au chef de l'État à l'encontre de leur auteur.
Il me semble que la suppression ou l'abrogation de ce délit ne va pas de soi. S'attaquer au Président de la République revient en effet à s'attaquer au chef de l'exécutif – bien que, selon la Constitution, ce rôle soit attribué au Premier ministre – mais surtout au garant de l'autorité judiciaire. Le Président, clé de voûte des institutions, garantit ainsi le fonctionnement de l'institution judiciaire. On ne peut donc pas, à mon avis, au nom d'une décision de justice, fragiliser le fondement juridique qui permet à cette même décision juridique de s'appliquer : la possibilité même d'appliquer la jurisprudence Eon contre France pour faire évoluer le droit découle du fait que l'autorité judiciaire, la justice fonctionnent bien dans notre pays. La conséquence logique d'une telle disposition serait donc d'affaiblir celui qui se porte garant de la justice et, par suite, la justice elle-même ; cela revient à se tirer une balle dans le pied.
C'est d'autant moins acceptable lorsqu'on examine la philosophie qui se dégage des considérants de l'arrêt : l'élu est considéré comme un citoyen devant être moins protégé que les autres au motif que sa qualité de personnalité publique exigerait une tolérance plus grande. Je crois au contraire qu'à l'heure où les médias sont de plus en plus massifiés il faut protéger l'élu.
Je conclurai par cette dernière remarque : si on permet aujourd'hui de s'attaquer au chef de l'État, cela signifie qu'un jour on permettra à des gens d'insulter les magistrats et de ne pas respecter leur personne.
Il est important de rappeler quelques éléments de débat, quelques vérités dans cet hémicycle. Mon cher collègue, je vous invite fortement à lire le rapport de la commission des lois, dont vous n'êtes pas membre, car il me semble très explicite.
À travers l'amendement qui a été adopté à l'unanimité de tous les groupes – il faut tout de même le souligner – par la commission, nous voulions rappeler que le Président de la République est protégé, qu'il a des droits, et qu'il n'y a pas de vide juridique sur ce sujet.
Par cette décision, nous avons pris acte de deux éléments.
Tout d'abord, ce délit d'offense est tombé en désuétude. Créé sous l'Ancien Régime, il a été utilisé par le général de Gaulle à cinq reprises, mais on peut comprendre qu'à cette époque, c'est-à-dire après la deuxième guerre mondiale, certaines situations justifiaient de recourir à ce délit. Par la suite, cependant, qu'il s'agisse de M. Pompidou, de M. Giscard d'Estaing, de M. Mitterrand ou de M. Chirac, aucun président n'a fait appel à ce délit d'offense. Il est réapparu avec le précédent président de la République, ce qui a d'ailleurs valu à la France une condamnation le 14 mars dernier à travers l'affaire Eon contre France relative à l'écriteau et que vous avez citée voilà quelques instants.
Ensuite, grâce au projet de loi présenté par la garde des sceaux et le Gouvernement, la possibilité nous est donnée aujourd'hui à travers ces transpositions de montrer que la France est une démocratie moderne. Ainsi que cela est rappelé dans le rapport, « […] le chef de l'État pourra toujours défendre son honneur s'il s'estime insulté, en ayant recours aux incriminations de droit commun, telles que le délit d'injure publique, puni d'une amende de 12 000 euros, le délit de diffamation, puni de 45 000 euros. Par ailleurs, pourront être engagées des poursuites pour outrage, infraction qui est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende […]. » Il y a donc un arsenal juridique qui permet de protéger tout citoyen, y compris le Président de la République.
Monsieur Aubert, vous avez pris la parole sur l'article et vous n'avez pas défendu d'amendement. Je n'avais donc pas d'avis de la commission à donner, mais je tenais néanmoins à vous répondre.
(L'article 17 bis est adopté.)
J'ai évoqué le sujet lors de la discussion générale. Cet amendement permet d'adapter la législation française à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme rendu le 18 avril 2013 qui concluait que la conservation des empreintes d'une personne non condamnée constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée. Il vise dont à permettre la destruction effective des prélèvements des personnes pour lesquelles il y a eu un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. Par ailleurs, si la conservation d'un prélèvement dans un fichier n'apparaît plus nécessaire, alors il paraît également logique que ce prélèvement puisse être effacé.
Je rappelle que la Cour s'est déclarée être « particulièrement attentive au risque de stigmatisation de personnes qui, à l'instar du requérant, n'ont été reconnues coupables d'aucune infraction et sont en droit de bénéficier de la présomption d'innocence, alors que leur traitement est le même que celui de personnes condamnées. »
Je crois savoir néanmoins que la chancellerie prépare actuellement un décret qui pourrait régler cette question. Si Mme la garde des sceaux confirme cette information, il est évident que l'amendement sera retiré pour que ce décret puisse pleinement s'appliquer.
L'amendement de M. Sergio Coronado a été repoussé par la commission pour les raisons que j'ai eu l'occasion de rappeler lors de la réunion de cet après-midi.
Le Gouvernement a en effet la volonté de prendre en compte ces éléments à travers un décret. En outre, sur le sujet des données personnelles, les débats se poursuivent au sein de l'Union européenne pour la rédaction d'une directive et d'un règlement, même si, pour l'heure, ils n'avancent pas. Cela nous permettra en tous les cas de progresser sur ces questions à moyen terme.
Monsieur le député Sergio Coronado, le sujet que vous évoquez est extrêmement important et nous menons à cet égard une rude bataille. Vous le savez, un règlement et une directive sont en préparation à la Commission européenne sur cette question. Le règlement s'imposera évidemment à tous, tandis que la directive nécessitera des transpositions dans chaque État membre.
Nous rencontrons des difficultés sur la nature et la qualité des fichiers : les fichiers de souveraineté et les fichiers commerciaux ne relèvent pas de la même catégorie et impliquent donc des traitements différenciés, mais il existe aussi la catégorie intermédiaire des fichiers qui, sans être de souveraineté, contiennent des données personnelles extrêmement sensibles – je pense par exemple aux fichiers comportant des données relatives à la santé des personnes. Ces derniers ne peuvent être approvisionnés sans qu'il soit accordé aux citoyens un droit de regard à leur sujet.
La position de la France – je l'ai défendue à plusieurs reprises lors des réunions du Conseil « justice et affaires intérieures » de l'Union européenne – consiste à ne pas baisser le niveau de protection sur ces données personnelles : la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée et consolidée depuis lors, est en effet protectrice. Les niveaux de protection diffèrent toutefois selon la nature des fichiers.
Par ailleurs, quant aux fichiers qui n'entreraient pas totalement dans la catégorie que j'ai qualifiée d'intermédiaire, les représentants professionnels exercent une pression forte pour pouvoir en disposer. Cela se conçoit à un moment où il faut consolider le tissu économique et faire en sorte que les entreprises ne soient pas fragilisées par des situations inégales et inégalitaires par rapport à d'autres pays du monde. Pour autant, un certain nombre de dispositions protectrices doivent être prises.
À l'échelon européen, nous nous battons pour défendre notre position. Nous avons notamment obtenu – j'en avais fait la demande lors du dernier Conseil européen – que soient organisées des réunions bilatérales avec la France, les commissions France, afin de préciser ce qu'on entend par guichet et quelles sont les conditions dans lesquelles les citoyens peuvent saisir l'instance leur permettant de contester les données retenues à leur sujet.
Dans l'arrêt du 18 avril 2013 relatif à l'affaire M. K. contre France que vous citez, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que les données du plaignant avaient été conservées de manière abusive. Le fichier concerné, le FAED ou fichier automatisé des empreintes digitales, est géré par le ministère de l'intérieur, qui travaille actuellement au remaniement du décret de 1987 pour en modifier les conditions de gestion et de traitement. En tout état de cause, le nouveau décret sera soumis à la CNIL et au Conseil d'État afin de bénéficier de garanties démocratiques et institutionnelles.
L'enjeu n'en demeure pas moins considérable : le règlement européen s'imposera à tous au sein de l'espace européen – c'est la raison pour laquelle nous voulons durcir les conditions de collecte et d'utilisation – mais la directive que nous aurons à transposer comportera également des dispositions sur lesquelles nous devrons nous montrer vigilants, de préférence en amont, car peuvent intervenir aussi des conséquences en cascade. Un fichier encadré dans l'espace européen pourra par exemple échapper à celui-ci dans le cadre d'une relation entre un pays européen et un autre pays du monde, il pourra être diffusé sur un serveur international dont le contrôle échappe à tout le monde, et ensuite revendu. Nous devons parvenir à encadrer tout cela. Vous avez donc eu raison de nous interroger sur ce sujet majeur.
Quant aux dispositions qui concernent exclusivement les citoyens français, en particulier le FAED, fichier national, elles seront modifiées par la réécriture du décret. Si vous êtes intéressés par ces questions, monsieur Coronado, je vous propose de vous rapprocher de la DACS, la direction des affaires civiles et du sceau, qui en est chargée. Les parlementaires y sont toujours les bienvenus. Vous pouvez si vous le souhaitez passer par le cabinet. Cela vous permettra d'être informé en temps réel de l'évolution de nos discussions avec la Commission européenne.
Pour les raisons que je viens d'exposer, je vous propose de retirer votre amendement.
Je ne suis saisie d'aucune demande d'explication de vote.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron