Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 15 mai 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, ce projet constitue à bien des égards une étape dans l'affirmation d'un droit pénal partagé et commun aux différents États membres de l'Union européenne et, d'une façon plus générale, dans l'affirmation d'un droit international pénal.

Ce projet de loi a en effet pour objet de transposer plusieurs instruments de l'Union européenne et d'adapter notre législation pénale à plusieurs engagements internationaux, adoptés notamment dans le cadre du Conseil de l'Europe ou des Nations unies.

S'agissant du droit de l'Union européenne, ce texte traduit le franchissement d'une étape importante dans la construction de l'espace pénal européen. C'est en effet la première loi de transposition de directives dans le domaine pénal. C'est une conséquence directe de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui a communautarisé ce qui relevait de l'ancien troisième pilier de l'Union européenne, c'est-à-dire la coopération policière et judiciaire pénale.

Pour ce qui est du droit de l'Union, je souhaite faire ici un bref rappel d'histoire récente. Dès 1980, la Cour de justice des Communautés européennes, devenue depuis la Cour de justice de l'Union européenne avait, dans un célèbre arrêt Casati, posé le principe de la nécessité d'une compatibilité du droit pénal national avec la législation européenne : « En principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres. Cependant, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que, également dans ce domaine, le droit communautaire pose des limites. »

Depuis cette date, de nombreux textes ont donné une nouvelle valeur à l'articulation du droit pénal européen avec le droit national. Je ne prendrai que trois exemples.

D'une part, les traités d'Amsterdam, en 1997, et de Nice, en 2001, avaient prévu des dispositions en matière de coopération policière et judiciaire en vue de prévenir et lutter contre la criminalité.

D'autre part, le traité de Lisbonne, en 2007, a formalisé ce qu'il dénomme un espace de liberté, de sécurité et de justice, en donnant compétence à l'Union pour établir des règles minimales, notamment sur l'admissibilité des preuves, les droits des personnes dans la procédure pénale ou les droits des victimes.

Par ailleurs, en 2009, le Conseil européen a établi un programme dit de Stockholm, auquel a fait référence la garde des sceaux et qui entend, entre autres objectifs politiques, renforcer la cohérence des dispositions pénales dans les différents instruments de l'Union, avec notamment la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et, dans le domaine de la détention, l'adoption de définitions communes et de seuils minimaux communs pour les sanctions maximales.

Ainsi, pour faire simple, si les réalisations dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale ont été extrêmement limitées au niveau de l'Union pendant les premières décennies, elles se sont progressivement développées depuis la fin des années 1990, dans le cadre du troisième pilier du Traité sur l'Union européenne.

Nous entrons ainsi, en quelque sorte, dans une troisième phase de l'espace pénal européen. Dans la première, issue du traité de Maastricht, seules des conventions, qui devaient être ratifiées par tous les États membres, et des actions ou positions communes sans portée contraignante pouvaient être utilisées.

À partir du traité d'Amsterdam, ce sont les décisions-cadres, plus efficaces mais dépourvues d'effet direct, qui ont été employées.

Depuis le 1er décembre 2009, l'Union européenne peut adopter des directives, dotées d'effet direct, et la Commission peut déposer des recours en manquement contre tout État membre qui n'aurait pas transposé dans les délais, ou qui aurait mal transposé. Ces recours peuvent conduire à des condamnations par la Cour de justice, à une amende – dont le montant minimal, forfaitaire, est de 10 millions d'euros pour la France – et à une astreinte par jour de retard.

C'est dire toute l'importance d'une « veille européenne » efficace, qui permette d'anticiper les difficultés éventuelles en amont, dès la négociation des directives, et de les transposer ensuite correctement, en temps et en heure.

Le présent projet de loi comporte désormais, après son examen par la commission des lois, vingt-six articles, qui transposent onze instruments européens ou internationaux.

Les articles 1er et 2 transposent la directive de 2011 concernant la lutte contre la traite des êtres humains. C'est la directive dont la transposition est la plus urgente, puisqu'elle devait être effectuée avant le 6 avril 2013. Elle conduit notamment à modifier la définition de l'infraction de traite et à renforcer les droits procéduraux des mineurs victimes.

L'article 3 transpose la directive de 2010, relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.

L'article 4 transpose la directive de 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants. Il aggrave certaines peines et crée ou étend certaines infractions en la matière.

Les articles 5 et 6 transposent la décision-cadre de 2009 sur les décisions rendues en l'absence de la personne concernée lors du procès.

Les articles 7 et 8 transposent la décision de 2008 sur le renforcement d'Eurojust, dont le caractère opérationnel et l'efficacité seront accrus. Nous aurons l'occasion d'y revenir au moment de la discussion sur les amendements, mais je voulais rassurer la ministre et lui dire que nous n'avons nullement la prétention d'anticiper sur un règlement européen. Les propositions que la commission des lois a adoptées à l'unanimité témoignent simplement de notre volonté de ne pas nous contenter d'une transposition a minima, dans la limite des trois possibilités qu'offre la décision-cadre en débat.

Les articles 9, 20, 21 et 22 transposent la décision-cadre de 2008, qui a pour objet de faciliter les transfèrements de condamnés entre États membres.

L'article 10 transpose le troisième protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949, qui a créé un signe distinctif humanitaire additionnel, le « cristal rouge », dont l'usage doit être encadré.

Les articles 11 et 12 transposent une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, qui a institué, pour succéder aux deux tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, une juridiction intitulée « mécanisme résiduel », chargée d'exercer les fonctions restantes de ces deux juridictions.

Les articles 13, 14 et 18 transposent une convention des Nations unies de 2006 relative aux disparitions forcées.

Les articles 15 et 23 adaptent la législation française à l'accord de 2006 entre l'Union européenne et la Norvège et l'Islande, qui met en place un mécanisme inspiré du mandat d'arrêt européen avec ces deux pays. L'article 15 met également notre droit en conformité avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 septembre 2012 sur le mandat d'arrêt européen.

Les articles 16 et 17 transposent la convention du Conseil de l'Europe de 2011 sur les violences faites aux femmes.

Enfin, l'article 19 répare une omission de la loi du 9 août 2010 sur la Cour pénale internationale, en prévoyant l'inscription des auteurs de crimes contre l'humanité au Fichier national automatisé des empreintes génétiques.

Je voudrais, en conclusion, dire quelques mots de l'esprit dans lequel j'ai cherché à travailler en tant que rapporteure de ce projet de loi. Notre sentiment premier, lorsque le Parlement est saisi d'un projet de loi de transposition, pourrait être que le législateur a peu de marges de manoeuvre pour modifier le texte qui lui est soumis. Certes, nombre d'éléments des textes européens et internationaux sont contraignants pour le législateur – d'où l'intérêt de la veille européenne que nous assurons avec Guy Geoffroy pour les textes relevant de la compétence de la commission des lois. Néanmoins, le rapporteur d'un projet de loi tel que celui dont notre assemblée est saisie peut jouer un double rôle.

Il peut d'abord chercher à s'assurer que la transposition est exhaustive et fidèle, et que le projet de loi n'a pas omis de transposer ou mal transposé – ne serait-ce que sur un strict plan rédactionnel – le texte européen ou international. La majorité des modifications que la commission des lois a apportées au texte a ainsi eu pour objet d'améliorer la qualité et la fidélité de la transposition réalisée par le projet de loi : sur l'article 4, par exemple, une nouvelle infraction a été créée, afin de transposer l'obligation de pénaliser l'assistance à un spectacle pornographique impliquant la participation d'un enfant.

Ensuite, il peut chercher à utiliser au mieux les marges de manoeuvre dont dispose le législateur national dans l'exercice de transposition, car ces marges existent, et le législateur a encore un certain nombre de choix politiques à faire lorsqu'il transpose des textes européens ou internationaux.

Je donnerai ici deux exemples de modifications opérées par la commission des lois, qui, tout en étant pleinement conformes aux textes internationaux à transposer, consistent à aménager les choix de transposition proposés par le projet de loi du Gouvernement.

Sur l'article 8 relatif à Eurojust, le texte à transposer laisse trois options possibles concernant les pouvoirs conférés au membre national d'Eurojust pour accomplir certains actes d'investigation. Les pouvoirs prévus peuvent être soit de simples pouvoirs de proposition, soit des pouvoirs décisionnels, sur demande ou autorisation d'une autorité judiciaire compétente, soit encore des pouvoirs propres exercés sans demande ni autorisation, en cas d'urgence. La commission des lois a choisi de ne pas transposer le texte a minima et de privilégier l'une des options offertes par la décision à transposer.

Sur l'article 9, qui prévoit la possibilité de transférer une personne condamnée à une peine de prison d'un État membre à un autre sans son consentement, la commission des lois a ajouté un cas de refus de ce transfèrement : le cas où il a été porté atteinte aux droits fondamentaux de la personne condamnée parce qu'elle a été condamnée en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou encore de son orientation ou identité sexuelle.

Dans ces deux cas, notre assemblée a su, me semble-t-il, faire entendre une voix distincte et constructive.

Je souligne enfin que la commission des lois a adopté un amendement tirant les conséquences de l'arrêt du 14 mars dernier, par lequel la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, dans l'affaire Eon, pour violation de l'article 10 de la Convention, garantissant la liberté d'expression. Le nouvel article 17 bis du projet de loi abroge à cette fin le délit d'offense au chef de l'État. Cette incrimination, héritière du crime de lèse-majesté de l'Ancien Régime, constitue un privilège exorbitant qui n'a plus sa place dans une démocratie moderne.

L'adoption à l'unanimité par la commission des lois de cet amendement a fait l'objet, à ma grande surprise, de nombreux commentaires dans les journaux étrangers, soulignant l'évolution positive qu'elle constituait pour de nombreux observateurs de notre pays et de sa justice. Le délit d'offense à chef d'État étranger a d'ailleurs été abrogé, pour les mêmes raisons, en 2004.

D'autres améliorations ou compléments seront apportés au texte, je l'espère, cet après-midi. Je songe notamment aux amendements à l'article 1er de nos collègues Axelle Lemaire et Catherine Coutelle et des membres du groupe SRC, qui tendent à améliorer encore la rédaction des dispositions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi qu'aux amendements visant à créer trois nouvelles infractions relatives au travail forcé, à l'esclavage et à la servitude.

Il s'agit là d'avancées importantes qui combleront de vraies lacunes de notre droit et dont, je l'espère, notre délibération pourra, le cas échéant, encore améliorer la définition et la portée.

Pour toutes ces raisons, la commission des lois vous invite, chers collègues, à adopter le texte dont notre assemblée est saisie aujourd'hui et à faire un pas supplémentaire sur la voie de la coopération européenne et du droit pénal européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

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