S'il est normal que le ministre du travail siège aujourd'hui à l'Assemblée pour l'examen de cette proposition de loi, je trouve tout aussi normal qu'il puisse assister à cette conférence de presse. La courtoisie républicaine autorise tout à fait cette démarche.
Pour en revenir à la proposition de loi du groupe GDR, nous devons tout d'abord admettre que dans le droit positif français ni la loi ni la jurisprudence ne reconnaissent la notion de licenciement boursier. Cette expression est née quand, suite à l'annonce de plans sociaux importants, le cours de certaines actions est monté de façon spectaculaire. Cette notion recouvre donc une pratique qui vise à comprimer la masse salariale pour augmenter le résultat de l'entreprise dans le cadre d'une financiarisation de l'économie et pour répondre à l'exigence de certains propriétaires d'entreprise – appelons un chat un chat – de recevoir un retour sur investissement à un taux très important, entre 10 et 15 %.
Dans ma circonscription ou alentour, cela s'est traduit à deux reprises par des fermetures pures et simples d'entreprises qui étaient bénéficiaires, et qui étaient loin d'être petites. C'est ainsi que dans le Loir-et-Cher, Epeda, une entreprise de 400 salariés qui faisait des bénéfices, a été rachetée puis purement et simplement fermée par un groupe qui n'avait eu de cesse que de faire remonter les marques au niveau de sa holding. Ce sont donc 400 emplois qui ont été perdus dans un secteur qui n'avait pas besoin de cela. Il nous faut vraiment nous donner les moyens de combattre de telles pratiques.
Je prendrai dans un secteur différent un autre exemple de fermeture d'entreprise que j'ai pu observer, celui d'une petite entreprise de quarante salariés, à Saint-Laurent-Nouan, à côté de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux. Elle comptait quarante salariés qui fabriquaient des catalyseurs, c'est-à-dire un élément permettant d'activer une réaction chimique, et avait réalisé un beau bénéfice. Mais il fallait construire une station d'épuration complémentaire pour satisfaire aux normes écologiques. On a trouvé plus simple de fermer l'entreprise pour la reconstruire avec transfert de technologies en Pologne, pays où les normes écologiques sont moins contraignantes et les salaires plus bas.
Que l'on se dote d'outils pour combattre ce type de pratique me semble donc être de bonne analyse et, sur ce point, je partage comme le ministre du travail le souci du groupe GDR : le problème existe et il mérite d'être traité. Cela étant, ce n'est pas parce que le problème existe qu'il est bien traité par la proposition de loi.
Pour autant, je rejoins également le groupe GDR s'agissant du moyen juridique employé pour ce type de licenciement, autrement dit celui de la sauvegarde de la compétitivité : pour sauvegarder la compétitivité et pour éviter de futures difficultés économiques, on envisage une restructuration de l'entreprise, donc des licenciements économiques. Mais si le problème est bien identifié, je crains que le texte n'y réponde mal.
La première raison tient à un problème de méthode. Nous sortons en effet d'une négociation entre les syndicats de salariés et les syndicats d'employeurs, une longue négociation qui aurait très bien pu porter sur cette question si les négociateurs l'avaient voulu. Or ils n'ont pas souhaité revenir sur la définition de la cause réelle et sérieuse de licenciement, qui est assez complexe.
Pour notre part, nous avons travaillé, dans le cadre de la transposition de l'accord national interprofessionnel au sein du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, combattu par le groupe GDR, sur un autre aspect : la réglementation du plan de sauvegarde de l'emploi.
Intellectuellement, il reste possible de travailler sur la cause réelle et sérieuse, mais d'un point de vue procédural il serait souhaitable de revenir vers les partenaires sociaux. C'est l'engagement qu'avait pris le Parlement lors de la législature précédente en adoptant un protocole de consultation des partenaires sociaux – protocole Larcher au Sénat, protocole Accoyer à l'Assemblée nationale – s'agissant, en application de la loi Larcher, des textes entrant dans le champ de l'article L. 1 du code du travail. Ainsi, même pour une proposition de loi, nous devrions saisir les partenaires sociaux. Cela étant, il ne serait pas raisonnable, alors qu'ils viennent de terminer une négociation et de poser leur plume, de leur demander, sur un sujet extrêmement proche de ceux sur lesquels ils se sont penchés, de reprendre immédiatement leurs travaux.
Pour cette seule raison, la proposition de loi qui nous est soumise ne serait donc pas souhaitable car elle reviendrait, d'une certaine façon, à manquer de respect à ces derniers en leur demandant, alors que l'encre n'est pas encore sèche, de remettre l'ouvrage sur le métier.
Mais il est une deuxième raison pour laquelle la proposition de loi ne me paraît pas de bonne méthode. Comme l'a très honnêtement reconnu M. Chassaigne, elle pose un problème de constitutionnalité. Les articles tels qu'ils sont rédigés sont manifestement incompatibles avec la Constitution telle que le Conseil constitutionnel l'a interprétée par sa décision de 2002 déjà citée – je n'y reviens donc pas. Avec ce texte, ses auteurs anticipent donc soit une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – mais rien ne permet de le faire –, soit une modification de la Constitution – mais ce n'est pas de cette question dont nous sommes saisis. Il y a donc inadéquation entre l'objet et le moyen. C'est la deuxième raison pour laquelle nous ne pouvons pas adopter la proposition de loi.
Quant à la troisième raison, elle tient à l'adoption définitive par le Sénat avant-hier, contre l'avis du groupe GDR, du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. La loi n'étant pas promulguée et le Conseil constitutionnel, saisi, n'ayant pas encore rendu sa décision, elle n'a pas encore modifié dans les faits et de façon importante l'état du droit. Il n'empêche que si nous adoptions cette proposition de loi, nous mènerions une véritable politique de Gribouille puisque l'état du droit étant potentiellement et lourdement modifié la proposition de loi n'en tiendrait aucun compte ! Les amendements présentés ce matin en commission au titre de l'article 88 n'en tiennent d'ailleurs pas davantage compte.
De ce point de vue, il semble donc difficile de débattre des articles 3, 4, 5 et 6, car nous discuterions alors en fonction d'un état du droit qui sera modifié dans un mois. Il y a là un véritable problème de timing.
Cela dit, je ferai un petit commentaire s'agissant du coeur de la proposition. Je cite l'article 2, alinéa 2 : « Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d'emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l'entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d'exploitation positifs au cours des deux derniers exercices comptables. » Je reprends point par point.
Si un salarié prend sa retraite à taux plein parce qu'il l'a souhaité ou qu'il démissionne, ce sera, dans l'hypothèse où il ne serait pas remplacé, un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Si par ailleurs on a constitué des réserves – je termine, monsieur le ministre, pour que vous puissiez arriver à l'heure à l'Élysée (Murmures sur les bancs du groupe UMP), sachant qu'en tout état de cause mon temps de parole est pratiquement épuisé – il y a au-delà de la réserve légale qui doit être alimentée dès lors qu'il y a des bénéfices, un résultat d'exploitation qui peut être positif au cours des deux derniers exercices comptables – ce n'est même pas un résultat courant. On peut donc imaginer l'hypothèse d'une entreprise en cessation de paiement qui a néanmoins un résultat d'exploitation positif – cela arrive tous les jours – et qui ne pourrait pas licencier. Dans ce cas, nous sommes bien au-delà de l'objectif affiché : s'attaquer à la notion de sauvegarde de la compétitivité.
Pour toutes ces raisons, le groupe SRC ne votera pas cette proposition de loi.