La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans l'annonce d'un plan social dans une grande entreprise.
On attribue ces suppressions d'emploi à la crise économique. Mais même les entreprises qui gagnent de l'argent et distribuent des dividendes licencient des salariés français. Elles ne le font pas parce qu'elles sont en difficulté. Elles le font pour des raisons financières. Ces licenciements, qu'on qualifie de boursiers, ont un but unique : préserver le taux de rentabilité du capital.
Le grand public a découvert les conséquences de cette conception purement financière et rentière de l'économie bien avant la crise de 2008, lors de l'affaire Michelin – j'en parle d'autant mieux que mon père a été ouvrier à la manufacture durant toute sa vie professionnelle. En 1999, la direction de ce groupe annonçait, dans le même temps, une augmentation de ses bénéfices, une distribution généreuse de dividendes aux actionnaires et 7 500 suppressions d'emploi.
Ces suppressions étaient motivées par le risque allégué d'une offre publique d'achat hostile sur les titres du groupe. Dès le lendemain de l'annonce du plan social, le cours de bourse de l'entreprise bondissait de 12 %. Ce scénario a été souvent rejoué par la suite et pas seulement dans des secteurs industriels traditionnels, liés à l'automobile ou à la sidérurgie.
Même dans les technologies de pointe, on assiste à des suppressions de postes, avec ou sans licenciements. Je ne prendrais qu'un exemple récent, celui de Sanofi, qui a particulièrement retenu l'attention des membres de la commission des affaires sociales.
Sanofi a réalisé 33 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011 et dégagé près de 9 milliards d'euros de bénéfices. La société a reversé la moitié de cette somme, soit l'équivalent de sa masse salariale en France, à ses actionnaires. Le 5 juillet 2012, sa direction annonce pourtant un plan de restructuration de ses activités de recherche. Ce plan prévoit des centaines de suppressions de postes dans les centres de recherche français, alors même que l'entreprise a bénéficié, monsieur le ministre, de 126 millions de crédits d'impôt recherche !
À la suite de l'annonce de ce plan, la commission des affaires sociales a entendu les représentants de la direction de l'entreprise et ceux des syndicats. Ces auditions ont révélé que la restructuration prévue n'avait qu'un seul but : augmenter la rentabilité du capital de l'entreprise, en délocalisant ses activités de recherche et de production de vaccins et de médicaments en Asie, pour réduire les coûts salariaux, gonfler les marges et rassurer les actionnaires.
La plupart des grandes entreprises françaises s'engagent dans ces stratégies d'optimisation internationale de leur production industrielle. Elles ferment leurs installations en France, ouvrent des sites dans des pays à faible coût de main-d'oeuvre, quitte à réimporter ensuite les produits. Ces stratégies, désastreuses pour l'emploi, scandalisent l'opinion publique.
Les Français attendent de leurs autorités politiques, administratives et judiciaires, qu'elles agissent pour défendre la production et les emplois en France. Au lieu de cela, la politique suivie depuis plus de dix ans consiste à profiter de ces stratégies d'entreprise et du chômage de masse qu'elles provoquent pour aligner progressivement les coûts salariaux français sur le moins disant mondial.
Monsieur le ministre, je lis dans le compte rendu du conseil des ministres du 17 avril que « la restauration de la compétitivité perdue au cours des dix dernières années repose à la fois sur une baisse du coût du travail et sur un soutien à l'investissement productif. » Vous avez bien entendu, mes chers collègues : le Gouvernement considère qu'il est indispensable de baisser les salaires !
Sans même évoquer l'injustice sociale d'une telle mesure, le Gouvernement assume pleinement le risque de plonger l'économie dans la déflation. Pourquoi ? Parce qu'il applique une doctrine économique ultralibérale, qui prétend que la baisse des salaires fait spontanément disparaître le chômage. En réalité, la baisse des salaires a surtout pour effet de rétablir les marges des entreprises jusqu'à des taux de rentabilité de 15 %, propres à satisfaire les fonds d'investissement internationaux et les rentiers.
Cette doctrine soutient qu'une entreprise est constituée pour l'avantage exclusif des détenteurs de son capital social et qu'il n'appartient qu'à ces derniers de décider du sort de l'entreprise et de ses salariés.
Cette doctrine ne se contente pas d'inspirer les décisions politiques qui plongent et replongent le pays dans la récession depuis 2008. Elle s'insinue jusqu'au coeur du droit du travail français.
Pour parvenir à leurs fins, les ultra-libéraux utilisent deux moyens : le démontage du droit du licenciement économique et le contournement de ce droit par des conventions dérogatoires.
Pour démonter le droit du licenciement économique, ils se servent d'un motif de licenciement qui n'est pas dans la loi mais qui a été inventé par la jurisprudence : l'argument de la sauvegarde de la compétitivité des entreprises.
Cet argument a échappé à ses inventeurs. Il justifiait des licenciements quand la poursuite de l'activité des entreprises était directement et immédiatement menacée par des difficultés économiques ou des mutations technologiques. Le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2002 portant sur un amendement qui visait les licenciements boursiers à la suite de l'affaire Michelin, a étendu la portée de cet argument au-delà du raisonnable. La menace alléguée par l'employeur pouvait être non pas réelle et immédiate, mais anticipée, au nom de prévisions économiques invérifiables, puisque le juge judiciaire ne trouvera pas, dans les comptes de l'entreprise, de preuve de la réalité et du sérieux de la menace invoquée, parce que cette menace n'est qu'hypothétique. Elle repose sur des anticipations économiques de plus en plus lointaines qui justifient les stratégies financières les plus cyniques.
Le Conseil constitutionnel interdit en outre au juge d'apprécier la pertinence des mesures de restructurations prévues pour contrer la menace invoquée au nom de laquelle tout est permis, au motif qu'il substituerait son appréciation à celle de l'employeur. Laissez-faire, laissez-passer, telle est l'orientation libérale de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui subordonne aujourd'hui le droit à l'emploi au droit de la libre disposition, par ses propriétaires, du capital des entreprises.
Le démontage du droit du licenciement n'est cependant plus le seul fait d'un Conseil constitutionnel mal inspiré. Le législateur est allé plus loin. Il a autorisé le contournement du droit du licenciement économique par des conventions dérogatoires. Ces conventions léonines sont une parodie de dialogue social. C'est sous la menace d'un licenciement économique ou d'une délocalisation que les employeurs obtiennent des salariés et de leurs représentants qu'ils consentent à des baisses de salaires et à un durcissement de leurs conditions de travail. Le droit civil annule les conventions obtenues sous la menace. Le nouveau code du travail les encourage. Le droit du licenciement est bafoué par le système des ruptures conventionnelles qui, sous couvert de désaccord mutuel sur la poursuite d'un contrat de travail, dissimulent en réalité des licenciements économiques, comme l'attestent les chiffres et les études qualitatives. Le nombre des licenciements économiques a diminué de moitié depuis la mise en place de ces ruptures. Il est revenu à un étiage de 14 000 par mois, qui correspondait à son niveau d'avant la crise. À l'inverse, les ruptures conventionnelles ont atteint le chiffre de 30 000 par mois et la plupart d'entre elles sont à l'initiative de l'employeur.
L'instauration de ce genre de mécanisme inique dans le code du travail n'est pas l'apanage de l'ancienne majorité parlementaire. Le droit du licenciement est à nouveau bafoué par le projet de loi dit de sécurisation de l'emploi, qui fait à présent interdiction au juge naturel du contrat de travail de connaître de ces conventions dérogatoires.
Il est encore temps qu'une majorité de gauche se ressaisisse et oppose à cette fuite en avant dans la dérégulation une volonté déterminée de préserver l'emploi par le droit et de défendre les droits des salariés. Il faut arracher les entreprises à l'emprise hypnotique et morbide de la financiarisation en rappelant à leurs dirigeants que la rentabilité du capital n'est pas l'unique intérêt qui doit guider leurs décisions stratégiques. Il faut mettre un terme aux licenciements boursiers et réhabiliter le droit du travail.
Plusieurs initiatives législatives ont déjà été prises par des sénateurs et députés de gauche pour empêcher les licenciements boursiers. J'ai fait allusion à une disposition ajoutée par amendement au projet de loi sur la modernisation sociale, en juin 2001, puis annulée par le Conseil constitutionnel.
Cet amendement précisait la définition légale du licenciement économique afin d'empêcher que son imprécision serve de justification à des licenciements boursiers ou abusifs. En février 2012, des sénateurs issus de tous les rangs de la gauche ont soutenu une proposition de loi qui avait le même objectif. Celle qui est soumise à votre approbation tend aux mêmes fins.
Le 24 avril, les membres de la commission des affaires sociales ont exprimé leur préoccupation devant les dérives combattues par ce texte, même si seuls ceux des groupes GDR et Écologiste l'ont voté. Tous ont compris qu'il ne s'agit nullement de restreindre la liberté d'entreprendre, mais au contraire de composer deux droits constitutionnels, celui d'avoir un emploi et celui d'en créer. La proposition de loi vous invite à résister à la tentation pernicieuse d'un démontage du droit du licenciement. Elle vous invite à refuser les licenciements boursiers et à mettre un terme aux abus qu'autorise l'allégation juridique de la sauvegarde anticipée de la compétitivité des entreprises.
L'article 1er pose une définition sans ambiguïté du licenciement économique. Cette définition écarte l'interprétation extensive de l'article L. 1233-3 du code du travail, qui permet aux employeurs de justifier des licenciements au nom d'une sauvegarde, par anticipation, de cette compétitivité. Restent trois motifs de licenciements économiques licites : la cessation d'activité, les difficultés économiques et les mutations technologiques, à condition d'en faire la preuve et de préciser les mesures prises pour limiter le nombre de suppressions d'emplois.
L'article 2 interdit les licenciements abusifs sans cause réelle et sérieuse, en particulier ceux souhaités par des entreprises qui ont fait des bénéfices au cours des deux derniers exercices comptables. De la même façon, distribuer des dividendes, des stock options ou des actions gratuites, ou procéder à une opération de rachat d'actions sera considéré comme une preuve irréfragable d'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement économique.
L'article 3 prévoit le remboursement des aides publiques accordées pour maintenir des emplois, lorsque le licenciement pour motif économique des salariés qui occupaient ces emplois aura été jugé sans cause réelle et sérieuse.
L'article 4 donne la possibilité au juge judiciaire d'apprécier au fond, et non plus seulement sur la forme, les licenciements économiques collectifs qui lui sont soumis. Il s'assurera que l'employeur a respecté ses obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Il s'assurera aussi de la sincérité et de la loyauté de l'information fournie aux représentants du personnel.
La nullité doit sanctionner les procédures de licenciement jugées irrégulières pour une raison de forme, comme aujourd'hui, mais aussi pour une raison de fond, comme l'indique la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, exposée dans le récent arrêt Viveo France.
Les articles précédents rétablissent le droit du licenciement économique dans ses principes. Le droit du licenciement restauré, il faut encore empêcher l'extorsion, à des salariés désemparés, abandonnés et soumis aux menaces de licenciement et de délocalisation de leurs emplois, d'un consentement donné à des conventions dérogatoires qui les privent des protections accordées par ce droit. Les articles suivants empêchent son contournement par ces conventions léonines.
Les articles 5 et 6 mettent fin aux licenciements économiques que l'employeur tente de dissimuler en se soustrayant au seuil des dix salariés ou en les faisant passer pour des refus individuels d'accepter une modification du contrat de travail, par exemple sous prétexte d'accord sur la réduction du temps de travail.
L'article 7 abroge la rupture conventionnelle des contrats de travail, qui ruine le droit du licenciement.
L'article 8 enfin abroge l'accord qui permet aux entreprises d'au moins trois cents salariés de ne plus informer complètement et loyalement le comité d'entreprise sur les projets de licenciement économique, sous prétexte d'informer directement les salariés.
J'espère, monsieur le ministre, chers collègues, que ces dispositions de bon sens, fidèles aux principes européens du droit du travail, rencontreront un large soutien dans les rangs de la majorité de gauche de cette assemblée et arracheront les dirigeants politiques et les entrepreneurs aux mirages libéraux qui entraînent les économies européennes dans l'abîme et les peuples dans le désespoir et la colère. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La parole est à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c'est avec un sentiment partagé, un sentiment double en réalité, que je prends aujourd'hui la parole devant vous.
En effet, il me semble que nous parlons ici d'un enjeu véritable : comment lutter contre les licenciements abusifs ? Comment combattre cette sorte de préférence pour le licenciement dont font montre, dans notre pays, trop d'entreprises ? Ces enjeux, je les partage, ils étaient dans le programme sur lequel François Hollande a été élu il y a un an, ils font partie du changement attendu et nécessaire. Nous nous retrouvons donc sur cet objectif.
En revanche, j'ai le sentiment que le texte qui nous est proposé n'y répond pas de la bonne façon. Il ignore en particulier ce qui a été fait ces derniers mois et qui va s'appliquer dans quelques semaines ; il vise selon moi davantage l'affichage que l'efficacité, sans parler de son applicabilité puisqu'il est contraire sur certains points à des principes constitutionnels.
Le renchérissement des licenciements abusifs était un engagement du Président de la République, encore candidat, et nous en avons fait un enjeu de la loi sur la sécurisation de l'emploi, en son article 13 d'abord, mais également au-delà, dans toutes les dispositions qui donnent de nouveaux pouvoirs de négociation et d'anticipation aux représentants des salariés. L'objectif est clair : éviter les licenciements, quels qu'ils soient, et renchérir de fait ceux qui sont clairement abusifs, dans des proportions suffisantes pour que cela soit dissuasif.
Nous en avons longuement débattu dans cet hémicycle, et je retrouve dans votre proposition de loi, monsieur le président Chassaigne, de nombreux amendements que vous aviez défendus au cours de ce débat sur le projet de loi de sécurisation. Les heures – utiles – de discussion que nous avons eues alors vous ont montré que nous avions pris cette question à bras-le-corps. Nous l'avons fait globalement, au-delà de ce que peut faire une simple loi d'interdiction.
Je voudrais ici donner trois exemples de ce que la loi sur la sécurisation de l'emploi, désormais loi de la République puisque le Sénat l'a votée, sous réserve de l'approbation – dont je ne doute guère – du Conseil constitutionnel, va changer en matière de licenciements collectifs.
Aujourd'hui, les choix unilatéraux de licenciement que fait l'employeur, choix simplement soumis à un avis non contraignant du comité d'entreprise, sont possibles. Demain, plus aucune procédure de licenciement collectif ne pourra aboutir si elle n'a pas donné lieu, soit à un accord collectif majoritaire, soit à un plan de l'employeur homologué par l'administration, lorsque la négociation n'a pas pu aboutir. Votre proposition de loi le souhaite ; cela a été voté au Sénat il y a deux jours – malheureusement sans l'appui des sénateurs communistes.
Ensuite, l'accord collectif majoritaire pourra arrêter le contenu d'un plan social. Le licenciement, pour être ainsi accepté selon cette nouvelle procédure, sera désormais négocié et donnera lieu à des contreparties et à des engagements – je ne peux pas imaginer que les syndicats majoritaires d'une entreprise acceptent de négocier des licenciements manifestement abusifs comme ceux que vous voulez combattre. La recherche d'un accord collectif est donc la meilleure arme contre les licenciements abusifs et le meilleur moyen d'affronter les restructurations qui n'auraient pu être évitées par les nouveaux outils d'anticipation qu'instaure par ailleurs la loi de sécurisation de l'emploi.
Enfin, dans le cas du plan de l'employeur soumis à l'homologation par l'État, les délais actuels de discussion des projets entre la direction et le comité d'entreprise sont sensiblement allongés par la loi sur la sécurisation de l'emploi, qui crée en même temps les conditions pour que ces nouveaux délais soient réellement respectés et utilisés pour un échange réel sur le projet et les mesures sociales.
Puis vient l'homologation par l'administration, dans un délai de vingt et un jours, ce qui permettra de s'assurer de la régularité des procédures de consultation, et surtout de l'adéquation entre la situation et les moyens dont dispose l'entreprise, ou le groupe auquel elle appartient, et les mesures d'accompagnement prévues dans le PSE. Autrement dit, l'administration ne se contentera plus de lettres d'observation sans conséquences réelles, mais son avis sur la qualité des mesures du PSE sera désormais incontournable.
Et c'est là, dans ce moment-clé, que, pour pouvoir être homologués, les licenciements demandés par les groupes qui font des profits, et ont donc des moyens financiers, seront fortement renchéris. Leur coût élevé sera dissuasif ou garantira au moins une meilleure sécurisation des parcours professionnels des salariés concernés.
Mesdames et messieurs les députés, cette nouvelle loi de sécurisation de l'emploi décourage les licenciements abusifs grâce à des instruments effectifs et concrets, qui plus est négociés.
C'est un choix qui consiste à faire confiance aux acteurs de l'entreprise, qui sont les meilleurs connaisseurs de leur situation. Les nouveaux dispositifs fondés sur la négociation et l'anticipation constituent de bien plus sûres armes pour améliorer la capacité d'adaptation de nos entreprises en sécurisant l'emploi et les parcours professionnels.
La proposition de loi sur les reprises de sites que nous examinerons ensemble prochainement complétera ces avancées importantes.
Alors, si par votre proposition de loi, il s'agit d'affirmer ensemble, au-delà des clivages momentanés, que les licenciements abusifs doivent être découragés, nous en sommes d'accord, d'autant plus que nous avons déjà mis en place les instruments pour les combattre. Mais, je vous le disais, j'ai aussi le sentiment que, au-delà de votre louable volonté, cette proposition de loi procède plus de l'affichage que de la recherche d'effets concrets.
Je m'explique. Vous proposez de restreindre le champ du licenciement pour motif économique en supprimant la notion jurisprudentielle de « sauvegarde de la compétitivité ». Mais le licenciement économique est déjà très encadré : la Cour de cassation – vous y avez fait référence – a imposé, pour le recours à la sauvegarde de compétitivité, que l'employeur démontre sans équivoque, éléments chiffrés à l'appui, que la restructuration qu'il met en oeuvre répond à des impératifs structurels ou conjoncturels objectivement établis, et non à une simple volonté d'accroître ses profits.
Le contrôle est d'autant plus strict que la démonstration de la nécessité de sauvegarder la compétitivité doit s'effectuer non plus simplement au niveau de l'entreprise à laquelle appartient le salarié licencié, mais au niveau de la branche d'activité du groupe concerné. Si la branche d'activité est mondiale, l'appréciation du motif se fait à l'échelle mondiale. En conséquence, une entreprise qui perdrait de l'argent sur ses activités en France n'aurait pas de motif économique réel et sérieux si la même activité gagne beaucoup d'argent au niveau mondial. La France a donc une définition très stricte du motif économique.
De surcroît, vous le savez bien, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi ne passerait pas l'épreuve du Conseil constitutionnel. Le débat en commission des affaires sociales l'a rappelé et vous l'avez vous-même souligné.
Est-il besoin en effet de rappeler le considérant appliqué par le Conseil en 2002 à la loi de modernisation sociale, selon lequel « en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l'entreprise que si cette réorganisation est “indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise” et non plus, comme c'est le cas sous l'empire de l'actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, cette définition interdit à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ». Vous l'avez relevé, monsieur Chassaigne, en invitant le Conseil constitutionnel à modifier sa jurisprudence…
Je ne suis pas persuadé qu'il répondra à votre invitation… Mais là n'est pas l'essentiel.
On le voit bien, deux logiques s'affrontent, même si l'objectif de lutte contre les licenciements abusifs est le même. D'un côté, une proposition, la vôtre, qui relève plus de la proclamation de convictions – légitimes – que de la volonté d'avoir un effet sur le réel ; de l'autre, notre logique, et celle de la majorité des partenaires sociaux, qui consiste en une recherche du compromis par la négociation, dans un espace de droits garantis, en prise avec la réalité des entreprises et celle des salariés à qui elle offre une arme de dissuasion concrète contre les licenciements abusifs.
Je conçois et je respecte le fait que certains ne croient pas au compromis au motif que les intérêts sont divergents dans l'entreprise ; je sais la tradition intellectuelle et politique qui est la leur. Je crois, pour ma part, que c'est parce que les intérêts ne sont en effet pas les mêmes que la négociation, aussi dure et âpre soit-elle quand s'engage le rapport de force, peut aboutir.
Enfin, l'article 7 de votre proposition de loi, qui vise à supprimer la rupture conventionnelle, relève de la même problématique. Depuis sa mise en place en août 2008, plus d'un million de ruptures conventionnelles ont été homologuées. En moyenne, ce sont 26 000 ruptures qui ont été validées chaque mois par l'administration en 2012 ; après une phase de montée en charge, le volume de recours à ce dispositif semble s'être stabilisé.
L'avis des salariés sur le dispositif a été analysé par le centre d'études pour l'emploi ; il est plutôt positif. Des garanties existent aussi. La Direction générale du travail s'appuie sur l'homologation obligatoire des conventions par l'administration pour vérifier – ce qu'elle doit faire – que le nombre de celles conclues sur des périodes de trente jours, d'un trimestre ou d'une année civile, par un employeur confronté à un contexte économique difficile, ne dissimule pas un plan de licenciement collectif. L'administration enjoint, dans ce cas, l'employeur de renoncer à son projet de convention.
Le bilan de l'accord national interprofessionnel de 2008 est prévu par l'accord lui-même. Il s'appuiera sur une publication, le 23 mai prochain, par la DARES, une des directions de mon ministère, des dernières données disponibles et sur les premiers résultats de l'enquête quantitative menée en 2012.
Le sujet sera abordé lors de la grande conférence sociale de juin prochain, dont je rappelle que les partenaires sociaux ont tous, à l'exception de la CGT, été signataires de l'accord en question. Il leur revient donc, en premier chef, de juger de l'opportunité de revenir sur ce dispositif.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut que donner un avis défavorable à cette proposition de loi et renvoie chacun aux dispositions déjà votées, qui ne manqueront pas de s'appliquer dans les semaines qui viennent et qui seront autrement plus efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je vous informe que j'ai fait l'objet, de la part du Gouvernement, d'une demande de suspension de séance à seize heures, en raison de la conférence de presse que tiendra M. le Président de la République.
« Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives », tel est le titre de la proposition de loi présentée aujourd'hui par les députés du Front de gauche.
C'est hélas une banalité de proclamer que la situation de l'emploi dans notre pays n'a jamais été aussi dégradée et ne cesse de s'aggraver. Fin mars, le nombre de demandeurs d'emploi était à son plus haut niveau historique avec plus de 3 millions de personnes, un chiffre qui a connu en un an une hausse vertigineuse de 11,5 %, malgré toutes les mesures prises depuis des années, à commencer par les exonérations de cotisations sociales qui représentent 30 milliards d'euros par an, auxquelles il convient d'ajouter les aides publiques en tout genre dont la dernière en date, le crédit d'impôt compétitivité emploi, est distribuée sans aucune obligation de résultat ni contrepartie sociale ou écologique.
Vous avez même refusé, monsieur le ministre, notre amendement qui proposait qu'une entreprise rembourse l'argent public reçu quand elle ne tenait pas ses engagements.
De surcroît, pendant que nous adoptons ici des textes avec l'objectif, que nous ne sommes d'ailleurs pas sûrs d'atteindre, de créer 150 000 emplois d'avenir et 500 000 emplois dans le cadre des contrats de génération à l'horizon 2017, soit au mieux 650 000 dans quatre ans, les grandes multinationales licencient les salariés par milliers.
Comble du cynisme, même les entreprises qui réalisent des bénéfices et distribuent des dividendes décident de supprimer des emplois sans aucune autre raison que celle de multiplier leur profit sans limite, au détriment des salariés et de leurs familles, mais aussi de l'économie de notre pays.
La cause de cette situation, nous la connaissons tous : c'est la financiarisation de l'économie. D'ailleurs le candidat François Hollande, ne s'y est pas trompé quand il a déclaré en janvier 2012 au meeting du Bourget : « Mon adversaire, c'est le monde de la finance ».
C'est bien en effet à ce fléau qu'il faut s'attaquer si nous voulons sortir de la situation actuelle. Aussi je regrette que le candidat devenu Président ait perdu de sa fermeté sur cet engagement.
Nos concitoyens n'attendent pas du nouveau Président de la République et de la nouvelle majorité parlementaire qu'ils poursuivent sur la même voie avec les mêmes recettes que M. Sarkozy et sa majorité de droite, mais au contraire qu'ils rompent avec cette politique de régression économique et sociale qui mène notre pays et l'Europe à la récession et à la précarité généralisée.
Mes chers collègues, que l'on soit de droite ou de gauche, comment peut-on justifier qu'Alstom déclare en 2010 à la fois plus d'un milliard d'euros de bénéfices et la suppression de 4 000 emplois ? Que Sanofi annonce 2 000 suppressions d'emplois alors que ce laboratoire a réalisé 40 milliards d'euros de bénéfices en cinq ans, dont 8 800 millions en 2012 – sans parler des 126 millions de crédit d'impôt recherche, des 47 millions reçus au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ni, bien entendu, de la rémunération de 7 500 000 euros du P-DG ? Qu'IBM annonce son intention de supprimer plus de 1 200 postes en même temps que sa volonté d'« augmenter la distribution des dividendes de façon significative ? Que 1 173 salariés de Goodyear Amiens puissent être mis à la rue après cinq ans de casse organisée du site alors même que le groupe affiche plus de 500 millions d'euros de résultats nets ces deux dernières années – le directeur déclarant même : « Je suis payé pour fermer l'usine et je vais le faire » ?
Non, je l'affirme, ces comportements ne sont pas admissibles. Nous ne pouvons accepter que ceux qui détiennent le capital social s'arrogent in fine le droit de décider, seuls et pour leurs seuls intérêts, de priver des millions d'hommes et de femmes de leur travail, de leur salaire, de leurs moyens pour vivre, de priver des départements, des régions entières de leur activité économique et de leur savoir-faire. Quand une entreprise ferme, on perd aussi un savoir-faire.
Cette situation ne choque-t-elle personne ? Tous ces emplois détruits ? Tous ces gâchis humains, économiques et sociaux dans le seul but pour des entreprises florissantes de, passez-moi l'expression, « faire davantage de fric » ?
Notre rôle de députés porteurs de l'intérêt général est de mettre un terme à ces dangereux excès.
Notre rôle de législateur est d'encadrer et de limiter par la loi ce pouvoir exorbitant à l'initiative des directions d'entreprise, quelles qu'en soient les conséquences pour notre pays. C'est dans cette démarche que s'inscrit ce texte.
Certains de nos collègues du groupe socialiste expliquent qu'ils ignorent ce qu'est un licenciement boursier. Je me permets de leur rappeler que dans leur programme, encore consultable à ce jour, intitulé « Le changement », figure cette proposition n° 5 : « Nous dissuaderons les licenciements boursiers par des pénalités financières pour les entreprises qui en même temps versent des dividendes à leurs actionnaires ».
Il y a un an, vous saviez donc, chers collègues socialistes, ce qu'est un licenciement boursier, à tel point d'ailleurs que tous vos collègues sénateurs avaient voté notre proposition de loi en décembre 2011. Mais c'était avant, me répondrez-vous peut-être. Pour notre part, nous refusons cette attitude cynique, qui conduit à la fois à s'habituer à l'inacceptable et à discréditer le discours politique, ce qui est dramatique pour la démocratie.
On peut, et c'est l'objet de notre débat d'aujourd'hui, discuter du meilleur moyen de dissuader les licenciements boursiers. On peut aussi les appeler autrement. Mais on ne peut pas dire que l'on ignore de quoi il s'agit.
Oui, il y a urgence à apporter des réponses, non pas de manière dogmatique mais pratique, concrète et véritablement efficace, en faisant ce que tous les syndicalistes, les praticiens et les universitaires préconisent depuis des années :
Redéfinir le motif économique de manière plus rigoureuse afin d'interdire de tels licenciements dans les conditions particulièrement choquantes que je viens d'évoquer ;
Donner au juge, au terme d'un débat loyal et contradictoire, les moyens d'agir efficacement en imposant la seule sanction réellement protectrice des droits des salariés : la nullité du licenciement et la réintégration ;
Mettre un terme à la gabegie des aides et exonérations accordées depuis des décennies sans aucune exigence de contrepartie – et d'ailleurs sans aucun résultat ;
Revenir sur un dispositif que nous avions combattu ensemble, ici même, issu de la loi dite Borloo de 2003 qui venait anéantir une jurisprudence favorable aux salariés victimes d'une modification de leur contrat de travail ;
Abroger la rupture conventionnelle qui, à l'usage, s'est bien révélée être ce que nous dénoncions lors de sa création : une machine à licencier sous la pression d'un face à face profondément inégalitaire.
Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, la loi de sécurisation de l'emploi ne répond pas à cet objectif, comme nous ne tarderons malheureusement pas à le mesurer bientôt. Surtout, je veux réfuter cet argument selon lequel vous auriez, avec cette loi, « renchéri » les licenciements boursiers.
Aucun article de ce texte, que nous avons ici combattu, ne réévalue la sanction prévue par le code du travail en cas de licenciement économique abusif, à savoir le versement de six mois de salaire, une indemnité inchangée depuis 1973.
En outre, vous prétendez que c'est l'administration qui se chargera de contraindre les employeurs à faire des efforts supplémentaires en termes de mesures d'accompagnement. les juges s'en chargeaient déjà très bien avec la menace d'une sanction autrement plus dissuasive, celle de la nullité du licenciement avec la réintégration à la clé. Ce ne sera plus le cas.
Enfin, avec le dispositif de mobilité forcée et les accords de maintien dans l'emploi, vous permettez aux employeurs de contourner ce contrôle administratif par des procédures individuelles.
Pourtant, et nous sommes là sur une question de fond, vous osez envisager de réduire encore la rémunération du travail, qualifiée de « coût », alors que la rémunération du capital ne cesse d'augmenter.
Auriez-vous oublié que, selon l'Insee, le salaire médian aujourd'hui en France est de 1 675 euros bruts mensuels, ce qui signifie que la moitié des salariés – je ne parle même pas de tous les chômeurs dont les moyens sont encore plus faibles – vivent avec moins de 1 290 euros nets par mois ? En 2013, comment vit-on et que peut-on consommer – puisque c'est ainsi que l'on parle aujourd'hui – avec de tels revenus ?
C'est très exactement le contraire qu'il faut mettre en oeuvre si nous voulons enrayer le chômage, relancer la consommation, maintenir et développer notre agriculture, sauver les petites et moyennes entreprises qui rencontrent de plus en plus de difficultés et relancer la production dans notre pays.
L'adoption du texte que nous vous proposons constituerait une réelle avancée, même si elle reste bien modeste face aux défis à relever.
Elle permettrait de sauver des milliers d'emplois et marquerait notre volonté d'arrêter cette déferlante ultralibérale sans aucun garde-fou, au mépris de la vie de milliers d'hommes, de femmes, de familles.
C'est pourquoi je vous invite fermement, avec passion et conviction, à le voter.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1.
Vous avez annoncé, madame la présidente, que la séance serait suspendue entre 16 heures et 16 heures 45 à la demande du Gouvernement pour qu'il soit possible d'assister à la conférence de presse du chef de l'État.
Cette demande est sans précédent. Je ne me souviens pas qu'un tel type de requête ait été jamais formulé. Elle me paraît très irrespectueuse des parlementaires ici présents, mais aussi du Parlement en général. Quel que soit le respect que je porte au chef de l'État, je ne vois pas en quoi son intervention à la télévision serait un motif suffisant pour suspendre les travaux du Parlement, à moins que le Gouvernement ne nous précise une fois pour toutes que, jusqu'à tel ministre de l'ordre protocolaire, le Parlement interrompra son travail à chaque fois qu'il ou elle prendra la parole à la télévision pour une conférence de presse. Un tel procédé relève au minimum d'une confusion entre les pouvoirs et d'une atteinte à leur séparation, au pire d'un manque total de respect à l'égard de l'institution parlementaire.
Nous protestons vivement contre cette méthode, ce qui ne changera sans doute rien à la suspension de séance, mais il fallait que cela soit dit car dans un monde où, paraît-il, le chef de l'État garantit le respect de tous les acteurs sociaux et politiques dans la République française, j'y vois là une atteinte qu'il fallait dénoncer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il me soit d'abord permis de répondre brièvement au rappel au règlement de M. Poisson : il me semble au contraire courtois de la part du Parlement de permettre au ministre du travail d'assister à la conférence de presse du Président de la République.
S'il est normal que le ministre du travail siège aujourd'hui à l'Assemblée pour l'examen de cette proposition de loi, je trouve tout aussi normal qu'il puisse assister à cette conférence de presse. La courtoisie républicaine autorise tout à fait cette démarche.
Pour en revenir à la proposition de loi du groupe GDR, nous devons tout d'abord admettre que dans le droit positif français ni la loi ni la jurisprudence ne reconnaissent la notion de licenciement boursier. Cette expression est née quand, suite à l'annonce de plans sociaux importants, le cours de certaines actions est monté de façon spectaculaire. Cette notion recouvre donc une pratique qui vise à comprimer la masse salariale pour augmenter le résultat de l'entreprise dans le cadre d'une financiarisation de l'économie et pour répondre à l'exigence de certains propriétaires d'entreprise – appelons un chat un chat – de recevoir un retour sur investissement à un taux très important, entre 10 et 15 %.
Dans ma circonscription ou alentour, cela s'est traduit à deux reprises par des fermetures pures et simples d'entreprises qui étaient bénéficiaires, et qui étaient loin d'être petites. C'est ainsi que dans le Loir-et-Cher, Epeda, une entreprise de 400 salariés qui faisait des bénéfices, a été rachetée puis purement et simplement fermée par un groupe qui n'avait eu de cesse que de faire remonter les marques au niveau de sa holding. Ce sont donc 400 emplois qui ont été perdus dans un secteur qui n'avait pas besoin de cela. Il nous faut vraiment nous donner les moyens de combattre de telles pratiques.
Je prendrai dans un secteur différent un autre exemple de fermeture d'entreprise que j'ai pu observer, celui d'une petite entreprise de quarante salariés, à Saint-Laurent-Nouan, à côté de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux. Elle comptait quarante salariés qui fabriquaient des catalyseurs, c'est-à-dire un élément permettant d'activer une réaction chimique, et avait réalisé un beau bénéfice. Mais il fallait construire une station d'épuration complémentaire pour satisfaire aux normes écologiques. On a trouvé plus simple de fermer l'entreprise pour la reconstruire avec transfert de technologies en Pologne, pays où les normes écologiques sont moins contraignantes et les salaires plus bas.
Que l'on se dote d'outils pour combattre ce type de pratique me semble donc être de bonne analyse et, sur ce point, je partage comme le ministre du travail le souci du groupe GDR : le problème existe et il mérite d'être traité. Cela étant, ce n'est pas parce que le problème existe qu'il est bien traité par la proposition de loi.
Pour autant, je rejoins également le groupe GDR s'agissant du moyen juridique employé pour ce type de licenciement, autrement dit celui de la sauvegarde de la compétitivité : pour sauvegarder la compétitivité et pour éviter de futures difficultés économiques, on envisage une restructuration de l'entreprise, donc des licenciements économiques. Mais si le problème est bien identifié, je crains que le texte n'y réponde mal.
La première raison tient à un problème de méthode. Nous sortons en effet d'une négociation entre les syndicats de salariés et les syndicats d'employeurs, une longue négociation qui aurait très bien pu porter sur cette question si les négociateurs l'avaient voulu. Or ils n'ont pas souhaité revenir sur la définition de la cause réelle et sérieuse de licenciement, qui est assez complexe.
Pour notre part, nous avons travaillé, dans le cadre de la transposition de l'accord national interprofessionnel au sein du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, combattu par le groupe GDR, sur un autre aspect : la réglementation du plan de sauvegarde de l'emploi.
Intellectuellement, il reste possible de travailler sur la cause réelle et sérieuse, mais d'un point de vue procédural il serait souhaitable de revenir vers les partenaires sociaux. C'est l'engagement qu'avait pris le Parlement lors de la législature précédente en adoptant un protocole de consultation des partenaires sociaux – protocole Larcher au Sénat, protocole Accoyer à l'Assemblée nationale – s'agissant, en application de la loi Larcher, des textes entrant dans le champ de l'article L. 1 du code du travail. Ainsi, même pour une proposition de loi, nous devrions saisir les partenaires sociaux. Cela étant, il ne serait pas raisonnable, alors qu'ils viennent de terminer une négociation et de poser leur plume, de leur demander, sur un sujet extrêmement proche de ceux sur lesquels ils se sont penchés, de reprendre immédiatement leurs travaux.
Pour cette seule raison, la proposition de loi qui nous est soumise ne serait donc pas souhaitable car elle reviendrait, d'une certaine façon, à manquer de respect à ces derniers en leur demandant, alors que l'encre n'est pas encore sèche, de remettre l'ouvrage sur le métier.
Mais il est une deuxième raison pour laquelle la proposition de loi ne me paraît pas de bonne méthode. Comme l'a très honnêtement reconnu M. Chassaigne, elle pose un problème de constitutionnalité. Les articles tels qu'ils sont rédigés sont manifestement incompatibles avec la Constitution telle que le Conseil constitutionnel l'a interprétée par sa décision de 2002 déjà citée – je n'y reviens donc pas. Avec ce texte, ses auteurs anticipent donc soit une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – mais rien ne permet de le faire –, soit une modification de la Constitution – mais ce n'est pas de cette question dont nous sommes saisis. Il y a donc inadéquation entre l'objet et le moyen. C'est la deuxième raison pour laquelle nous ne pouvons pas adopter la proposition de loi.
Quant à la troisième raison, elle tient à l'adoption définitive par le Sénat avant-hier, contre l'avis du groupe GDR, du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. La loi n'étant pas promulguée et le Conseil constitutionnel, saisi, n'ayant pas encore rendu sa décision, elle n'a pas encore modifié dans les faits et de façon importante l'état du droit. Il n'empêche que si nous adoptions cette proposition de loi, nous mènerions une véritable politique de Gribouille puisque l'état du droit étant potentiellement et lourdement modifié la proposition de loi n'en tiendrait aucun compte ! Les amendements présentés ce matin en commission au titre de l'article 88 n'en tiennent d'ailleurs pas davantage compte.
De ce point de vue, il semble donc difficile de débattre des articles 3, 4, 5 et 6, car nous discuterions alors en fonction d'un état du droit qui sera modifié dans un mois. Il y a là un véritable problème de timing.
Cela dit, je ferai un petit commentaire s'agissant du coeur de la proposition. Je cite l'article 2, alinéa 2 : « Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d'emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l'entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d'exploitation positifs au cours des deux derniers exercices comptables. » Je reprends point par point.
Si un salarié prend sa retraite à taux plein parce qu'il l'a souhaité ou qu'il démissionne, ce sera, dans l'hypothèse où il ne serait pas remplacé, un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Si par ailleurs on a constitué des réserves – je termine, monsieur le ministre, pour que vous puissiez arriver à l'heure à l'Élysée (Murmures sur les bancs du groupe UMP), sachant qu'en tout état de cause mon temps de parole est pratiquement épuisé – il y a au-delà de la réserve légale qui doit être alimentée dès lors qu'il y a des bénéfices, un résultat d'exploitation qui peut être positif au cours des deux derniers exercices comptables – ce n'est même pas un résultat courant. On peut donc imaginer l'hypothèse d'une entreprise en cessation de paiement qui a néanmoins un résultat d'exploitation positif – cela arrive tous les jours – et qui ne pourrait pas licencier. Dans ce cas, nous sommes bien au-delà de l'objectif affiché : s'attaquer à la notion de sauvegarde de la compétitivité.
Pour toutes ces raisons, le groupe SRC ne votera pas cette proposition de loi.
Discussion générale
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
La séance est reprise.
Toutefois, bien qu'elle ait été initialement suspendue pour quarante-cinq minutes, je la suspends à nouveau, j'espère pour quelques instants, dans l'attente de l'arrivée, que l'on m'annonce comme imminente, de M. le ministre.
Discussion générale
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-six, est reprise à seize heures cinquante-huit.)
La séance est reprise.
Nous reprenons la discussion générale. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.
Monsieur le ministre, vous ne vouliez rien manquer d'un énième discours du Président de la République face à la presse,…
Ni du vôtre ! (Sourires.)
…pour lequel nous avons interrompu les travaux de notre assemblée pendant plus de quarante-cinq minutes. Est-ce à dire que ce sont les conférences de presse du Président de la République qui rythmeront désormais nos travaux parlementaires ?
Je me permets de vous le dire en préambule de mon propos, je trouve cela irrespectueux de la représentation nationale.
N'insistez tout de même pas trop !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues – M. le rapporteur ne devrait certainement pas tarder –, on comptait fin mars 2013 3,22 millions de chômeurs, soit une augmentation de 11 % en un an, 1 300 demandeurs d'emploi supplémentaires par jour, une hausse du nombre de défaillances d'entreprises de 3 % en 2012 et une augmentation de 13 % des procédures ouvertes au cours des trois derniers mois par rapport à la même période en 2011. Avec un PIB en recul de 0,2 % au premier trimestre, notre pays est officiellement en récession.
« J'ai bien conscience d'une récession », avoue le Président. Mais il semble encore croire que la croissance se décrète. Pas une semaine ne passe sans que nous ayons connaissance de licenciements dans nos circonscriptions respectives. Certains, massifs, font la une des médias, mais ceux dont on parle moins, additionnés les uns aux autres, concernent des milliers de familles qui vivent dans l'angoisse du lendemain.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La politique du Gouvernement en matière de lutte contre le chômage se solde par un échec – désolée, monsieur le ministre ! Tous les clignotants virent au rouge. C'est pourtant la préoccupation première des Français. Quand j'entends le Président de la République ne citer que les emplois d'avenir, les contrats de génération et le crédit d'impôt compétitivité emploi comme remède au chômage, le pire est à craindre. Contre le chômage, nous n'avons pas tout essayé mais nous n'avons pas tous non plus les mêmes recettes.
Pour nous, la première des exigences est de dire la vérité aux Français. C'est une question de respect et on ne construit rien sur le mensonge. Or, pendant la campagne électorale, le candidat et sa majorité – ô combien nombreuse sur ces bancs cet après-midi ! – se sont bien gardés de décrire la réalité du contexte économique, d'où une immense déception.
Par pur calcul électoral, pour aller chercher les voix à sa gauche, le parti socialiste n'a pas fait la pédagogie du monde contemporain et a préféré multiplier les promesses démagogiques. D'où le sentiment de trahison, particulièrement ressenti chez les ouvriers et les employés, que vous risquez de pousser dans les bras des populismes et des extrémismes. Votre devoir, notre devoir collectif, est pourtant de faire preuve de lucidité, de responsabilité et de courage, si nous voulons sortir notre pays de la crise. Une crise, qui, si l'on est optimiste, peut être vécue comme une opportunité et, si l'on est pessimiste, est perçue comme un danger. Mais il faut l'expliquer et surtout le prouver, par des actes concrets.
Alors, rien d'étonnant au dépôt de cette proposition de loi défendue par M. Chassaigne avec la passion qu'on lui connaît, visant à interdire les licenciements boursiers. Nous reconnaissons aux élus du Front de gauche leur constance et la cohérence de leurs engagements en la matière. Faisons, avec eux, le constat que l'opinion publique se dit majoritairement choquée par les annonces de licenciements dans des entreprises qui font des bénéfices et qui, dans le même temps, versent des dividendes aux actionnaires. Que cette même opinion publique s'interroge alors sur l'augmentation immédiate du cours des actions de ces entreprises en bourse et qu'elle observe un décalage avec l'économie réelle.
D'où, probablement, le trente-cinquième engagement du candidat Hollande, visant à « renchérir le coût des licenciements collectifs » pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions. Devenu président, il se ravise et annonce une loi à venir cette année. Mais pas une loi interdisant les licenciements boursiers : tout au plus annonce-t-il « une traduction pour renchérir un certain nombre de licenciements ou pour faire en sorte que la précarité soit combattue davantage qu'elle ne l'est aujourd'hui ». Qu'en termes sibyllins ces choses-là sont dites ! Et toujours le même décalage entre les discours et les actes d'un pompier pyromane que plus personne ne croit…
…quand il affirme : « je ne cherche aucune défausse, ni sur le passé, si sur l'extérieur ». Au contraire, il passe tout son temps à la recherche d'un bouc émissaire !
Toujours la même approche décalée et inadéquate des phénomènes économiques et sociaux. En effet, comment peut-on avoir laissé croire un seul instant qu'il était possible d'interdire les licenciements dans une économie ouverte, où les entreprises sont soumises à la concurrence et doivent sans cesse améliorer leur compétitivité pour rester dans la course ? La mondialisation est une réalité qu'il convient d'appréhender avec sang-froid. Si elle provoque des délocalisations et donc des pertes d'emplois, elle peut aussi représenter une opportunité pour les entreprises françaises qui ont accès à un marché plus large et à des débouchés supplémentaires. Dans un contexte de concurrence, une entreprise, ça se crée, ça se développe, ça vit, ça peut délocaliser, relocaliser, et ça peut aussi mourir.
L'économiste Schumpeter décrit cela parfaitement quand il estime que l'innovation est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Il théorise la « destruction créatrice », un processus selon lequel des entreprises meurent quand d'autres se créent, ce qui assure le renouvellement permanent des structures de production. C'est une théorie que l'on aimerait voir plus souvent enseignée dans les cours d'économie au lycée, car il y aurait beaucoup à dire sur l'enseignement de l'économie dans notre pays, un enseignement qui, depuis tant d'années, fait par trop la promotion du partage du travail et de la réduction du temps de travail, ce qui altère dangereusement notre rapport au travail et aux entreprises – je pense en particulier à la perception de ces notions par les jeunes.
Plutôt que nier les réalités, toute l'énergie des partenaires sociaux et des pouvoirs publics devrait être mise à profit pour anticiper et accompagner les mutations industrielles, et pour ne laisser personne sur le bord de la route ; d'où la nécessité de sécuriser les parcours professionnels par la formation tout au long de la vie, de mettre en oeuvre concrètement, au niveau des territoires, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, enfin, de mieux coordonner les services de l'emploi.
Il est fini le temps où l'on faisait le même métier toute sa vie, où l'on restait dans la même entreprise toute sa carrière. Les parcours alternent des périodes de salariat, de chômage, d'entreprenariat. Telle est la réalité du monde du travail, faite de ruptures, mais aussi de rebonds. De facto, interdire les licenciements dit « boursiers », une notion d'ailleurs dénuée de sens juridique à ce jour, aurait au moins trois effets pervers et jouerait contre l'emploi.
Le premier de ces effets est celui de décourager l'embauche, par la rigidité supplémentaire qu'introduirait une telle mesure. Nous savons pertinemment que le fait de ne pouvoir licencier quand c'est malheureusement nécessaire est un puissant vecteur d'attentisme et d'immobilisme. On parle souvent des emplois détruits dans notre pays, mais pas assez de tous ceux qui ne sont pas créés.
Le deuxième effet pervers est celui consistant à stigmatiser les entreprises qui font des bénéfices. Au titre de l'article 2 de la proposition de loi, « tout licenciement pour motif économique pratiqué par une entreprise qui a constitué des réserves ou réalisé un résultat net positif au cours des deux dernières années comptables, serait dépourvu de cause réelle et sérieuse ». C'est là une vision très passive, voire erronée, de l'économie, puisque la constitution de réserves permet des investissements à plus ou moins long terme, que les investissements sont l'activité de demain, donc les emplois d'après-demain.
Le troisième effet à attendre de cette proposition est celui d'éloigner encore un peu plus les potentiels investisseurs et de conforter les déclarations anti-entreprises d'un certain nombre de vos collègues du Gouvernement, monsieur le ministre. Oui, mes chers collègues, l'investissement est un levier important de croissance. Une entreprise qui ne fait pas de bénéfices est une entreprise qui est vouée, à plus ou moins long terme, au dépôt de bilan. Et les investissements se doivent d'être rémunérés de façon raisonnable. La prise de risques des entrepreneurs est à saluer, car c'est le moteur de notre économie.
Pas plus tard qu'hier, nous avons reçu Louis Gallois, dans le cadre du groupe d'étude PME de l'Assemblée, qui s'inquiétait de la culture « rentière » de notre pays quand, aujourd'hui, c'est la prise de risque qui devrait être privilégiée et même encouragée fiscalement, notamment dans les PME. Oui, mes chers collègues, l'emploi est créé par les entreprises, mais anéanti par les lourdeurs administratives, les rigidités, les charges qui pèsent sur le travail et sur le capital ! Oui, mes chers collègues, plutôt que de décourager l'embauche en interdisant les licenciements, nous sommes partisans du dialogue dans l'entreprise et soutenons les mesures de flexisécurité « à la française », celles qui donnent du sens au travail !
Plus de souplesse pour les entreprises en échange de plus de sécurité pour les salariés, c'est le sens de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier conclu entre les partenaires sociaux, dont nous aurions préféré une traduction fidèle dans la loi. Ce ne fut pas tout à fait le cas sur les mutuelles, sur les emplois à temps partiel, sur la mobilité volontaire, d'où l'extrême vigilance du groupe UMP sur sa mise en oeuvre concrète. Nous souhaitons sincèrement qu'il soit de nature à faire progresser un dialogue social apaisé dans les entreprises, par une information partagée, par une meilleure appropriation des mécanismes économiques et sociaux, par les avancées que constituent a priori les droits rechargeables, le compte personnel de formation ou le conseil en évolution professionnelle.
En conclusion, le groupe GDR a le mérite de la constance de ses convictions. Mais il n'en demeure pas moins que cette proposition de loi porterait atteinte à la bonne marche de l'économie qui, si elle demande une certaine régulation, a aussi besoin de liberté, d'adaptation permanente aux marchés et à la concurrence. En outre, comme cela a déjà été dit, le texte se heurte à un risque d'inconstitutionnalité, car il nie la réalité du droit français et fait peser sur les entreprises des contraintes abusives.
Parce que la France ne vit pas dans une bulle, parce que l'économie administrée a échoué partout où elle a sévi, parce que notre responsabilité collective est de dire la vérité, d'accompagner les mutations, de concilier compétitivité économique et cohésion sociale, le groupe UMP votera bien évidemment contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le rapporteur, qui ne comprendrait les inquiétudes qui vous animent et qui motivent cette proposition de loi ? Nous les partageons tous ici, quelle que soit notre position dans les travées de cet hémicycle.
Mais le sujet n'est pas seulement de s'indigner et de traduire cette indignation devant la chute vertigineuse de l'emploi, comme devant l'eau vive perdue dans le tonneau des Danaïdes. Il ne s'agit pas non plus, même si vous vous en défendiez en commission des affaires sociales, de stigmatiser les entreprises, en leur prêtant des intentions malveillantes de rentabilité de courte vue.
Tout cela ne mène à rien. Il faut viser des solutions durables, qui soient le fruit d'une méthode, celle de l'élaboration collective plutôt que celle du père Fouettard. Choisir cette méthode, je vous le dis avec le respect qu'imposent vos convictions et le travail que vous avez réalisé, c'est le meilleur moyen de perdre complètement pied dans le classement mondial des pays d'accueil des investissements étrangers. Or nous en avons vitalement besoin.
Malheureusement, en cinq ans, nous sommes passés du 17e rang mondial dans les investissements étrangers au 27e rang. Évitons, comme disait Dostoïevski, d'empirer les choses, à l'heure même où ce que Jean-Louis Borloo annonçait dès juillet dernier se confirme : la récession française est bien là. Et elle est le fruit d'une politique économique de récession.
Alors, parlons de licenciement boursier et abusif. Pour ma part, j'avoue ne pas savoir ce que signifie exactement un licenciement boursier. Et je serai presque tenté de remercier notre collègue André Chassaigne de nous en proposer une définition à l'article 2 de sa proposition de loi. Ce sont surtout nos collègues socialistes qui devraient saluer cette démarche qui semble correspondre, en tout ou partie, à un engagement pris par le candidat Hollande, au trente-cinquième de ses soixante engagements : « Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions, et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. »
Voilà donc, une fois encore, le symptôme qui gangrène la politique de ce gouvernement. Car c'est au bénéfice d'une campagne électorale que ce terme de « licenciement boursier » a refait surface. Je vous accorde bien volontiers, cher André Chassaigne, que vous avez défendu cette idée avec plus de constance, au moins depuis l'affaire Michelin de 1999, que vos partenaires socialistes qui se sont emparés par là d'un slogan de campagne.
Mais les paroles des postulants sont parfois la prison des dirigeants, qui en l'espèce semblent bien mal à l'aise, cherchant à faire bonne figure, tout en biaisant pour contourner l'obstacle au final. Et c'est ainsi, monsieur le rapporteur, que votre proposition de loi a été massivement rejetée en commission des affaires sociales par vos collègues socialistes.
Je ne me prononcerai pas sur le mode de gouvernance que cela suppose, pas plus que sur une certaine forme de mépris de ses alliés. Ce n'est pas l'objet de ce débat, même s'il en explique largement l'existence. Quoi qu'il en soit, il nous semble que vos analyses sur les licenciements boursiers, à l'exception de quelques cas exceptionnels qui peuvent être agités comme des chiffons rouges, sont erronées. Par ailleurs, elles traduisent une méconnaissance profonde des contraintes des entreprises et des nécessités imposées par une économie mondialisée.
Ce qui est exceptionnel n'en est pas moins tolérable. Mais notre justice veille. Nous ne flottons pas dans le vide juridique. Certaines décisions ont été sanctionnées par les juges, même si, jusque-là, l'idée de licenciement boursier n'a pas passé la barre de l'appel. La justice joue donc pleinement son rôle et elle dispose des outils utiles pour le faire.
Mais la vraie question, au fond, n'est pas là. Il s'agit de savoir si on licencie pour faire monter un cours de bourse. Eh bien non : personne n'a jamais licencié pour faire monter le cours de bourse ! C'est une conséquence. Et stigmatiser les financiers, c'est aussi une façon de ne pas se confronter à la réalité économique. La vérité, c'est qu'à la « rentabilité exigée », celle des actionnaires, se heurte l'environnement concurrentiel. L'entreprise, cotée ou non, est soumise à plusieurs contraintes, à commencer par la pression des consommateurs.
Pour exister, celle-ci doit être en mesure de lui proposer un produit ayant toujours un temps d'avance sur son concurrent, cette avance se caractérisant soit par l'innovation, soit par le prix, soit par la qualité de ses produits. Le consommateur est encore plus implacable que le financier. Un prix trop élevé, un retard technologique, une image de marque dégradée, et il fera sans frémir son deuil de produits au profit d'autres.
Cette logique implacable amène l'entreprise à faire des choix de gestion qui peuvent se révéler être en défaveur du salarié alors même que celle-ci est bénéficiaire. En effet, une entreprise pourra chercher une plus grande compétitivité pour vendre ses produits à des prix identiques à ses concurrents. Pour cela, elle sera conduite à investir dans des machines plus performantes nécessitant une main-d'oeuvre réduite. Et il ne s'agit pas là nécessairement de délocalisation, mais d'avancée technologique de l'outil de production, qui emporte un effet néfaste sur la population salariée. Il en résultera, si l'on s'en tient à l'article 2 de votre proposition, monsieur le rapporteur, un licenciement dit « boursier ».
À court terme, une moindre masse salariale aura une conséquence positive sur la rentabilité de l'entreprise et sur son cours de bourse. On serait tenté d'y voir un lien de cause à effet. Cependant, ce qui fera la pérennité du cours de bourse, ce n'est pas la moindre masse salariale, mais la capacité de l'entreprise à continuer d'exister dans son marché, sa capacité à innover, à conquérir des parts de marché. Autrement dit, il ne faut pas inverser le raisonnement : ce ne sont pas les cours de bourse qui décident de la santé d'une entreprise, c'est la santé d'une entreprise, constatée ou pressentie – car il faut bien anticiper – qui justifie sa situation en bourse.
Simplement, le monde n'est pas immobile. C'est ce que Schumpeter, cité en commission des affaires sociales par l'une de mes collègues, appelait « la destruction créatrice ». En revanche, monsieur le rapporteur, nous croyons à la nécessité d'anticiper les situations de rupture. C'est d'ailleurs l'un des principaux apports positifs de la loi relative à la sécurisation de l'emploi, qui reprend l'accord du 11 janvier, et qui vise à anticiper les évolutions stratégiques au sein de l'entreprise par plusieurs types de dispositifs, d'organisation du temps de travail ou de partage des informations entre dirigeants et représentants des salariés, tout en attribuant un rôle de vigie renforcé aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Une telle mesure, ni emblématique, ni automatique, nous semble davantage apte à assurer la pérennité de l'emploi que les dispositions que vous proposez.
À force de laisser croire que le bonheur des uns – les financiers et les entreprises – ferait le malheur des autres – les salariés –, vous allez, et ce sera ma dernière remarque sur cette proposition de loi, jusqu'à souhaiter, à l'article 7, la suppression de la rupture conventionnelle. Là encore, monsieur le rapporteur, vous ne tenez pas compte des réalités. Si cette procédure n'est pas toujours la panacée, son apport positif à l'égard du marché du travail est incontestable.
Pour conclure, monsieur le rapporteur, nous ne sommes ni naïfs, ni cyniques mais simplement empiriques et constructifs. Nous appelons à une certaine moralisation des financiers. Et il est évident que notre justice doit demeurer à tous égards vigilante pour prévenir des abus de licenciement, comme il y a, plus généralement, des abus de droit.
Mais l'on ne peut pas réduire la vie d'une entreprise à l'intérêt de ses seuls actionnaires et concevoir l'action législative comme un travail d'édification permanent de lignes Maginot.
Je vous rappelle d'ailleurs que l'affaire Michelin de 1999 avait été in fine plus profitable aux salariés qu'aux actionnaires : le cours de l'action sur cinq ans n'avait progressé que de 8 % quand le salaire avait quant à lui augmenté de 12 %.
Il faut voir plus loin, en restaurant un climat de confiance, non pas seulement pour les entreprises mais aussi et surtout pour l'esprit d'entreprise. Cela passe notamment par une culture de concertation et de co-construction, dans un cadre juridique équitable et un climat de confiance restauré.
Telle sont les raisons pour lesquelles, monsieur le rapporteur, le groupe UDI ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les licenciements dits boursiers soulèvent une question cruciale : une entreprise qui engrange des profits et distribue des dividendes peut-elle licencier des salariés afin d'être plus rentable ? C'est en effet bien souvent ainsi que les choses se passent. Les exemples ne manquent pas. En 1999, la direction du groupe Michelin a annoncé simultanément une augmentation du bénéfice, la distribution de dividendes et 7 500 suppressions d'emplois. Dès le lendemain, le cours de bourse bondissait de 12 %.
Que l'on ne s'y trompe pas : cette situation peut concerner une société non cotée en bourse, quel que soit son chiffre d'affaires ou le nombre de ses salariés. L'actualité démontre chaque semaine que la fermeture de sites industriels et la suppression de milliers d'emplois concerne également des entreprises très rentables pour leurs actionnaires.
D'aucuns ont souligné à cette tribune les termes prétendument inopportuns de cette proposition de loi, allant jusqu'à reprocher à ses auteurs de ne pas comprendre le monde économique actuel, celui de la mondialisation.
D'autres ont souligné sa soi-disant incohérence, arguant du fait que le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés en faveur du dialogue social en amont, préalablement à toute modification apportée au droit du travail.
Certains, enfin, ont dénoncé ce qu'ils nomment le populisme de cette proposition de loi qui viserait à dresser les Français les plus en difficulté contre les entreprises et les entrepreneurs, qui seraient les seuls créateurs de richesses et d'emplois.
Pourtant, l'annonce faite hier par l'INSEE de l'entrée de la France en récession, comme celle de la baisse record du pouvoir d'achat des ménages en 2012 vient obscurcir encore davantage le sombre tableau dressé par M. le rapporteur et appelle une réaction rapide et forte.
La colère des employés et des salariés face aux licenciements effectués par des entreprises rencontrant des difficultés économiques dont la réalité est discutable est parfaitement légitime. C'est un sentiment de révolte intime qui anime une très grande partie des Français et qui peut aussi s'emparer des parlementaires.
Il n'est donc ni populiste ni honteux de souhaiter réformer notre système afin de limiter au maximum ces abus. C'est d'ailleurs le sens du trente-cinquième engagement du candidat François Hollande : « pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. » Cet engagement est assez semblable au contenu de la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui.
Ce qui est en jeu, fondamentalement, c'est le modèle français de l'entreprise.
Une entreprise française, cotée ou non, est-elle la propriété exclusive de ses actionnaires, qui délèguent à des mandataires, c'est-à-dire à des dirigeants, l'objectif unique de la rentabilité ?
Ou bien l'entreprise incarne-t-elle un intérêt social quelconque, qui comprend non seulement celui des actionnaires, mais aussi celui des salariés, des sous-traitants, de l'État et des collectivités locales ?
Convient-il de suivre aveuglément le modèle libéral qui fait de l'actionnaire le centre de la galaxie économique et de son profit l'objectif premier de l'entreprise ?
Ou bien convient-il plutôt de construire un nouveau modèle de l'entreprise, comme les rédacteurs du code civil l'avaient fait en leur temps, afin non seulement de trouver des solutions culturellement et juridiquement acceptables en France mais aussi de contester l'hégémonie de ce modèle libéral, en offrant une alternative socialement acceptable à nos voisins européens, à qui une norme claire, légitime et transparente pourrait aussi servir de point de repère ?
Cette norme claire et légitime, c'est l'intérêt social, c'est-à-dire l'intérêt de l'entreprise en tant qu'acteur économique ayant conscience de sa responsabilité sociale et environnementale.
L'intérêt social doit s'imposer et doit imposer la justice sociale dans le monde de l'entreprise.
L'intérêt social représente le commun dénominateur du respect et de la protection de l'ensemble des intérêts liés à l'entreprise, ceux des actionnaires comme des salariés, des fournisseurs comme des créanciers.
Assigner à une société la recherche permanente et unique de l'intérêt exclusif de ses actionnaires, revient à juger chacun de ses actes et de ses décisions, par exemple d'ouverture et de fermeture d'une usine, à l'aune de l'intérêt des actionnaires.
Assigner à une société un rôle économique mais aussi social et environnemental, c'est apprécier ses actes, ses décisions et ses investissements à l'aune de l'intérêt de l'entreprise et donc de l'ensemble des partes prenantes, notamment des salariés.
L'intérêt social est en effet une pièce essentielle de l'intérêt général. Une entreprise ne vit pas seule, sur un îlot, entouré de ses seuls actionnaires : elle interagit avec son territoire mais également avec une multitude d'interlocuteurs et s'inscrit indéniablement dans un contexte humain, social et environnemental.
C'est dans ce cadre que s'inscrit le débat autour des licenciements dits boursiers, c'est-à-dire des licenciements collectifs qui interviennent alors même que l'entreprise ne connaît pas de difficultés financières, dans le but de diminuer la masse salariale, afin de dégager de plus grands bénéfices ou d'augmenter la valeur de l'action.
Si les licenciements boursiers peuvent apparaître légitimes aux yeux de certains défenseurs zélés des profits des actionnaires, ils constituent une injustice majeure de notre temps, puisqu'ils conduisent à rompre l'intérêt commun aux deux principaux acteurs de l'entreprise, les actionnaires et les salariés, afin de ne retenir que l'intérêt exclusif des premiers.
La proposition de loi que nous examinons traite directement de cette question. Elle complète l'article L. 1233 alinéa 2 du code du travail en considérant, en son article 2, qu'« est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d'emploi sous quelques forme que ce soit, décidée par un employeur dont l'entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d'exploitation positifs au cours des deux dernières années comptables ».
Bien plus, cette proposition de loi pose, au même article, le principe que distribuer des dividendes ou des stock options doit empêcher de licencier des salariés pour des motifs économiques.
Cette proposition de loi doit être saluée car elle contribue à rééquilibrer l'intérêt social, non pas au détriment des actionnaires, mais au bénéfice de l'ensemble des salariés, qui ne peuvent être considérés comme des variables d'ajustement dans la perpétuelle quête de la rentabilité financière.
Si une entreprise distribue des dividendes à ses actionnaires, c'est qu'elle réalise des profits : elle ne peut dès lors arguer de difficultés économiques pour licencier.
C'est à ce prix que la justice sociale sera rétablie. C'est à ce prix que l'intérêt général sera préservé. C'est pourquoi la proposition de loi prévoit le remboursement des aides publiques, lorsque le licenciement pour motif économique aura été jugé sans cause réelle et sérieuse.
Il est juste, il est légitime qu'une entreprise soit condamnée à rembourser le montant des exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié pour l'ensemble des salariés initialement concernés par la suppression d'emplois envisagée. Dans le cas contraire, cela reviendrait, pour l'État et les collectivités locales, à subventionner une entreprise pour qu'elle verse des dividendes à ses actionnaires. C'est aussi clair et simple que cela.
Les députés écologistes ont d'ailleurs déposé un amendement prévoyant que les collectivités locales puissent également être remboursées des subventions qu'elles ont versées, dans la mesure où ces dernières ont pour objectif le bien-être des citoyens et des citoyennes sur leur territoire et non pas le bénéfice des actionnaires.
C'est à ce prix que les actionnaires et les dirigeants par eux mandatés prendront conscience du risque encouru et des enjeux. Si l'entreprise est condamnée à rembourser les aides publiques, sa valorisation comme le portefeuille des actionnaires en seront affectés.
Cette proposition de loi participe à la construction d'un nouveau modèle de l'entreprise, au centre duquel n'existe pas un seul intérêt, celui des actionnaires, mais un ensemble d'intérêts divers, complémentaires, parfois contradictoires, qui doivent interagir sans jamais se détruire. Nous venons d'entendre le Président de la République affirmer que la destruction des emplois est au coeur des préoccupations du Gouvernement.
L'affirmation de la justice sociale doit être le moteur de notre action collective, à droite comme à gauche. La justice sociale n'est pas la négation de la liberté d'entreprise. Elle n'est pas un instrument de négation d'une liberté ou d'un droit mais un instrument de sauvegarde de l'emploi et du bien-être des salariés, aujourd'hui, dans le pays. C'est en laissant les actionnaires imposer leurs seuls intérêts au travers de licenciements massifs en période de bénéfices qu'une atteinte manifestement excessive est portée à la sauvegarde de l'emploi et à la justice sociale.
Un monde, chers collègues, est en train de disparaître, celui qui est né avec la révolution industrielle au xixe siècle. C'est un monde dans lequel la demande de produits et de services a excédé l'offre, un monde dans lequel la complexité de l'organisation des entreprises n'a cessé de croître, un monde qui s'est construit dans l'opposition stérile de l'emploi et de la rentabilité.
Nous devons, à l'opposé, construire un monde dont le mot d'ordre doit être la coopération, basée sur une économie plus sociale, plus solidaire, plus soucieuse de l'environnement. Nous devons construire un nouveau système, basé sur l'investissement dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, secteur fortement créateur d'emplois.
Il est ainsi de notre responsabilité de construire un monde nouveau, le monde de demain, dans lequel la préservation de l'emploi ne sera pas un vain mot, mais la concrétisation du principe cardinal de notre République, celui de la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat qui fonde la proposition de loi que porte notre excellent collègue André Chassaigne n'est pas un motif de divergences.
Il est toujours utile et même nécessaire que, dans notre assemblée, dans ce haut lieu de notre vie démocratique, les situations humaines et sociales déchirantes soient évoquées.
Notre peuple compte aussi sur notre capacité de lutte et d'action face aux injustices que subissent un certain nombre de nos concitoyens en raison de ce que l'on nomme les « licenciements boursiers ».
Personne ne peut, certes, s'arroger le monopole de la solidarité avec le monde du travail, et ce n'est pas sur l'objectif poursuivi que nous divergeons, mais sur les méthodes et les moyens de l'atteindre.
Oui, nous avons l'obligation d'agir fortement pour enrayer un processus qui broie des vies humaines et des familles, qui ne relève que rarement du sens commun économique, et qui, souvent, résulte de la seule cupidité de quelques-uns.
Les licenciements dits boursiers obéissent à la même logique que celle des marchés financiers : la rentabilité à court terme et la rémunération maximale des actionnaires au détriment de la vie des salariés.
Sacrifier l'intérêt général, l'intérêt collectif à quelques intérêts particuliers est intolérable : la gauche, faut-il le rappeler, est née du combat contre l'injustice sociale.
Mais au fond, ce qui nous réunit aujourd'hui est de savoir si, à l'heure où s'opère une mutation du dialogue social dans notre pays, nous devons freiner collectivement cette nouvelle dynamique.
Engagement solennel du Président de la République immédiatement mis en oeuvre, la méthode du dialogue social véritable est une réalité en devenir dans le paysage démocratique français, dans les relations entre partenaires sociaux et dans nos entreprises.
Tel a été le sens de la grande conférence sociale lancée en juillet 2012 ; tel sera le sens de la prochaine conférence sociale des 20 et 21 juin prochains.
Tel est également le sens du projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale.
Le premier fruit de ce travail fécond fut la loi de sécurisation de l'emploi, qui a résulté à la fois de plusieurs mois de négociations et d'un dense travail parlementaire.
Ainsi, très concret sera le droit des salariés d'être représentés avec voix délibérative au sein des conseils d'administration des grandes entreprises. Cette nouvelle possibilité, revendication historique de l'ensemble des gauches, permettra aux salariés de participer à la stratégie des entreprises, et éventuellement d'alerter en amont des risques de plans de licenciements sans motifs économiques valables.
J'ai la conviction que cette transparence aura un effet bien plus dissuasif que toute nouvelle norme législative ou réglementaire ; ce sera un puissant levier d'action.
Évoquons également le droit d'alerte, instauré lui aussi par la loi de sécurisation de l'emploi. Cette procédure d'information et de consultation au cours de laquelle le comité d'entreprise peut demander des explications avec l'appui d'un expert, confie aux salariés un outil pour contrôler l'utilisation des aides publiques.
Enfin, dernier élément – mais non le moindre –, l'obligation de chercher un repreneur, que la proposition de loi visant à redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel inscrira dans notre droit, sera une avancée nécessaire et utile.
Ainsi, si le texte à l'ordre du jour pose les bonnes questions, les réponses proposées ne nous paraissent pas adéquates.
Démocratie sociale réelle, participation au conseil d'administration, expertise et exercice du droit d'alerte sont des outils de nature à permettre, si le monde du travail s'en saisi, le rééquilibrage des rapports sociaux dans les entreprises, sur le terrain, au plus près de la vie quotidienne.
Pas plus qu'une loi contre le mensonge n'empêchera jamais celui-ci, aucun texte ne suffira à empêcher la prospérité de ce que d'aucuns avaient naguère nommé les « patrons voyous ».
L'enjeu est ailleurs : il est de faire naître et se développer une culture de la confiance et du respect entre partenaires sociaux, une culture du dialogue, de la protection des salariés et de la réussite des entreprises.
Notre ambition doit être la réussite économique partagée, et non une loi dont l'efficacité serait nulle et qui n'apporterait aucune autre satisfaction que celle d'avoir été adoptée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, le groupe SRC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai été assez étonné par la qualité rédactionnelle de ce texte, juridiquement bien écrit. Cela change des propositions de lois écrites sur des coins de table qui nous sont trop souvent proposées dans cet hémicycle.
Si toutes les initiatives parlementaires pouvaient faire l'objet du même soin dans leur qualité rédactionnelle, cela ne pourrait que revaloriser ces journées d'initiative parlementaire où, finalement, on débat davantage de sujets de société que de textes de loi.
Cela étant dit, je vous rassure, monsieur Chassaigne : je suis en total désaccord avec ce texte sur le fond, ce qui ne surprendra sans doute personne.
Je ne peux que me désoler de l'absence totale d'empathie de représentants de la nation pour l'une des parties en présence dans ce dossier. Il n'y en a que pour les syndicats et les salariés : le texte ne comporte pas la moindre tentative de compréhension des contraintes et des positions de l'employeur ni la moindre volonté de chercher une solution qui puisse aller dans le sens d'un accord gagnant-gagnant.
La politique, c'est la gestion de la cité, la recherche de la meilleure solution, et non pas l'alignement inconditionnel derrière l'intérêt à court terme d'une catégorie particulière. Ce n'est pas ainsi que je conçois l'exercice du mandat parlementaire et de l'action politique.
Dans ce texte, le groupe communiste répète l'erreur habituelle de la gauche qui consiste à surprotéger ceux qui sont en place en jouant sur les peurs sans se préoccuper du coût d'une telle politique.
Cette position – cette posture, devrais-je dire – est la vraie raison du développement de la précarité en France. Oui, monsieur Chassaigne : c'est avec de telles propositions de loi qu'on crée de la précarité.
En surprotégeant ceux qui sont en place – que ce soit dans un emploi ou dans un logement –, en faisant en sorte qu'ils ne perdent pas leur place, on empêche ceux qui sont au dehors d'entrer. Quand on rigidifie excessivement le marché de l'emploi en empêchant les employeurs de licencier, on les empêche, de fait, d'embaucher : il est en effet si difficile de licencier que, lorsqu'il choisit d'embaucher, l'employeur ne prend aucun risque. Il en va de même pour le logement : il est tellement difficile d'expulser le locataire qui ne paie plus le loyer qu'on prend un luxe de précautions avant d'en faire entrer un nouveau. On laisse ainsi à la porte tout un public « à risque potentiel » à qui on ne donne pas sa chance !
Un tel texte est une machine à entretenir la défiance. Vous ne voyez la société qu'en termes de rivalités, de luttes, de malveillance. Le patron est forcément un voyou qui ne pense qu'à licencier pour s'en mettre plein les poches.
La France est l'un des pays où l'on se fait le moins confiance entre concitoyens, ce qui représente non seulement un frein à l'activité mais aussi un coût énorme. On passe son temps à tout contrôler de manière souvent trop tatillonne sans aucune coopération.
Avec cette proposition de loi, on peut vraiment mesurer le fossé idéologique qui sépare la gauche de la droite.
N'ayant plus, en fait, d'idéologie, plus aucune vision de long terme, la gauche s'est mise au service d'intérêts catégoriels et entretient, voire amplifie ce qu'il y a de pire dans la culture politique des Français.
Vous entretenez les revendications égoïstes là où il faudrait promouvoir l'altruisme ; vous cultivez la méfiance et la rivalité là où il faudrait semer la confiance, comme l'a dit le Président de la République voilà quelques instants.
Ah !
Oui, nous avons de bonnes références !
Si la France est si pessimiste, si notre jeunesse s'en va, ce n'est pas seulement pour des raisons économiques. C'est aussi parce qu'on ne lui propose qu'un avenir étroit où le seul horizon est la défense frileuse et étriquée d'avantages catégoriels qu'il faut préserver contre des ennemis qui veulent les prendre.
Notre pays a besoin de renouveler complètement sa culture politique, d'en finir avec la défiance. Il a besoin de rompre avec cet horizon étroit et cette culture mortifère du repli sur soi dont la présente proposition de loi est malheureusement une parfaite illustration. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, des trois propositions de loi dont nous discutons aujourd'hui, celle qui vise à interdire les licenciements boursiers ou les suppressions d'emplois abusives est celle sur laquelle je souhaite m'attarder le plus. En effet, le social est au coeur des préoccupations de mon mouvement.
Cette proposition de loi part d'un constat que nous pouvons tous partager : l'image de multinationales annonçant des profits record et procédant, dans le même temps, au licenciement de centaines ou de milliers de salariés est choquante. Le fait que les décisions sont prises sur la base de calculs de rentabilité dans lesquels l'humain n'est pas pris en considération l'est tout autant.
Par le fait qu'ils font l'objet d'une communication maladroite, par leur cynisme ou parce qu'ils constituent le simple reflet du rapport de force existant au profit de l'argent, les licenciements dits boursiers sont les signes distinctifs du capitalisme prédateur.
L'importance prise par les fonds d'investissement et les fonds de pension a profondément changé la physionomie de l'économie mondiale. Les exigences de rentabilité élevée, les regards braqués sur des résultats trimestriels ont pris le pas sur les stratégies entrepreneuriales à long terme.
Ce capitalisme dévoyé s'appuie sur un triptyque libéral développé par l'Europe de Bruxelles et l'OMC : libre circulation des biens et des prestations de services, libre circulation des capitaux et libre circulation des populations.
Je rappelle ici aux communistes, qui l'ont oublié depuis 1981, que la libre circulation des populations, donc l'immigration, est ce troisième pilier nécessaire au capitalisme qu'ils dénoncent.
Après ce constat, j'en viens aux réponses que vous entendez donner. Vos solutions sont radicales, excessives et, à mes yeux, contre-productives.
La réponse qui consisterait à casser toute souplesse dans le marché de l'emploi en rendant quasiment impossible le licenciement pour motif économique et en confiant à des juges un contrôle d'opportunité sur la gestion du personnel au sein des entreprises risque de paralyser toutes les embauches en amont.
Je ne vois pas en quoi confier à des magistrats, lesquels ne sont pas toujours au fait des réalités économiques et de la gestion des entreprises, le soin de décider de la politique de ressources humaines d'une entreprise serait gage d'une meilleure justice.
Peut-être avez-vous en tête certains juges, comme les « juges rouges » du Syndicat de la magistrature, ainsi que les appelait la presse dans les années soixante-dix, qui jouaient le jeu d'un Oswald Baudot les exhortant alors à être partiaux, à aller au-delà de la loi, à avoir un préjugé favorable pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.
Votre texte va au-delà d'une procédure d'autorisation administrative des licenciements, comme elle existait jadis sous le gouvernement socialo-communiste de 1981 : il aboutit à une présomption quasiment irréfragable de nullité de la plupart des licenciements.
Si l'on vous suit, une PME qui a versé des dividendes ou qui a affecté à la réserve légale une partie des bénéfices dégagés par un résultat net positif sur l'avant-dernier exercice ne peut plus licencier pour motif économique, même si par exemple elle a fait des pertes d'exploitation.
Il faut garder à l'esprit que la mondialisation de l'économie et son corollaire, la taille des grands groupes multinationaux, peut donner une fausse image : ce n'est pas parce qu'une entreprise réalise globalement des profits que toutes ses activités sont forcément rentables.
Ensuite, il ne faut pas légiférer en ayant à l'esprit la seule situation des grands groupes et en faisant payer à des PME le prix des comportements de ces derniers, comme vous le faites ici. En effet, votre texte s'applique non pas aux seules sociétés cotées en bourse mais à l'ensemble des entreprises.
Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, et le rêve d'une économie administrée a prouvé ses limites partout. Vous voudriez que chaque salarié bénéficie de la garantie de l'emploi à vie, sur un même site, dans une même entreprise ; c'est malheureusement parfaitement utopique !
Les entrepreneurs, dans leur majorité, ne licencient pas par plaisir, car cela correspond à la dégradation du niveau de l'activité. Le profit n'est pas un vice : il est en soi le moteur de l'entrepreneuriat. C'est la cupidité généralisée, le profit à tout prix qui en sont un.
Une nécessité économique repose sur la valeur ajoutée. Toute la question est de voir comment celle-ci est répartie entre la rémunération du travail, la rémunération du capital et la participation à la chose publique, c'est-à-dire les impôts et cotisations.
La tendance lourde de ces trois dernières décennies a été que la part revenant aux actionnaires et à l'État s'est accrue au détriment de celles des salariés. C'est là une autre réflexion, mais elle est évidemment liée à la précédente.
Je remarque enfin que vous reprenez des propositions que le Front National a toujours soutenues, comme le remboursement par les entreprises des aides publiques qu'elles auraient perçues pour l'embauche de salariés lorsqu'elles procèdent peu de temps après le déblocage des aides à des licenciements sans motif réel et sérieux.
Il est regrettable que, lorsque nous avons proposé ce type de mesures par voie d'amendement au sein de conseils régionaux, comme en Île-de-France, vos élus aient voté contre...
Ce texte traduit une inquiétude qui s'exprime au sein de la gauche communiste et qui soulève une contradiction. Elle fait partie d'une majorité qui a pour principale composante le parti socialiste, formation qui n'a jamais remis en cause le capitalisme, la domination du profit, la logique ultra-libérale, la soumission du politique aux forces de l'argent.
M. Montebourg exprime ses convictions, mais il appartient à un Gouvernement qui, contraint par Bruxelles et par la finance, agit dans un sens opposé à ce qu'il propose.
À près de dix reprises, vos amis politiques au Sénat a fait repousser des textes phares du Gouvernement, notamment la loi de finances pour 2013.
Par conséquent, je le dis aux communistes, l'heure est peut-être au choix : en mettant fin à l'union de la gauche en 1977 ou en quittant le gouvernement Mauroy en 1984, vous aviez parfois fait preuve de cohérence. Puisque la proposition de loi que vous présentez et qui, je le suppose, représente vraiment vos convictions, ne sera pas soutenue par le groupe SRC, que faites-vous encore dans cette majorité ?
Je remercie les uns et les autres d'avoir discuté cette proposition de loi avec des arguments de fond malgré le fait qu'ils n'étaient pas d'accord avec les solutions avancées par les députés du Front de gauche. Je voudrais apporter quelques réponses à ces interventions.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué lors de votre intervention la « boîte à outils ». Vous aviez souvent utilisé cette expression durant les débats sur l'accord national interprofessionnel comme un acte de foi, considérant que les réponses apportées par cet accord désormais retranscrit dans la loi permettraient de répondre aux situations d'urgence, en particulier les licenciements boursiers et les suppressions d'emplois abusives. Très franchement, nous pensons que c'est faux.
Puisque vous parlez de boîte à outils, je suis persuadé que dans quelques mois, très rapidement, il faudra remplacer celle-ci par une trousse de secours, voire des blocs chirurgicaux qui permettront d'aller au coeur du problème. (Sourires.)
Votre boîte à outils n'apporte pas de solutions concrètes, réelles.
Vous dites avoir aujourd'hui une panoplie complète d'instruments effectifs ; il s'agit à nouveau d'un acte de foi.
Je voudrais à cet égard donner deux exemples. Premièrement, vous affirmez que la loi sur la sécurisation de l'emploi renchérirait le coût des licenciements boursiers. L'entrée en vigueur de cette loi constituerait une réponse, elle permettrait par une alchimie que j'ai du mal à imaginer que les licenciements boursiers soient sanctionnés par des mesures d'une grande sévérité. Or, si on examine attentivement ce texte de loi, on peut en douter.
Par exemple, si l'administration refuse l'homologation des licenciements, de quel outil disposera-t-elle pour sanctionner les licenciements qui auront été faits malgré son refus ? On sait bien que, s'il n'y a pas d'accord collectif, les grandes entreprises procéderont, par des artifices divers, à des licenciements massifs, même sans homologation de l'administration.
Je pense donc qu'avec votre discours vous jetez de la poudre aux yeux et que vous ne répondez pas à l'urgence que vient de souligner le Président de la République dans sa conférence de presse – que nous avons pu écouter, grâce à vous, monsieur le ministre. (Sourires.) Alors que le chef de l'État a affirmé qu'il fallait répondre immédiatement aux questions qui se posaient, vous n'apportez aucune réponse immédiate.
La présente proposition de loi apporte, elle, une réponse immédiate, précisément en interdisant les licenciements boursiers et les suppressions d'emplois abusives. Aujourd'hui, les grandes entreprises, de façon scandaleuse, alors qu'elles gagnent énormément d'argent et font des milliards d'euros de profit – on le voit avec Sanofi – se permettent de supprimer des milliers d'emplois. Nous avons ici une réponse immédiate qui devrait vous satisfaire et que, pourtant, vous refusez en vous appuyant sur l'hypothétique boîte à outils de l'accord national interprofessionnel.
De même, vous avez avancé l'argument – repris par les uns et les autres dans les rangs socialistes – selon lequel les licenciements seraient négociés. Soyons sérieux ! On sait très bien à quoi ressemble une négociation quand on a le pistolet sur la tempe et quand plane la menace de suppressions d'emplois ou de fermetures de sites.
On se permet de justifier des centaines de licenciements par des menaces hypothétiques sur l'avenir de l'entreprise. Le face-à-face est-il égalitaire entre, d'un côté, les salariés qui veulent sauvegarder leur emploi et ont des enfants pour lesquels ils veulent des emplois demain, au coeur de territoires ayant besoin d'une vie économique et sociale, et, de l'autre, les actionnaires qui exercent le plein pouvoir dans l'entreprise ?
On l'a vu dans vos différentes interventions : vous croyez à une forme de rêve. Vous croyez qu'un équilibre naturel…
…va s'établir entre les salariés et ceux qui sont obsédés par la recherche du profit maximum en offrant aux actionnaires des taux de rentabilité à 15 %, avec tout ce que cela peut entraîner en termes d'évasion fiscale, de paradis fiscaux, d'argent caché ou déplacé – quelquefois, d'ailleurs, sous une forme légale. Vous pensez pouvoir rééquilibrer facilement les relations qui existent dans notre pays : sur ce point, vous vous trompez.
Dans son intervention, Jacqueline Fraysse a apporté des réponses très précises et a déclaré qu'il fallait mettre un terme à la gabegie. Elle a multiplié les exemples d'entreprises : pensez-vous véritablement que toutes les entreprises qu'elle a citées vont modifier leurs orientations et leurs choix stratégiques du fait de l'application de l'accord national interprofessionnel ? Pensez-vous que la loi de flexibilité, de sécurisation – pour reprendre votre vocabulaire, car vous jouez sur la sémantique – votée il y a deux jours apportera une réponse ? Nous sommes persuadés que non. Vous vous trompez complètement : vous êtes victimes d'une forme d'illusion.
C'est là que nous avons un désaccord !
L'intervention de notre collègue Denys Robiliard était extrêmement argumentée : je reviendrai sur trois points.
En premier lieu, M. Robiliard affirme que cette proposition de loi se heurtera au Conseil constitutionnel. Mais c'est considérer que le Conseil constitutionnel, tel qu'il est composé aujourd'hui, fortement marqué par des choix ultralibéraux, devrait diriger nos choix pour toujours ! C'est considérer que notre pays devrait se plier à la composition actuelle et aux points de vue idéologiques du Conseil constitutionnel ! Nous pensons le contraire.
De même, monsieur Robiliard, vous affirmez que l'application de notre proposition de loi porterait un coup au départ à la retraite de certains salariés. Or ce qui sera considéré comme une suppression de poste n'est pas ce départ à la retraite, mais le non remplacement du salarié qui partira à la retraite. Ce n'est donc pas le départ à la retraite, mais le non remplacement d'un salarié dans l'entreprise que notre proposition de loi remet en cause.
Troisième point de votre intervention sur lequel je veux revenir, monsieur Robiliard : la question de la cessation de paiement. Autant votre intervention est argumentée, autant vous n'avez pas complètement lu notre proposition de loi ni l'argumentation que nous avons développée. Je rappelle que les dispositions du texte que nous proposons ne s'appliquent pas aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.
Madame Le Callennec, vous avez dit très gentiment que les députés du Front de gauche avaient le mérite de la constance dans les convictions.
Je vous renvoie, d'ailleurs, ce compliment : vous avez vous aussi le mérite de la constance dans vos convictions ! Selon la théorie que vous avez exposée, ce sont les profits et les suppressions d'emplois d'aujourd'hui qui feront les investissements et les emplois de demain.
Nous avons souvent entendu ce discours qui n'est pas, d'ailleurs, d'une extrême modernité. Cela a été rappelé par un autre intervenant : vous vous contentez de reprendre la théorie de Schumpeter qui, au début du XXe siècle, considérait que les morts provoqués par la destruction créatrice devraient être à l'origine du développement économique de demain : autrement dit, vous vantez l'autorégulation par les forces du marché. Or force est de constater que cette autorégulation ne fonctionne pas. Vous dites que l'économie administrée, telle qu'elle a été mise en oeuvre, n'a pas réussi ; je crois qu'on peut constater aujourd'hui que l'économie ultralibérale que vous défendez…
…ne réussit pas davantage et provoque des dégâts considérables.
Madame Le Callennec, derrière ces dégâts provoqués par l'économie ultralibérale que vous défendez avec vos collègues se trouvent des bassins d'emplois en souffrance. Nous voyons tous, sur les territoires que nous représentons, des familles cassées et des personnes connaissant les pires difficultés : telle est la réalité du quotidien vécu par nos concitoyens. Si nous n'apportons pas aujourd'hui des réponses courageuses et immédiates, cette réalité terrible du quotidien continuera comme aujourd'hui. Au contraire, c'est donner des gages supplémentaires à la financiarisation de l'économie que de ne pas essayer de bloquer son fonctionnement par des mesures qui doivent être courageuses et fortes : voilà ce que nous proposons aujourd'hui.
Monsieur Favennec – je vous cherche…
Je confonds parfois les interventions de certains collègues de la majorité avec celles venant des bancs du centre et de la droite… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
C'est vrai, monsieur Chassaigne : ce n'est pas très gentil pour nos collègues socialistes !
M. Favennec a parlé de la moralisation des financiers : ses propos sont d'une extrême naïveté. Il parle aussi d'un cadre juridique équitable et d'un climat de confiance. Tout cela relève d'une forme d'utopie – vous voyez que l'utopie n'est pas réservée à certains rangs !
Sergio Coronado a soutenu notre proposition de loi, et je l'en remercie. Il a prononcé un très beau développement sur ce monde en train de disparaître, et il a essayé d'esquisser des pistes pour un autre monde plus solidaire et plus respectueux de l'environnement. J'ai beaucoup apprécié son intervention.
Monsieur Ferrand, vous vous en remettez au dialogue social. Vous avez dit qu'il fallait développer dans notre pays la culture de la confiance et du respect. En fait, vous êtes de ceux qui considèrent que la lutte des classes n'existe pas, et qu'il n'y a pas de rapports antagonistes dans les entreprises entre les employeurs et les salariés.
Malheureusement, la réalité est très différente. Vous avancez la solution de la reprise obligatoire des sites rentables, mais il ne s'agit que d'une mesure d'accompagnement : on laisse les entreprises procéder à des licenciements, on laisse fermer des sites alors qu'ils sont rentables et qu'il faut chercher un repreneur.
Je ne pense pas que cette solution soit durable.
Monsieur Tardy, vous nous avez de nouveau mis en cause d'une façon qui ne correspond pas à la réalité. Pour moi, les patrons ne sont pas forcément des voyous. Absolument pas !
Au contraire, les chefs des petites et moyennes entreprises sont eux aussi les victimes de l'ultralibéralisme et de la financiarisation. On voit bien quelle est leur situation : ils sont écrasés en termes de prix par les donneurs d'ordres, et obligés de rendre les conditions de travail plus difficiles et de bloquer les salaires dans leurs entreprises. Ces chefs de PME sont aussi les victimes d'un système que, pour ma part, je condamne.
Je remercie les uns et les autres, et tout particulièrement le président Chassaigne, tant pour ses convictions – chacun a le droit et même le devoir de défendre les siennes – que pour l'articulation de ses raisonnements. J'essaierai de démontrer que je suis en désaccord avec ses propos, bien que je ne sois pas persuadé que ma démonstration nous permette de tomber d'accord tout de suite.
Monsieur Chassaigne, contrairement à votre crainte – certainement sincère –, je pense que la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de sécurisation permettra de démontrer dans les faits que nous avons pris les bonnes dispositions pour lutter contre des décisions condamnables.
Je veux remercier tous ceux qui ont cité le Président de la République lors de sa conférence de presse.
Cela prouve que j'ai eu raison de vous demander, en m'en excusant, de suspendre le débat.
En citant ainsi le Président de la République, vous justifiez la proposition que je vous avais faite.
Je veux remercier M. Chassaigne et tous ceux qui ont bien lu les soixante propositions du Président de la République,…
…en particulier la proposition n° 35 relative à la lutte non contre les licenciements boursiers, mais contre les licenciements qui auraient pour origine la volonté d'augmenter la rémunération des actionnaires, par le renchérissement de ces licenciements.
C'est très exactement ce qui a été réalisé dans la loi sur la sécurisation de l'emploi. Monsieur Chassaigne, je pense que nous aurons encore l'occasion de débattre de ce sujet, mais j'essaierai une fois encore de vous convaincre du bien fondé de cette disposition votée. Elle n'est pas encore applicable, mais elle le sera dans quelques jours ou quelques semaines, dès que le Conseil constitutionnel aura rendu sa décision sur ce texte qui aura alors une valeur juridique et sera mis en oeuvre dans les entreprises.
Vous demandez en quoi une homologation par l'administration permettra de s'opposer aux licenciements de caractère boursier – je reprends ce terme, même s'il est un peu facile et juridiquement plus compliqué à définir. L'explication est simple et correspond d'ailleurs exactement à ce que vous proposez dans votre texte : de tels licenciements seront impossibles parce qu'ils seront illégaux. Sans homologation par l'administration, il ne pourra y avoir de licenciement. Comme dans votre proposition de loi, si un licenciement était prononcé, il serait illégal.
Oui, sur la base de la loi que nous avons votée. Sans accord, sans homologation, il n'y aura pas de licenciement. C'est d'ailleurs la force que cette loi donne à l'administration dans la négociation avec l'entreprise : en cas de refus de l'administration, le licenciement n'est pas possible. Si un licenciement est sollicité par une entreprise alors que l'administration considère, comme les salariés, qu'il n'est justifié par aucune raison valable, que l'entreprise dispose de tous les moyens pour résoudre ses difficultés et que les rémunérations versées à l'actionnaire sont considérables, alors il n'y aura pas de licenciement. Voilà ce que prévoit la loi que le Parlement a votée.
Ce que vous proposez a déjà été voté : pourquoi donc le proposer une deuxième fois ? La loi comprend aujourd'hui des dispositions qui permettront demain à l'administration de s'opposer à des licenciements. Si l'entreprise veut obtenir cette homologation, il faudra qu'elle renchérisse – c'est la proposition n° 35 du candidat François Hollande – jusqu'au moment où le licenciement ne sera plus intéressant de son point de vue. Quand une entreprise veut licencier pour gagner beaucoup plus d'argent mais que ce licenciement lui coûterait finalement beaucoup plus cher, elle n'y procède pas. C'est le principe même du dispositif adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Un deuxième point fait débat – ce que je peux comprendre puisqu'il s'agit de deux cultures différentes et j'y ai fait référence dans mon discours liminaire. S'agissant des organisations syndicales, lesquelles, je le rappelle, peuvent négocier et conclure un accord dans l'entreprise, y compris sur un plan de licenciement, vous nous dites qu'elles sont faibles, voire incapables de négocier, si je pousse un peu votre raisonnement. Même si cela ne correspond pas à votre pensée profonde, une telle analyse correspond à une forme de défiance, en tout cas à un manque de confiance dans la capacité d'une organisation syndicale de se battre dans son entreprise. Pour ma part, j'ai confiance dans les organisations syndicales. Toutes, signataires ou non de l'accord, seront les premières – elles nous l'ont dit – à utiliser les outils que la loi va leur donner dans quelques jours pour négocier fermement dans l'entreprise. S'il n'y a pas d'accord, l'administration pourra, suivant les mécanismes que j'ai décrits, faire en sorte que les licenciements soient abandonnés ou renchéris de telle manière que l'entreprise n'ait plus intérêt à les mettre en oeuvre.
C'est le coeur du débat entre nous, monsieur Chassaigne. J'entends votre argument consistant à dire que nous n'y arriverons pas avec les dispositions de la loi telle qu'elle a été votée. Mon argument au contraire est de dire que les dispositions de la loi vont nous permettre tout de suite, dans quelques jours, de mettre en oeuvre les dispositifs visant à limiter les licenciements de caractère boursier, à les renchérir jusqu'à les empêcher.
D'un côté, il y a ceux qui croient aux dispositions qui viennent d'être adoptées et, de l'autre, ceux qui n'y croient pas et qui les ont combattues. Cela étant, nous ne sommes plus dans la croyance, mais dans l'analyse des systèmes juridiques et sociaux. J'ai à la fois confiance dans la loi et la force des organisations syndicales et du débat dans l'entreprise. Cela ne signifie évidemment pas que je considère que tout le monde est gentil. Non, il existe des contradictions extrêmement puissantes dans les entreprises, je l'ai rappelé tout au long du débat. Les patrons ne sont pas, par essence, des patrons voyous. Mais, au nom des actionnaires qu'ils représentent, ils peuvent défendre des intérêts contraires à ceux des salariés. Comment résoudre cette contradiction ? Par la confrontation, ou par la recherche d'un compromis fondé sur le dialogue pour aboutir à un accord ?
Voilà ce que je tenais à rappeler. Certains pensent qu'il n'y a pas de solutions, alors même que nous venons de les adopter, et d'autres, comme nous-mêmes, pensons qu'un travail très important a été accompli au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat en mettant en oeuvre des dispositifs nouveaux.
Je tiens à vous remercier, mesdames et messieurs les députés, pour vos interventions. La position du Gouvernement est la suivante : je suis d'accord avec l'objectif que vous poursuivez, monsieur Chassaigne, tant et si bien que je considère que pour l'atteindre, l'application de la loi sur la sécurisation de l'emploi est la première des priorités.
J'ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l'Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte vise à interdire à toutes les entreprises qui font des bénéfices de réduire leurs effectifs pour quelque motif que ce soit et où que ce soit. Ses articles portent successivement sur une restriction du champ des licenciements économiques – article 1er –, la définition des licenciements boursiers – article 2 –, des sanctions financières pour les entreprises ayant abusé des licenciements économiques – article 3 –, les motifs d'appréciation de la validité des licenciements économiques – article 4 –, la réduction à deux du nombre de salariés conduisant à la définition du licenciement collectif en ces matières – article 5 –, la réduction du champ de la loi Aubry 2 – article 6 –, la suppression de la rupture conventionnelle du contrat de travail – article 7 – et la suppression des accords collectifs portant sur l'information des salariés dans les entreprises de plus de trois cents salariés – article 8.
De notre point de vue, ce texte comporte deux motifs d'inconstitutionnalité au moins. En outre, il propose une rédaction ayant pour effet de bloquer l'activité des entreprises et injuste à l'égard des salariés. De plus, il démontre la très grande difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité de faire figurer dans le droit la notion de licenciement boursier. Tels seront les trois éléments de mon propos.
S'agissant du premier motif d'inconstitutionnalité, que vous avez vous-même souligné, monsieur le rapporteur, il porte sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 14 janvier 2002 sur des licenciements économiques et la réduction du champ de la liberté d'entreprendre.
En retirant aux entreprises la liberté d'anticiper leurs propres difficultés, vous restreignez exagérément cette liberté, je n'y reviens pas. J'ajoute, en écho à votre réponse, monsieur le rapporteur, que ce n'est pas tant une question de couleur politique du Conseil constitutionnel – sujet qu'il faut aborder avec prudence –, mais une application du principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre.
La rédaction que vous proposez ne changerait pas réellement le cours de choses. En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation sur le sujet de la compétitivité est assez variable. Et la notion de difficultés économiques que vous maintenez dans votre formulation nouvelle de l'article L.1233-3 du code du travail dans son acception la plus large permettrait malgré tout aux entreprises d'aller à l'encontre de ce que vous souhaitez.
Par ailleurs, l'article 7 qui vise à abroger la rupture conventionnelle du contrat de travail pose également à nos yeux un problème d'ordre constitutionnel. Rappelons brièvement que la rupture conventionnelle a été adoptée dans un accord interprofessionnel portant sur la modernisation du marché du travail en 2008 par quatre organisations syndicales sur les cinq organisations représentatives, à l'exception de la Confédération générale du travail. Selon les chiffres récemment remis par vos services, monsieur le ministre, ces quatre organisations représentent environ 75 % des salariés si j'en crois les scrutins de représentativité de la fin de l'année 2012.
Ajoutons que l'avis des salariés et des employeurs sur ce dispositif est assez largement favorable, ce qui est certainement le signe de sa pertinence. En dehors de sa pertinence renforcée par les contrôles administratifs ad hoc, l'article 7 constitue de notre point de vue un authentique cavalier législatif et n'a pas sa place dans le texte.
Ensuite, il nous semble que votre proposition de loi propose une rédaction tendant à bloquer la vie des entreprises et injuste pour les salariés. Je fais ici référence tout particulièrement aux deux alinéas de l'article 2. Je veux du reste croire que cet article va au-delà de vos intentions.
Les deux alinéas de l'article 2 sont centrés sur l'impossibilité de procéder à toute suppression d'emploi dans le cas où l'entreprise aurait enregistré des bénéfices ou distribué des titres ou des dividendes au cours des deux exercices précédant les décisions de procéder à des licenciements. Une telle formulation est bloquante pour la vie des entreprises. En effet, la mention « au cours des deux exercices précédents » est parfaitement inadaptée à la vie des opérateurs économiques. Dans une certaine mesure, une référence à deux exercices bénéficiaires consécutifs aurait été plus compréhensible, mais n'aurait pas pour autant rallié notre assentiment.
Particulièrement par les temps qui courent – M. Robiliard y a fait allusion – il peut se trouver des entreprises bénéficiaires à l'exercice n, déficitaires à l'exercice n +1 et dans l'obligation de licencier une partie de leurs effectifs à l'exercice n +2. Certaines d'entre elles peuvent même connaître deux années successives de bénéfices et se trouver dans l'obligation de réduire leurs effectifs pour assurer leur survie. Ainsi, la formulation que vous adoptez interdit non seulement toute forme d'anticipation des difficultés, mais encore toute possibilité d'ajustement rapide aux modifications brutales d'activité. C'est une forme de mort programmée des organisations dans une large mesure. Particulièrement dans les temps que nous vivons, une telle disposition serait dévastatrice pour notre économie.
D'autre part, cette formulation porte de graves risques d'injustice pour les salariés eux-mêmes : « Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse, tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d'emploi sous quelque forme que ce soit » dans les entreprises bénéficiaires au sens indiqué précédemment, dites-vous. Votre formulation pose deux problèmes. Le premier, est que la notion de suppression d'emploi n'est définie nulle part dans le code du travail. J'indique qu'il peut y avoir des suppressions d'emplois sans licenciements, par exemple, lorsqu'il s'agit de reclassement, de mutation ou de mobilité professionnelle. À l'inverse, il existe des licenciements sans suppression d'emplois, comme dans le cas où les salariés licenciés sont remplacés poste pour poste. Si bien que la notion de suppression d'emploi ne peut en aucun cas être considérée comme synonyme de rupture de contrat de travail, donc, de licenciement. Il y a un authentique risque que la formulation que vous proposez aille jusqu'à rendre impossible toute forme d'ajustement des organisations reposant sur des suppressions d'emplois dans les entreprises qui veulent préserver leur bonne santé économique ou la recouvrer en se réorganisant.
Le second problème est l'impossibilité pour un employeur de procéder à toute forme de suppression d'emploi sous quelque forme que ce soit. Cela conduira à devoir maintenir dans les effectifs de l'entreprise des salariés frappés par une incapacité de travail, par exemple, alors que leur situation personnelle leur donnerait le droit d'être pris en charge par la solidarité nationale. Ou, pire, à maintenir dans ses mêmes effectifs des salariés que l'on pourrait légitimement licencier pour une faute avérée et que l'on ne remplacerait pas. Pour ces deux raisons, la notion de suppression d'emploi est parfaitement inadaptée. En adoptant votre proposition, on introduirait une source objective d'injustice pour les salariés qui n'est pas acceptable.
Troisièmement, votre réforme, monsieur le rapporteur, démontre la quasi-impossibilité d'inscrire dans notre droit la notion de licenciement boursier, voire l'interdiction faite aux entreprises qui réalisent des bénéfices de licencier.
Avant toute chose, rappelons que la notion de licenciement boursier ne recouvre aucune forme de réalité juridique et aucune autre réalité que celle d'un pur effet rhétorique. Cette notion n'existe en effet pas dans notre droit et ne peut être centrée que sur les entreprises cotées en bourse ou sur la notion de bénéfices ou de distribution de richesses par l'entreprise, ce que vous proposez dans votre texte. Même définie ainsi, on tomberait rapidement dans les travers que nous avons dénoncés plus haut.
Votre proposition de loi ne concilie pas les éléments de la compétitivité avec la contrainte issue des compétitions internationales, même si on peut le regretter. Elle ne résiste pas à la tentation de légiférer alors qu'un tel sujet relève à l'évidence de la négociation collective. La méfiance portée par votre proposition de loi aux accords collectifs destinés à encadrer les procédures de licenciements me semble aller à l'encontre des efforts de tous les acteurs, partenaires sociaux comme pouvoirs publics, de toutes appartenances politiques d'ailleurs, efforts déployés pour améliorer la qualité du dialogue social dans notre pays.
Votre proposition de loi traite à l'identique le sort des grandes entreprises cotées d'une part et, d'autre part, celui des petites entreprises soumises tout autant que les grandes à la vigueur de la compétition internationale, donc à la nécessité de s'adapter.
Votre proposition ne tient pas compte du fait que les entreprises qui versent des dividendes rémunèrent également le patrimoine de millions de Français qui font confiance à nos grandes entreprises et qui en sont actionnaires, aux dizaines de milliers de salariés qui sont aussi actionnaires de leurs employeurs, cela arrive souvent, ainsi qu'à la santé financière des entreprises, elles-mêmes actionnaires de certaines de leurs consoeurs.
Ainsi, la référence à la notion de licenciement boursier, employée à la légère par le chef de l'État lui-même parfois, est la preuve d'une certaine forme d'incompréhension ou de non prise en compte des mécanismes économiques et de leur complexité.
Relier avec une telle légèreté deux notions aussi étrangères que la rupture du contrat de travail d'un côté et l'évolution d'un cours de bourse de l'autre relève d'une conception dirigiste de l'économie, que vous défendez, monsieur le rapporteur.
Pour conclure, je me voudrais me fonder sur des travaux très récents qui font l'unanimité dans le monde des économistes. Il est vrai – M. Coronado le disait à cette tribune tout à l'heure – qu'une certaine forme de société est en train de disparaître, celle d'un monde fondé sur la production de richesses par la concentration d'argent dans le capital qui rémunérait le travail effectué par d'autres. Sans doute cette forme qui a encore de l'avenir est-elle appelée à évoluer dans un sens que personne ne peut prédire.
Sous l'impulsion d'un certain nombre de changements sociétaux, même notre conception de la propriété privée est en train d'évoluer. J'en veux pour preuve nos débats sur la loi HADOPI et la protection des droits d'auteur et de la propriété intellectuelle, sujet dont nous aurons à débattre dans quelque temps. Avec la mécanique du téléchargement, les jeunes générations sont moins fondées que nous l'étions ou que ne le sommes à considérer la propriété privée comme une forme d'intangible social, ce qui ne manquera pas d'avoir des répercussions sur notre conception des rapports économiques.
Par ailleurs, si des générations de chercheurs en économie ont essayé de régler la question de la production des richesses, on peut dire que le monde actuel y est arrivé. Beaucoup s'accordent à dire que l'ensemble des biens et des services produits sur la totalité de la planète suffirait à satisfaire l'ensemble des habitants. Ce que nous ne savons pas bien faire dans le monde actuel, ce n'est pas de produire des richesses, mais de les répartir. Probablement, sommes-nous appelés, l'ensemble des acteurs sociaux et nous autres décideurs politiques, à imaginer dans les temps qui viennent des modalités de répartition des richesses différentes de celles que nous connaissons actuellement avec une attention particulière à ceux qui les produisent directement, c'est-à-dire les salariés.
Pour autant, il est des cas dans lesquels des situations douloureuses peuvent être générées par les entreprises qui réduisent leurs effectifs alors même qu'elles sont bénéficiaires. Lorsque l'on connaît la rigueur et la vigueur de la compétition internationale, il est d'intérêt général de préserver leurs capacités de décision, leur santé et leur survie.
De plus, je ne vois pas comment l'on peut interdire les licenciements aux entreprises bénéficiaires autrement qu'en causant de graves inconvénients sur le plan juridique comme sur le plan économique.
Pour toutes ces raisons, je vous remercie, mes chers collègues, d'adopter cette motion de rejet.
En écoutant votre intervention, monsieur Poisson, et sans doute en raison de ma culture, j'ai eu l'impression d'entendre un discours venu d'une autre planète.
En effet, toute votre intervention ne poursuit qu'un seul objectif : démontrer que les stratégies retenues par les entreprises pour améliorer leur rentabilité, et qui aboutissent à des licenciements en masse, sont inéluctables.
Ce faisant, vous oubliez tout de même l'essentiel. Certes, les intérêts financiers des entreprises existent – ou, pour être précis, ceux des actionnaires présents derrière ces entreprises, qui en veulent toujours plus. Mais vous laissez de côté les salariés, leurs familles, leurs territoires.
L'objectif n'est pas de nier toute évolution de notre économie ; la preuve en est que, dans notre proposition de loi, nous tentons justement de définir précisément le licenciement économique. Vous prétendez, en établissant volontairement une forme de confusion, que cette définition pourrait interdire des licenciements pour d'autres causes. C'est totalement inexact !
Au contraire ! Vraiment, vos propos ne correspondent pas à la réalité de notre texte !
Par ailleurs, vous prétendez, comme d'autres avant vous, que notre proposition de loi est anticonstitutionnelle. En effet, vous ne concevez le rôle du Conseil constitutionnel que comme un accompagnement d'une économie ultralibérale, refusant d'admettre qu'il puisse avoir un positionnement différent, fondé sur l'intérêt humain, sur l'intérêt général, sur le bien des individus plutôt que sur les intérêts financiers, puisqu'aujourd'hui les décisions prises vont plutôt dans ce sens.
Pour ma part, et vous vous en doutez bien, je n'ai absolument pas été convaincu par votre argumentation.
Celle-ci est certes extrêmement technique et en apparence très argumentée sur le fond ; mais elle n'est finalement que le bel habillage de la défense du libéralisme : qu'en termes élégants ces choses-là sont dites !
J'ai reçu plusieurs demandes d'explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Marc Dolez pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Notre groupe ne votera évidemment pas cette motion de rejet préalable : son adoption signifierait en effet le rejet du texte, alors que nous considérons qu'il y a urgence à débattre des moyens à mettre en oeuvre pour mettre un terme à l'avalanche des plans sociaux et pour juguler la destruction accélérée de notre tissu industriel qui mine notre économie.
Les débats de cet après-midi ainsi que la motion défendue par notre collègue Poisson ont mis en évidence un certain nombre de divergences au sein de cette assemblée.
Avec nos collègues de l'opposition, nous avons une divergence majeure d'appréciation : nous ne croyons pas aux vertus du libéralisme ni à la loi des marchés financiers.
Lors de son intervention, notre collègue Poisson a exprimé ses doutes concernant notre définition juridique des licenciements boursiers.
Je souhaite donc lui dire que, tant sur le plan économique que sur le plan social, les licenciements boursiers sont une réalité durement vécue par les salariés de ce pays. À titre d'exemple, je rappelle que l'action d'Unilever, qui ferme l'usine Fralib près de Marseille, est en hausse de 25 % !
Avec nos collègues socialistes et avec le Gouvernement, nous avons une lecture différente, qu'André Chassaigne a parfaitement rappelée, de l'efficacité à venir des dispositifs qui ont été votés. Nous sommes ainsi particulièrement sceptiques concernant la loi dite de « sécurisation de l'emploi ». Nous aussi, nous croyons au dialogue social, mais nous croyons encore davantage à la force de la loi : c'est la loi qui protège les salariés.
La proposition de loi que nous défendons aujourd'hui contient des dispositions très fortes qui permettront de protéger les salariés, de combattre les licenciements boursiers, de modifier la définition du licenciement économique, d'interdire les licenciements abusifs sans cause réelle et sérieuse, d'obtenir le remboursement des aides publiques et enfin de supprimer les ruptures de contrats de travail dites conventionnelles.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette motion de rejet préalable.
La parole est à M. Denys Robiliard pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.
Je donnerai une brève explication concernant la motion de rejet : j'ai déjà indiqué clairement que le groupe SRC ne voterait pas la proposition de loi.
Pour autant, nous considérons qu'il y a lieu de débattre : la proposition de loi le mérite. C'est la raison pour laquelle non seulement nous ne voterons pas cette motion de rejet, mais nous voterons contre.
La parole est à Mme Arlette Grosskost pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
La solution proposée pourrait nous paraître généreuse, car il faut bien reconnaître que les licenciements sont toujours douloureux ; nous l'avons tous rappelé dans cet hémicycle.
Néanmoins, il faut tenir compte de la réalité économique. À titre d'exemple, je citerai un article que j'ai lu tout à l'heure dans Les Échos concernant Constellium. Cette société a choisi de lever des fonds à New York car les conditions de marché sont plus porteuses aux États-Unis qu'en France.
Cela est regrettable, il est vrai, mais c'est une réalité, et si nous mettions un tel texte en application, la situation serait bien pire, chers collègues ! Or nous ne sommes pas en droit, à l'heure actuelle, de porter le fer encore plus loin dans le manque de compétitivité de notre économie.
Il va donc sans dire que nous ne pouvons qu'adopter la motion de rejet préalable.
Il n'est pas permis de douter du soutien apporté par le groupe écologiste à la proposition de loi de nos collègues du groupe GDR.
Lors de la discussion générale, notre collègue Poisson a mis en exergue avec talent, comme il a pu le faire dans d'autres débats,…
…ce qui nous différencie sur ces bancs : il existe d'une part une vision progressiste, et d'autre part une vision qui, au nom de l'adaptation aux réalités du monde, permet à la loi du plus fort de toujours s'imposer au détriment des plus faibles.
Il n'y a pas, de la part de celles et ceux qui soutiennent cette proposition de loi, méconnaissance des règles de l'économie ou des enjeux de la mondialisation, mais simplement une prise de conscience qu'existe un capitalisme sous influence financière, qui fait des salariés une variable d'ajustement et qui, contrairement à ce que vous avez dit, juge que c'est en diminuant la masse salariale, en licenciant massivement, qu'il fait gagner des bénéfices à ses actionnaires.
La période est difficile pour l'ensemble des Français, particulièrement pour celles et ceux qui sont confrontés à des plans sociaux injustifiés.
Il est temps que la puissance publique agisse et qu'elle dise ce qu'elle entend faire. Elle l'a fait dans le passé, dans d'autres domaines : la loi fixe ainsi un salaire minimum, elle fixe également des normes sociales et environnementales.
Il n'y a pas à opposer la loi et le dialogue social, bien au contraire : les deux se complètent, et la loi a pour obligation de protéger les plus faibles. C'est pourquoi le groupe écologiste ne votera pas la motion de rejet.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée nationale a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 4 .
Je regrette tout d'abord que mes collègues n'utilisent pas leurs « niches » pour s'attaquer aux causes des dérives qui ont été soulignées plutôt qu'à leurs effets, parce que c'est bien le modèle économique qui est en cause. Il y aurait en effet bien des choses à dire avant de s'attaquer de force aux licenciements !
J'ai beaucoup de griefs contre l'article 2 lui-même, même si je comprends bien l'idée qui le motive.
Je propose donc de réécrire la fin de l'alinéa 2 après le mot « économique » de la façon suivante : « décidé par un employeur dont l'entreprise a réalisé au cours des trois derniers exercices comptables un résultat net positif, sauf à ce que le résultat net pro forma du dernier exercice soit de plus de moitié inférieur à celui de l'exercice précédent. ».
En fait, ce dispositif ne retient que le seul critère du résultat net, portant non pas sur les deux derniers exercices comptables, mais sur les trois derniers exercices, parce que c'est la période de référence habituellement retenue pour évaluer la santé financière des entreprises : cela est donc logiquement plus révélateur.
Je ne retiens que ce critère, parce qu'il ne me semble pas concevable de présumer nuls tous les licenciements économiques dès lors qu'une entreprise mettrait une part de son résultat en réserve – pour des raisons que je développerai plus tard parce que vous ne tenez pas compte de l'obligation de réserve légale –, ou du seul fait qu'elle réaliserait des profits ou même un résultat d'exploitation positif au cours d'un des deux derniers exercices.
En effet, le cas d'un bénéfice net positif mais en baisse, témoignant généralement d'une rentabilité dégradée, doit également être un obstacle à la présomption.
La commission a émis un avis défavorable, auquel je m'associe.
(L'amendement n° 4 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 11 .
Merci, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pour cette argumentation extrêmement développée : c'était exhaustif !
Je propose la suppression, à l'alinéa 2, des mots « ou toute suppression d'emploi sous quelque forme que ce soit ».
On dépasse en effet l'objectif d'interdire les licenciements boursiers avec cette formulation-balai extrêmement large, qui retire toute souplesse dans la gestion du personnel.
Si l'on suit la logique de l'intégralité de cet article, une PME ayant enregistré un résultat positif au cours des deux derniers exercices comptables pourrait se voir interdire de ne pas renouveler un poste, quand bien même son activité serait réduite. Or logiquement, lorsque l'activité est en baisse, il faut permettre à l'entreprise de se restructurer et éventuellement de ne pas renouveler un poste après un départ à la retraite.
La commission a de nouveau émis un avis défavorable, auquel je m'associe.
(L'amendement n° 11 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
Je précise que cet amendement a été repoussé par la commission.
Cet amendement permet de ne pas exclure les motifs de licenciement économique tirés de l'anticipation de difficultés ou de mutations technologiques, en prévision desquelles l'entreprise aura constitué des réserves. Plusieurs intervenants avaient en effet souligné qu'une entreprise pouvait constituer des réserves pour anticiper des difficultés ou des mutations technologiques.
Les entreprises ne pourront toutefois licencier qu'à condition de prouver la réalité et le sérieux des difficultés et des mutations prévisibles qui les menacent. Le juge, saisi de leurs projets de licenciements économiques, devra apprécier la justification des réserves constituées et le rapport entre le montant de ces réserves et le coût prévisible des mesures d'adaptation de l'entreprise et de préservation de l'emploi.
Nous avons donc tenu compte des différentes observations formulées pendant le débat en commission sur cette question.
(L'amendement n° 1 , repoussé par le Gouvernement, est adopté.)
Il est défendu.
J'en profite pour dire à M. Chassaigne que je suis navrée de ne pas plus l'inspirer !
(L'amendement n° 12 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 10 .
Cet amendement vise à substituer, à l'alinéa 3 de l'article 2, aux mots : « deux derniers exercices comptables, distribué des dividendes ou », les mots : « trois derniers exercices comptables, distribué ».
La distribution de dividendes n'est aucunement le fait des seules grandes entreprises cotées en bourse. Toutes les entreprises sont concernées, en particulier les nombreuses PME ayant été transmises ou rachetées par un mécanisme de LBO.
Dans ce schéma, le versement et la remontée des dividendes est une condition de la viabilité du montage, en finançant le rachat de la cible par la holding qui a contracté l'emprunt.
Il n'est donc pas souhaitable d'en faire un élément présumant que les licenciements économiques sont sans cause réelle et sérieuse.
(L'amendement n° 10 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 5 .
Cet amendement permet de se recentrer sur la finalité du présent texte, à savoir l'interdiction des licenciements boursiers, en faisant en sorte que le mécanisme ne s'applique qu'à des sociétés cotées en bourse car celui qui est proposé impliquerait l'ensemble des TPE et PME. Or, au vu des circonstances économiques actuelles, elles n'ont pas besoin de plus de rigidité.
(L'amendement n° 5 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 2, amendé, n'est pas adopté.)
Lors de la discussion générale, j'ai évoqué la nécessité de contrôler les aides versées par les collectivités territoriales qui apportent, depuis de nombreuses années, leur soutien à l'activité économique.
Cet amendement vise à donner la possibilité au juge de condamner l'employeur au remboursement des aides et subventions des collectivités territoriales, qu'elles soient directes ou indirectes, comme pour le crédit d'impôt compétitivité emploi.
J'espère que mes collègues du groupe GDR seront sensibles à cet amendement.
La commission a rejeté cet amendement lors de la réunion qu'elle a tenue ce matin au titre de l'article 88.
Quant à votre rapporteur, il émet un avis extrêmement favorable sur cette disposition qui montre que, telle qu'elle était rédigée, notre proposition de loi comportait une carence. En effet, il est bien évident qu'il faut prendre en compte les très nombreuses aides publiques versées par les collectivités territoriales. Si des commissions de contrôle de l'utilisation des aides publiques ont pu être mises en place dans de nombreuses régions, ce n'est pas toujours fait.
Au-delà de l'avis défavorable de la commission, j'invite donc l'Assemblée à adopter cet amendement qui étend le champ d'application d'un principe que je qualifierai de salutaire de lutte contre le dévoiement des aides publiques qui est trop souvent monnaie courante.
Même avis que la commission, c'est-à-dire défavorable.
(L'amendement n° 13 n'est pas adopté.)
(L'article 3 n'est pas adopté.)
Il s'agit d'un amendement rédactionnel qui a reçu un avis défavorable de la commission.
(L'amendement n° 2 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 7 .
Cet amendement vise à supprimer, à la fin de l'alinéa 4 de l'article 4, les mots : « ou le groupe ».
L'analyse de la bonne santé d'une entreprise au niveau du groupe me paraît excessive puisqu'elle empêcherait toute restructuration dans les groupes dès lors que certaines activités ou que certaines branches, même sans aucun lien avec la société ou le site concerné, seraient rentables.
(L'amendement n° 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 8 .
Cet amendement vise à substituer, à la fin de l'alinéa 7 de l'article 4, aux mots : « en redressement ou liquidation judiciaires », les mots : « s'étant déclarées en cessation de paiement ».
Le redressement judiciaire et, a fortiori, la liquidation interviennent après que l'entreprise s'est déclarée en cessation de paiement, c'est-à-dire après qu'elle ne peut déjà plus honorer ses dettes exigibles.
En outre, le juge peut également ouvrir une procédure de sauvegarde, qui n'est pas visée par la rédaction de l'article.
Il convient donc de rendre inapplicables aux entreprises les dispositions durcissant les conditions des licenciements économiques dès le moment où elles se sont déclarées en cessation de paiement.
Très bon amendement !
(L'amendement n° 8 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)
(L'article 4 n'est pas adopté.)
L'article 5 ne fait l'objet d'aucun amendement.
Je le mets aux voix.
(L'article 5 n'est pas adopté.)
Cet amendement vise à lever une ambiguïté sur la rédaction initiale de notre texte.
Nous proposons de rédiger ainsi l'article L. 1222-7 du code du travail : « Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail résultant de l'application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement pour motif économique. »
La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l'amendement n° 9 .
Je prends votre silence, monsieur le ministre, pour le manque d'argumentation que vous avez à opposer à ces amendements !
L'amendement n° 9 vise à supprimer l'article 7.
La procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail n'est pas qu'une facilité pour l'employeur, elle est également pour le salarié une manière plus consensuelle de mettre un terme à une relation de travail.
Dans l'optique d'une recherche d'emploi ultérieure comme d'un point de vue personnel, elle préserve des aspects souvent difficiles à gérer inhérents au licenciement.
En outre, les intérêts du salarié ne sont pas atteints puisque l'indemnité de rupture ne peut être inférieure à celle qu'il aurait obtenue dans le cadre d'un licenciement et qu'il bénéficie des indemnités journalières de l'assurance chômage. Il faut donc conserver ce mécanisme.
L'article 8 ne fait l'objet d'aucun amendement.
Je le mets aux voix.
(L'article 8 n'est pas adopté.)
Mes chers collègues, nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.
L'Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, il n'y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.
Article 8
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
Cette proposition de loi a pour objet de supprimer le mot « race » de la législation française.
Le concept de race, chacun le reconnaît, a servi de fondement aux pires idéologies et a conduit à la mort de millions d'êtres humains. Ce concept scientifiquement aberrant n'a pas sa place dans l'ordre juridique, même si c'est pour condamner toute discrimination fondée sur une prétendue race.
Sa suppression ne fera évidemment pas disparaître le racisme. Elle ôtera cependant au discours raciste, hydre à nouveau rampante, la forme de légitimation de l'existence des races qu'il peut tirer de la présence de ce mot dans la législation.
Vouloir maintenir à tout prix le mot « race », n'est-ce pas en effet admettre implicitement son existence ?
Le code pénal se réfère à « l'appartenance réelle ou supposée à une race ». C'est un comble ! Qu'est-ce que « l'appartenance réelle à une race » ?
La biologie et la génétique nous enseignent que la race humaine est une. La langue du droit ne doit pas employer celle des préjugés, au motif douteux que seule cette dernière serait compréhensible par le citoyen.
Les mots ont leur importance et comme l'a écrit si pertinemment Albert Camus, « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ».
Le bannissement de ce terme a été proposé à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, par le groupe socialiste ainsi que par le groupe auquel j'appartiens. En 2003, le groupe communiste et républicain obtint qu'une proposition de loi proche de celle que je vous présente aujourd'hui soit discutée en séance publique, avec pour rapporteur notre ancien collègue Michel Vaxès. Cette proposition de loi a été défendue également par plusieurs d'entre nous. Le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, lors de la révision constitutionnelle de 2008, plusieurs membres actuels du Gouvernement – le Premier ministre, la garde des Sceaux, le ministre de l'intérieur, le ministre délégué aux relations avec le Parlement, le ministre de l'outre-mer, pour n'en citer que quelques-uns – l'ont défendue lorsqu'ils siégeaient sur les bancs de l'opposition.
Chacune de ces initiatives de suppression du terme « race » a été repoussée par la majorité de l'époque, sous des prétextes divers, en affirmant à chaque fois qu'elle partageait l'objectif, mais qu'il fallait attendre, créer un groupe de travail, étudier encore, que l'heure n'était pas venue, que ce n'était pas mûr et que sais-je encore ?
Le Président de la République ayant pris l'engagement de supprimer le mot « race » de la Constitution, j'ai de bonnes raisons d'espérer que cette suppression pourra au moins être opérée dans notre législation, pour commencer.
L'histoire du concept de race en droit français prouve une certaine malléabilité de son emploi selon les circonstances et les enjeux. Au début, le terme « race » a servi de fondement aux discriminations racistes. Il sous-entendait déjà, de facto, toute la législation coloniale. S'il n'apparaissait pas expressément dans le Code noir élaboré par Colbert et promulgué en 1685, il va de soi qu'un esclave est noir. La seconde version du Code noir, édictée en 1724, emploie les mots « esclave » et « nègre » par opposition aux blancs. C'est cependant sous Vichy, avec la législation antisémite, que la race est véritablement devenue une catégorie juridique en droit français, avec le statut des juifs de 1940.
Après 1945, ce mot n'est plus employé que pour prohiber les comportements racistes. Il a été introduit subrepticement dans le préambule de la Constitution de 1946. Je dis : « subrepticement » à dessein, car les travaux préparatoires de ce préambule que j'ai étudiés révèlent en effet que l'amendement qui a introduit le mot « race » proposé par Paul Ramadier prévoyait d'inscrire les termes « sans distinction de sexe, de religion ni de croyance ». Ma surprise a été grande lorsque j'ai constaté que, dans le texte établi après une suspension de séance, le mot « sexe » a été remplacé par celui de « race », en contradiction avec l'amendement adopté et sans aucune explication.
En 1958, la formule de 1946 ne figurait ni dans l'avant-projet établi par le Gouvernement, ni dans les avis du Comité consultatif constitutionnel et du Conseil d'État. Ce n'est qu'in extremis, sans qu'on sache si cet ajout donna lieu à un débat, que le mot « race » fut inséré en Conseil des ministres à l'article 2, devenu l'article 1er en 1995.
Aujourd'hui, le mot « race » et ses dérivés apparaissent dans la partie législative de neuf codes – dont le code pénal, le code de procédure pénale, le code du travail ou le code du sport – et dans treize lois non codifiées. Au total, cinquante-neuf articles sont concernés. C'est évidemment l'ensemble de ces textes qu'il faut toiletter, et non les seuls articles visés initialement par la proposition de loi.
Il faut, cela va de soi, que la suppression du mot « race » de la législation ne diminue en rien l'efficacité de la lutte contre le racisme. Sur ce point, la proposition de loi dans sa rédaction initiale soulevait certaines difficultés. Elle supprimait purement et simplement les termes « race » et « racial » des dispositions dans lesquelles ils étaient accompagnés des mots « origine » ou « ethnie ». Par ailleurs, dans les dispositions où le mot « race » était présent sans que les mots « origine » ou « ethnie » ne le soient, il était proposé de substituer le mot « ethnie » au mot « race » ou l'adjectif « ethnique » au mot « racial ». Je pense que cette option comportait un risque, certes faible mais réel, de créer un vide juridique dès lors que ni l'origine ni l'ethnie ne sont des synonymes du mot « race ».
Après avoir consulté de nombreux experts de la lutte contre le racisme, oeuvrant dans le secteur associatif, ainsi que des professeurs de droit, la solution à laquelle je suis parvenu, et qui a été adoptée par la commission des lois, est de substituer le mot « raciste » ou un membre de phrase le comprenant, aux mots « race » et « racial ». L'« incitation à la haine raciale » devient ainsi « l'incitation à la haine raciste ». Les « persécutions raciales », les « persécutions racistes », les « discriminations raciales », les « discriminations racistes » et cætera.
Cette solution fait disparaître toute idée de légitimation de la notion de « race », tout en garantissant parfaitement la sécurité juridique. La substitution opérée est juridiquement neutre : tous les comportements racistes incriminés sous l'empire de la législation actuelle le resteront de manière rigoureusement identique avec la loi issue de nos travaux. Politiquement, le message est simple et clair : « les races » n'existent pas, le racisme, si, et la France le combat fermement. Juridiquement, l'état du droit n'est pas altéré.
Dès lors qu'un substitut adéquat a été trouvé, les arguments opposés par la majorité d'hier à la suppression proposée tombent d'eux-mêmes. Il n'y a aucun risque de créer un « vide juridique » dans la lutte contre le racisme.
Il n'y a pas davantage de risque d'incompatibilité de notre droit avec le droit international et européen. Je n'ignore pas que de nombreux instruments du droit international et européen comportent le mot « race ». On le retrouve, par exemple, dans les pactes internationaux de 1966 sur les droits civils et politiques, et sur les droits économiques, sociaux et culturels, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dans la Convention de Genève de 1951. Dès lors que la France continuera de réprimer les comportements racistes de manière identique, elle continuera à respecter ces instruments.
Le droit international et le droit européen n'imposent pas de reprendre exactement les mêmes termes. Seul importe que le résultat fixé soit atteint.
Ce qui est surprenant, c'est que certains proposent encore d'attendre que le mot « race » soit supprimé du droit international et du droit européen avant de réformer le droit français. Il s'agit évidemment d'un prétexte pour que cette suppression ne se fasse jamais. C'est, au contraire, en faisant preuve de volontarisme et en commençant par supprimer ce mot de notre législation que nous pourrons convaincre nos partenaires qu'une telle suppression est possible et les inciter à faire de même. La France s'honorerait en menant ce combat-là. Si la France avait attendu, par exemple, que la peine de mort soit abolie dans tous les autres États, elle la pratiquerait encore sans nul doute.
Pour terminer, je précise que je ne suis pas partisan de la suppression du mot « race » du préambule de la Constitution de 1946. Contrairement à la Constitution de 1958, qui doit s'adapter aux évolutions de notre société, le préambule de 1946 est le reflet de principes affirmés à une date donnée. Le retoucher serait un anachronisme. Si l'on allait jusqu'au bout d'une telle logique, on en viendrait à supprimer, au nom de la laïcité, la référence à l'Être suprême dans le préambule de la Déclaration de 1789. Il faudra, en revanche, réviser l'article 1er de la Constitution. On peut regretter que cette révision ne fasse pas partie des projets de loi constitutionnelle présentés par le Gouvernement. Rien ne s'oppose pour autant à ce que nous commencions par supprimer le mot « race » de la législation et que la révision constitutionnelle ait lieu plus tard.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à adopter la présente proposition de loi. La majorité d'aujourd'hui doit se montrer fidèle aux engagements pris par le passé lorsqu'elle était dans l'opposition et traduire maintenant ses discours en actes. Ne reportons pas une énième fois, sous des prétextes fallacieux, une réforme que nous souhaitons tous. Car c'est une réforme de bon sens, une réforme humainement nécessaire qui arrive à point nommé par ces temps de confusion et de repositionnements racistes électoralistes exacerbés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, cela fait, vous l'avez rappelé, monsieur Marie-Jeanne, une dizaine d'années au moins que l'Assemblée s'est emparée du sujet avec plusieurs propositions de loi constitutionnelle et plusieurs propositions de loi ordinaire visant à supprimer le mot « race » de la Constitution ou de la législation. Cette volonté revêt une dimension symbolique qui n'est pas anodine parce qu'elle contribue à donner de la force aux valeurs qui constituent le socle sur lequel repose l'ordre juridique français. Cette dimension symbolique dit très clairement le refus, dans le cadre de l'idéal républicain, de faire de la prétendue origine raciale une catégorie sociale. L'idéal républicain condamne donc sans réserve toute distinction fondée sur cette référence, invalidée depuis longtemps par les sciences, en particulier par la biologie et par la génétique.
Le groupe GDR a décidé de déposer cette proposition de loi qui vise à délester la législation française du mot « race ». Outre sa dimension symbolique, cette démarche revêt une dimension juridique et même philosophique. Elle a surtout une certaine ambivalence juridique : il faut se rappeler que l'histoire de la présence de ce mot dans la législation française ne s'est pas faite sous des auspices honteux, bien au contraire. À travers la présence de ce mot dans le préambule de la Constitution de 1946, dans l'article 1er de la Constitution de 1958, dans le code pénal, dans le code de procédure pénale – dans d'autres codes comme ceux des sports ou du travail, dans d'autres textes de loi, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur –, il s'agissait de lutter contre des actes xénophobes et antisémites.
C'est en avril 1939, par le décret-loi Marchandeau, que l'État français s'engage à punir les actes et comportements xénophobes et à réprimer la diffamation par voie de presse qui vise des groupes de personnes en raison de leur appartenance à une religion ou à une race déterminée. Le régime de Vichy va d'ailleurs abroger ce décret-loi pour faire de la race une catégorie juridique particulière qu'il va utiliser pour justifier et légitimer sa politique ouvertement raciste et antisémite. Il va s'en servir pour justifier toutes les restrictions aux libertés, aux droits familiaux, justifier les expropriations, l'interdiction d'accès à la fonction publique qui va frapper les Français dits de confession juive et, j'ajouterai, de culture juive.
La loi d'octobre 1940 définit un statut des juifs à partir de leur ascendance, précisant le nombre de grands-parents nécessaire pour être considéré comme juif. La loi de juin 1941, quant à elle, précisera davantage, pour les générations suivantes, dans quelle mesure l'alliance et l'ascendance constituent un moyen de caractériser ces citoyens français, d'en faire des juifs pour les exclure de la communauté nationale.
Le décret-loi Marchandeau sera rétabli à la Libération jusqu'au vote de la loi de 1972 relative à la lutte contre le racisme. Autrement dit, à la Libération, la démarche qui avait conduit, en 1939, dans un contexte de défense nationale, à adopter ce décret-loi qui protégeait des citoyens déjà exposés à des actes xénophobes, à des injures, à des violences, sera renouvelée, l'État français reprenant sa lutte contre les discriminations et l'antisémitisme.
Il est intéressant de noter qu'au cours de la première phase de colonisation marquée par la traite négrière et l'esclavage, le paradigme de la race n'est pas utilisé ; c'est celui de la couleur qui prévaut avec le code noir ou lors du rétablissement par Bonaparte en 1802 de la traite des noirs, de l'extension du code civil aux colonies, en 1805, où il est dit que, de tout temps, les colonies ont connu les distinctions de couleur. C'est ce paradigme qui prévaut, donc, dans cette phase de colonisation et bien entendu, aussi, le paradigme de la domination avec les catégories de maître et d'esclave. Aussi, si l'on se réfère à la catégorie des blancs et à celle des noirs, il n'y a pas de référence à la race en tant que telle.
Évidemment, comme les réalités humaines, sociales et sociologiques échappent toujours à ceux qui veulent enfermer les êtres humains dans des cases, les législateurs sont assez embarrassés avec les métis qu'ils vont finir par appeler « indigènes » avec des discussions extraordinaires aussi bien en Asie qu'en Afrique ou dans les Amériques quant à savoir comment nommer ceux qui sont métissés. Le législateur, quelle que soit sa puissance, ne peut empêcher les viols dans les périodes d'extrême violence, ni l'amour qu'il ne faut pas exclure. Que faire, par conséquent, de toutes ces personnes issues d'Européens, d'Amérindiens, d'Africains et qui n'entrent pas dans la catégorie binaire des blancs et des noirs ?
C'est l'état du monde à cette époque et pas seulement dans les colonies françaises mais aussi dans une colonie anglaise : les États-Unis où a cours la fameuse théorie du one drop que tout le monde connaît ici. Ce concept a ressurgi lors de la première campagne présidentielle de Barak Obama en 2008 : One drop of black blood makes you black – « Une seule goutte de sang noir fait de vous un noir ». On va même jusqu'à envisager le cas d'une personne ayant un trente-deuxième de sang noir – probablement une référence à l'époque où l'on comptait trente-deux races, la dernière étant la race des méchants.
Plus lyrique, Bob Marley a composé une très belle chanson où il est dit : Feel it in the one drop – « Ressens-le bien dans la fameuse goutte ». En 2008, je viens de l'évoquer, le débat a ressurgi aux États-Unis : Barak Obama est-il noir, est-il métis ? Il a la fameuse goutte de sang noir, donc il est noir.
Ces anciens débats ont perduré si l'on en juge par les écrits de très grands poètes comme le Guyanais Léon Gontran Damas : « Si souvent mon sentiment de race m'effraie autant qu'un chien aboyant la nuit. » Il y a ce plomb qui pèse sur les épaules de ceux qui sentent bien qu'ils ne sont définis que par cette catégorie-là. Aimé Césaire également s'exprimera abondamment sur la race et écrira avec beaucoup d'allant dans Cahier d'un retour au pays natal : « J'accepte... j'accepte... entièrement, sans réserve... […] ma race rongée de macules. »
On a vu, pendant le mouvement des droits civiques aux États-Unis, pendant les années soixante, comment l'on décide de s'approprier une injure, un facteur, un critère de discrimination et de le sublimer, d'en faire un étendard.
Parce qu'il est un immense poète, à la pensée humaniste et universelle, il n'en reste pas là et il définit sa négritude. Il se présente clairement comme le porte-drapeau de tous les opprimés.
La race opprime. Elle n'opprime pas que les Noirs à l'époque, mais pour sa part, avec le courant poétique, philosophique, littéraire, mais aussi politique de la négritude, il revendique cette appartenance. Dans Cahier d'un retour au pays natal, il écrit : « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. »
Il exprime, d'une certaine façon, la fraternité de tous les opprimés et le refus de toutes les oppressions. Mais il va plus loin, puisque c'est un humaniste, qui pense le monde et l'universalité. Lorsqu'il dit : « Je m'exige bêcheur de cette unique race », il reprend le mot « race », mais en parlant de l'« unique race », il fait référence à l'espèce humaine. Et il poursuit : « Ce que je veux, c'est pour la faim universelle, pour la soif universelle. »
Toute cette période est donc marquée par des textes, mais plus globalement par une ambiance : des philosophies, des sciences, comme l'angle facial, ou plutôt des prétendues disciplines et théories scientifiques, qui classent les personnes en catégories. Dans ce contexte pesant, lorsque le législateur a le courage d'inscrire dans le texte de loi le refus de ces discriminations prétendument fondées sur la race, il fait preuve d'un courage politique qu'il faut reconnaître et admirer.
Le décret-loi Marchandeau, je l'ai dit, fait retour à la Libération, qui marque la victoire de la Résistance et qui est le fruit des combats menés par les troupes régulières, mais aussi par les résistants, par toutes celles et tous ceux qui ont résisté sous des formes différentes, au nom de la liberté, au nom de valeurs et au nom de l'égalité. La Résistance est un moment, où des personnes d'apparences et d'origines différentes se sont mobilisées ensemble, au nom de l'idée qu'elles avaient de la France, au nom de la liberté comme valeur, car c'est pour des valeurs que ces personnes ont risqué leur propre liberté et leur propre vie.
On sait les conséquences terribles qu'a eues, avec la collaboration et l'horreur nazie. l'utilisation, par le régime raciste et antisémite de Vichy, de cette catégorie de « race », puisque c'est elle qui a permis de discriminer, d'opprimer, d'accabler, mais aussi de déporter et de tuer.
Il faut donc reconnaître ce courage. Je parlais d'ambivalence tout à l'heure : ce mot est entré dans le droit au nom d'une très belle intention, puisqu'il devait justement permettre de combattre la xénophobie, le racisme et l'antisémitisme. Le terme a ensuite été dévoyé, puis les mentalités ont évolué et l'on s'interroge aujourd'hui sur sa présence dans les textes de loi.
C'est une ambivalence que les chercheurs en sciences humaines connaissent bien. Cela fait des années qu'ils se penchent sur cette question : ils sont convaincus qu'il faut supprimer le mot « race », mais ils se demandent comment il sera possible de combattre le racisme, si l'on supprime le mot.
Il me revient une très belle phrase, qui est peut-être de Cukor, mais qui date en tout cas des années 1940 : tout serait beaucoup plus simple pour nous, les antiracistes, si tous les Noirs étaient blancs. (Sourires).
Et inversement, sans aucun doute, mais en même temps, vive la différence ! C'est la condition de la curiosité et de l'échange, chacun portant ses mystères et ses secrets, chacun ayant quelque chose à apprendre et à délivrer à l'autre. L'altérité est bien la condition du dialogue, de la rencontre, de l'enrichissement individuel et collectif.
Il y a donc bien une ambivalence, mais on doit s'interroger – et le Parlement le fait depuis une dizaine d'années – sur la nécessité de maintenir ce terme dans la législation. Vous avez décidé de toucher à la législation, et il est vrai qu'il aurait été beaucoup plus compliqué de déposer une proposition de loi constitutionnelle.
Le rapporteur, la commission des lois et la chancellerie ont accompli ensemble un travail de grande qualité, et grâce au bon esprit de chacun, le texte a été amendé. La version initiale du texte proposait de supprimer le mot « race » sans le remplacer, ce qui nous faisait courir un risque de vide juridique et ce qui aurait rendu difficile la sanction des pratiques, des propos et des comportements délibérément et explicitement racistes. Vous avez finalement fait le choix de remplacer le mot « race » par des membres de phrase comportant des dérivés. Ce n'est pas toujours très heureux, mais il est assez fréquent, dans les textes de loi, que neuf articles sur dix fonctionnent bien, et que les choses soient plus compliquées pour le dernier.
Ce n'est pas toujours très heureux, disais-je, et cette formulation semble parfois faire perdre un peu de sa force au texte, mais il n'empêche : il me semble qu'il s'agit du meilleur compromis possible. Nous ne pouvions maintenir le terme « race », parce qu'il n'a aucun sens scientifique et parce qu'il a une signification philosophique inacceptable dans un ordre juridique fondé sur les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Mais en même temps, nous devions nous donner des moyens de sanction, puisque l'on constate encore, hélas, de nombreux actes de violence, des injures et des discriminations à caractère raciste.
Je pense que vous avez abouti à une proposition de loi qui se tient, et qui se tient même bien. Un amendement de Mme Capdevielle va modifier l'article 1er. Cet amendement est bienvenu, car la première rédaction de l'article faisait une référence un peu gênante. Il y a de la solennité dans la nouvelle rédaction, qui est bien meilleure puisqu'elle se réfère à la République et au fait que celle-ci interdit et condamne la référence à la race.
Je pense que vous êtes arrivés à un texte de loi qui mérite d'être adopté. En tout cas, le Gouvernement émettra un avis favorable. Il s'agit d'un acte nécessaire et noble, conforme à ce qu'est notre République. Cet acte est particulièrement fort dans la période où nous nous trouvons, puisque nous assistons, depuis quelques mois ou quelques semaines, osons le dire, à une résurgence du refus de l'autre et de la suspicion vis-à-vis de l'autre, à une libération de la parole – encore que le mot « libération » ne convienne pas dans ce cas-là –, et en tout cas à une désinhibition.
Monsieur Chassaigne, à votre air étonné, je me dis que je viens peut-être de faire un néologisme…
Des digues ont été rompues, des choses se sont effondrées, et je crois que votre message est bienvenu. C'est vraiment le moment de le délivrer et de rappeler que notre société s'est bâtie, non seulement sur l'acceptation de l'autre, mais sur l'accueil de l'autre, sur l'hospitalité, sur l'amour de l'autre et sur la fraternité.
La fraternité, ce n'est pas rien dans notre devise, qui a été établie en 1848, sous la Deuxième République, et qui a montré sa force à travers le temps. Sur la base de cette devise et de cette conception de la fraternité, la France avait déjà proclamé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; elle a ensuite été très active, en 1948, dans l'élaboration de la Déclaration universelle des droits de l'homme par l'ONU. Elle a montré, en plusieurs circonstances, sa solidarité avec le reste du monde, sa sensibilité au sort des opprimés et son empathie envers d'autres peuples.
Notre société a tout cela dans son patrimoine, historique et philosophique, mais aussi dans son quotidien. Il est bon de le rappeler, parce que ce ne sont pas les voix les plus fortes, celles qui crient la haine et le refus de l'autre, qui sont les plus légitimes pour résumer l'histoire de la France, son éthique et sa philosophie.
Je le répète : le moment est bienvenu pour dire tout cela. C'est l'occasion de rappeler tous ces moments et tous ces actes de l'histoire de la France et de dire, avec Nazim Hikmet, que : « Les chants des hommes sont plus beaux qu'eux-mêmes, plus lourds d'espoir, plus durables. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans L'équation du nénuphar, Albert Jacquard écrivait : « Il se révèle impossible de classer les différentes populations humaines en races. Selon le niveau de précision que l'on cherche à respecter, on peut finalement énoncer : soit qu'il n'y a pas de races dans notre espèce, soit qu'il n'y en a qu'une, l'Humanité, soit qu'il y en a autant que d'humains, soit, enfin, que le concept de race n'est pas opérationnel pour notre espèce. La conséquence la plus claire est que tout raisonnement faisant référence à des races humaines est dépourvu de base scientifique. »
À lui seul, le jugement scientifique de ce chercheur, spécialiste de la génétique des populations et membre du Comité consultatif national d'éthique, justifie la proposition de loi que les députés du Front de gauche portent aujourd'hui, avec nos collègues ultramarins.
C'est avec beaucoup de solennité et de fierté que je souhaite défendre ce projet de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation nationale. Ce projet, notre groupe le porte avec constance depuis plusieurs années. Comme le rapporteur l'a rappelé, notre collègue Michel Vaxès avait déjà défendu un projet similaire en 2003. Le contexte dans lequel nous faisons à nouveau cette proposition est différent, puisque François Hollande déclarait lui-même en mars 2012, pendant la campagne électorale des présidentielles : « Il n'y a pas de place dans la République pour la race. »
En décidant de supprimer la catégorie juridique de « race », comme nous le proposons, notre assemblée contribuerait à faire avancer notre société au plan idéologique et pédagogique, même si – nous en sommes tous convaincus – ce geste symbolique ne suffira pas à effacer le racisme. Elle donnerait un signal fort à toute la communauté internationale, et la France ferait figure de pionnière, comme elle a su l'être en d'autres temps, dans la lutte mondiale contre l'obscurantisme.
Cette notion de « race » est d'ailleurs historiquement récente. Le mot apparaît au XVIIe siècle pour désigner une lignée ou une famille, et ce n'est pas un hasard si sa définition moderne naît dans le contexte des grandes conquêtes coloniales. La France, comme d'autres pays européens, a alors besoin de justifier moralement l'exploitation féroce des Indiens dans ses colonies d'Amérique, puis des Africains déportés par millions et réduits en esclavage.
Déjà, en 1550, la controverse de Valladolid posait la question de l'appartenance des Amérindiens à l'humanité. Si le dominicain Bartolomé de Las Casas a gagné ce combat pour la défense des Indiens, il a hélas été conduit à suggérer, en contrepartie, la déportation des Africains.
De la même façon, la question de savoir si les femmes avaient une âme se posait déjà depuis plusieurs siècles, et depuis des temps immémoriaux, les membres de la noblesse auraient eu du sang bleu. Autant dire que le racisme remonte très loin dans notre histoire.
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'Europe et quelques-uns de ses scientifiques tentèrent de théoriser la validité de la notion de « race » pour entériner la notion de race supérieure. On mesure bien, aujourd'hui, la bêtise de ces définitions raciales. Pour autant, on ne peut oublier les conséquences qu'elles ont eues et les horreurs qu'elles ont générées. Elles ont justifié la déportation et l'exploitation d'Africains pendant trois siècles, puis la domination des peuples africains et asiatiques colonisés.
Ces théories racistes ont été utilisées par les nazis pour justifier la supériorité de la race aryenne, prétendument pure, et elles ont conduit à la barbarie que l'on sait.
Elles ont aussi laissé des traces qui perdurent aujourd'hui dans les mentalités : le racisme est loin d'avoir disparu et il est encore une arme de division entre les hommes et les femmes. Et c'est bien là le noeud du problème. Dans un système dont le coeur est la domination et l'exploitation, trois grandes discriminations perdurent : envers les femmes, envers les classes subalternes, ces « instruments bipèdes », ainsi que Sieyès nommait les ouvriers, et envers les peuples coloniaux.
La liberté théorisée par le libéralisme a toujours été d'abord celle des dominants, celle du « peuple des seigneurs ». Le racisme est l'un des moyens de limiter l'émancipation des peuples et il s'est manifesté dans de nombreux textes. Dans les années 1950, le Règlement du service dans l'armée française précisait ainsi que la mission du colonel consiste à indiquer « les moyens les plus propres à développer le patriotisme : fortifier l'amour de la patrie et le sens de la supériorité de la race ». La notion de race a imprégné certaines de nos institutions et le chemin est long pour s'en départir.
Malheureusement, le quinquennat de Nicolas Sarkozy n'a pas été exempt de débordements. Les discours de Grenoble et de Dakar ont exprimé une volonté de rupture avec notre tradition universaliste, humaniste et républicaine, et la déclaration de Claude Guéant sur l'inégalité des civilisations allait dans le même sens.
Or l'idée de classification ou de hiérarchisation des hommes sur la base d'un critère biologique ou génétique a été invalidée et désavouée par tous les travaux scientifiques depuis plus de quarante ans. Le mot « race » est caractérisé par son ineptie, dès lors qu'il est appliqué à l'homme.
En 1996, 600 scientifiques français répliquaient à Jean-Marie Le Pen, qui avait déclaré comme une évidence que les diverses races humaines étaient inégales. André Langaney, généticien et professeur au Muséum national d'histoire naturelle, l'affirme sans ambiguïté : « Il n'y a pas, montrent aujourd'hui les biologistes, de marqueurs génétiques de la race. Les gènes n'ont pas de race. » Et de conclure que la société colonialiste s'est longtemps efforcée de faire passer l'idée de races hiérarchisées pour une notion scientifique « afin de justifier les inégalités sociales et les oppressions économiques ».
Le genre humain est apparu il y a plus de deux millions d'années. On situe encore aujourd'hui sa naissance en Afrique, dont André Langaney a raison de dire que « ce sont ses enfants, puis ses descendants qui constituent les six milliards d'êtres humains actuels ».
Pourtant, le législateur comme le constituant n'ont pas tiré les leçons de l'histoire et de la science. Déjà présente de manière tacite durant la période coloniale, la notion de race a été officiellement consacrée par le régime de Vichy. Loin d'être un hasard ou une coïncidence, la date d'entrée du mot « race » dans notre corpus législatif – 1939 – est parlante.
Certes, les diverses références à la race ont aujourd'hui pour objet de prohiber les discriminations entre les êtres humains. Cependant, la référence à la race dans la législation équivaut nécessairement à une validation implicite de l'existence d'une telle distinction entre les êtres humains. Cette réalité est d'autant plus forte lorsque la race constitue l'élément d'une énumération, parmi des notions aussi objectives que l'origine, l'ethnie, la nation ou la religion. Utiliser, en droit, le terme de « race » revient à admettre implicitement son existence, ou du moins à en banaliser l'usage, y compris par les plus jeunes de nos concitoyens.
La suppression de la notion de « race » ne nuira pas à l'efficacité de la lutte contre le racisme.
Il ne s'agit pas de censurer la langue française, encore moins de créer un quelconque vide juridique qui risquerait d'affaiblir notre arsenal répressif contre les actes racistes. Les mots « raciste » et « racisme » ont vocation à demeurer dans notre droit.
Enfin, la référence à la notion de race n'est pas un outil juridique incontournable. Notre excellent rapporteur, Alfred Marie-Jeanne, attentif à cet argument, a proposé de substituer au mot « race » le mot « raciste ». J'en profite pour saluer le travail formidable de notre collègue. Il a réalisé de nombreuses auditions et a balayé l'ensemble des textes. Ce travail lui a permis de corriger les imperfections du texte initial pour proposer une nouvelle rédaction, désormais irréprochable.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous sommes conscients que le racisme ne disparaîtra pas en corrigeant simplement notre vocabulaire juridique. Le combat contre le racisme, sous toutes ses formes, reste plus que jamais d'actualité et nous le poursuivrons avec opiniâtreté et persévérance.
La nouvelle proposition de rédaction de l'article 1er permet d'assurer une parfaite sécurité juridique. Dans le même temps, elle donne une signification politique à cette substitution : les races n'existent pas, contrairement au racisme qui subsistera tant que nous n'aurons pas réussi à gagner la bataille contre l'obscurantisme.
Nul doute que, quelles que soient nos sensibilités politiques, quelles que soient nos origines et nos parcours, nous pouvons faire nôtres les paroles d'une belle chanson de Claude Nougaro par lesquelles je souhaite conclure – rassurez-vous, madame la garde des sceaux, je ne la chanterai pas ! (Sourires.)
Claude Nougaro chantait : « Armstrong, un jour, tôt ou tard, On n'est que des os. Est-ce que les tiens seront noirs ? Ce serait rigolo. Au-delà de nos oripeaux, Noir et blanc sont ressemblants Comme deux gouttes d'eau. » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques jours, Ibrahim Dia, âgé de 47 ans, alors en vacances avec son épouse et leur fils de huit ans dans la région Aquitaine, a été agressé par trois hommes du village où il se promenait. Ils l'ont roué de coups et insulté : « Sale nègre, sale Antillais, sale pédé, on t'avait dit de rentrer chez toi ! ». De nombreux témoins sont intervenus, permettant à la victime de quitter les lieux.
Cette agression puise son motif dans la seule origine sénégalaise d'Ibrahim Dia, qui souffre aujourd'hui, entre autre, d'un traumatisme crânien. Sa seule faute aura été d'être noir et de se trouver dans une commune d'Aquitaine. Ce constat est affligeant.
Ses trois agresseurs comparaîtront en janvier 2014 devant le tribunal correctionnel de Bergerac pour répondre des infractions racistes commises. Réjouissons-nous de vivre dans un État de droit !
Le racisme est toujours un fléau dans notre pays, un virus tenace, en perpétuelle mutation. Nous n'avons pas fini de le combattre de toutes les façons que nous permet la loi.
Parmi les nombreuses actions à mener, la suppression du mot « race » de nos codes et textes de lois est un acte honorable du législateur, qui va bien au-delà de sa seule valeur symbolique. Ce n'est pas un gadget législatif.
Ces quatre lettres n'ont rien à faire dans nos textes, sinon pour caractériser – et permettre à la justice de condamner – les actes racistes, antisémites et xénophobes, notamment par le biais des dérivés sémantiques qui s'y rattachent, comme je m'emploierai à le montrer plus loin.
Si, aujourd'hui, les termes les plus outranciers tendent heureusement à disparaître des discours politiques en France, la notion de race reste nettement perceptible, qu'il s'agisse de la promotion des théories racistes, aspect le plus visible, ou des analyses idéologiques erronées à l'instar du mémorable discours de Dakar prononcé par le précédent Président de la République, émanation regrettable de la plume d'un de nos collègues.
Pour sa part, le terme de « race » est toujours présent dans le lexique juridique et législatif français. Voici un paradoxe qu'il convient de corriger sans délai, ce que l'actuelle majorité est sur le point de faire.
Ce débat n'est pas nouveau, comme l'ont rappelé la garde des sceaux et le rapporteur, et les rendez-vous manqués sont nombreux. Depuis 2002, la gauche française tente sans succès de supprimer ce mot. Toutes les tentatives se sont heurtées au refus de l'UMP – bien absente aujourd'hui – qui, sous prétexte de raisons juridiques fallacieuses, défend la position selon laquelle le mot ne correspond à rien sur le plan conceptuel, mais constitue un outil juridique indispensable de la lutte antiraciste.
Il serait donc, selon l'UMP, impossible de le supprimer. Ce ne sont que des fadaises que la majorité s'emploie à contrecarrer. En 2008, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la Ve République, la gauche avait déposé deux amendements visant à supprimer le mot « race » de l'article 1er de la Constitution et à le remplacer par le terme « origines ».
Pour mémoire, l'amendement du groupe socialiste avait été défendu dans l'hémicycle par notre collègue Jean Jacques Urvoas, aujourd'hui président de la commission des lois.
Saluons à cette occasion la ténacité de nos convictions qui ont amené le candidat François Hollande à déclarer lors d'un meeting de campagne relatif à l'outre-mer : « Il n'y a pas de place dans la République pour la race. Et c'est pourquoi je demanderai au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution ».
Cet engagement clair est tenu, et le changement de majorité permet enfin de procéder à cet acte symbolique fort et indubitablement pratique.
Comme l'indique avec raison le rapporteur : « Continuer à utiliser ce terme, ce concept, même si c'est pour prohiber les discriminations, c'est admettre très implicitement son existence, scientifiquement erronée. ».C'est tout à fait juste.
Au-delà du symbole se pose la question de l'ambiguïté du concept de race en droit français. L'origine du terme « race » est obscure et controversée. La racine du mot serait latine, germanique ou arabe. L'usage du mot est attesté en espagnol dès le XVe siècle, pour caractériser les juifs convertis au christianisme, considérés comme de sang impur, puis à propos des Indiens du Nouveau Monde.
En France, ce n'est véritablement que dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l'on commence à parler de races, à travers le « racialisme » et le développement de l'étude à prétention scientifique des races.
Permettez-moi de citer un manuel d'histoire de 1887, utilisé dans les écoles de la République française. Il commence ainsi : « On distingue trois races humaines : la race noire, qui peupla l'Afrique, où elle végète encore ; la race jaune, qui se développa dans l'Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d'esprit positif, adonnés aux arts utiles mais peu soucieux d'idéal, ont atteint une civilisation relative, où ils se sont depuis longtemps immobilisés ; et la race blanche qu'il nous importe spécialement de connaître, qui a dominé et domine encore le monde. »
Cette pédagogie se passe de commentaire.
C'est le régime de Vichy, et sa législation antisémite visant clairement la « race juive », qui a fait entrer le terme dans le vocabulaire juridique. La « race » est alors devenue une catégorie juridique en droit français.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait un choix judicieux. Le mot « race » est supprimé et remplacé par d'autres termes substitutifs juridiquement neutres. Ces termes ne sont certes pas poétiques, Mme la garde des sceaux a raison, mais ils permettent de poursuivre les auteurs d'actes ou de propos racistes. Les termes ne sont pas heureux, mais le code pénal n'est malheureusement pas un recueil de poèmes.
Le mot « raciste » peut être substitué aux termes « race » ou « racial » dans cinquante-cinq des cinquante-neufarticles concernés. Il n'est en effet pas question de prendre le risque d'un vide juridique, ou de la relaxe de prévenus fondée sur le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ainsi, et c'est là l'essentiel, la prévention et les poursuites sont sécurisées.
Certes, cette proposition de loi ne supprimera pas le mot « race » de la Constitution et des textes de droit européen et international. Pour autant il n'est pas incompatible avec ces textes qui posent le principe de la répression des actes et propos racistes.
La France, une fois n'est pas coutume, sera pionnière en Europe. Volontariste, elle prouve qu'il est désormais possible juridiquement de ne plus faire référence à ce mot sans affaiblir – bien au contraire – la lutte contre le racisme, qui progresse malheureusement dans notre territoire. La France sera donc légitime pour plaider devant les instances européennes et internationales et se faire l'ambassadrice de la suppression du mot « race ». Nous nous honorerions d'être les premiers à le faire.
Cette proposition de loi participe aussi de la lutte sans merci contre ce fléau compris dans son acception la plus large et la plus diversifiée.
De la violence avérée dont je faisais état au début de mon propos à la haine ordinaire et quotidienne, le racisme est un phénomène particulièrement complexe dont les manifestations sont aussi nombreuses que variées, et surtout insidieuses : islamophobie, négrophobie, antisémitisme, homophobie, et toute forme de xénophobie et de rejet de l'altérité.
Le racisme, comme le diable, se niche dans les détails : à l'école ; sur les terrains de sport où l'on entend des cris de singe dès que l'on voit un homme de couleur noire ; lors de l'embauche ; de la recherche d'un logement ; au détour d'un commentaire sur internet où se développe ce nouveau phénomène de cyberhaine ; ou bien – soit dit en passant – dans l'écart langagier d'un ministre de l'intérieur et de l'outre-mer un peu trop décomplexé.
Cette proposition de loi donne l'exemple. Car après le regard porté, impalpable, incernable, le premier acte raciste se cristallise souvent dans quelques mots et quelques paroles blessantes, prononcées apparemment sans conséquence. En supprimant le mot « race » de nos codes et, souhaitons-le, prochainement de notre Constitution et des textes européens, cet acte du législateur participe de la conscientisation, de la sensibilisation et de l'éducation des enfants. Il comporte une valeur d'exemple qui ne manquera pas de se distiller progressivement dans l'esprit citoyen.
En supprimant le mot « race » nous tordons le cou aux idées reçues, tel que ce cliché sur « l'homme africain qui ne serait pas entré dans l'histoire », alors même que l'Afrique a été l'un des berceaux de grandes inventions humaines et politiques, de civilisations riches et puissantes où l'écriture, les sciences et les arts tenaient une place de premier ordre.
Supprimer le mot « race », c'est enfin contribuer à la reconnaissance de la diversité culturelle, facteur d'enrichissement mutuel où tous se nourrissent d'échanges réciproques, dans le respect de l'autre pour ce qu'il est.
Ce texte permet enfin de tourner définitivement une page. Il ne réécrit pas l'histoire, ce n'est pas son objet.
Ce texte est destiné à nos enfants. Pour eux je voudrais conclure en citant Tahar Ben Jelloun. Dans Le racisme expliqué à ma fille, ouvrage que je viens de retrouver en rangeant la chambre de mes enfants, il écrivait : « Le mot race ne doit pas être utilisé pour dire qu'il y a une diversité humaine. Le mot race n'a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c'est-à-dire physiques. On n'a pas le droit de se baser sur les différences physiques – la couleur de la peau, la taille, les traits du visage – pour diviser l'humanité de manière hiérarchique c'est-à-dire en considérant qu'il existe des hommes supérieurs par rapport à d'autres hommes qu'on mettrait dans une classe inférieure. Ma fille, je te propose de ne plus utiliser le mot “race”. »
À son tour, la majorité parlementaire propose de ne plus utiliser le mot « race ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, je remercie Mme Capdevielle d'avoir signalé la présence énergique des membres de l'opposition dans l'hémicycle. Je lui ferais remarquer qu'en proportion, nous sommes plus nombreux que les députés de certains autres groupes.
Je fais également remarquer à la Présidence que, si nous n'avions pas subi une suspension de séance intempestive d'une heure cet après-midi afin que le ministre du travail puisse assister à la conférence de presse du Président de la République, nos travaux auraient été mieux organisés, et nos collègues auraient certainement pu venir en plus grand nombre.
J'en viens à notre sujet.
Le fait de retirer des codes certains termes qui n'ont plus l'assurance, l'impact ou une forme de justesse qui furent les leurs à un moment donné, a du sens. Comme l'ont rappelé Mme la garde des Sceaux, Colette Capdevielle et d'autres orateurs, il est évident qu'un peu plus d'un siècle après le triomphe de ce mot dans les sciences biologiques de la fin du XIXe siècle, les travaux des populationnistes, des généticiens ou encore des biologistes ont évolué au point qu'il a perdu toute pertinence scientifique. Telle est la marque de l'évolution des sciences dans l'histoire, des sciences dites « dures », mais dont la capacité de changement est bien plus grande qu'il n'y paraît.
L'intention est symbolique, cela a été rappelé également. Je vous l'ai dit, madame la garde des Sceaux, lors de l'examen d'un texte où vous parliez d'altérité, dans des termes certes différents, ce que j'ai regretté…
C'est mon obsession ! (Sourires.)
C'est bien ce que je vous reproche ! Tout changement apporté à la loi a une portée symbolique, par la force des choses. Il concerne des réalités qui dépassent de beaucoup le contenu même du texte. Aussi, supprimer le mot « race » dans notre législation est-il une intention louable, compte tenu de la pertinence d'une telle suppression sur le plan de la science et de l'histoire et de sa portée symbolique.
Mais, ainsi que je l'ai dit en commission, l'intention de nos collègues du groupe GDR entraîne deux problèmes. Supprimer ce mot des différents codes ordinaires sans l'évacuer du bloc constitutionnel pose évidemment un problème de droit. On imagine mal que la portée de la suppression du mot dans les lois ordinaires ne soit pas supplantée par le maintien de celui-ci dans le bloc constitutionnel, particulièrement dans le préambule de la constitution de 1946, qu'il sera difficile de modifier.
Par ailleurs, cela pose le problème du remplacement du mot. Notre collègue Alfred Marie-Jeanne se souviendra des échanges que nous avons eus en commission à ce sujet : quel mot faut-il lui substituer pour éviter de laisser des trous dans la toile, si je puis m'exprimer ainsi ? Vous avez mentionné le mot « origine », madame Capdevielle, notre rapporteur avait proposé les mots « ethnie » et « ethnique ». Je ne suis pas certain que ces substitutions soient tout à fait satisfaisantes. En plus d'un problème de droit en principe, nous nous heurtons à une question de sémantique qu'il faudra régler, et ce d'autant plus que ce mot subsistera dans le bloc constitutionnel.
Pour le coup, nous ne sommes pas dans une procédure législative qui permette d'évacuer rapidement ce mot du bloc de constitutionnalité. J'ai bien entendu que nous étions sur le chemin, au tout début sans doute, de la réalisation d'une promesse du chef de l'État – ne perdons pas espoir, il est trop tard pour cela ! –, mais il faudra d'autres procédures, d'autres modifications, et à l'évidence une modification de la Constitution, pour que le présent texte puisse trouver un point d'appui solide.
Pour ces raisons, il me paraît difficile de soutenir pleinement la pertinence de ce texte.
Enfin, combattre ce phénomène qu'est le racisme en supprimant simplement le mot des codes relève de simples bonnes intentions. Je ne veux pas faire à quiconque l'injure de considérer qu'il s'agirait d'une forme de « pensée magique », revenant à estimer que changer le nom de la réalité suffit à changer la réalité.
Si le mot « race » a fait son entrée dans notre droit à l'occasion de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c'est-à-dire bien antérieurement aux régimes racistes ou discriminatoires, le fait de l'en retirer n'aura pas la portée et les conséquences sur la société que certains veulent bien lui prêter. Pour toutes ces raisons, et à titre personnel, monsieur le rapporteur, je m'abstiendrai sur cette proposition de loi.
Madame la présidente, madame la garde des Sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de part et d'autre de cet hémicycle, l'absolue conviction que l'espèce humaine est une et que le concept de « race » n'a aucun fondement scientifique ou biologique nous réunit aujourd'hui.
La seconde conviction qui nous rassemble, c'est que la lutte contre le racisme, et plus largement la lutte contre toute forme de discrimination est intrinsèquement partie du projet républicain, c'est-à-dire de l'exigence humaniste héritée des Lumières, de cette aspiration à l'universel qui postule que chacun contribue à l'aventure et à l'émancipation humaines ; cette lutte profite à tous, passe par chacun, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne.
Alors, mes chers collègues, le bon chemin de réflexion est-il de supprimer un mot ou de penser un projet ? Croyez-vous que la disparition légale du mot emportera avec elle la peste brune du racisme ?
Et cette peste, pour rappeler à nos souvenirs l'oeuvre magnifique d'Albert Camus, n'a pas été éradiquée. Elle gagne du terrain, à la faveur des difficultés, des inquiétudes, des obstacles à l'espoir et aux aspirations, qui font craindre la différence et l'altérité, qui font naître la peur de l'inconnu et qui accueillent les appels aux communautarismes et à la haine ordinaire. Reporter sur les autres la peur et l'incertitude que l'on porte en soi est sans doute le pire des fléaux. Encore à bas bruit, mais déjà bien visible, il gagne dans notre pays mais aussi à nos frontières, dans ces pays amis qui sont le berceau de notre civilisation.
La Commission consultative nationale des droits de l'homme a d'ailleurs récemment pointé une « inquiétante montée de l'intolérance », dans « une société française plus perméable aux phénomènes de racisme, une société segmentée, [...] en proie à une importante crise identitaire ».
Alors, bien sûr, la lutte contre le racisme doit concentrer tous nos efforts. C'est une lutte difficile, qui renvoie à bien des facteurs personnels et collectifs. « S'aimer », écrivait Jean Anouilh, « c'est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de vous ou du monde ».
Voilà pourquoi la discussion que vous nous proposez aujourd'hui est révélatrice, nécessaire, mais aussi discutable.
S'il fallait traiter de ce mal républicain, alors un débat était nécessaire, qui aurait mobilisé l'ensemble des forces républicaines, toutes les aspirations qui parcourent, avec leurs nuances, les travées de cet hémicycle. Et, bien au-delà de notre cénacle, parfois tellement confiné qu'il se perd dans ses propres mots et fait des mots des mondes, il aurait fallu ouvrir le champ à une réflexion plus vaste, plus profonde, plus partagée, faisant ainsi la belle démonstration de l'unité de la République et de la puissance de ses valeurs.
Cette discussion aurait pu être simplement celle de la lutte contre toutes les formes de discrimination, car le racisme a muté et su prendre d'autres apparences. On aurait pu évoquer les discriminations en raison du sexe, des convictions politiques ou religieuses, d'une appartenance syndicale, du handicap, de l'état de santé, de l'âge, de l'orientation sexuelle ou bien encore du lieu de résidence.
Autant d'injustices, autant d'intolérances et de rejets des différences, autant de tensions inacceptables pour les Républicains que nous sommes et qui ne sont pas uniquement liées à l'appartenance à une prétendue « race ».
Ces discriminations créent à coup sûr l'exclusion, elles entretiennent le ressentiment de beaucoup de nos concitoyens. Elles minent la cohésion sociale, le pacte républicain et vont à l'encontre des valeurs fondamentales et fondatrices de notre communauté de destin.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui me donne l'impression de viser un arbre, quand il s'agit d'identifier une forêt tout entière, assombrie de tant de préjugés. C'est une discussion sémantique, lexicale, qui ne dit que peu de chose d'une démarche générale qui ferait sens.
Vous l'aurez compris, sur le plan philosophique, le groupe UDI soutient pleinement les objectifs et les intentions de ce texte. En revanche, techniquement, il lui semble beaucoup plus contestable. Le terme de « race » comme catégorie juridique est bien sûr à bannir, mais certains s'inquiètent – de manière excessive, espérons-le – des conséquences juridiques que la suppression de ce terme pourrait soulever.
Est-on bien certain que ce texte approximatif, incomplet et rédigé dans la précipitation ne risquerait pas finalement de produire des effets inverses de ceux qu'il vise, notamment en affaiblissant l'appareil répressif existant ?
La cohérence législative est primordiale sur cette question. D'ailleurs, la modification du texte initial en commission témoigne de ce manque de préparation.
Le sujet ne méritait-il pas plus d'égards ? Ses conséquences n'imposaient-elles pas une plus grande précision ? Sa valeur symbolique ne requérait-elle pas davantage de hauteur de vue ?
Du reste, il est évident qu'une réforme cohérente et durable impliquait de se porter à la hauteur du texte suprême, la Constitution.
L'adoption de cette proposition de loi pourrait, selon certains, nous conduire à une situation ubuesque où le mot « race », gommé de l'ensemble de notre législation, demeurerait au sommet de la hiérarchie des normes, qui proclame l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Or, à notre connaissance, un projet de loi constitutionnelle visant à supprimer le mot « race » n'est pas à l'ordre du jour.
Enfin, la rédaction même de ce texte semble discutable. Amendé de manière considérable en commission, il prévoit désormais de supprimer le mot « race » dans cinquante-neuf articles, neuf codes et treize lois non codifiées. Et nous sommes condamnés à n'examiner au fond les améliorations à apporter à ce texte que dans le cadre de l'hémicycle.
Pour autant, on ne saurait considérer cette mesure à la légère. Et d'évidence, je l'ai dit au nom de mon groupe, cette proposition de loi est pétrie des meilleures intentions.
Pour ma part, je considère que les mots peuvent parfois changer le monde. Et, aujourd'hui, ce mot porte, ici ou là, un poids qui pèse parfois encore par le seul fait de son existence. Il n'est pas incohérent de supprimer ce mot dans la perspective d'un projet. Efforçons-nous donc de construire le projet en évitant de se gargariser de mots. Et dans l'instant, je vous fais grâce du mot.
Je voterai, avec une partie du groupe UDI, cette proposition de loi. Malgré les doutes que j'ai exprimés, nous vous faisons confiance. Nous espérons que, demain, lorsque le Parlement aura délibéré et que cette loi entrera en vigueur, notre arsenal répressif contre le racisme n'en sera pas amoindri.
L'autre partie du groupe UDI considère que les incertitudes liées à la formulation juridique retenue dans ce texte ne permettent pas de répondre avec certitude à ces inquiétudes. En conséquence, elle s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et GDR.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, les textes présentés aujourd'hui par le groupe GDR ont tous une très forte portée symbolique. Ils reprennent en grande partie des promesses du candidat François Hollande. La proposition de loi tendant à la suppression du mot race de la législation française en est le meilleur exemple.
Vous l'avez rappelé, madame la ministre, le mot « race » est apparu dans la législation française avec le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939. Ce texte interdisait la propagande antisémite et réprimait la diffamation commise envers « un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée ».
Abrogé par le régime de Vichy, il fut remis en vigueur à la Libération.
C'est sous Vichy, avec la législation antisémite, que la race est véritablement devenue une catégorie juridique de notre droit. Ainsi, la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs dispose qu'est « regardé comme juif pour l'application de la présente loi toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ».
Après 1945, le mot « race » n'est employé que pour prohiber les comportements racistes. Mais en usant des termes « race » et « racial », même si c'est pour proscrire les discriminations fondées sur la « race », le droit n'entérine-t-il pas leur existence et ne leur confère-t-il pas une objectivité ambiguë ?
Le Préambule de la Constitution de 1946 proclame ainsi que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » La mention est également présente à l'article 1er de la Constitution de 1958 et dans toutes les grandes conventions internationales relatives aux droits humains. En droit français, le mot « race » et ses dérivés – le rapporteur l'a rappelé – apparaissent dans neuf codes et treize lois non codifiées, soit cinquante-neuf articles au total.
La forte portée symbolique de ce texte est néanmoins contrebalancée par cette réalité juridique : il ne permet pas en effet de modifier notre Constitution, encore moins les conventions internationales auxquelles la France est partie.
La première difficulté devrait être rapidement surmontée, puisqu'il s'agit d'une promesse de François Hollande. Le 10 mars 2012, il déclarait en effet : « Il n'y a pas de place dans la République pour la race. Et c'est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution. » La proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui n'est donc qu'une première étape.
Mais si le mot « race » n'est apparu dans la législation française que dans la seconde partie du xxe siècle, son origine est en réalité bien plus ancienne. Au xve siècle, les stratèges de la Reconquista utilisent l'idée de « pureté du sang ». Il s'agissait de nettoyer la péninsule du sang des juifs et des maures, pour mieux les en chasser et établir la religion catholique et le règne de ses rois. La découverte des Amériques donnera un nouvel élan à cette théorie raciste. Les premières justifications scientifiques de l'idée de race, fondée sur des différences physiques, notamment de couleur de peau, et intellectuelles, mesurées à la taille du cerveau, datent de cette époque. Les mêmes analyses justifieront la naissante traite des noirs.
Au xviiie siècle, ce naturalisme mènera à la classification des êtres vivants. Linné sera le premier, en 1758, dans son Systema naturae, à oser classifier les races humaines. D'autres prendront sa suite, comme Emmanuel Kant dans Des différentes races humaines en 1775.
Arthur de Gobineau sera l'un des grandes théoriciens de la hiérarchie des races au xixe siècle, avec son Essai sur l'inégalité des races humaines en 1853. À l'inverse de ses prédécesseurs, il fonde sa classification raciale sur les conditions géographiques et climatiques dans lesquelles évoluent les êtres humains. Ces théories naturalistes sont alors enseignées aux enfants dans leurs livres scolaires… La flambée des nationalismes, la ruée vers l'Afrique et la conférence de Berlin constituent alors les cadres où se développe une théorie prétendument fondée sur des faits scientifiques mais dont les objectifs sont en vérité purement économiques.
Car l'histoire de l'Europe est en réalité bien plus cosmopolite que n'ont tenté de le faire croire ces racistes savants. Des intellectuels comme Renan refusent déjà l'existence d'une « race pure », et défendent une construction culturelle des nations. C'est le premier coup porté, bien que nuancé, au racisme scientifique, lequel aura toutefois encore de beaux jours devant lui, inspirant notamment les massacres commis pendant la Seconde Guerre mondiale.
C'est alors que la prise de conscience de la communauté internationale aboutit à l'adoption des diverses déclarations des droits humains déjà citées. Malgré la persistance de la ségrégation raciale aux États-Unis, le racisme sera désormais puni, presque partout dans le monde.
En 1958, l'UNESCO précise la dimension exclusivement biologique de la notion de race humaine et propose de la remplacer par la notion de « groupe ethnique ». Dans un rapport au Président de la République qui date de 1979, François Gros, François Jacob et François Royer, engageant à leur suite toute la communauté scientifique, ont dénoncé l'utilisation des arguments tirés de la biologie pour justifier certains modèles de société, du darwinisme social, ou eugénisme, au racisme colonial ou à la supériorité aryenne. Les idéologies n'ont guère hésité, disent-ils, à détourner les acquis de la science.
Mais le terme d'ethnie, bien que sociologiquement défini, ainsi que l'a bien remarqué le rapporteur, constitue en réalité une forme d'euphémisation de la notion de race. Celle-ci reste donc communément admise, non plus comme une réalité scientifique mais comme relevant d'un fait social.
Claude Lévi-Strauss refonde l'approche anthropologique en insistant sur la dimension dynamique de la diversité des cultures humaines, tandis qu'en Afrique et dans les Antilles sonne l'heure de la révolte intellectuelle. Je pense aux paroles touchantes d'Aimé Césaire en 1958 : « Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ; mon état : révolté ; mon âge : l'âge de pierre. Ma race : la race humaine. Ma religion : la fraternité. » Je pense également aux propos tellement actuels de Frantz Fanon, pour qui « le Blanc n'existe pas. Pas plus que le Noir ».
Chers collègues, nous savons tous que la notion scientifique de race telle qu'elle a été théorisée pendant plusieurs siècles ne se fonde sur aucune base réelle. Le racisme est devenu un fait social, indépendant de la notion de race. La suppression de ce terme est juridiquement complexe – mon prédécesseur à cette tribune vient de le rappeler –, puisqu'il s'agit de préserver le délit de racisme qui, lui, est bien réel. Je salue à cet égard le travail du rapporteur, qui a su trouver les formulations adéquates après un travail juridique minutieux, et retenu les termes de « discriminations à caractère raciste ».
Il nous faut toutefois rester vigilants. La résurgence de théories scientistes à vocation raciste est tout à fait possible. Les États-Unis ont décidé, pour y faire face, de préserver ce terme de race pour en étudier sa construction sociale au sein des race studies, qui s'apparentent aux gender studies.
Il est ainsi chaque fois plus essentiel de rappeler, à l'instar de François Hollande, que la race n'a pas sa place dans la République et que la nation française s'est avant tout construite sur des valeurs communes : la liberté, l'égalité, la fraternité, qui nous conduisent à vouloir bannir aujourd'hui le mot « race » de notre législation. Dans notre histoire, le terme de race à trop souvent servi à asservir, à stigmatiser, à discriminer des personnes du simple fait de leur origine.
Pour conclure, j'aimerais de nouveau citer Frantz Fanon. Celui-ci nous disait en 1961, dans Les Damnés de la Terre, que : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir. » Chers collègues, je crois que notre mission est bel et bien de débarrasser enfin notre législation du mot « race ». (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, RRDP et GDR.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la race, terme taxinomique, est la négation de l'espèce humaine, et il n'est nul besoin de s'étendre sur le sujet. L'homme n'est pas domestique, et n'est pas domesticable. Je fais mienne la belle citation d'Albert Camus, citée dans votre rapport, cher Alfred Marie-Jeanne : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. »
Ainsi, logiquement, naturellement, conviendrait-il de gommer de notre législation le mot « race », dès lors qu'il concerne les uniques sujets du droit : les hommes.
Cette proposition n'est pas la première qui émane de parlementaires. Notre ministre des outremers, Victorin Lurel, lorsqu'il était membre de notre assemblée, avait à plusieurs reprises été à l'origine d'une initiative semblable à celle que nous examinons aujourd'hui. Il proposait ainsi en novembre 2004 de supprimer le mot « race » à l'article 1er de la Constitution. C'était une proposition de loi constitutionnelle, qui supposait donc une adoption par le corps électoral.
Nous pourrions en effet considérer qu'il faut commencer par supprimer le mot « race » de notre Constitution, avant d'en expurger l'ensemble de notre législation, placée sous la Constitution en vertu de la hiérarchie des normes qui fonde notre État de droit.
Notre rapporteur liste une série d'arguments invoqués par les opposants à la suppression du mot « race » de notre législation, arguments qui lui semblent « autant de mauvais prétextes en faveur de l'immobilisme » ne résistant pas à l'analyse. Parmi ceux-ci, celui qui fait de la suppression du mot « race » de notre Constitution un préalable à sa suppression dans notre législation fait l'objet du dernier – et du plus court – paragraphe de son rapport. Il revient, selon notre rapporteur, à faire preuve d'un « juridisme excessif », fait pour séduire « les esprits kelséniens ».
Je ne me sens pas particulièrement kelsénienne, mon cher collègue : je serais même partisane de l'autonomie de la décision politique, ce qui ne m'empêche pas d'être rigoureuse en matière juridique, car c'est une des missions essentielles du législateur : assurer la cohérence de notre édifice institutionnel et éviter les bricolages qui sont synonymes d'insécurité pour nos concitoyens. Nous devons être conséquents et éviter de légiférer n'importe comment.
Cependant, j'ai été par le passé, avec mes collègues du groupe radical, signataire d'une proposition de loi visant à supprimer le mot « race » de notre Constitution. Logiquement, je suis donc également favorable à sa suppression dans l'ensemble de notre législation, qu'il s'agisse du code pénal, du code de procédure pénale, du code du travail, du code du sport, du code des pensions militaires, de la loi sur la liberté de la presse ou encore de la loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France.
J'y suis d'autant plus favorable qu'il s'agit de remplacer le mot « race » par un autre vocable et que cette suppression n'a pas pour conséquence de saper la base juridique des poursuites prévues à l'encontre des provocations de nature raciste. Dès lors – et c'est le principal – que nous conservons un support adéquat permettant les poursuites antiracistes, nous ne pouvons qu'être favorables à la proposition de loi telle qu'elle nous est présentée, après avoir été amendée en commission des lois.
Ce qui importe, et j'en reviens à la pyramide figurant la hiérarchie des normes, chère au célèbre juriste autrichien que nous évoquions tout à l'heure, c'est que notre législation, ainsi débarrassée du vocable honni, n'entre pas en contradiction avec notre loi fondamentale. Concordance n'est pas homothétie, et nous ne sommes donc pas tenus de garder le mot « race » dans notre législation, tant que la condamnation des discriminations de nature raciste, principe constitutionnel proclamé à l'article 1er de la Constitution, ne disparaît pas avec le mot censé la fonder.
Le reste importe finalement, assez peu. Qui peut douter que la France rejette toutes les théories tendant à déterminer l'existence de races humaines distinctes ? L'ensemble des textes internationaux auxquels la France est partie suffit à répondre à la question.
La période noire du gouvernement de Vichy, État de fait ayant malgré tout instauré une législation raciste qui a été, dans l'ensemble, appliquée avec zèle, est derrière nous, mais nous ne devons pas oublier, comme le souligne à bon escient notre rapporteur, l'ambiguïté du concept de « race » en droit français.
En finir avec cette ambiguïté est de bonne législation. C'est pour cela, mes chers collègues, que les membres du groupe RRDP voteront positivement sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun ici est parfaitement convaincu de l'importance des mots et de l'influence du verbe sur la nature des relations sociales, sur le bien-vivre ensemble, tout simplement. Tout autant qu'une expression bien sentie a la force d'apaiser un climat social, une expression inopportune a le pouvoir de mettre le feu aux poudres et de détruire en quelques instants ce qu'un temps long aura été nécessaire à construire.
Puisque notre majorité – comme elle s'y est engagée – se fait fort de construire, pas à pas, un climat social empreint de justice et respect, il nous revient de ne rien laisser de côté, de ne rien minimiser qui puisse nuire à cet impératif consistant à vivre ensemble : harmonieusement et justement.
Le sujet qui nous mobilise aujourd'hui est de ceux-ci : il est grand temps de supprimer le mot « race » de notre législation. Au-delà du fait qu'il s'agit du strict respect de nos engagements, cette suppression est tout aussi nécessaire politiquement que juridiquement.
Nécessaire politiquement et, j'ose le dire, légitime, parce qu'il faut combattre les comportements viciés qui tentent d'empoisonner notre pays : violences racistes, actes antisémites, discriminations à l'embauche. Chaque jour enrichit un bréviaire de la haine ordinaire.
Nous ne devons laisser subsister ni dans l'esprit de nos textes ni dans leur forme la prétendue existence de races. Notre éducation, notre culture, nos métissages et les moyens qui sont les nôtres pour communiquer et échanger devraient nous prémunir de la peur et de l'ignorance. Ce n'est pas le cas, et le texte que nous nous apprêtons à voter doit être tout autant un symbole qu'un outil du combat contre ces deux fléaux. Il renforcera nos convictions.
Nécessaire juridiquement ensuite, car l'application du droit sera d'autant plus efficace et juste que ses références, ses attendus, seront en phase avec la société qu'elle a pour ambition d'encadrer.
Nous combattons la xénophobie avec force, nous disposons de lois antiracistes, et pourtant nos textes ne montrent pas l'exemple. Parler de « race », c'est catégoriser et hiérarchiser. C'est admettre implicitement que certains ont des caractéristiques physiques et morales supérieures en raison du soleil sous lequel ils sont nés. Nettoyer notre législation de ce mot, c'est ainsi démontrer par l'exemple que la lutte contre le racisme se mène contre les théoriciens et les théories du racisme. Ainsi, nous contribuons à lever toute ambiguïté : les « races » n'existent pas, notre loi n'en reconnaît aucune.
Les forces républicaines de notre pays, celles qui ne fondent pas leur action et leur discours politique sur la haine de l'autre et l'amalgame, se battent à chaque instant contre la xénophobie. Cette proposition de loi, si elle est adoptée, ce dont je suis sûre, sera leur victoire, comme l'ont été les lois de lutte contre les discriminations de 2001.
Cette loi est pour ces forces l'occasion de démontrer qu'elles ne céderont rien sur le plan de leurs exigences démocratiques ni de leurs valeurs.
Notre majorité ne saurait tolérer que les mots blessent, que les mots heurtent ou divisent. Si notre préoccupation permanente est d'initier et voter des politiques et dispositifs qui oeuvrent à plus d'harmonie et de justice sociale, il convient de porter une grande attention aux mots qui sont le bras pacifiquement armé de notre philosophie politique.
Habitant une ville qui a donné à son centre social et culturel le nom d'Aimé Césaire, j'aurais pu terminer mon propos en le citant, mais je reprendrai plutôt les mots de Jean Jaurès : « Au fond, il n'y a qu'une seule race, l'humanité. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)
Faut-il réécrire les lois, en changer les mots afin qu'elles deviennent « politiquement correctes » ? C'est ce à quoi nous invite cette proposition de loi : bannir le mot « race » de la législation. Cette initiative est non seulement juridiquement risquée mais fondamentalement inacceptable.
Le risque est évident. En droit pénal, un mot n'en vaut pas un autre, et derrière certains se cachent des constructions jurisprudentielles et doctrinales très élaborées qui en précisent le sens et la portée.
Vouloir intervenir, pour des raisons purement idéologiques, dans un tel processus, c'est faire entrer un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il ne peut en résulter que de gros dégâts qui obligeront à reconstruire tout le système judiciaire. Comme si les juges n'avaient que cela à faire, de s'amuser à rebâtir des doctrines et des jurisprudences pour s'adapter aux lubies des politiques.
Le droit est suffisamment complexe, instable et mouvant. De grâce, ne commençons pas à le déstructurer en profondeur ! On commence aujourd'hui avec le mot « race », et demain, à qui le tour ? Quels groupes idéologiques se mettront à demander que l'on enlève certains mots ? On ouvre la boite de Pandore !
Au-delà du risque juridique, je ne peux que m'opposer viscéralement à cette attitude qui consiste à changer les mots pour imposer une novlangue. Cette proposition de loi nous amène tout droit à ce que décrit George Orwell dans son roman 1984.
On le sait, un moyen d'imposer ses idées est de décrire la réalité avec ses mots et ses concepts et d'obliger les autres à penser avec des concepts précis et orientés. Tel est le propre du combat idéologique. En voulant agir sur les textes de lois, vous choisissez de faire entrer l'idéologie dans un domaine où elle n'a pas à être. Les mots du droit doivent rester un instrument neutre.
Avec cette proposition, vous vous attaquez sciemment à cette neutralité en politisant le droit. Ce chemin, à mes yeux, mène au totalitarisme. Dans les régimes totalitaires, tout doit s'inscrire dans la ligne du parti, y compris le droit et la sémantique. Il n'y a pas de place pour des espaces neutres. L'idéologie officielle doit occuper tout l'espace. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on les appelle des idéologies totalitaires.
Cette démarche va complètement à l'encontre de mes idées libérales. Contrairement à vous, je pense qu'un certain nombre d'endroits doivent être idéologiquement neutres. Il est inacceptable que des groupuscules puissent ainsi imposer des idées minoritaires ou suscitant de fortes réticences dans une partie de la population. Il est des domaines où les changements doivent nécessairement faire consensus.
Cette proposition de loi illustre également bien la tentation, très présente à gauche, de confondre dire et faire. À croire qu'il suffit de changer les mots pour faire évoluer les choses. C'est de l'illusion qui tourne souvent à l'auto-illusion, comme beaucoup l'ont déjà souligné.
Ce faisant, vous gaspillez votre temps et votre énergie à poursuivre des chimères. Quand on voit la situation de la France qui entre en récession économique, on se demande vraiment ce que vient faire une telle proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée. On se demande également quelle solution elle pourra apporter aux multiples problèmes que rencontrent nos concitoyens.
La présence du mot « race » dans les textes de lois ne dérange personne ou presque. Mis à part quelques groupuscules idéologiques qui aiment à se donner de l'importance en combattant des moulins à vent, ce sujet n'intéresse personne.
À voir de telles propositions de lois, on se demande réellement si certains élus n'ont pas complètement perdu pied avec la réalité.
L'inscription du terme « race » dans notre législation est non seulement scientifiquement infondée et juridiquement inopérante, mais surtout humainement inadmissible et choquante.
Polysémique et foisonnant, le mot « race » est dangereux par son indétermination, mais aussi par son rôle de support idéologique. Du fait de la classification qu'il induit, son utilisation historique et politique a trop longtemps permis de présenter un ordre des valeurs justifiant, soi-disant scientifiquement, l'inacceptable.
À l'heure où la peur de l'autre comme les assimilations grossières et insultantes font florès, à l'heure où les nouveaux réactionnaires banalisent un discours justifiant les inégalités de tous types, ce texte ne se contente pas de détruire une expression historiquement dépassée, il marque une véritable rupture en affirmant que le mot « race » n'a pas de place dans notre République car nous ne connaissons qu'une seule race, une seule famille, la famille humaine.
La suppression de ce terme s'inscrit par ailleurs dans la droite ligne de notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise depuis 1789 à nier le concept même de différence naturelle, de différence par la naissance ou par la généalogie. L'apparition subreptice de ce terme dans le droit positif, puis dans la Constitution, est purement conjoncturelle et historiquement datée. Aujourd'hui, en 2013, je suis fière d'appartenir à une majorité qui met fin à cet anachronisme durement ressenti par certains et qui proclame à nouveau l'égalité entre les hommes.
En 2003 puis en 2007, des propositions de loi ont été déposées par la gauche, mais à chaque fois la droite a refusé de les voter, arguant que cette suppression risquerait de faire régresser la lutte contre les discriminations. Je dis aujourd'hui à cette droite que, même si ce terme avait une importance juridique dans notre arsenal législatif, tout juge pourrait et devrait toujours condamner les comportements ou actes à caractère raciste.
Je suis naturellement consciente que ce texte ne supprimera malheureusement pas les discours et actes xénophobes. Je suis cependant fière qu'il ôte au mot « race » toute la légitimité qu'il pourrait puiser dans notre droit positif car en effet, lorsque la loi interdit d'établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement, par simple raisonnement à rebours, l'opinion selon laquelle il existe des « races distinctes ».
C'est donc en tant que républicaine que je tiens à remercier les parlementaires de la majorité qui ont enrichi et consolidé ce texte lors de leurs travaux en commission.
J'aimerais que l'on aille plus loin que l'acte symbolique et crucial que notre assemblée s'apprête à prendre aujourd'hui en exprimant mon souhait que notre Parlement et notre gouvernement aillent, dans les prochains mois, au bout de leur logique. J'espère en effet que le terme de « race » sera au plus vite, et conformément aux engagements du Président de la République, ôté de notre Constitution.
On comprend aisément les raisons pour lesquelles, au lendemain de l'horreur de la seconde guerre mondiale, le préambule du projet de Constitution de 1946 avait introduit ce mot. On comprend beaucoup moins que le constituant de 1958, puis le législateur, aient conservé ce terme. Si nous le supprimons de notre législation, il me semble naturel, logique et important de le supprimer du texte qui fonde les bases de nos valeurs communes et de notre démocratie.
Je suis heureuse que ce texte soit voté au mois de mai, mois du souvenir chez nous, période de grande commémoration en outre-mer, mois durant lequel nous, descendants d'esclaves, nous célébrons les grandes avancées démocratiques et humaines de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
Je voudrais, en quelques mots, tenter de rassurer ceux de nos collègues qui ont exprimé des inquiétudes juridiques sur les éventuelles conséquences de ce texte ou sur la méthode, choisie par le rapporteur et approuvée par la commission des lois, consistant à commencer par supprimer le terme de « race » de la législation avant de s'attaquer à la Constitution.
Je ne voudrais pas rallonger nos débats en répondant à notre collègue Tardy sur la politisation du droit. C'est un vrai sujet, mais il me semble que le processus d'édiction du droit est par essence politique, que la légitimation du droit est elle-même politique, que le droit est nécessairement le résultat d'une politique, en tout cas dans une certaine mesure.
Bien évidemment, tout en se plaçant dans le cadre du respect de la Constitution, l'on peut considérer que, si le droit n'est pas seulement politique, il l'est tout de même plus ou moins, selon la matière visée.
La commission des lois a estimé que l'initiative du groupe GDR visant à supprimant le terme « race » de notre ordre juridique était souhaitable. Nous pouvons une nouvelle fois saluer son travail car elle a su, en prenant les précautions d'usage, manoeuvrer à bon escient pour que certaines conditions soient remplies. Il fallait tout d'abord veiller à ce que la suppression de ce terme ne porte pas atteinte à l'efficacité de la lutte contre le racisme et de l'arsenal répressif. La proposition initiale ne le permettait pas mais les amendements déposés en commission répondent à cette première difficulté. Le choix du substitut « raciste » ou d'un membre de phrase comportant ce mot, par exemple « fondé sur des raisons racistes » ou sur « un critère raciste », est parfaitement satisfaisant. Il est juridiquement neutre et sa signification politique est claire. Vous l'avez rappelé : les races n'existent pas, seul le racisme existe.
Il fallait également tenir compte de notre environnement international et européen, puisque de très nombreuses conventions internationales comportent aussi ce mot, qu'il s'agisse de la charte des Nations unies, du pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, de la convention de Genève, ou d'autres textes de droit européen comme la Convention européenne des droits de l'homme ou la directive n° 200043CE. Dès lors, nous aurons à lever deux difficultés dans l'avenir, à commencer par la conformité de notre droit, une fois le mot « race » supprimé, avec ces instruments. Là encore, la solution retenue par la commission des lois permet de surmonter cette difficulté. Dès lors que les comportements racistes sont réprimés de la même manière qu'auparavant, l'objectif fixé par ces conventions est atteint. La législation française reste donc conforme au droit international et européen en intégrant les modalités qui nous ont été proposées par amendement.
La seconde difficulté tient à ce que ces instruments ayant une autorité supérieure à celle des lois, et étant pour certains d'entre eux d'application directe dans la législation française, le mot « race » subsistera dans notre droit interne. Il ne s'agit pas d'un obstacle juridique en tant que tel mais simplement d'une question de méthode. Nous avons choisi de commencer par supprimer ce terme de la législation, mais il faudra à présent travailler à sa suppression dans la Constitution et dans le domaine règlementaire. J'imagine que le Gouvernement prendra sa part. La commission des lois a fait un premier toilettage, dont je félicite le rapporteur, en modifiant cinquante-neuf articles de loi. Le pouvoir règlementaire, dans les domaines qui sont les siens, devra agir de même, sans quoi nous ne pourrons pas avancer ni concrétiser cette proposition de loi.
Reste la Constitution. J'attire l'attention de tous sur le fait que si l'article 1er de la Constitution pourra être révisé par cette législature au cas où le Congrès serait convoqué, le Préambule de 1946 demeurera tout de même. J'ai entendu dire au cours de nos débats qu'il faudrait peut-être y toucher. Rappelons aux inquiets que ce Préambule reflète des principes affirmés à une période donnée et qu'il ne sera donc pas utile de le modifier. Je ne vois d'ailleurs pas comment nous le ferions… (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j'essaierai d'être bref et d'éviter la polémique.
Il est des moments où il faut savoir, quand le sujet est important et touche à nos valeurs, se ressouder. J'ai l'impression que, ce soir, un pas a été fait dans le bon sens.
Cette proposition de loi vise à supprimer le mot « race » qui a fait tant de dégâts dans le passé, concernant des millions d'êtres humains, au nom du fascisme, du racisme, et j'en passe ! On me demande de faire plus.
La mission qui m'a été confiée se rapportait à la suppression du mot « race » dans la législation française. Je veux d'abord remercier tous ceux qui, avant moi, ont défriché, déblayé le terrain, même s'ils ne sont pas arrivés au résultat escompté.
Je ne suis pas de ceux qui réclament. Je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai pas. Je vous remercie toutes et tous de nous avoir aidés. Je n'ai pas pris contact avec les différents collaborateurs. J'ai travaillé avec Colette Capdevielle et les membres du groupe socialiste, mais pas avec ceux qui étaient porteurs du texte. Parce que je savais que ce texte comportait des imperfections.
Au départ, j'ai essayé de le « bouleverser » pour emporter votre décision. C'était un travail très délicat. Jamais on n'était allé aussi loin. Je dis bien : jamais ! Nul besoin de le démontrer ! Les propositions antérieures étaient relativement restrictives et ne concernaient qu'une petite partie du sujet.
Nous avons reçu des dizaines et des dizaines de gens. Certes, nous avons reconnu qu'il y avait des difficultés. Mais renonce-t-on à faire un pas en avant parce qu'il y a des difficultés ? Le rôle qui m'incombait était de supprimer, autant que faire se peut, dans toute la législation française, hors Constitution, le mot « race ». Quel ne fut pas mon étonnement – agréable, d'ailleurs –de constater que, sur les cinquante-neuf articles faisant problème, cinquante-cinq pouvaient être amendés très facilement, en remplaçant simplement les mots « race » ou « ethnie » par le mot « raciste ». Car ce que condamne la justice, c'est le comportement. Va-t-on empêcher certains élus, absents de notre assemblée ce soir et qui professent matin, midi et soir, des idées racistes, d'avoir ces comportements odieux, même si l'on enlève le mot « race » de notre législation ?
Or, même si l'on pouvait comprendre ce qui s'est produit dans le passé, aujourd'hui la science nous rapproche. C'est peut-être ce qui désole beaucoup de gens ! La couleur de peau ne compte pas, les cheveux blonds ne comptent pas, pas plus que les cheveux crépus ou le nez camus. La science nous a rapprochés. Alors, quel argument reste-t-il ? Il reste qu'on aurait dû d'abord commencer par la Constitution. Mais c'est un droit que je n'ai pas. Modifier la Constitution relève du législatif, du Président de la République et du Parlement. Je n'ai pas ce droit-là, je suis obligé de le dire. Et parce que je n'ai pas ce droit-là, n'ai-je pas celui, n'ai-je pas l'obligation, la mission de faire un pas en avant ?
Dans le passé, pendant des siècles, je dis bien pendant des siècles, on a inculqué aux citoyens l'idée qu'il y avait des races. Croyez-vous que c'est en un jour, en supprimant un mot, que l'on va changer les comportements racistes ? Je crois, au contraire, qu'il est des moments difficiles où le politique doit donner un signal fort.
Je l'ai dit dans mon texte, si les élus de notre pays n'avait pas aboli la peine de mort, où en serions-nous aujourd'hui ? S'il y avait eu un référendum pour demander au peuple de voter pour ou contre la peine de mort, avez-vous l'impression que cela se serait passé de la même façon ? Personnellement, je pense que non. Il y a des moments où le politique, quelles que soient les difficultés, doit donner l'exemple, et le bon exemple en la matière. Je dis bien « le politique », toutes catégories confondues.
Je remercie Mme la ministre pour le soutien du Gouvernement. Je remercie également le président de la commission des lois, qui a joué un rôle très important, je le dis en toute objectivité. Je remercie également Mme Capdevielle pour son amendement. Et je remercie toutes celles et tous ceux qui, ayant pris la parole à cette tribune, ont tout de même hésité, vacillé. Je remercie enfin ceux qui sont partagés et qui vont pour moitié s'abstenir et pour moitié voter positivement. Je n'ai pas envie de diviser davantage.
Pour ma part, je considère que c'est un grand moment et j'invite ceux qui hésitent encore à voter avec nous. Le reste vous appartient et nous appartient. Le gouvernement socialiste fera le reste. Cela veut dire qu'il prendra la décision de continuer et d'enlever le mot « race » de la Constitution.
Par contre, je le dis à ceux qui voulaient modifier le Préambule de la Constitution de 1946 : c'est daté. J'ai fait exprès, dans mon texte, de dire qu'au nom de la laïcité, j'aurais pu remonter à la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et à l'Être suprême ! Cela n'a pas de sens ! Mais la Constitution actuelle, celle qui nous régit, peut être modifiée. N'est-ce pas ce qui a été fait ? Cette Constitution a été modifiée plusieurs fois, par Jacques Chirac et par d'autres. C'est par touches successives que l'on avance. On ne peut pas me démentir sur ce point.
Depuis quelque temps, la Constitution a été modifiée à de nombreuses reprises. Certains passages sont devenus obsolètes. Par exemple, l'Union française a disparu. C'est daté, c'est la marque de la législation sur les différents maillons d'une évolution continue. C'est ce que je tenais à dire pour que l'on comprenne ce que j'ai essayé de faire. Croyez-moi, je le dis très franchement, cela n'a pas été facile et j'espère que vous le comprenez. C'était même très délicat. Je me suis impliqué parce que j'étais convaincu.
J'ai envie de terminer mon intervention par un exemple concret. Lorsque l'extrême droite européenne, fasciste, colonialiste, impérialiste a loué un avion pour débarquer en Martinique, celui qui vous parle a mené campagne pendant plus de trois mois pour empêcher le Front national et les fascistes européens de débarquer en Martinique, pour la première fois au monde. C'est ce vulgaire petit député – qui n'était d'ailleurs pas député à l'époque – qui a empêché cela, alors qu'il n'était rien. J'ai apporté ma pierre à l'édifice et je sais pourquoi. Je suis un antiraciste profondément convaincu. Et ce soir, je vous demande à tous que nous nous rapprochions sur ce point. Vous n'avez pas le droit de déserter ce combat.
C'est ce que je tenais à vous dire très simplement. Je vous remercie et je souhaite que le gouvernement socialiste continue à faire le boulot qui lui incombe désormais. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, après l'émotion suscitée par les propos d'Alfred Marie-Jeanne, il m'est difficile d'intervenir. Mais je voudrais souligner que la race, dans la taxonomie scientifique, est l'équivalent, dans le monde végétal, de la variété. Il était donc important de supprimer la variété, tels le pétunia, le thym, la sauge, le romarin, pour ne plus en faire des différences entre les êtres humains.
Je voulais aussi évoquer Alexandre Dumas, qui était un quarteron. L'une de ses grand-mères était noire. Qui s'en souvient ? Cette goutte de sang dont vous parliez, madame la ministre, il l'avait, ô combien ! Qui, à l'époque, qui encore aujourd'hui, oserait nier son immense humanité et la force des messages qu'il nous a laissés ? Victor Hugo ? Honoré de Balzac ? Certes, non ! Et encore moins Émile Zola qui, le premier, avec J'accuse, comprit que le racisme recouvrait aussi l'antisémitisme.
Pourtant, c'est au XIXe que les théories racistes, qui ont défini les races en en construisant le classement, en leur donnant une apparence scientifique, sont apparues, et c'est un Français, le comte Arthur de Gobineau qui, dans son Essai sur l'inégalité des races humaines, a théorisé le concept de race et l'a incarné dans des descriptions concrètes qui ont construit les ferments des mythes aryens dont on sait aujourd'hui les désastres qu'ils ont générés.
Juste après, le mot « race » est apparu en 1939 comme une protection, vous l'avez souligné, madame la ministre, mais n'a rien empêché du désastre. Cela n'empêcha pas non plus, vous l'avez souligné, monsieur Marie-Jeanne, qu'en 1945, subrepticement, on réintroduise le mot dans notre Constitution d'aujourd'hui. C'est de celle-là qu'il faudra l'extirper demain. Cette proposition de loi était bien nécessaire. J'en veux pour preuve l'obstination du groupe UMP – j'en suis désolée – à ne pas vouloir nous accompagner aujourd'hui dans cet hémicycle, en ce moment important et historique.
Je citerai simplement un grand monsieur, auteur il y a deux siècles et demi d'un grand texte : « Il n'est pas indifférent que le peuple soit éclairé : les préjugés des magistrats ont commencé par être ceux de la nation », écrivait Montesquieu en 1748 dans L'esprit des lois. Et il ajoutait : « En un temps d'ignorance, on n'a aucun doute, on fait les plus grands maux ; en un temps de lumières, on tremble encore lorsque l'on fait les plus grands biens. » En le paraphrasant deux siècles plus tard, je dirai à l'UMP qu'il est temps, après tant de douleur, de ne pas délaisser le bien au motif qu'on doute du mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l'amendement n° 1 .
Nous avons perdu l'habitude de faire figurer en tête de nos textes les valeurs et principes qui les sous-tendent. Nous le faisons aujourd'hui à titre exceptionnel.
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et même brièvement. Je propose donc de réécrire brièvement et clairement l'article 1er, afin d'affirmer le principe de la suppression du mot « race » dans notre législation tout en continuant à poursuivre et à condamner fermement tous les actes et attitudes racistes. Comme vous l'avez tous affirmé dans la discussion générale, mes chers collègues, les races n'existent pas et n'ont jamais existé. Seul reste à combattre le racisme. Tel est le sens de la nouvelle rédaction de l'article 1er qui vous est proposée.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir le sous-amendement n° 2 , qui est rédactionnel.
Puis-je en déduire que vous êtes d'accord avec l'amendement, dès lors qu'il est modifié par votre sous-amendement ?
Le sous-amendement, qui propose de supprimer la référence à l'interdiction, peut surprendre, mais celle-ci, après tout, semble aller de soi dès lors que la condamnation est affirmée. Le Gouvernement émet donc un avis favorable au sous-amendement.
Il en va de même pour l'amendement. Toutes les interventions ont très clairement montré une convergence, sinon générale du moins énoncée, structurée, formulée et argumentée – à une exception près, celle d'un orateur de l'UMP qui a détaillé les raisons pour lesquelles il voterait contre ce texte, M. Jean-Frédéric Poisson ayant annoncé que pour sa part il s'abstiendrait. Il existe donc un engagement très fort contre ce fléau qu'est le racisme.
La modification proposée de l'article 1er reflète donc très clairement la position, la volonté et l'intention du législateur, tant du rapporteur de la commission des lois que des autres députés. Cette nouvelle formulation est, comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon intervention, plus haute, plus élevée, plus formelle aussi, et affirme très clairement dès ses premiers mots que nous sommes bien dans un choix de valeurs et dans l'affirmation résolue que la République condamne le racisme. Voilà qui donne un autre relief au texte de loi. Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable au sous-amendement comme à l'amendement.
(Le sous-amendement n° 2 est adopté.)
(L'amendement n° 1 , sous-amendé, est adopté et devient l'article 1er.)
Au titre des explications de vote, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
C'est avec émotion que je prends la parole pour donner une explication de vote, superfétatoire dès lors que mon groupe et moi-même sommes signataires de la proposition de loi. Je pourrais, bien sûr, reprendre les arguments qui ont été développés. Je vous donnerai simplement, dans un premier temps, lecture de la définition du mot « race » dans le dictionnaire Larousse : « Nom féminin, de l'italien razza, du bas-latin ratio, espèce. Catégorie de classement de l'espèce humaine selon des critères morphologiques ou culturels, sans aucune base scientifique et dont l'emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. » Une explication suit : « Face à la diversité humaine, une classification sur les critères les plus immédiatement apparents (couleur de la peau surtout) a été mise en place et a prévalu tout au long du XIXe siècle. Les progrès de la génétique conduisent aujourd'hui à rejeter toute tentative de classification raciale des êtres humains. »
J'aurais pu revenir, dans mon explication, sur la motivation consistant à adapter la législation à ces considérations scientifiques. J'aurais pu aussi développer l'intérêt pédagogique et idéologique d'une telle démarche en des temps où le racisme, la xénophobie, le clivage et le rejet de l'autre vont croissant. Je pourrais aussi développer une argumentation politique rappelant que le mot « race » a souvent été utilisé dans notre histoire pour dominer, exploiter et coloniser.
Mais mon explication tiendra en deux affirmations. Je dirai tout d'abord que je suis très fier d'être président du groupe de la gauche démocrate et républicaine qui a déposé la proposition de loi. Celle-ci reprend un texte de loi déposé par mon ami et camarade Michel Vaxès que j'avais particulièrement apprécié il y a dix ans, alors que j'étais nouveau député. À l'époque, il n'avait pas été adopté et Michel en avait fait une affaire personnelle ; il avait beaucoup argumenté, réfléchi et expliqué. Nous le reprenons aujourd'hui et je suis très fier que notre rapporteur Alfred Marie-Jeanne, issu de la deuxième composante de notre groupe, celle des ultramarins, comme on dit, se soit saisi du texte et l'ait travaillé méticuleusement au cours d'auditions prenant en compte toutes les observations puis du remarquable exposé qu'il vient de faire. Il ne s'est pas exprimé avant, auprès des médias en particulier, car il tenait à ce que le texte soit adopté sans qu'aucune exploitation ne puisse l'empêcher.
J'évoquerai pour finir l'immense bonheur de vous avoir écoutée, madame la ministre, dont je n'ose qualifier l'intervention, très belle, sublime même. Les autres interventions le furent également, à quelques exceptions près mais chacun peut faire le choix, que je respecte, d'une approche idéologique différente. On en est parfois, chose peut-être trop rare, fier de siéger dans une assemblée comme celle-ci. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen votera ce texte émanant du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Enfin ce texte sera voté, après tant de rendez-vous manqués et d'occasions ratées ! Les obstacles juridiques ont été levés et nous avons tous, à une exception près, montré que la prévention et les poursuites sont sécurisées et qu'il n'y aura donc pas de vide juridique ni d'absence potentielle de poursuite. Nous sommes nombreux à regretter l'absence d'unanimité sur le vote du texte pour bien terminer la journée.
Notre société a changé, il faut l'admettre. Le poids des mots est important et il ne faut pas avoir peur de modifier les textes quand leur lexique ne correspond plus à notre société. C'est la raison pour laquelle nous votons ce texte, ne serait-ce que pour le symbole qu'il représente. Je conclus, puisque vous avez toutes et tous fait de belles citations, avec l'académicien Léopold Sédar Senghor : « J'ai rêvé d'un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Prochaine séance, vendredi 17 mai à neuf heures trente :
Suite de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures quinze.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron