Intervention de Isabelle Le Callennec

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

…quand il affirme : « je ne cherche aucune défausse, ni sur le passé, si sur l'extérieur ». Au contraire, il passe tout son temps à la recherche d'un bouc émissaire !

Toujours la même approche décalée et inadéquate des phénomènes économiques et sociaux. En effet, comment peut-on avoir laissé croire un seul instant qu'il était possible d'interdire les licenciements dans une économie ouverte, où les entreprises sont soumises à la concurrence et doivent sans cesse améliorer leur compétitivité pour rester dans la course ? La mondialisation est une réalité qu'il convient d'appréhender avec sang-froid. Si elle provoque des délocalisations et donc des pertes d'emplois, elle peut aussi représenter une opportunité pour les entreprises françaises qui ont accès à un marché plus large et à des débouchés supplémentaires. Dans un contexte de concurrence, une entreprise, ça se crée, ça se développe, ça vit, ça peut délocaliser, relocaliser, et ça peut aussi mourir.

L'économiste Schumpeter décrit cela parfaitement quand il estime que l'innovation est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Il théorise la « destruction créatrice », un processus selon lequel des entreprises meurent quand d'autres se créent, ce qui assure le renouvellement permanent des structures de production. C'est une théorie que l'on aimerait voir plus souvent enseignée dans les cours d'économie au lycée, car il y aurait beaucoup à dire sur l'enseignement de l'économie dans notre pays, un enseignement qui, depuis tant d'années, fait par trop la promotion du partage du travail et de la réduction du temps de travail, ce qui altère dangereusement notre rapport au travail et aux entreprises – je pense en particulier à la perception de ces notions par les jeunes.

Plutôt que nier les réalités, toute l'énergie des partenaires sociaux et des pouvoirs publics devrait être mise à profit pour anticiper et accompagner les mutations industrielles, et pour ne laisser personne sur le bord de la route ; d'où la nécessité de sécuriser les parcours professionnels par la formation tout au long de la vie, de mettre en oeuvre concrètement, au niveau des territoires, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, enfin, de mieux coordonner les services de l'emploi.

Il est fini le temps où l'on faisait le même métier toute sa vie, où l'on restait dans la même entreprise toute sa carrière. Les parcours alternent des périodes de salariat, de chômage, d'entreprenariat. Telle est la réalité du monde du travail, faite de ruptures, mais aussi de rebonds. De facto, interdire les licenciements dit « boursiers », une notion d'ailleurs dénuée de sens juridique à ce jour, aurait au moins trois effets pervers et jouerait contre l'emploi.

Le premier de ces effets est celui de décourager l'embauche, par la rigidité supplémentaire qu'introduirait une telle mesure. Nous savons pertinemment que le fait de ne pouvoir licencier quand c'est malheureusement nécessaire est un puissant vecteur d'attentisme et d'immobilisme. On parle souvent des emplois détruits dans notre pays, mais pas assez de tous ceux qui ne sont pas créés.

Le deuxième effet pervers est celui consistant à stigmatiser les entreprises qui font des bénéfices. Au titre de l'article 2 de la proposition de loi, « tout licenciement pour motif économique pratiqué par une entreprise qui a constitué des réserves ou réalisé un résultat net positif au cours des deux dernières années comptables, serait dépourvu de cause réelle et sérieuse ». C'est là une vision très passive, voire erronée, de l'économie, puisque la constitution de réserves permet des investissements à plus ou moins long terme, que les investissements sont l'activité de demain, donc les emplois d'après-demain.

Le troisième effet à attendre de cette proposition est celui d'éloigner encore un peu plus les potentiels investisseurs et de conforter les déclarations anti-entreprises d'un certain nombre de vos collègues du Gouvernement, monsieur le ministre. Oui, mes chers collègues, l'investissement est un levier important de croissance. Une entreprise qui ne fait pas de bénéfices est une entreprise qui est vouée, à plus ou moins long terme, au dépôt de bilan. Et les investissements se doivent d'être rémunérés de façon raisonnable. La prise de risques des entrepreneurs est à saluer, car c'est le moteur de notre économie.

Pas plus tard qu'hier, nous avons reçu Louis Gallois, dans le cadre du groupe d'étude PME de l'Assemblée, qui s'inquiétait de la culture « rentière » de notre pays quand, aujourd'hui, c'est la prise de risque qui devrait être privilégiée et même encouragée fiscalement, notamment dans les PME. Oui, mes chers collègues, l'emploi est créé par les entreprises, mais anéanti par les lourdeurs administratives, les rigidités, les charges qui pèsent sur le travail et sur le capital ! Oui, mes chers collègues, plutôt que de décourager l'embauche en interdisant les licenciements, nous sommes partisans du dialogue dans l'entreprise et soutenons les mesures de flexisécurité « à la française », celles qui donnent du sens au travail !

Plus de souplesse pour les entreprises en échange de plus de sécurité pour les salariés, c'est le sens de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier conclu entre les partenaires sociaux, dont nous aurions préféré une traduction fidèle dans la loi. Ce ne fut pas tout à fait le cas sur les mutuelles, sur les emplois à temps partiel, sur la mobilité volontaire, d'où l'extrême vigilance du groupe UMP sur sa mise en oeuvre concrète. Nous souhaitons sincèrement qu'il soit de nature à faire progresser un dialogue social apaisé dans les entreprises, par une information partagée, par une meilleure appropriation des mécanismes économiques et sociaux, par les avancées que constituent a priori les droits rechargeables, le compte personnel de formation ou le conseil en évolution professionnelle.

En conclusion, le groupe GDR a le mérite de la constance de ses convictions. Mais il n'en demeure pas moins que cette proposition de loi porterait atteinte à la bonne marche de l'économie qui, si elle demande une certaine régulation, a aussi besoin de liberté, d'adaptation permanente aux marchés et à la concurrence. En outre, comme cela a déjà été dit, le texte se heurte à un risque d'inconstitutionnalité, car il nie la réalité du droit français et fait peser sur les entreprises des contraintes abusives.

Parce que la France ne vit pas dans une bulle, parce que l'économie administrée a échoué partout où elle a sévi, parce que notre responsabilité collective est de dire la vérité, d'accompagner les mutations, de concilier compétitivité économique et cohésion sociale, le groupe UMP votera bien évidemment contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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