Intervention de Yannick Favennec

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec :

Monsieur le rapporteur, qui ne comprendrait les inquiétudes qui vous animent et qui motivent cette proposition de loi ? Nous les partageons tous ici, quelle que soit notre position dans les travées de cet hémicycle.

Mais le sujet n'est pas seulement de s'indigner et de traduire cette indignation devant la chute vertigineuse de l'emploi, comme devant l'eau vive perdue dans le tonneau des Danaïdes. Il ne s'agit pas non plus, même si vous vous en défendiez en commission des affaires sociales, de stigmatiser les entreprises, en leur prêtant des intentions malveillantes de rentabilité de courte vue.

Tout cela ne mène à rien. Il faut viser des solutions durables, qui soient le fruit d'une méthode, celle de l'élaboration collective plutôt que celle du père Fouettard. Choisir cette méthode, je vous le dis avec le respect qu'imposent vos convictions et le travail que vous avez réalisé, c'est le meilleur moyen de perdre complètement pied dans le classement mondial des pays d'accueil des investissements étrangers. Or nous en avons vitalement besoin.

Malheureusement, en cinq ans, nous sommes passés du 17e rang mondial dans les investissements étrangers au 27e rang. Évitons, comme disait Dostoïevski, d'empirer les choses, à l'heure même où ce que Jean-Louis Borloo annonçait dès juillet dernier se confirme : la récession française est bien là. Et elle est le fruit d'une politique économique de récession.

Alors, parlons de licenciement boursier et abusif. Pour ma part, j'avoue ne pas savoir ce que signifie exactement un licenciement boursier. Et je serai presque tenté de remercier notre collègue André Chassaigne de nous en proposer une définition à l'article 2 de sa proposition de loi. Ce sont surtout nos collègues socialistes qui devraient saluer cette démarche qui semble correspondre, en tout ou partie, à un engagement pris par le candidat Hollande, au trente-cinquième de ses soixante engagements : « Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions, et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. »

Voilà donc, une fois encore, le symptôme qui gangrène la politique de ce gouvernement. Car c'est au bénéfice d'une campagne électorale que ce terme de « licenciement boursier » a refait surface. Je vous accorde bien volontiers, cher André Chassaigne, que vous avez défendu cette idée avec plus de constance, au moins depuis l'affaire Michelin de 1999, que vos partenaires socialistes qui se sont emparés par là d'un slogan de campagne.

Mais les paroles des postulants sont parfois la prison des dirigeants, qui en l'espèce semblent bien mal à l'aise, cherchant à faire bonne figure, tout en biaisant pour contourner l'obstacle au final. Et c'est ainsi, monsieur le rapporteur, que votre proposition de loi a été massivement rejetée en commission des affaires sociales par vos collègues socialistes.

Je ne me prononcerai pas sur le mode de gouvernance que cela suppose, pas plus que sur une certaine forme de mépris de ses alliés. Ce n'est pas l'objet de ce débat, même s'il en explique largement l'existence. Quoi qu'il en soit, il nous semble que vos analyses sur les licenciements boursiers, à l'exception de quelques cas exceptionnels qui peuvent être agités comme des chiffons rouges, sont erronées. Par ailleurs, elles traduisent une méconnaissance profonde des contraintes des entreprises et des nécessités imposées par une économie mondialisée.

Ce qui est exceptionnel n'en est pas moins tolérable. Mais notre justice veille. Nous ne flottons pas dans le vide juridique. Certaines décisions ont été sanctionnées par les juges, même si, jusque-là, l'idée de licenciement boursier n'a pas passé la barre de l'appel. La justice joue donc pleinement son rôle et elle dispose des outils utiles pour le faire.

Mais la vraie question, au fond, n'est pas là. Il s'agit de savoir si on licencie pour faire monter un cours de bourse. Eh bien non : personne n'a jamais licencié pour faire monter le cours de bourse ! C'est une conséquence. Et stigmatiser les financiers, c'est aussi une façon de ne pas se confronter à la réalité économique. La vérité, c'est qu'à la « rentabilité exigée », celle des actionnaires, se heurte l'environnement concurrentiel. L'entreprise, cotée ou non, est soumise à plusieurs contraintes, à commencer par la pression des consommateurs.

Pour exister, celle-ci doit être en mesure de lui proposer un produit ayant toujours un temps d'avance sur son concurrent, cette avance se caractérisant soit par l'innovation, soit par le prix, soit par la qualité de ses produits. Le consommateur est encore plus implacable que le financier. Un prix trop élevé, un retard technologique, une image de marque dégradée, et il fera sans frémir son deuil de produits au profit d'autres.

Cette logique implacable amène l'entreprise à faire des choix de gestion qui peuvent se révéler être en défaveur du salarié alors même que celle-ci est bénéficiaire. En effet, une entreprise pourra chercher une plus grande compétitivité pour vendre ses produits à des prix identiques à ses concurrents. Pour cela, elle sera conduite à investir dans des machines plus performantes nécessitant une main-d'oeuvre réduite. Et il ne s'agit pas là nécessairement de délocalisation, mais d'avancée technologique de l'outil de production, qui emporte un effet néfaste sur la population salariée. Il en résultera, si l'on s'en tient à l'article 2 de votre proposition, monsieur le rapporteur, un licenciement dit « boursier ».

À court terme, une moindre masse salariale aura une conséquence positive sur la rentabilité de l'entreprise et sur son cours de bourse. On serait tenté d'y voir un lien de cause à effet. Cependant, ce qui fera la pérennité du cours de bourse, ce n'est pas la moindre masse salariale, mais la capacité de l'entreprise à continuer d'exister dans son marché, sa capacité à innover, à conquérir des parts de marché. Autrement dit, il ne faut pas inverser le raisonnement : ce ne sont pas les cours de bourse qui décident de la santé d'une entreprise, c'est la santé d'une entreprise, constatée ou pressentie – car il faut bien anticiper – qui justifie sa situation en bourse.

Simplement, le monde n'est pas immobile. C'est ce que Schumpeter, cité en commission des affaires sociales par l'une de mes collègues, appelait « la destruction créatrice ». En revanche, monsieur le rapporteur, nous croyons à la nécessité d'anticiper les situations de rupture. C'est d'ailleurs l'un des principaux apports positifs de la loi relative à la sécurisation de l'emploi, qui reprend l'accord du 11 janvier, et qui vise à anticiper les évolutions stratégiques au sein de l'entreprise par plusieurs types de dispositifs, d'organisation du temps de travail ou de partage des informations entre dirigeants et représentants des salariés, tout en attribuant un rôle de vigie renforcé aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Une telle mesure, ni emblématique, ni automatique, nous semble davantage apte à assurer la pérennité de l'emploi que les dispositions que vous proposez.

À force de laisser croire que le bonheur des uns – les financiers et les entreprises – ferait le malheur des autres – les salariés –, vous allez, et ce sera ma dernière remarque sur cette proposition de loi, jusqu'à souhaiter, à l'article 7, la suppression de la rupture conventionnelle. Là encore, monsieur le rapporteur, vous ne tenez pas compte des réalités. Si cette procédure n'est pas toujours la panacée, son apport positif à l'égard du marché du travail est incontestable.

Pour conclure, monsieur le rapporteur, nous ne sommes ni naïfs, ni cyniques mais simplement empiriques et constructifs. Nous appelons à une certaine moralisation des financiers. Et il est évident que notre justice doit demeurer à tous égards vigilante pour prévenir des abus de licenciement, comme il y a, plus généralement, des abus de droit.

Mais l'on ne peut pas réduire la vie d'une entreprise à l'intérêt de ses seuls actionnaires et concevoir l'action législative comme un travail d'édification permanent de lignes Maginot.

Je vous rappelle d'ailleurs que l'affaire Michelin de 1999 avait été in fine plus profitable aux salariés qu'aux actionnaires : le cours de l'action sur cinq ans n'avait progressé que de 8 % quand le salaire avait quant à lui augmenté de 12 %.

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