Cette loi, promise pendant la campagne par celui qui allait devenir le Président de la République, devait être l'expression d'une nouvelle ambition pour l'université et un événement majeur du quinquennat. Le moins qu'on puisse dire c'est que ce ne sera pas le cas.
La loi que nous examinons a pour objets la stratégie, l'organisation et les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche publique. Ce que nous reprochons d'abord à ce texte, c'est de réduire l'autonomie des universités comme peau de chagrin, notamment en accumulant les contraintes institutionnelles et administratives et en faisant disparaître des spécialités qui contribuent pourtant à l'attractivité des universités.
S'agissant de la gouvernance des universités, pourtant au coeur du projet de loi, la déception est cruelle. Le fonctionnement du conseil académique, principale nouveauté du texte et dont on pouvait espérer qu'il joue le rôle d'un « sénat académique » comme dans les universités américaines, nous apparaît problématique : il sera en concurrence avec le conseil d'administration, les deux conseils étant composés majoritairement d'élus, et la représentation étudiante y sera pléthorique en formation plénière.
Autre point majeur du projet de loi, les possibilités de regroupements, dont les modalités sont décrites dans les articles 38 à 41, ont pour ambition affichée de simplifier et d'assouplir les dispositifs. Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, et les réseaux thématiques de recherche avancée, les RTRA, sont supprimés au bénéfice de la « communauté d'universités », structure s'appliquant à tout regroupement qui n'est pas une fusion. Mais l'avantage de la simplification administrative est annulé par une approche administrative et étatique, qui impose un modèle unique quels que soient les territoires, les situations et les projets.
On peut même parler de « soviétisation » quand le projet précise que « la politique territoriale de coordination est organisée par un seul établissement pour un territoire donné » et que « sur la base du projet commun, un seul contrat est conclu entre le ministre chargé de l'enseignement supérieur et les établissements regroupés ». Que se passera-t-il si les stipulations du projet commun sont refusées par les établissements regroupés ?
On parle de « coordination », alors que la communauté sera un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ; tout comme une université. On créera donc, en réalité, de « super-universités » dotées d'organes décisionnels qui se superposeront à ceux des universités membres. Si ce n'est pas une « usine à gaz »… En effet une communauté sera, comme une université, dotée d'un conseil d'administration et d'un conseil académique.
La composition du conseil d'administration constitue cependant une différence capitale : outre des représentants des établissements et des organismes de recherche, il comprendra 30 % de personnalités qualifiées et 40 % de représentants élus des enseignants et des chercheurs, des autres personnels et des étudiants. Les élus ne seront donc pas majoritaires au conseil d'administration de la communauté, alors qu'ils le sont nettement dans les conseils d'administration des universités membres. Faire coexister sans blocage deux niveaux d'administration construits sur des principes si différents relève du pari.
Si ce dispositif était adopté, la France disposerait d'un système unique au monde où la stratégie des universités relèverait de « super-universités » régionales, mastodontes sous la tutelle de l'État. Le gigantisme de ces « préfectures universitaires », gouvernées par un empilement de conseils, ne pourra que favoriser les clivages.
L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) est remplacée par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui ne fera en principe que valider les procédures d'évaluation. Le projet de loi précise cependant que le Haut Conseil pourra si besoin effectuer lui-même les évaluations.
On aboutit au paradoxe que, s'agissant de la stratégie, les universités perdent leur autonomie au profit d'une superstructure régionale, tandis que l'évaluation sera décentralisée ! C'est exactement le contraire en Grande-Bretagne, où les départements universitaires de recherche sont évalués au niveau national, alors que les universités sont autonomes. Nous considérons que c'est une grave erreur d'abolir tout dispositif national d'évaluation de la recherche.
La disparition des spécialités de masters contribuera également à la perte d'autonomie des universités, à l'anonymat des diplômes et au nivellement par le bas. À terme, elle risque de favoriser le développement d'un enseignement supérieur privé à vocation étroitement professionnelle.
Alors qu'il aurait fallu poursuivre la démarche entamée par la « loi LRU », celle d'une autonomie plus claire, au bénéfice d'enseignements de qualité, la France engage son enseignement supérieur à contre-courant de toutes les grandes organisations universitaires du monde.