COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mardi 14 mai 2013
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation examine, sur le rapport de M. Vincent Feltesse, le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche (n° 835).
Ce projet de loi, présenté par Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a été adopté en Conseil des ministres au mois de mars et doit être examiné en séance publique du mercredi 22 mai au vendredi 24, voire si nécessaire le lundi 27, le vote solennel étant prévu le mardi 28 mai. La Conférence des présidents a fixé la durée maximale de l'examen du texte à trente heures dans le cadre du « temps législatif programmé ».
Deux Commissions, celle des affaires économiques et celle des affaires sociales, ainsi que la Délégation aux droits des femmes, se sont saisies de ce projet pour avis.
Nous nous en tiendrons cet après-midi à la discussion générale, puis nous entamerons ce soir l'examen des articles, en présence de la ministre : 760 amendements ont été déposés, et nos travaux doivent en principe durer deux jours. Si cela s'avérait nécessaire, nous pourrions néanmoins être conduits à les poursuivre jeudi.
Nous avons en effet un grand nombre d'amendements à examiner. Mais le droit d'amendement doit être respecté. Aussi déplorons-nous que la méthode choisie pour l'examen de ce projet de loi nous prive de la possibilité de travailler demain matin mercredi – ce qui nous permettrait de disposer de quelques heures de plus. Vous avez souhaité la présence de Mme la ministre. Qu'il nous soit cependant permis de regretter que l'agenda du gouvernement prévale sur le travail parlementaire. Après tout, la ministre aurait pu être présente demain matin.
Nous déplorons de même, tout en reconnaissant le travail accompli par le rapporteur, que son rapport nous soit parvenu aussi tardivement. Nous l'avons reçu il y a quelques heures : cela ne nous a pas permis de travailler autant que nous l'aurions voulu.
Bref, les conditions optimales d'un bon travail parlementaire ne nous semblent pas réunies, d'autant que la procédure accélérée ne se justifiait pas et que la Conférence des présidents a décidé d'appliquer le temps programmé. Manifestement, on fait peu de cas du travail parlementaire.
Rendons à César ce qui est à César : c'est Mme la ministre qui a souhaité assister aux travaux de notre Commission. Or, elle participe demain matin au Conseil des ministres. Et il y aurait quelque incohérence à ce qu'elle ne soit présente que pour l'examen de certains articles.
La suspension des travaux parlementaires durant les deux dernières semaines concourt sans doute à expliquer les conditions d'examen que vous déplorez. En ce qui concerne le dépôt du rapport, je tiens néanmoins à rappeler que les commentaires des articles sont disponibles pour les membres de la Commission depuis le 24 avril. Si j'en juge par le nombre d'amendements qui ont été déposés, en majorité par les députés de l'opposition, le travail préalable n'a pas été affecté.
Le dépôt tardif du rapport nous contraint en effet à travailler dans des conditions assez difficiles. Pour ma part, je me réjouis que Mme Geneviève Fioraso assiste à nos travaux. Nous avions déploré que le ministre de l'éducation nationale ne le fasse pas pour la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ; vous nous aviez alors assuré que c'était dans le souci de respecter l'indépendance du Parlement, monsieur le président. Je ne sais ce qu'il faut en conclure.
Tout simplement qu'en tant que président de commission, je tiens compte du souhait du ministre concerné. Le ministre de l'éducation nationale avait souhaité que notre Commission travaille de manière indépendante, et décidé de ne pas être présent lors de l'examen des articles. Mme Geneviève Fioraso a fait un choix différent. Les deux options ont leurs avantages et leurs inconvénients. La présence de la ministre permettra que l'essentiel du débat ait lieu en commission, puisque nous connaîtrons dès ce stade son opinion sur les amendements.
Permettez-moi d'abord de remercier le secrétariat de la Commission, qui a beaucoup travaillé, et mes collègues parlementaires, qui se sont emparés du texte si j'en juge par le nombre d'amendements déposés.
Vous avez reçu il y a quelques semaines le commentaire des articles, et mon rapport il y a quelques heures. Je me bornerai donc ici à mettre le projet en perspective.
Nous connaissions les lois fondatrices sur l'éducation et l'enseignement supérieur que sont les lois « Faure », « Savary » et « Jospin » ; nous connaissions les lois sur la recherche. Mais c'est la première fois qu'un projet de loi est consacré à la fois à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cela n'est pas anodin, puisque cette loi est aussi une loi de convergence : convergence entre l'enseignement supérieur et la recherche, convergence entre les universités et les grandes écoles, convergence, enfin, à l'échelle des territoires.
Nous pouvons relever des tendances assez structurantes dans les politiques à l'oeuvre depuis quelques années en matière d'enseignement supérieur et de recherche, mais aussi des points qui appellent notre vigilance : la lourdeur, l'uniformisation et la prime au plus fort que peut susciter cette convergence. Le nombre d'amendements relatifs aux instituts universitaires de technologie (IUT) ou aux disciplines montre d'ailleurs bien que si nous sommes d'accord sur cette philosophie, la vigilance est de mise.
Quitte à surprendre, je dirai aussi que ce projet de loi assume une part de continuité. L'autonomie figurait déjà dans la loi « Faure » de 1968 et dans la loi de 1984. Le terme est certes un peu galvaudé ; l'université française demeure assez peu autonome en comparaison de ses homologues européennes, mais nous maintenons cette position. Le texte s'inscrit également dans une logique de rapprochement des établissements, qui est une nouveauté dans la politique universitaire depuis quelques années. La tendance avait en effet longtemps été à la séparation des établissements – Bordelais, j'ai vu mon université coupée en deux au milieu des années 1990, avant d'être réunifiée quelques années plus tard.
Par ailleurs, le projet aborde la question de la massification – ce que M. Benoist Apparu avait déjà fait dans son rapport de 2007 sur le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités (« loi LRU »). En cinquante ans, les effectifs étudiants ont été multipliés par huit, alors que la population française augmentait de 40 %. Nous franchirons vraisemblablement la barre des 3 millions d'étudiants dans les années qui viennent.
Le texte traite également de la modernisation de notre enseignement supérieur à travers le numérique et l'ouverture à l'international, ainsi que de sa responsabilité en termes d'insertion professionnelle et d'emploi. Qu'est-ce que l'excellence à la française en matière de formation et de recherche ? Derrière cette question se profile celle de l'évaluation.
En tant que rapporteur, j'assume tout à fait cette continuité du texte sur un certain nombre de politiques fondamentales de notre pays – qu'il s'agit d'améliorer.
Le projet n'en comporte pas moins des inflexions significatives. Je pense d'abord au nécessaire retour à une stratégie nationale de la recherche. En dépit de la définition d'une Stratégie nationale de la recherche et de l'innovation (SNRI), la multiplication des appels à projets ces dernières années a brouillé la stratégie et débouché sur une sorte de darwinisme de la recherche dont les bénéfices ne sont pas toujours avérés.
De même, l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur – de bac - 3 à bac + 3 –, dans le fil du projet de loi de refondation de l'école de la République du ministre de l'éducation nationale, M. Vincent Peillon, constitue une évolution majeure.
Je vois une autre grande inflexion dans la gouvernance plus démocratique des conseils d'administration. Nous revoyons celle-ci, sans pour autant revenir à la situation antérieure à la « loi LRU ». Nous aurons à n'en pas douter des débats approfondis sur cette question.
Enfin, le texte s'inscrit dans une nécessaire logique de simplification des structures et des procédures. Même ici, où nous sommes nombreux à bien connaître ces sujets, je doute que chacun ait une vision claire de la stratégie nationale de notre pays en matière de recherche et d'innovation.
Nous assumons dans ce projet des valeurs de gauche et des valeurs républicaines – lesquelles peuvent être consensuelles. Il marque en effet une volonté de rapprochement entre l'université et les grandes écoles, au-delà de ce qu'ont déjà permis les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES). Nous essayons d'aller plus loin sur la notion de convention. Le texte entend également favoriser l'accueil des étrangers et l'égalité entre les hommes et les femmes, point qui suscitera débat si j'en juge par les amendements déposés par le groupe UMP.
Le projet doit s'articuler avec la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, notamment pour ce qui concerne les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Il doit aussi déboucher sur la mise en place d'une stratégie nationale de la recherche. Reste à traiter la question fondamentale du financement de l'enseignement supérieur et de la recherche dans les années qui viennent. Je déposerai à cet effet un amendement sur la rédaction d'un Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce débat est de ceux qui ont déjà eu lieu en 2007.
Si le texte traite de la réussite des étudiants, il n'aborde pas la question de leurs conditions de vie. Ce sujet ne doit pas être oublié.
Le projet ne va pas non plus assez loin sur l'articulation entre la formation professionnelle et les universités. Je rappelle que le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche s'élève à 27 milliards d'euros, et celui de la formation professionnelle à 28 milliards, dont seulement 1 % à 2 % bénéficient chaque année au système universitaire, IUT compris.
Trois grands axes sous-tendent le projet de loi. Il donne tout d'abord la priorité à la réussite étudiante. J'ai évoqué l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, mais je pense aussi aux débouchés offerts aux baccalauréats professionnels et technologiques, qui représentent environ 50 % des bacheliers, à la valorisation de l'alternance, aux langues étrangères ou au numérique. Une expérimentation très intéressante est proposée à l'article 22 pour les études médicales – la Commission des affaires sociales a adopté cet article à l'unanimité. Je pense enfin à la valorisation du doctorat, avec les amendements qui vous proposeront d'aller un peu plus loin en la matière, ou à la mobilité internationale.
Second axe, le retour à une véritable stratégie de la recherche à l'échelle nationale. Plus que jamais, nous avons le devoir de réintroduire du temps long, de fixer un cap et d'assurer une certaine stabilité.
Troisième axe, la gouvernance – même si c'est un terme que je ne prise guère. Elle concerne bien sûr le fonctionnement interne des universités, avec le conseil d'administration, les pouvoirs du président et, désormais, le conseil académique, qui remplace à la fois le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire. Mais il s'agit surtout d'aller vers une nouvelle étape de la convergence – à savoir, après les PRES, les communautés d'universités et établissements, la fusion et le rattachement.
Ces quelques points méritaient d'être remis en perspective par rapport à des enjeux qui sont fondamentaux pour notre pays : l'excellence à la française, l'insertion professionnelle, la compétitivité et la réalité territoriale de notre République.
La Commission des affaires économiques a examiné pour avis les articles 48 à 55 du titre VI, qui portent sur trois points : le Conseil stratégique de la recherche, l'évaluation et la nouvelle instance qui en sera chargée, et enfin les activités de transfert.
Je partage, pour l'essentiel, l'appréciation que vient de porter votre rapporteur. La Commission des affaires économiques souhaite mettre l'accent sur la question du transfert et l'articulation entre la recherche et le développement économique. Cela ne signifie pas que le projet doive se résumer au seul développement économique, mais que celui-ci est un élément essentiel, et qu'il faut être capable de construire une stratégie qui permette de dépasser l'incantation : il ne suffit pas de répéter que l'innovation et l'articulation entre recherche et développement économique sont les moteurs de la compétitivité, il faut en faire une réalité.
Notre Commission des affaires économiques a adopté un amendement qui propose de modifier le nom de l'instance d'évaluation, en substituant celui de Haute autorité à celui de Haut conseil. C'est cependant moins l'intitulé de l'instance que la prise en compte des missions et de l'expérience de l'évaluation dans les dernières années qui nous tient à coeur. Nous n'en ferons donc pas un point de blocage.
La deuxième évolution que nous proposons concerne le Conseil stratégique de la recherche et la stratégie nationale de la recherche : nous préférerions parler de « Conseil stratégique de la recherche et de l'innovation » et de « stratégie nationale de la recherche et de l'innovation ». Il est malaisé de concevoir une stratégie nationale de recherche qui ne prendrait pas en compte l'innovation.
Enfin, nous souhaitons que soit reconnu, dans la carrière des chercheurs, le temps qu'ils consacrent aux activités de transfert, et notamment les périodes au cours desquelles ils quittent leur laboratoire pour participer directement à la valorisation économique d'un certain nombre de leurs découvertes. Cela nous paraît essentiel pour favoriser le lien entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise.
Ce projet de loi nous convient globalement. Par rapport à la « loi LRU », il a l'avantage de traiter de bien d'autres sujets que de la gouvernance universitaire, tels que la réussite des étudiants ou la stratégie nationale de recherche. Il traduit la priorité que nous accordons à l'enseignement supérieur et à la recherche, qui a trop souvent été, une fois les élections passées, l'oubliée des législatures précédentes. L'affirmation par la loi d'une stratégie de recherche permettra une vision à long terme de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation – comme cela se fait pour la Défense.
Ce texte et les amendements que nous proposerons permettront par ailleurs de mettre fin à certaines anomalies persistantes dans notre pays : je pense notamment à l'absence de reconnaissance du doctorat tant dans le secteur privé que public et à l'éclatement de notre système d'enseignement supérieur : 72 universités publiques, 12 privées, 21 organismes de recherche et… 1 509 écoles d'art, d'architecture, de commerce, etc. Le fait que l'architecture ne s'apprenne pas à l'université me semble particulièrement aberrant.
Il nous faudra enfin avancer sur les questions de tutelle de l'enseignement supérieur si nous voulons remédier à cet éclatement et à l'atomisation qui caractérisent l'enseignement supérieur français.
Alors que l'enseignement supérieur et la recherche prétendent servir l'intelligence et le progrès et travailler à l'édification d'une société plus égalitaire, ces univers restent marqués par de graves inégalités de fait. Les femmes en particulier y sont en butte à des difficultés directement liées à leur genre, à rebours de l'idéal républicain d'égalité. Elles sont largement sous-représentées dans les instances de direction et dans la hiérarchie administrative, et la valeur de leurs travaux de recherche est souvent minorée par des instances d'évaluation où elles sont très peu présentes. Les chiffres sont éloquents : les femmes représentent près de 60 % des diplômés de l'enseignement supérieur, mais 50 % des doctorants, 40 % des maîtres de conférence, 22 % des professeurs d'université et moins de 14 % des présidents d'université.
La Délégation aux droits des femmes a par ailleurs porté une attention particulière à la question du harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur, phénomène qui est loin d'être marginal.
Les amendements que nous proposerons au nom de la Délégation viseront à renforcer la présence des femmes dans les instances de gouvernance des établissements d'enseignement et des organismes de recherche en favorisant la parité dans tous les organismes décisionnels et en systématisant les plans d'actions en faveur de l'égalité, à rendre plus égalitaire le déroulement des carrières, à accroître la place des femmes dans les filières scientifiques et à engager une action résolue contre le harcèlement sexuel.
Le rapporteur pour avis de la Commission des affaires sociales sera présent au moment de l'examen de l'article 22.
Ce projet de loi traduit les engagements que nous avons pris envers la jeunesse et l'enseignement supérieur. Ce que nous devons à la jeunesse étudiante, c'est une cohérence dans ses études, une professionnalisation progressive, une garantie de réussite et une ouverture sur l'Europe, voire le monde. Ce que nous devons à l'enseignement supérieur et à la recherche, c'est une meilleure lisibilité à l'intérieur et une meilleure visibilité à l'extérieur, notamment en développant l'accueil d'étudiants et de chercheurs étrangers. Tel est l'objectif de l'article 2, qui vise à autoriser l'enseignement en langue étrangère.
Ce texte prouve qu'en la matière l'ambition est socialiste et partagée avec l'ensemble de la gauche. Notre priorité, c'est la réussite des étudiants, notamment par une meilleure articulation entre le lycée et l'enseignement supérieur, qui devrait mettre fin à l'égarement des bacheliers professionnels et techniques dans l'enseignement général. Faisons confiance aux sections de techniciens supérieurs (STS) et aux IUT.
Ce texte veut également favoriser une meilleure articulation entre les classes préparatoires aux grandes écoles et l'université via des conventions garantissant des parcours plus cohérents. Enfin, l'objectif de doublement du nombre des formations en alternance traduit notre volonté d'améliorer l'employabilité des diplômés.
L'ambition portée par le projet de loi dépasse l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômés de l'enseignement supérieur ou la reconnaissance du doctorat comme voie d'accès à la haute fonction publique : il consacre le retour d'un État stratège en matière d'orientation et de programmation de la recherche, notamment à travers l'institution d'un Conseil stratégique de la recherche auprès du Premier ministre. Il vise aussi à donner toute leur place aux acteurs locaux de l'enseignement supérieur et de la recherche, à travers notamment la création des communautés d'universités et l'institution de coopérations fédérant tous les acteurs de l'enseignement supérieur. Il privilégie ainsi la convergence quand la « loi LRU » avait fait le choix de la concurrence.
La création d'un conseil académique doté de compétences propres en matière de recherche permettra de démocratiser la gouvernance de l'université et de recentrer le rôle du conseil d'administration sur le pilotage stratégique. Avec ce texte, nous passons de la simple gouvernance à la construction d'un système démocratique, pour la réussite de chacun et l'ambition de tous.
Aux yeux du groupe SRC, cette loi ambitieuse inscrira notre université et notre recherche dans leur siècle en leur assurant un rayonnement international, sans oublier la réussite de chaque étudiant dans tous les territoires.
En dépit de votre travail, que je salue, monsieur le rapporteur, ce texte continue à susciter des interrogations au sein du groupe UMP.
D'abord on ne peut pas minimiser, comme vous le faites, le risque de dyarchie lié à l'institution à l'université d'un conseil académique qui entrera inévitablement en conflit avec le conseil d'administration. Vous prétendez ainsi corriger ce que vous appelez les « dysfonctionnements » de la « loi LRU ». Il est vrai que celle-ci favorisait une certaine concentration du pouvoir au bénéfice des présidents d'université, mais il s'agissait de permettre aux établissements d'enseignement supérieur de développer une véritable vision stratégique. Dans votre propre famille politique, certains pointent ce risque de dilution du pouvoir universitaire – j'ai eu l'agréable surprise de constater que M. François Patriat, président du conseil régional de Bourgogne, partageait notre analyse.
Nous ne pouvons que soutenir l'ambition que vous affichez d'assurer la réussite des étudiants, mais comment pourrions-nous ne pas douter, alors que rien dans ce texte ne va dans ce sens ? Il ne comporte ainsi aucune mesure en faveur du développement de filières d'excellence dans les premiers cycles universitaires, alors qu'une telle disposition contribuerait à rendre l'université plus attractive.
La question de l'insertion professionnelle est l'angle mort de votre rapport. Il est quand même surprenant que le rapporteur d'un texte relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche n'auditionne aucun représentant du MEDEF…
Vous n'allez pas me faire croire que personne, ni du MEDEF, ni de la CGPME, ni parmi les représentants des grands secteurs d'activité n'a répondu favorablement à votre invitation.
Croire que les communautés d'universités et établissements permettront d'accroître la coopération entre les universités, les écoles et les organismes de recherche traduit une vision extrêmement technocratique des choses. Au lieu de donner un nouveau souffle au système, elles favoriseront son uniformisation en anéantissant toute initiative indépendante. Au moins la constitution des PRES était-elle laissée au libre choix des établissements, ce qui garantissait une vision stratégique commune. Ce ne sera pas le cas avec ces structures imposées d'en haut, qui ne faciliteront que le travail de l'administration centrale, et non pas le fonctionnement de nos établissements d'enseignement supérieur. Alors que la politique menée ces cinq dernières années visait à mettre à la disposition des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche des outils juridiques adaptés à leur projet stratégique, vous voulez, vous, les soumettre à un seul et même cadre juridique. Avec ce système, l'université de Lorraine n'aurait pu voir le jour, monsieur Le Déaut.
Ce texte trahit en outre une vision excessivement régionaliste de l'enseignement supérieur et de la recherche, là où il faudrait définir une ambition nationale, voire internationale.
Cette loi, promise pendant la campagne par celui qui allait devenir le Président de la République, devait être l'expression d'une nouvelle ambition pour l'université et un événement majeur du quinquennat. Le moins qu'on puisse dire c'est que ce ne sera pas le cas.
La loi que nous examinons a pour objets la stratégie, l'organisation et les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche publique. Ce que nous reprochons d'abord à ce texte, c'est de réduire l'autonomie des universités comme peau de chagrin, notamment en accumulant les contraintes institutionnelles et administratives et en faisant disparaître des spécialités qui contribuent pourtant à l'attractivité des universités.
S'agissant de la gouvernance des universités, pourtant au coeur du projet de loi, la déception est cruelle. Le fonctionnement du conseil académique, principale nouveauté du texte et dont on pouvait espérer qu'il joue le rôle d'un « sénat académique » comme dans les universités américaines, nous apparaît problématique : il sera en concurrence avec le conseil d'administration, les deux conseils étant composés majoritairement d'élus, et la représentation étudiante y sera pléthorique en formation plénière.
Autre point majeur du projet de loi, les possibilités de regroupements, dont les modalités sont décrites dans les articles 38 à 41, ont pour ambition affichée de simplifier et d'assouplir les dispositifs. Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES, et les réseaux thématiques de recherche avancée, les RTRA, sont supprimés au bénéfice de la « communauté d'universités », structure s'appliquant à tout regroupement qui n'est pas une fusion. Mais l'avantage de la simplification administrative est annulé par une approche administrative et étatique, qui impose un modèle unique quels que soient les territoires, les situations et les projets.
On peut même parler de « soviétisation » quand le projet précise que « la politique territoriale de coordination est organisée par un seul établissement pour un territoire donné » et que « sur la base du projet commun, un seul contrat est conclu entre le ministre chargé de l'enseignement supérieur et les établissements regroupés ». Que se passera-t-il si les stipulations du projet commun sont refusées par les établissements regroupés ?
On parle de « coordination », alors que la communauté sera un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ; tout comme une université. On créera donc, en réalité, de « super-universités » dotées d'organes décisionnels qui se superposeront à ceux des universités membres. Si ce n'est pas une « usine à gaz »… En effet une communauté sera, comme une université, dotée d'un conseil d'administration et d'un conseil académique.
La composition du conseil d'administration constitue cependant une différence capitale : outre des représentants des établissements et des organismes de recherche, il comprendra 30 % de personnalités qualifiées et 40 % de représentants élus des enseignants et des chercheurs, des autres personnels et des étudiants. Les élus ne seront donc pas majoritaires au conseil d'administration de la communauté, alors qu'ils le sont nettement dans les conseils d'administration des universités membres. Faire coexister sans blocage deux niveaux d'administration construits sur des principes si différents relève du pari.
Si ce dispositif était adopté, la France disposerait d'un système unique au monde où la stratégie des universités relèverait de « super-universités » régionales, mastodontes sous la tutelle de l'État. Le gigantisme de ces « préfectures universitaires », gouvernées par un empilement de conseils, ne pourra que favoriser les clivages.
L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) est remplacée par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui ne fera en principe que valider les procédures d'évaluation. Le projet de loi précise cependant que le Haut Conseil pourra si besoin effectuer lui-même les évaluations.
On aboutit au paradoxe que, s'agissant de la stratégie, les universités perdent leur autonomie au profit d'une superstructure régionale, tandis que l'évaluation sera décentralisée ! C'est exactement le contraire en Grande-Bretagne, où les départements universitaires de recherche sont évalués au niveau national, alors que les universités sont autonomes. Nous considérons que c'est une grave erreur d'abolir tout dispositif national d'évaluation de la recherche.
La disparition des spécialités de masters contribuera également à la perte d'autonomie des universités, à l'anonymat des diplômes et au nivellement par le bas. À terme, elle risque de favoriser le développement d'un enseignement supérieur privé à vocation étroitement professionnelle.
Alors qu'il aurait fallu poursuivre la démarche entamée par la « loi LRU », celle d'une autonomie plus claire, au bénéfice d'enseignements de qualité, la France engage son enseignement supérieur à contre-courant de toutes les grandes organisations universitaires du monde.
Le bilan de la « loi LRU » et du « plan Campus » lors du précédent quinquennat est bien maigre : trop peu de sujets traités, une gouvernance trop centralisée, une mise en oeuvre qui a laissé les universités dans une situation financière dramatique.
Nous pensons en revanche que ce projet de loi est un bon texte, en ce qu'il lie l'enseignement supérieur et la recherche et qu'il pose les bases d'une autonomie réelle des universités dans le cadre d'une régulation nationale. Plus globalement, il s'agit de construire un nouveau modèle français, alliant solidarité et compétitivité. C'est là un objectif dans lequel les députés du groupe RRDP se retrouvent totalement.
Le projet simplifie d'abord l'administration de l'université en créant un conseil académique à partir de la fusion de deux conseils, alors que la « loi LRU » avait abouti à une concentration excessive du pouvoir au bénéfice du conseil d'administration.
Le groupe RRDP estime également que le dessein du texte est clair : accorder toute la confiance nécessaire aux universitaires dans la conduite de leurs formations et la gestion de leurs établissements – et leur donner confiance en eux-mêmes.
Il convient toutefois d'encadrer l'exercice de l'autonomie, via le regroupement des institutions du supérieur dans des communautés d'universités et établissements. Coordonner la recherche et l'enseignement sur un territoire donné, éventuellement interacadémique, permettra de diminuer le millefeuille administratif. Il faut réunir les moyens pour agir avec plus d'efficacité.
Au plus haut niveau, l'AERES est remaniée en une autorité administrative indépendante, le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui pourra dialoguer avec le Conseil stratégique de la recherche.
Ce projet vise également à améliorer concrètement les conditions de la réussite des étudiants, le régime de la valorisation de la recherche, à faciliter les découvertes et leur transfert, ainsi qu'à réformer le cycle de la licence en inscrivant dans la loi le principe de continuité entre le secondaire et le supérieur.
Enfin, comme l'a rappelé M. Jean-Yves Le Déaut, le projet de loi reconnaît formellement le doctorat, qui couronne la formation universitaire. C'est grâce à celui-ci que naissent les découvertes, qu'apparaissent de nouveaux savoirs, que sont publiés des formules et des ouvrages neufs, que les universitaires, tout simplement, existent. Le doctorat est au fondement de l'enseignement supérieur et de la recherche, dont l'économie et la jeunesse ont tant besoin.
Alors que le projet de loi a été précédé d'une consultation des différents acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, chacun peut vérifier grâce aux auditions, que les organisations syndicales n'ont pas retrouvé leurs propositions dans le texte. Du reste, le 22 mai prochain, les syndicats de l'enseignement supérieur et de la recherche organiseront une manifestation en vue d'améliorer le projet de loi.
Monsieur le rapporteur, vous avez employé le mot « continuité » en évoquant l'autonomie : je n'aurais pas été si loin. Plus prudente, j'ai évoqué un « décollage insuffisant » de la « loi LRU », avec laquelle, malheureusement, ce projet de loi ne permet pas de rompre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a invoqué à plusieurs reprises la réussite des étudiants. Il est vrai que le texte permet des avancées en direction des bacheliers des filières professionnelles ou technologiques ou sur la question de la licence, même si la réforme de celle-ci est renvoyée à la voie réglementaire. Il renforce également les droits syndicaux des étudiants, ce qui est une bonne chose car les étudiants doivent être considérés comme des acteurs à part entière de l'université.
En revanche, le texte est vide en ce qui concerne les conditions de vie des étudiants. Or, toutes les études et le rapport lui-même montrent combien la réussite des étudiants est liée à la correction des inégalités sociales. Le taux d'échec des étudiants salariés est très important. L'arrêt des études avant l'obtention d'un diplôme est souvent lié aux conditions de vie des étudiants. La question de l'allocation d'autonomie n'est pas abordée tandis que le rôle et les missions des oeuvres universitaires sont sous-estimés. Je présenterai au nom du groupe GDR plusieurs amendements sur le sujet.
S'agissant de l'accréditation des établissements publics et privés et de l'habilitation des diplômes, il convient encore de préciser le texte, notamment en ce qui concerne le cadre national des diplômes.
Par ailleurs, le projet de loi maintient, avec l'Agence nationale de la recherche, la logique de financement par projet, ainsi que les fondations de coopération scientifique. Et si l'AERES est supprimée, c'est pour être remplacée par une structure équivalente en termes de composition et de mission – le Haut Conseil d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.
La création du Conseil stratégique de la recherche fournira assurément un cadre national à la recherche. Toutefois, quel en sera l'objectif ? Nous sommes en droit de nous interroger. En effet, alors que vous reconnaissez vous-même, monsieur le rapporteur, que la recherche a besoin de temps long, le fait que de très nombreux articles du texte lient la recherche aux questions de compétitivité, d'innovation et de développement économique, tout en mettant de côté les sciences humaines, ne peut qu'inquiéter la communauté des chercheurs.
Il convient de noter enfin que le texte renforce l'autonomie en obligeant les universités à se regrouper au sein de territoires – c'est une préoccupation que nous partageons.
Si l'adoption d'amendements doit permettre d'améliorer le projet de loi, il convient absolument de maintenir, voire d'améliorer la parité au sein des postes à responsabilité et des instances démocratiques des universités.
Au cours de la discussion de la « loi LRU », Mme Valérie Pécresse, alors ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, avait insisté sur la nécessité de réformer la licence en vue de mettre un terme à l'échec massif en troisième année des étudiants issus des filières technologiques et professionnelles. Elle avait promis qu'elle procéderait à la réforme de la licence après celle de la gouvernance des universités : nous attendons toujours.
Si le présent projet de loi est un texte de progrès, c'est qu'il vise la réussite de tous en licence, tout d'abord en inscrivant, à l'article 17, le principe de continuité entre le second cycle du second degré – les trois années de lycée – et le cycle de la licence, et, en favorisant, ensuite, à l'article 18, l'accès des bacheliers professionnels aux sections de techniciens supérieurs, et celui des bacheliers technologiques aux instituts universitaires de technologie, toutes filières qui ont été créées à leur intention.
Cette politique est donc en rupture totale avec celle de la précédente majorité. L'ambition de ce texte est la même que celle qui a présidé à la loi sur la refondation de l'école, qui vise à assurer la continuité entre l'école élémentaire et le collège. C'est en effet sur le principe de continuité que repose la réussite éducative.
Nous défendrons donc cette loi de progrès.
Alors qu'une des ambitions de la « loi LRU » était de créer un véritable pouvoir universitaire, je crains que ce texte ne revienne en arrière. À mes yeux, la concentration du pouvoir instaurée en 2007 n'était pas trop forte.
Je suis également très circonspect, s'agissant des communautés d'universités, d'autant que les PRES représentaient une forte avancée. Peut-être aurait-il fallu les évaluer et éventuellement les réformer avant de changer un outil qui a porté des fruits.
Enfin, je suis, comme M. Yves Durand, favorable aux articles 17 et 18 du projet de loi : il convient en effet, grâce à une orientation digne de ce nom, de cesser d'envoyer des bacheliers technologiques et professionnels hors des filières qui leur sont dédiées – STS ou IUT.
Le texte réalise de nombreuses avancées, qu'il s'agisse de la réussite des étudiants ou de la gouvernance des universités et de la recherche.
L'objectif d'atteindre 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur est en parfaite cohérence avec les dispositions budgétaires qui ont déjà été prises, grâce, notamment, aux 1 000 postes supplémentaires consacrés, dès 2013, à la licence, et au projet de création de logements étudiants.
La signature de conventions entre les lycées disposant de classes préparatoires et des établissements universitaires évitera à des élèves ayant fréquenté deux ou trois ans ces classes de se retrouver dans une impasse.
Par ailleurs, la mise en place d'un service régional d'orientation permettra d'être plus près des réalités territoriales et d'anticiper les besoins.
La simplification des procédures d'accréditation des établissements en vue de les rendre plus efficaces était également nécessaire.
Enfin, il est bon de prévoir des quotas de bacheliers professionnels ou technologiques dans les filières qui leur étaient initialement dédiées – STS ou IUT.
Toutes ces dispositions favoriseront la réussite des étudiants et faciliteront leur insertion professionnelle.
Je partage les réserves de nombreux présidents d'universités, étudiants et syndicats d'enseignants à l'égard de ce texte qui me paraît bavard, voire dangereux.
Le projet se paie de grands mots quand plusieurs articles se résument à un catalogue de bonnes intentions, sans portée législative. Il ne traite pas en revanche des conditions de vie des étudiants, alors que la précédente majorité avait attribué aux étudiants un mois de bourse supplémentaire. Quant au programme de construction de logements, il est très insuffisant. Or, l'urgence est là. Le texte ne s'attaque pas non plus de manière concrète à l'échec des étudiants au cours des trois premières années, l'article 17 demeurant bien flou. Si le projet de loi vise à désarticuler les premiers cycles des universités et à baisser le niveau de la licence pour faire reculer l'échec universitaire, il fait fausse route. Il conviendrait plutôt de réformer le système du tutorat ou la semestrialisation.
Le texte passe donc à côté des vrais sujets. Mais il est en outre dangereux, en ce qu'il instaure une centralisation excessive. Le président de l'UNEF a déclaré que « l'instauration d'un cadrage national des diplômes va mettre fin à la liberté d'initiative des universités ». Pensez-vous que cela soit judicieux, alors même que les universités ont besoin d'une plus grande liberté pour adapter leurs formations ou leurs programmes de recherche aux attentes à la fois des étudiants et des acteurs locaux ? Les universitaires sont mieux à même que Paris de décider de l'orientation à donner à leurs formations ou à leurs recherches.
Par ailleurs, en matière de gouvernance, le texte, en prévoyant les communautés d'universités et établissements, crée une vraie « usine à gaz ».
Enfin, renoncer à enseigner dans notre langue au sein de notre université, comme le prévoit l'article 2, représente un très grave abandon de souveraineté intellectuelle et culturelle. Demain, des masters et des laboratoires de recherche ne travailleront plus qu'en anglais. Or, si nous travaillons dans une autre langue que le français dans des disciplines techniques d'innovation, nous ne disposerons bientôt plus des mots nous permettant d'exprimer l'avenir. Les langues commencent de disparaître quand elles ne sont plus capables de formuler le langage technique et qu'elles ne sont plus pratiquées par les élites. La France doit défendre la langue française. Quel message envoyez-vous aux pays francophones et aux étudiants qui apprennent le français de par le monde, si vous autorisez les universités françaises à ne plus enseigner en français ? La Commission des affaires culturelles se doit de défendre la langue et la culture françaises.
Un peu d'histoire, monsieur Fasquelle. Le dixième mois de bourse n'était pas financé !
Quant à la réussite des étudiants en licence, parlons-en. Entre 2007 et 2012, les taux de réussite ont baissé de quatre points. Il convient donc de prévoir de nouveaux dispositifs.
Le système universitaire doit également être plus lisible. Il est trop complexe, qu'il s'agisse des diplômes ou des procédures d'élaboration des programmes de recherche – les chercheurs passent leur temps à remplir des dossiers pour obtenir de maigres crédits, ce qui ne peut qu'affaiblir leur stratégie de recherche.
Certaines dispositions du texte peuvent susciter le débat au sein même de la majorité. C'est pourquoi il convient de l'améliorer sans en altérer la philosophie, s'agissant notamment de l'orientation des bacheliers technologiques ou professionnels afin de favoriser leur réussite en licence.
Le projet de loi n'est pas aussi ambitieux que nous l'aurions souhaité : il ne traite pas, notamment, de la question des moyens. Aussi la réalisation, évoquée par le rapporteur, d'un Livre blanc sur le sujet me paraît-elle une excellente suggestion.
Chacun reconnaît l'importance des défis qui se posent à l'université et à la recherche françaises. C'est pour les relever que la précédente majorité avait adopté, en 2007, la « loi LRU ». Personne ne peut contester la réussite d'une loi d'autonomie qui, après un démarrage assez lent, a été librement adoptée par la totalité des universités françaises, permettant ainsi la création de grands pôles universitaires.
D'ailleurs, la loi a largement bénéficié aux étudiants ; la dépense moyenne annuelle par étudiant passant de 7 000 euros en 2007 à 10 000 euros en 2012.
Le texte qui nous est présenté ne répond pas aux défis du moment, et mérite quatre critiques principales.
Il est, premièrement, fondé sur une philosophie égalitariste, alors que notre université a besoin de diversité. Les universités doivent pouvoir s'exprimer en dehors d'un cadre centralisé et égalitariste.
Deuxièmement, la gouvernance, en devenant très lourde, portera en germe de nombreux conflits entre les différentes instances créées par la loi.
Troisièmement, la marginalisation de la langue française dans l'université est un comble. S'il y a bien une institution au sein de laquelle la langue française doit être défendue et promue, c'est l'université.
Quatrième et dernier point : le texte ignore les réalités économiques. Comment en serait-il autrement puisque les organisations syndicales patronales ont été écartées des travaux préparatoires ? Le rapporteur ne peut raisonnablement soutenir qu'aucune de ces organisations n'a répondu présent : la ficelle apparaît trop grosse.
Ce projet de loi ne saurait donc recueillir notre assentiment.
Même si la procédure accélérée a été engagée sur ce projet de loi qui, par ailleurs, est un bon texte, il nous est toujours possible de l'améliorer par voie d'amendements. Je déposerai à cette fin, en tant que rapporteur, plusieurs amendements et le gouvernement fera de même à la suite des discussions qui ont eu lieu.
J'ai regardé comment la question de l'enseignement et de la recherche avait été traitée durant les quinze dernières années par les majorités successives. Afin de savoir ce que deviennent les lois, une fois adoptées, j'ai relu en particulier les débats parlementaires sur la « loi LRU », ce qui m'a permis de connaître les positions de la ministre de l'époque et du rapporteur du texte, ainsi que les promesses faites par le gouvernement. De nombreux rapports pour avis ont été rendus et je tiens également à rappeler la qualité de l'expertise de M. Jean-Yves Le Déaut. Nous sommes tous d'accord, au sein de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation : l'enseignement supérieur et la recherche constituent un enjeu crucial pour le pays – ce n'est pas nécessairement l'avis des autres commissions ou de tous les gouvernements qui se succèdent, indépendamment de leur étiquette.
Il s'agit, à mes yeux, de préparer l'avenir en fonction de trois problématiques. La première concerne les moyens de l'enseignement supérieur et de la recherche dans une stratégie, à laquelle j'adhère, de maîtrise de la dépense publique ; la deuxième, les conditions de vie des étudiants, et la troisième, la précarité.
Si nous pouvions, par-delà nos sensibilités politiques, converger sur la définition et l'élaboration d'une stratégie de défense à long terme de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous serions plus forts pour empêcher que cette question cruciale ne soit traitée que tous les cinq ans, lors des campagnes présidentielles.
S'agissant de l'analyse de la situation actuelle, je vous invite, mes chers collègues, à prendre du recul et à tenir compte des réalités : taux effectif de réussite en licence par rapport aux objectifs fixés ; rapport de la Cour des comptes sur les PRES sept ans après leur création ; nombre d'universités dont le budget est déficitaire sur un an ou sur deux ans ; nombre d'étudiants en situation précaire ; taux d'insertion professionnelle – des dizaines de milliers d'étudiants quittent chaque année l'enseignement supérieur sans aucun diplôme.
Soyons lucides : si les universités fonctionnaient parfaitement, si les étudiants réussissaient de manière exemplaire, si les PRES étaient partout un succès et si nous n'avions pas le sentiment que l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche sont aujourd'hui épuisés, à force de bricoler avec des bouts de ficelles, de répondre à des appels à projets et de régler des questions institutionnelles, le présent projet de loi ne serait pas nécessaire.
Mais le constat sur la précarité et l'illisibilité du système d'enseignement supérieur français a été largement partagé par l'ensemble des participants – venus très nombreux – aux Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche.
D'autre part, le vote du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) en faveur du présent projet de loi – alors qu'il en a rejeté d'autres par le passé – et la position de la Conférence des présidents d'universités (CPU) devraient nous inciter à modérer nos jugements.
Ce texte n'est pas d'inspiration technocratique. Je n'ai d'ailleurs rien, pour ma part, d'un technocrate : j'ai été pendant quelques années un praticien de l'enseignement supérieur et de la recherche, et suis désormais le responsable d'une agglomération assez importante, confronté aux réalités du terrain et aux réformes successives du système universitaire.
Madame Buffet, je n'ai pas parlé de continuité avec la « loi LRU » : j'ai indiqué que l'autonomie des établissements était une préoccupation constante depuis la « loi Faure » – votée en novembre 1968 par l'ensemble des forces politiques à l'exception des députés communistes, qui se sont abstenus.
En ce qui concerne la gouvernance des universités et les risques de conflits, voire de paralysie, que vous relevez, chers collègues de l'opposition, je vous invite à relire le rapport remis par M. Philippe Aghion à la ministre Valérie Pécresse en 2010 : la dyarchie qui existe au sein des universités françaises se retrouve presque partout dans le monde. En outre, vous évoquez un déséquilibre entre les prérogatives du conseil académique et celles du conseil d'administration, alors que tel n'est pas le cas. Enfin, vous nous reprochez de remettre en cause l'autonomie des universités, mais vous avez vous-mêmes une attitude contradictoire : plusieurs d'entre vous ont déposé un amendement tendant à créer une instance supplémentaire, le conseil d'orientation stratégique, alors que le présent projet de loi permet déjà au conseil d'administration de mettre en place un tel organe.
Nous avons examiné de près la composition et le fonctionnement des conseils d'administration avant la « loi LRU », depuis cette loi et tels qu'ils sont prévus par le présent projet de loi. Celui-ci favorise un fonctionnement plus démocratique des conseils universitaires et en améliore la représentativité, sans remettre en cause – ce point fait d'ailleurs débat au sein de la gauche – le pouvoir du président, nécessaire pour que l'université puisse déployer une stratégie.
S'agissant de la réussite des étudiants, vous trouvez le projet « bavard ». Or, il apporte des améliorations non négligeables au code de l'éducation. Surtout, avec le principe de continuité entre le second cycle de l'enseignement secondaire et le cycle de licence, l'instauration de quotas en faveur des bacheliers professionnels et technologiques pour l'accès aux STS et aux IUT, et les dispositions relatives à l'international, il crée les conditions nécessaires à la réussite des étudiants. De plus, je présenterai des amendements visant à préserver les stages. Je vous invite à nouveau, chers collègues, à tenir compte des taux d'échec et de décrochage des étudiants.
Vous estimez, monsieur Hetzel, que la question de l'insertion professionnelle constitue l'« angle mort » de mon rapport. Cependant, j'assume les propos que j'ai tenus à ce sujet. Le gouvernement présentera un amendement – qui suscite d'ailleurs des débats entre nous – tendant à ajouter au sein du conseil d'administration, parmi les personnalités extérieures, un troisième représentant du monde économique et social. La « loi LRU » n'était pas allée aussi loin.
Mes propos concernant le MEDEF ne sont en rien une provocation. Cependant, j'ai été surpris de ne pas pouvoir entendre leur avis. L'université doit être ouverte sur le monde de l'entreprise et les territoires. Je regrette également que les syndicats de salariés – si ce n'est les syndicats internes au système universitaire – ne se soient pas davantage exprimés, alors qu'ils ont des positions à faire valoir, notamment sur les liens qu'il convient de créer entre la formation professionnelle et l'enseignement supérieur.
Vous nous reprochez de créer une nouvelle « usine à gaz » avec les communautés d'universités et établissements. Pourtant, le projet de loi ne crée aucune superstructure supplémentaire. Il prévoit plusieurs dispositifs de regroupement des établissements, souples et fonctionnant de manière démocratique – la ministre y reviendra certainement en détail. D'autre part, il est urgent d'agir : compte tenu des enjeux, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre quinze ans à réaliser une fusion d'universités, comme cela a été le cas dans le Sud-Est.
S'agissant des points soulevés par Mme Marie-George Buffet, notamment en ce qui concerne les conditions de vie des étudiants, nous pouvons poser des jalons pour l'avenir. C'est pourquoi je propose la rédaction d'un Livre blanc sur l'enseignement supérieur et la recherche, qui abordera tant la stratégie que les moyens et la programmation. Il n'y a pas raison que notre politique de défense fasse seule l'objet d'un Livre blanc !
Nous débattrons également de la substitution de l'accréditation des établissements à l'habilitation des diplômes, ainsi que de l'instauration d'un cadre national des diplômes. Le projet permet, là aussi, de parvenir à un point d'équilibre.
Enfin, nous aurons un débat approfondi sur la langue des enseignements. L'article 2 prévoit des exceptions à la « loi Toubon » de 1994, mais il ne s'agit nullement de bannir l'usage du français à l'université ! Ces nouvelles dispositions visent non seulement à permettre aux étudiants étrangers d'étudier en anglais dans notre pays, mais aussi à corriger une injustice : dans les grandes écoles, les étudiants ont accès à de nombreux cours dispensés en langue étrangère, alors que tel n'est pas le cas à l'université. Les universités françaises ont en outre vocation à accueillir des étudiants étrangers. Certains de nos collègues socialistes ont d'ailleurs déposé des amendements à ce sujet, notamment sur la question des visas.
Je viens d'avoir un échange avec le directeur des affaires publiques du MEDEF : non seulement le MEDEF n'a pas été invité à s'exprimer, mais lorsqu'il a demandé à être auditionné, il lui a été répondu que les délais étaient trop courts.
Quant aux organisations syndicales, vous avez raison, monsieur le rapporteur : il est important de les écouter. Lorsque j'ai présidé la Commission du débat national « université-emploi » en 2006, les propositions constructives sont venues non pas des organisations syndicales internes au système universitaire, mais des confédérations nationales. L'enseignement supérieur et la recherche doivent s'ouvrir sur leur environnement.
Pour ce qui est des moyens, nous en avons beaucoup débattu au cours des cinq dernières années. L'opposition d'alors estimait qu'il fallait considérer les crédits hors compte d'affectation spéciale « pensions ». Je vous invite à le faire, chers collègues : vous vous rendrez alors compte que les moyens consacrés par le gouvernement à l'enseignement supérieur et à la recherche ont baissé en 2013 par rapport à 2012.
S'agissant des conseils académiques prévus par le présent projet de loi, ne travestissez pas la réalité : ils n'ont rien à voir avec les sénats académiques qui existent à l'étranger et ont des compétences bien spécifiques. En outre, dans la plupart des universités étrangères, les compétences du sénat académique, du conseil d'administration et du conseil de surveillance ne se chevauchent pas. Enfin, les conseils de surveillance comprennent en général dix à douze membres, dont la majorité sont extérieurs à l'université. Si le texte prévoyait un tel schéma, j'y serais tout à fait favorable. Mais il constitue au contraire un recul en la matière.
Vous invoquez l'urgence, monsieur le rapporteur. Selon nous, il convient non pas d'aller plus lentement, mais d'agir en concertation avec les acteurs du monde universitaire. Je reprends à mon compte le terme de M. Rudy Salles : le dispositif des communautés d'universités et établissements est une « usine à gaz ». La coexistence de deux niveaux d'établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) va créer des situations ingérables. Tel n'était pas le cas des PRES, qui avaient vocation à préparer les fusions d'universités.
Je ne souhaite pas polémiquer avec M. Patrick Hetzel sur le terme d'« usine à gaz », mais je le répète : le système universitaire français actuel est incompréhensible, vu de l'extérieur, avec ses universités, ses écoles en tous genres. Les communautés d'universités visent précisément à permettre aux établissements de se regrouper sur une base volontaire et de travailler ensemble, en choisissant les compétences qu'ils souhaitent transférer au niveau supérieur. Les écoles d'ingénieurs pourront ainsi garder leur « marque ». Le fonctionnement des PRES n'était pas satisfaisant : les différentes composantes n'étaient ni représentées, ni consultées. Le présent projet de loi comble cette lacune.
Selon M. Patrick Hetzel, l'université de Lorraine n'aurait pas pu voir le jour dans le cadre du présent texte. Mais, pour la créer, il a fallu prendre un décret en Conseil d'État : est-ce normal dans un système universitaire réputé autonome ? Grâce à la loi que nous allons adopter, les fusions pourront être plus rapides. En réalité, nous remplaçons l'usine à gaz qui existe actuellement par un système beaucoup plus souple.
Vous estimez, monsieur Le Déaut, que le système français est illisible en raison de la séparation entre grandes écoles, grands établissements et universités, et que les communautés d'universités et établissements vont remédier à cette situation. Est-ce à dire que la distinction entre universités et grandes écoles va disparaître ?
J'ai des valeurs de gauche sur lesquelles je ne transigerai pas, mais j'assume une part de continuité et suis assez ouvert, je le répète, sur les questions que vous avez soulevées. Nous devons tous faire un bilan lucide. Vous ne pouvez pas prétendre, chers collègues de l'opposition, que tout irait à merveille, que le rythme des évolutions serait satisfaisant, que les conditions d'un fonctionnement démocratique seraient réunies, et que nous viendrions casser cette dynamique !
Nous disons simplement qu'il n'est pas sûr que les choses fonctionneront mieux avec le présent projet de loi !
Cette appréciation diffère quelque peu de celle que vous avez formulée lors de votre précédente intervention.
Nous en avons terminé avec cette discussion générale et nous entamerons l'examen des articles lors de notre prochaine séance.
La séance est levée à dix-neuf heures.