Madame la ministre, je voudrais vous remercier pour le travail et la concertation nationale qui ont été menés à l'occasion de la préparation de ce projet de loi, parce que la communauté universitaire et éducative attendait depuis longtemps un nouvel élan qui assigne une nouvelle ambition à l'enseignement supérieur et à la recherche. Percutés par la mondialisation, nous avons besoin de réaffirmer la modernité de notre pays à travers ses outils de formation et de recherche.
Il est néanmoins dommageable que ce dessein ait été occulté par l'article 2 qui étend le champ des exceptions à l'obligation de dispenser les cours en français autorisées par la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française – dite « loi Toubon ». Cet article ne rassure ni ceux qui veulent accroître l'attractivité de nos universités, ni ceux qui souhaitent renforcer la francophonie : il souffre au minimum d'une mauvaise rédaction, d'où ma volonté de le supprimer s'il devait rester en l'état. Nous devons donner à notre stratégie en matière de francophonie – tant à l'étranger qu'en France – la lisibilité qui lui manque depuis bien longtemps. Le monde entier – notamment francophone – observe avec intérêt les décisions que nous prenons sur la place de notre langue et sur celle des langues étrangères comme véhicules du savoir dans l'enseignement supérieur. La question est en effet non pas celle de l'enseignement de l'anglais, mais celle de l'enseignement en anglais. La possibilité de dispenser tout ou partie de notre enseignement scientifique en langue étrangère – principalement en anglais – sème le doute dans de nombreuses sociétés connaissant de fortes évolutions et de vifs débats identitaires et donc linguistiques – je pense notamment aux pays du Maghreb et à l'Afrique subsaharienne – : quelle est l'utilité de mener un combat linguistique pour le français si la France elle-même l'abandonne ?
Il ne s'agit pas de faire ici de faux procès et je n'accuserai personne d'être opposé à la francophonie ou au rayonnement du français – patrimoine qui appartient d'ailleurs non plus à la France, mais au monde, puisque de nombreux peuples parlent cette langue sur les cinq continents.
Si le principe posé par l'article 2 du projet était maintenu, il y aurait lieu d'encadrer strictement l'extension des exceptions prévues par la « loi Toubon », ne serait-ce que sur le plan pédagogique : quels sont en effet les professeurs susceptibles de transmettre en langue étrangère ? Combien d'étudiants venant de Chine, d'Inde, du Brésil et de l'ensemble des pays émergents non francophones viendront étudier l'anglais en France ? On peut penser qu'ils préféreront se rendre dans un pays anglophone. Il convient de ne pas présenter ce débat sous la forme d'une opposition entre anciens et modernes, mais de se demander s'il est possible de rendre la France attractive aux yeux de la jeunesse des pays émergents. La réponse à cette question est positive, car déjà 100 000 Chinois et des dizaines de milliers de Brésiliens apprennent le français. Même si la pratique de la langue française est défavorisée dans certaines filières scientifiques, nous pouvons renforcer l'attrait international de notre pays en valorisant notre langue tout en structurant plus efficacement l'enseignement des autres langues et en débattant de la nature des travaux universitaires et de recherche qui peuvent être conduits dans une langue étrangère. Ces discussions m'apparaissent bien plus utiles que des crispations reposant sur des affects liés à la nature politique de la langue française.