Intervention de François de Mazières

Séance en hémicycle du 21 mai 2013 à 15h00
Autorisation de légiférer pour accélérer les projets de construction — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Mazières :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, chers collègues, il y a quelques mois, nous discutions dans ce même hémicycle de la loi sur la mobilisation du foncier public en faveur des logements sociaux. À l'époque, nous avions regretté que vous saucissonniez au nom de l'urgence la grande réforme annoncée pour 2013. Aujourd'hui, une nouvelle fois, vous légiférez dans l'urgence et nous le regrettons.

Je développerai trois idées principales qui justifient mon opposition au recours à la procédure des ordonnances.

La première idée est que rien ne justifie la procédure d'urgence alors même que vous avez prévu le passage de votre texte principal dès le mois de juillet. Regardons les choses en face : vous avez en effet annoncé en commission des affaires économiques que votre texte à portée générale sur la réforme du logement viendrait en examen à l'Assemblée au mois de juillet. Si l'on prend en compte les délais prévus pour l'entrée en vigueur des ordonnances, mentionnés à l'article 2 du projet de loi d'habilitation, soit quatre mois, six mois voire huit mois pour certaines dispositions, plus les cinq mois avant la ratification, il apparaît clairement que vos ordonnances seront prises au moment même où le Parlement votera la version finale de votre loi à vocation générale. Comment dès lors justifier que des dispositions techniques, telle la création d'un portail d'urbanisme, soient prises par voie d'ordonnance ou encore, selon le premier alinéa de l'article 1er, que ces ordonnances permettent au Gouvernement de prévoir « une procédure intégrée pour le logement, soumise à une évaluation environnementale » afin de « favoriser une production rapide de logements » ? Franchement, je ne vois dans ces méthodes, alors qu'on va examiner un projet de loi ordinaire sur le même sujet, qu'une explication : la volonté d'empêcher la représentation nationale d'exercer totalement son rôle.

Bien entendu, nous partageons, madame la ministre, votre inquiétude de voir les recours abusifs se multiplier, ce qui justifie notamment que nous nous abstenions. Certes, nous vous suivons sur ce point, mais prenons garde, en procédant par ordonnances, à ne pas donner l'impression de brider un droit essentiel. Ce sont les excès qu'il faut condamner et non la possibilité pour les associations d'exercer leurs droits. Ne tombons pas dans le travers inverse, à savoir ne pas permettre la préservation des garanties de cohérence urbaine affirmées dans les documents d'urbanisme : de même qu'il faut permettre aux villes de construire, il faut aussi se prémunir des constructions inopportunes ne répondant qu'à des logiques spéculatives – vous voyez, madame la ministre, que l'on peut partager vos préoccupations.

Cela m'amène à développer un deuxième argument à mes yeux tout aussi essentiel car outre la critique de la méthode, j'ai une vraie inquiétude sur le fond : je crains que vous ne remettiez en cause les pouvoirs des maires ainsi qu'un principe essentiel du droit, celui du recours à un double niveau de juridiction. Mauvais procès, allez-vous me répondre. Mais est-ce vraiment sûr ? Votre projet de loi d'habilitation prévoyant que « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnances toute mesure de nature législative propre à […] mettre les documents d'urbanisme applicables à ce projet en compatibilité avec ce projet », reconnaissez que c'est tout de même vous donner un blanc-seing inquiétant. Voulez-vous dire qu'il sera possible de s'asseoir sur les PLU ? Il y a, à mes yeux de maire, une grande dérive dont il faut nous protéger : celle de perdre de vue que la cohérence de l'urbanisme ne peut se définir qu'au niveau d'une ville. La connaissance fine des enjeux et des spécificités d'un territoire relève du maire et de son équipe. Je m'oppose ainsi fermement à toutes ces idées qui voudraient que l'on ôte au maire ce qui fait la grandeur de sa mission, à savoir définir à travers une vision urbaine le développement de la ville. En zones tendues, les ordonnances que vous nous proposez aboutiront clairement, et sans doute est-ce votre intention, à aller à l'encontre de la politique des maires.

Sur ce point, je ne peux pas vous rejoindre même si, comme vous le savez, je suis personnellement convaincu de l'utilité du logement social dans des conditions équilibrées.

Sur l'organisation des recours, votre projet ne dit pas grand-chose, en tout cas pas assez. Il semblerait toutefois que vous vouliez confier l'instruction des recours directement aux cours d'appel afin de vous affranchir du délai – le plus long – du tribunal d'instance. Ce double degré de juridiction est un principe essentiel auquel le Parlement et le Conseil constitutionnel sont attachés.

Troisième argument : vous êtes sans doute en train de rater une occasion de faire approuver des objectifs que, pour nombre d'entre eux, nous partageons. Nous ne sommes pas opposés, tant s'en faut, à donner un coup de fouet à la construction en assouplissant certains blocages.

Faciliter des constructions dans les « dents creuses » ? Oui, si c'est une possibilité offerte aux maires et jamais une obligation. Faciliter l'accès aux documents d'urbanisme pour qu'aient lieu de vrais débats locaux ? Nous en sommes d'accord, bien entendu. Lutter contre les procédures abusives ? Nous y sommes aussi favorables, mais pas dans n'importe quelles conditions. C'est pourquoi nous souhaitons en parler dans le cadre d'un vrai débat qui n'apparaisse pas réalisé en catimini, notamment aux yeux des associations, qu'elles soient patrimoniales ou environnementales.

D'ailleurs, dans vos propos introductifs, j'ai noté votre souci, madame la ministre, et je pense qu'il aurait mieux valu que vous mettiez tous ces projets en cohérence dans le texte annoncé pour juillet, en évitant le recours à des ordonnances. Voilà pourquoi, je m'abstiendrai sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion