Le nombre de vos questions prouve l'intérêt que vous portez à la lutte contre l'infection par le VIH. Je ne peux que m'en réjouir.
Je commencerai par répondre aux questions relatives à la prévention, dont les autotests font partie.
Chaque année, en France, nous détectons plus de 6 000 nouveaux cas d'infection par le VIH. Les chiffres ne diminuent pas, du moins pas de façon significative depuis plusieurs années. Voilà pourquoi nous considérons que, malgré nos efforts, cette épidémie échappe aux mesures prises pour renforcer la prévention. Les modes de prévention classique – en particulier l'utilisation de préservatifs – ne sont pas suffisamment utilisés pour limiter la transmission de cette maladie. Il faut donc essayer d'améliorer les messages de prévention en ce sens, mais aussi de renouveler les techniques de prévention à notre disposition.
Il y a aujourd'hui environ 150 000 personnes en France qui sont infectées par le VIH, et 20 %, soit 30 000 personnes, l'ignorent. Or plusieurs études ont montré que ces 20 % de personnes qui ne se savent pas contaminées sont responsables de 70 % des transmissions d'infection. Le problème du dépistage est donc au centre de notre réflexion sur la prévention.
D'autres arguments vont en ce sens. Il ressort de plusieurs études que les personnes dépistées transmettent moins l'infection par le VIH. D'abord, un grand nombre d'entre elles sont traitées, ce qui limite considérablement le risque de transmission de l'infection. Par exemple, dans les couples hétérosexuels stables, avec traitement efficace, la charge virale devient indétectable et le risque de transmission de l'infection baisse de 94 %. Ce n'est peut-être pas valable dans toutes les populations, mais cela prouve à quel point le traitement peut aujourd'hui prévenir la transmission de la maladie. Ensuite, les personnes qui se savent infectées modifient leur comportement et risquent moins de transmettre l'infection à leur partenaire que celles qui ne se savent pas infectées. Une meilleure détection permettra donc de mieux combattre cette « épidémie cachée » de l'infection par le VIH.
L'amélioration du dépistage est un des objectifs qui a été ciblé dans le Plan national de lutte contre le sida 2010-2014, qui est en cours. Elle passe par plusieurs actions.
La première est une augmentation du dépistage par les professionnels de santé. Nous avons espéré qu'il serait possible de diminuer les « occasions manquées » en proposant, notamment, aux généralistes de s'impliquer davantage dans le dépistage. Mais la sensibilisation de ceux-ci s'avère difficile. Nous espérons que la situation s'améliorera mais pour le moment, ce n'est pas un grand succès.
La deuxième est l'élargissement du dépistage en y associant des personnes qui ne sont pas forcément des professionnels de santé – en particulier les membres de certaines associations, notamment les associations de lutte contre le sida – et en utilisant les tests rapides d'orientation au diagnostic, les TROD, dont nous ne disposions pas jusqu'à présent. Ces tests sont faits par une personne qualifiée : un médecin ou un membre associatif formé ; la réponse est donnée dans les vingt minutes qui suivent à la personne qui a fait le test. Dans ces conditions, un accompagnement peut être mis en place. L'utilisation des TROD a bien démarré dans notre pays. Elle est bien évidemment encore insuffisante, mais nous espérons que la situation s'améliorera rapidement.
La troisième et dernière action consiste à autoriser les personnes à assumer elles-mêmes ce geste. Nous pensons que les autotests peuvent constituer un dispositif complémentaire, susceptible d'améliorer les conditions du dépistage en France.
À propos des autotests, il y a beaucoup à dire, vos questions le montrent.
En premier lieu, le dispositif fonctionne-t-il bien ? Il est d'usage très simple : il suffit de se passer une spatule sur les gencives puis d'introduire cette spatule dans un instrument pour pouvoir lire ensuite le résultat, positif ou négatif, sur un écran. Un seul test est homologué aux États-Unis. L'évaluation complète à laquelle il a été soumis par la Food & Drug Administration, l'agence sanitaire américaine, a démontré sa spécificité – la capacité à donner un résultat négatif en l'absence d'infection – mais une sensibilité – la capacité à donner un résultat positif en présence de l'infection – un peu moins satisfaisante que celle des tests traditionnels, ce qui se traduit par quelques faux négatifs. Une autre évaluation, conduite en France, a confirmé que l'autotest n'a pas la sensibilité optimale des tests virologiques traditionnels faits en laboratoire. Si, selon l'agence américaine, la sensibilité de l'autotest s'établit à 93 % contre 99 % pour les tests conventionnels, elle serait plutôt de 86 % selon l'étude française. La performance de l'autotest devra donc être améliorée.
Se pose alors la question de l'évaluation bénéficerisque de l'introduction de l'autotest en l'état. Le bénéfice, c'est que des individus se testent qui, sans ce dispositif, ne se seraient pas fait dépister, et il existe indiscutablement une population qui n'aurait pas recouru à un dépistage classique mais qui est prête à faire le test à domicile. Il fallait donc déterminer si la découverte, de la sorte, de nouvelles séropositivités, contrebalance par défaut le nombre de diagnostics qui auraient été réalisés par le dépistage traditionnel et qui ne le seront pas en raison des diagnostics de faux négatif rendus par les autotests. Selon les modélisations retenues par les spécialistes de l'agence américaine, qui nous ont paru de bonne qualité, le taux bénéficerisque est en faveur de l'introduction de l'autotest.
Cependant, l'évaluation bénéficerisque n'est pas tout, car l'autotest laisse les personnes seules devant la découverte de leur séropositivité. La solution adoptée aux États-Unis, et que nous recommandons, est de veiller avec une grande attention au contenu du kit de l'autotest. Il doit inclure une documentation expliquant ce qu'il convient de faire en cas de résultat positif, en renvoyant l'usager à différents services d'assistance à distance tels que numéro vert, chats et réseaux Internet, accessibles sept jours sur sept et 24 heures sur 24.
Il convient de préciser que si la découverte que l'on est infecté par le VIH reste un moment douloureux, cette nouvelle n'a plus le caractère de catastrophe absolue qu'elle avait il y a quinze ans, quand elle signalait une mort prochaine. Au cours des auditions que nous avons conduites, tous nos interlocuteurs ont confirmé que l'accompagnement reste primordial mais que la question ne se pose plus dans les mêmes termes qu'à l'époque où, déjà saisi de cette question, le Conseil national du sida avait exprimé des réserves à l'égard des autotests.
Se prononçant cette fois en faveur de la mise à disposition des autotests de dépistage de l'infection à VIH, le conseil a formulé des recommandations complémentaires. D'abord, les autotests ne peuvent se concevoir que comme un dispositif additionnel à l'offre traditionnelle de dépistage, et en aucun cas comme une offre de substitution – ce serait catastrophique : le résultat affiché doit être confirmé par un test biologique conventionnel.
Ensuite, la distribution de l'autotest doit être organisée en deux circuits. Il doit être proposé en vente libre, de la manière la plus large possible, dans les pharmacies, les parapharmacies et sur l'Internet. Son coût actuel est de 30 euros. Parce que ce coût est élevé, et parce que le marquage « CE » peut compliquer la distribution en pharmacie, il faudra aussi, pour toucher les populations démunies – migrants et prostitué(e)s par exemple – permettre aux associations de distribuer les autotests. Cette distribution a un coût indiscutable, mais nous considérons qu'en termes d'économie de la santé, c'est un bon investissement, le dépistage précoce limitant le coût de la prise en charge de la maladie.
Les conditions d'usage doivent donc garantir l'accompagnement performant des usagers des autotests. Nous recommandons en outre que leur mise à disposition s'accompagne d'un discours volontariste renouvelé de promotion globale du dépistage et de la prévention.
On estime que la première année de leur introduction en France, les autotests pourraient dépister 4 000 séropositivités et entraîner une réduction significative de nouvelles infections à VIH. Il conviendra d'évaluer l'utilisation de l'autotest dès que sa diffusion sera autorisée et de mesurer l'incidence sur l'épidémie pour certains groupes à risque très élevé, tels les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
Je laisserai Laurent Geoffroy répondre aux questions relatives à la fusion CGAD-CIDDIST et à la manière de mieux garantir la cohérence des mesures de lutte contre le VIH.