COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 15 mai 2013
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission entend M. André Aoun dont la nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) est envisagée par le Gouvernement.
Nous accueillons aujourd'hui M. André Aoun, directeur général de la Fondation Caisses d'épargne pour la solidarité, dont la nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) est envisagée par le Gouvernement.
Cette audition a lieu en application de l'article L 1451-1 du code de la santé publique, issue de l'article premier de la loi sur le médicament adoptée en décembre 2011. En effet, l'INPES fait partie des neuf organismes dont les présidents, les directeurs généraux et les directeurs doivent être auditionnés par les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat avant leur nomination.
Nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution : il s'agit donc d'une simple audition et les deux commissions compétentes du Parlement n'ont pas à rendre d'avis sur la nomination envisagée. Cette audition ne sera donc pas suivie d'un vote.
Établissement public créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l'INPES est plus particulièrement chargé de mettre en oeuvre les politiques de prévention et d'éducation pour la santé, dans le cadre des orientations de la politique de santé publique fixées par le Gouvernement.
La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a élargi ses missions initiales. Il participe depuis lors à la gestion des situations urgentes ou exceptionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives ainsi qu'à la formation à l'éducation pour la santé.
M. Aoun a fait parvenir au secrétariat de la commission son curriculum vitae ainsi que la déclaration publique d'intérêts que la loi l'oblige à souscrire : ces documents sont en distribution dans la salle.
Monsieur Aoun, vous nous présenterez votre parcours professionnel ainsi que les raisons pour lesquelles vous avez postulé à la fonction de président du conseil d'administration de l'INPES, ou l'avez acceptée. Comme vous le savez, la prévention sanitaire fait cruellement défaut dans notre pays ou en tout cas, quand des actions sont menées, elles ne sont pas entendues. Vous nous direz la façon dont vous entendez exercer cette fonction, qui n'est pas de nature exécutive – c'est la directrice générale qui exerce les fonctions exécutives –, quelles orientations vous souhaitez donner à l'INPES ainsi que, plus généralement, votre vision de la politique de prévention et d'éducation à la santé qu'il convient de mener dans notre pays. Je vous laisse la parole.
Je vous présenterai de manière synthétique un parcours professionnel désormais long.
Je suis né à Beyrouth au Liban où j'ai grandi et achevé mes études de droit à la faculté de droit et sciences économiques de l'université Saint-Joseph, avant d'intégrer l'École nationale de la santé publique à Rennes. Mon premier poste a été au Centre national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts où j'ai effectué mon assistanat au sein de l'équipe de direction, avant de rejoindre le Syndicat interhospitalier régional d'Ile-de-France, structure aujourd'hui disparue, dont, aux côtés du secrétaire général, j'ai accompagné les premiers pas. Cette première expérience m'a appris les vertus de la coopération entre structures hospitalières et l'intérêt de conduire des projets en collaboration.
Quatre ans plus tard, il m'a été proposé de prendre la direction de l'Hôtel-Dieu de France à Beyrouth. J'ai donc rejoint le ministère des affaires étrangères comme expert de coopération technique. Dans un contexte difficile puisque c'était entre 1983 et 1986, j'ai assumé la direction de ce qui était alors l'unique institution de coopération française subsistant au Liban. J'ai mené à bien la modernisation de l'établissement et répondu à l'objectif qui m'avait été assigné de le faire fonctionner comme tout autre centre hospitalier universitaire indépendamment du contexte. J'en ai également conçu l'extension, parachevée quelques années plus tard. Cette étape de ma vie professionnelle m'a certainement appris à relativiser toutes choses ainsi qu'à développer réactivité et imagination pour faire face à des besoins dont la satisfaction n'allait pas de soi tous les jours.
Après cette expérience où il m'a semblé faire oeuvre utile au service de deux pays, l'un pour soulager les souffrances de ses habitants, l'autre pour perpétuer la tradition médicale et hospitalière française à l'étranger, il m'a été proposé de rejoindre la Croix-Rouge française où, pendant trois ans, j'ai été chargé de la direction des opérations internationales, c'est-à-dire des opérations de secours en situation de conflit armé ou de catastrophe dans nos zones d'intervention et de l'aide au développement. Puis, toujours à la Croix-Rouge, j'ai été douze ans durant directeur des établissements et de la formation – ses établissements sanitaires, sociaux, médico-sociaux et d'enseignement, pourtant au nombre de 680 à l'époque où j'en avais la charge, sont un aspect moins connu des activités de la Croix-Rouge. Alors que l'hôpital m'apparaissait jusqu'alors comme l'alpha et l'oméga de la prise en charge médicale, cette expérience m'a fait découvrir un autre monde où j'ai appris toute la valeur de structures non hospitalières. J'ai conduit une politique active de restructuration pour réorienter les activités de la Croix-Rouge vers les soins post-période aiguë, la prise en charge des personnes âgées très dépendantes et des personnes polyhandicapées lourdes.
Aux termes de ces fonctions, j'ai été nommé directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) d'Alsace, poste que j'ai occupé durant sept ans, jusqu'à ce que, début avril 2010, les agences régionales de santé ne se substituent aux ARH.
J'ai alors été nommé conseiller général des établissements de santé et ai rejoint l'Inspection générale des affaires sociales où, durant un an et demi, mes fonctions m'ont permis de prendre de la distance par rapport au terrain. J'ai eu la chance de participer à plusieurs missions qui m'ont passionné, comme celle de rédiger, en collaboration avec le professeur Pradat-Diehl, chef du service de médecine physique et de réadaptation à la Pitié-Salpêtrière, le rapport remis au Premier ministre sur la prise en charge des traumatisés crâniens et des blessés médullaires, ou encore le rapport sur l'organisation de la radiothérapie en Ile-de-France.
Fin novembre 2011, il m'a été proposé de prendre la direction générale de la Fondation Caisses d'épargne pour la solidarité, dont je précise que c'est une fondation reconnue d'utilité publique et non une fondation d'entreprise. Elle s'occupe notamment de structures d'hébergement ou de maintien à domicile pour personnes âgées dépendantes ou personnes handicapées, et gère quelques établissements de soins de suite et rééducation.
Ce parcours, dans sa diversité, m'a permis d'approcher différentes formes d'intervention dans le domaine de la santé et auprès des personnes les plus vulnérables. Il explique sans doute l'intérêt que je suis honoré et heureux de marquer publiquement pour la présidence du conseil d'administration d'un organisme comme l'INPES.
Bien que, comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, cette fonction ne soit pas de nature exécutive, j'y vois l'opportunité d'une implication active, en liaison avec l'autorité de tutelle de l'institut, au service d'enjeux que je vais maintenant vous exposer.
Les actions de prévention sanitaire sont ingrates, destinées à être toujours recommencées. Il n'empêche que l'INPES est aujourd'hui reconnu tant par le grand public que par les acteurs du secteur qui savent le support précieux qu'il constitue. Chacun reconnaît la maîtrise avec laquelle il remplit ses missions et la pertinence de son activité.
J'ai mis à profit la période qui s'est écoulée entre le moment où il m'a été proposé de prendre la présidence de son conseil d'administration et aujourd'hui pour parfaire ma connaissance du travail de l'INPES et de la politique de prévention sanitaire en général. J'ai notamment lu avec grande attention le rapport sur la prévention sanitaire, réalisé par la Cour des comptes à la demande de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de votre Assemblée. La lecture du contrat d'objectifs et de performance et du projet d'établissement de l'INPES a également été très instructive pour moi. J'y ai relevé des points sur lesquels il était possible de progresser, et de là, j'ai identifié six objectifs de court ou moyen terme.
Premier de ces objectifs : la nécessité de conforter l'institut dans son rôle d'expert et de référent en matière de prévention, d'éducation à la santé et de promotion de la santé, dans les champs professionnel et scientifique, ainsi que son rôle d'opérateur. Il convient pour cela d'amplifier la fonction d'expertise qui lui est reconnue et qui est attendue du terrain. L'institut est également un centre de documentation. À cet égard, il faudra achever la constitution de la base documentaire numérique à destination des professionnels, en chantier depuis longtemps. Il faudra clarifier et rationaliser les rôles respectifs de l'échelon national et de l'échelon régional – disant cela, c'est sans doute l'ancien directeur d'une agence régionale de l'hospitalisation qui s'exprime en moi. Les nouvelles agences régionales de santé attendent d'un opérateur comme l'INPES un appui technique, une expertise et une assistance. Ce partage plus clair des rôles entre échelons est également nécessaire au regard des moyens mis en oeuvre par chacun.
Deuxième objectif : hiérarchiser les priorités d'action de l'institut et établir une programmation reflétant cette hiérarchie. En effet, les actions de prévention, plus que toutes autres en matière de santé, apparaissent ponctuellement comme des coûts. Il faut qu'elles soient plus visibles, plus lisibles et plus cohérentes aux yeux des acteurs comme du public. Une hiérarchisation est indispensable pour allouer au mieux les moyens en fonction des pathologies et des actions, lesquelles ne doivent pas être menées au coup par coup mais s'inscrire dans une logique débattue au sein du conseil d'administration, en relation avec son autorité de tutelle. Il s'agit aussi de garantir les capacités d'intervention de l'institut dans la durée.
Troisième objectif : mieux cibler les vecteurs de diffusion de l'information en fonction des publics. Aujourd'hui, chacun dispose de nombreux moyens pour s'informer. Dans le cadre du programme national nutrition santé, l'INPES a récemment lancé sur son site mangerbouger.com « la fabrique à menus » : plusieurs centaines de milliers de connexions ont été enregistrées en à peine quelques jours. C'est dire combien le public est avide d'information et prêt à utiliser les moyens à sa disposition ! À nous de veiller à ce que soit chaque fois utilisé le vecteur le plus adapté en fonction du public-cible et du sujet abordé.
Quatrième objectif : si je suis effectivement nommé président du conseil d'administration de l'INPES, je lancerai, en lien avec les équipes, une réflexion de fond sur les services de téléphonie santé qui absorbent beaucoup de moyens, dont l'utilité est établie et indiscutable, mais dont la gestion et la mise en oeuvre exigent d'être révisées.
Cinquième objectif : s'il est intéressant d'évaluer a priori quel public va toucher une campagne de prévention ou d'éducation à la santé et comment, puis de mesurer a posteriori combien de personnes elle a effectivement touchées, il serait préférable de pouvoir évaluer son impact qualitatif, notamment son incidence sur les comportements. La tâche est plus ardue mais elle est indispensable afin de pouvoir affiner le message à chaque fois pour être plus efficace.
Dernier objectif enfin : optimiser les moyens. Ceux-ci se restreignant d'année en année, il importe de savoir faire mieux avec moins. C'est l'un des rôles des équipes dirigeantes.
Au-delà de ces six objectifs de court ou moyen terme, l'INPES a un rôle crucial dans le contexte actuel. La crise va faire sentir ses effets en ressac sur les populations les plus vulnérables pendant de longues années. Le vieillissement de notre population, même si la natalité de notre pays reste l'une des plus soutenues en Europe, aura lui aussi des conséquences, au premier chef pour les personnes concernées, mais aussi leur entourage et la société dans son ensemble : des messages spécifiques doivent être délivrés en direction de ce public. Enfin, comme l'actualité récente l'a encore montré, l'émergence de pathologies et de virus jusqu'alors inconnus dans notre pays appelle des réponses particulières. L'INPES, comme les autres agences du secteur, participe de la protection sanitaire des populations. Et cette mission-là a sans doute été quelque peu perdue de vue.
Le projet d'établissement est arrivé à échéance à la fin de 2012, et le contrat d'objectifs et de performance s'achève en 2014. Cela donne deux opportunités d'actualiser le positionnement de l'institut et de concilier au mieux ses projets et ses moyens.
Le conseil d'administration doit être le lieu privilégié d'une réflexion partagée et d'un dialogue pour alimenter la direction générale et rendre plus visible aux yeux de la tutelle comme de la représentation nationale, la feuille de route de l'établissement. Très honoré d'avoir été pressenti pour en prendre la présidence, j'ai l'ambition de mettre à sa disposition toute l'expérience que j'ai acquise au long de mon parcours professionnel. Ainsi les quinze années que j'ai passées dans le milieu associatif m'ont beaucoup appris, et je pense désormais connaître les spécificités de ce milieu. Or, beaucoup des partenaires de l'INPES en région sont des opérateurs à statut associatif. Je crois pouvoir le faire bénéficier, entre autres, d'une sensibilité particulière sur cet aspect-là.
N'ayant déjà que trop parlé, je ne m'étendrai pas sur le savoir-faire que j'ai pu acquérir en matière de planification et de régulation d'offre de soins et de santé.
Merci, Monsieur Aoun, de cette présentation exhaustive.
Ma première question porte sur votre déclaration de liens d'intérêt. Vous avez déclaré avoir reçu 640 euros du laboratoire Bristol-Myers Squibb en mai 2009 alors que vous étiez directeur de l'ARH d'Alsace. La somme est certes minime, mais en quoi aviez-vous besoin de ce laboratoire dans vos fonctions ? Pardonnez-moi cette question intrusive, mais ce sujet me tient particulièrement à coeur.
Ma seconde question concerne les messages de prévention de l'INPES. Peu lisibles, ils ne sont souvent pas entendus des publics auxquels ils sont censés s'adresser. L'évaluation de la grande campagne sur les addictions et les toxicomanies menée à l'intention des jeunes a ainsi montré que ceux-ci n'en ont pas compris le sens. Comment, à votre avis, l'INPES pourrait-il assurer la promotion de la gratuité de la contraception pour les mineures de 15 à 18 ans, mesure importante de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ? Comment toucher effectivement les jeunes filles concernées ? C'est essentiel pour que la mesure ne se limite pas à un simple affichage.
Sous la dernière législature, la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) avait conduit, en même temps que la Cour des comptes, un travail sur la prévention sanitaire. Nous avions à l'unanimité convenu que la multiplicité des objectifs, conjuguée à une gouvernance peu lisible, était contre-productive et avions formulé plusieurs propositions. Au travers des auditions auxquelles nous avions procédé à l'époque, notamment celle de représentants de l'INPES, nous avions appris que des expérimentations très intéressantes avaient été conduites dans certains territoires. Je pense notamment à la dispensation d'une éducation sanitaire dans certaines écoles élémentaires, qui avait permis de réduire de manière significative les facteurs de risque, notamment en matière d'addictions – alcool, tabac, substances illicites… – et de surcharge pondérale. Dans ma circonscription des Yvelines, 500 classes vont ainsi bénéficier d'une telle éducation sanitaire pour un budget d'environ 50 000 euros par an, financés par la caisse primaire d'assurance maladie. La même action devrait avoir lieu à Paris. Les représentants de l'INPES s'étaient engagés à ce que celui-ci finance le dispositif, de façon à en garantir la pérennité. La prévention est en effet le moyen-clé pour réduire de manière significative la différence d'espérance de vie entre catégories socio-professionnelles. Avec ses 104 objectifs, la loi de santé publique d'août 2004 perd en efficacité. L'INPES est-il prêt à accompagner financièrement ce type d'initiatives sur l'ensemble du territoire national et à quelle hauteur ? Je rappelle ici que son budget s'élève à quelque 110 millions d'euros pour 140 personnes.
Je tiens à saluer M. Aoun que j'ai rencontré par le passé lors d'une visite à l'Hôtel-Dieu de France à Beyrouth, dans des circonstances très difficiles, il s'en souvient certainement.
Vous avez, monsieur, beaucoup d'ambition pour l'INPES. Mais quelle sera votre latitude d'action à la tête de son conseil d'administration ? Pour être depuis peu administrateur de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), je puis témoigner que le conseil précédent de cette agence était un conseil soliveau. Je ne doute pas de votre engagement à ce qu'il en aille différemment à l'INPES. Mais il vous faudra trouver un modus vivendi avec la directrice générale et négocier avec ses équipes.
Comment pourrait, selon vous, évoluer le paysage des agences sanitaires ? Les conclusions du rapport de la mission d'information conduite sur le sujet par notre ancien collègue Yves Bur sous la précédente législature avaient été quelque peu aseptisées, et nous attendons toujours le rapport commun de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales sur le sujet.
Votre grande expérience de gestionnaire vous conduira certainement à évaluer l'efficacité de certaines campagnes de prévention. Certaines tombent à plat, on le sait, tandis que d'autres touchent en fait des gens déjà informés. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
Pensez-vous que l'INPES puisse être plus réactif face à l'actualité ou aux évolutions législatives en matière de santé publique ? Après le vote de l'interdiction de la commercialisation à terme de tout conditionnement à usage alimentaire contenant du bisphénol A, qui honore notre Parlement puisque cela place notre pays en tête de la lutte contre les perturbateurs endocriniens, nous attendons toujours une véritable campagne d'information, en direction notamment des personnes les plus sensibles – les femmes enceintes et les jeunes enfants.
L'éducation à la santé et la promotion de la santé ont souvent été les parents pauvres de la médecine. Le gouvernement précédent avait fixé l'objectif d'y affecter 7 % des dépenses de santé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a, hélas, revu à la baisse les crédits de prévention. Vous vous engagez à faire oeuvre utile à la tête du conseil d'administration de l'INPES mais ne cachez pas que la tâche sera difficile. Les défis sont colossaux. Votre expérience vous permettra sans nul doute de les aborder de la meilleure façon, et votre motivation comme votre réactivité nous rassurent. Comment en finir avec les campagnes de prévention au coup par coup ? Comment assurer qu'elles aboutissent vraiment à améliorer la santé de nos concitoyens ?
Les trois échelons auxquels travaille l'INPES, national, régional et départemental, ne sont pas toujours très lisibles. Il existe dans toutes les régions et tous les départements des associations têtes de réseau comme Sida Info services, Aides, le Planning familial… et d'autres qui font de la prévention et de l'éducation à la santé encore plus près du terrain. Beaucoup se fait donc, avec des personnels et des bénévoles dévoués et passionnés, qui ne comptent ni leur temps ni leur énergie. Mais il semble que l'on ait quelque mal dans notre pays à passer du discours aux actes en matière de prévention et d'éducation sanitaire, ainsi qu'à s'assigner des objectifs précis et dire chaque année par exemple quels messages on entend faire passer auprès de quel public. Il faudrait plus de coordination entre les différents acteurs et les différents échelons.
Comme l'a rappelé M. Gérard Bapt, notre ancien collègue Yves Bur avait proposé une réforme des agences sanitaires. À l'occasion de son rapport, je m'étais prononcé – j'étais d'ailleurs le seul – en faveur sinon d'une fusion, du moins d'un étroit rapprochement entre l'INPES et l'Institut national de veille sanitaire (InVS), à l'instar du CDC américain d'Atlanta (Center for disease control and prevention), qui regroupe les missions de veille et de prévention. Quel est votre avis sur le sujet ?
L'INPES, avez-vous dit, monsieur Aoun, a le devoir d'assurer la protection sanitaire des populations. Il n'est pas le seul à en avoir la charge. Pourrait-il coordonner les actions entreprises par les agences régionales de santé, l'hôpital et les médecins libéraux ? En s'appuyant sur les différents organismes existants, il pourrait peut-être mieux hiérarchiser non seulement ses priorités d'action, mais aussi les populations cibles.
Vous souhaitez, monsieur Aoun, « conforter le rôle d'expert et de référent de l'INPES dans les champs professionnel et scientifique ». Avec quels moyens financiers supplémentaires ? Vous souhaitez également hiérarchiser ses priorités d'action. On a aujourd'hui l'impression, ce qui est fâcheux s'agissant de prévention, qu'on intervient en aval davantage qu'en amont et que c'est l'actualité qui dicte les actions. Quelles seraient donc vos priorités ? Vous souhaitez enfin mieux évaluer l'impact qualitatif des campagnes. Je ne vois pas bien ce que cela signifie. Cela exigerait d'abord, semble-t-il, de créer des passerelles entre l'INPES et les autres structures sanitaires et para-sanitaires. Ce champ est aujourd'hui très opaque.
Il est difficile de demander à un organisme comme l'INPES, aussi efficace soit-il, de pallier par son action l'absence d'une politique de santé publique. La santé publique est aujourd'hui négligée en France. La balle est donc dans notre camp de législateur plutôt que dans le vôtre. Il est urgent de voter une ambitieuse loi de santé publique dans laquelle pourront être abordés l'ensemble des problèmes soulevés ici.
À combien s'élève le budget de l'INPES aujourd'hui ? Comment travaille-t-il sur le plan local en relation avec les agences régionales de santé ?
Une grande loi de santé publique avait été promise sous la précédente législature. On l'attendait pour 2009. Elle n'est jamais venue !
Comment comptez-vous, monsieur Aoun, clarifier les rôles respectifs de l'INPES et des instances régionales en éducation et promotion de la santé (IREPS) ? Comment l'INPES doit-il coopérer avec les agences régionales de santé, puisqu'il est clair qu'il ne peut tout faire seul ? En Bretagne, le plan stratégique régional de santé comporte trois volets d'égale importance, parmi lesquels la prévention, qui a été classée en premier. Quelle cohérence l'INPES pourrait-il apporter à l'ensemble ?
L'INPES, comme son acronyme l'indique, a une mission d'éducation à la santé. Quelles passerelles pourrait-il établir avec l'Éducation nationale et les collectivités qui elles aussi mènent aujourd'hui des actions en ce domaine ? D'une manière générale, pour être plus efficace, il faudrait plus de cohérence dans la politique de prévention sanitaire, alors qu'aujourd'hui chacun y va plutôt de ses actions au coup par coup. Il faudrait aussi y affecter les moyens financiers nécessaires.
Ma première question concerne la vaccination. Il existe dans notre pays un mouvement anti-vaccination qui est parvenu à créer une brèche dans la prévention de l'hépatite B. Diverses actions en justice ont ainsi abouti à une décision préoccupante de la Cour de cassation. Entendez-vous, monsieur Aoun, lutter contre ce mouvement ? Comment ?
Au fil des ans, les majorités successives se sont laissées aller à instituer une fiscalité diététique, qui sur le sucre, qui sur le sel… Je caricature quelque peu mais on voit bien la pente. Que pensez-vous de ces mesures, d'ailleurs d'une injustice criante, alors que le Gouvernement dit avoir le souci de la justice ?
Enfin, quelle est votre position sur la diminution du nombre des agences sanitaires ? Comment entendez-vous y contribuer ?
Vos propos sont étonnants, monsieur Accoyer, quand on sait que vous vous êtes abstenus sur la proposition de loi tendant à prohiber la différence de taux de sucre entre les produits vendus outre-mer et ceux vendus en métropole.
Madame la présidente, présider, est-ce faire un commentaire après chaque intervention d'un commissaire ?
Les messages de l'INPES doivent être à la fois plus lisibles et plus efficaces. Si les jeunes n'ont pas entendu ceux à leur intention concernant l'addiction à l'alcool, c'est peut-être qu'ils n'étaient pas assez « modernes », « sexy » comme ils diraient. Quel décalage en effet avec les publicités massives pour l'alcool qui défilent actuellement sur Internet et les réseaux sociaux !
Depuis 2004, les missions de l'INPES ont été étendues à la gestion des situations d'urgence sanitaire. Le député du Nord que je suis trouve que le Gouvernement gère de manière remarquable l'épisode du nouveau coronavirus. Que pourrait faire l'INPES sur le sujet afin d'éviter la paranoïa tout en respectant le principe de précaution ? Que faire en matière de communication pour que ne se reproduisent pas certaines dérives passées ?
Comment envisagez-vous de mettre en cohérence au niveau national et au niveau régional, en liaison avec les agences régionales de santé, les actions conduites dans le cadre des grandes campagnes d'information ? Comment généraliser à l'ensemble du territoire certaines initiatives couronnées de succès au niveau local ? Je pense à la prévention de l'obésité ou bien encore des risques liés au vieillissement. Par quels messages clairs, forts et positifs sensibiliser la population vieillissante aux enjeux de cette période de la vie et lui permettre d'adapter ses comportements ? Bien entendu, tout cela doit être fait en liaison avec les associations qui effectuent un travail de terrain remarquable. Je suis très sensible à votre grande expérience dans le milieu associatif.
On sait qu'il faut du temps pour évaluer l'impact, surtout qualitatif, d'une campagne de prévention. Selon quelles méthodes comptez-vous procéder à ces évaluations ? Enfin, au-delà du discours, comment concrètement parvenir à optimiser les moyens ?
Dans mon département, notamment dans ma circonscription, nous menons, en liaison avec le service de prévention et d'éducation à la santé de la caisse primaire d'assurance maladie, des actions de prévention dès la maternelle et le primaire, poursuivies au collège et au lycée. On apprend ainsi aux tout-petits l'hygiène du sommeil, l'hygiène alimentaire, puis aux adolescents les risques des addictions par exemple. Ces actions ont fait la preuve de leur efficacité. L'INPES et les instances régionales en éducation et promotion de la santé pourraient-ils créer un effet d'entraînement pour que ce type d'expériences locales, lorsqu'elles sont concluantes, soient généralisées ?
La grande majorité de la population est aujourd'hui plutôt surinformée que sous-informée. Et les campagnes s'adressent malheureusement souvent à une population déjà bien informée. Je pense par exemple à celles des cyclistes, que visait la campagne sur le port du casque en vélo. Comme s'y était efforcé Jack Ralite, ministre de la santé au début des années 1980, il faudrait que les campagnes de prévention visent les publics les plus précaires et soient conduites au plus près d'eux pour espérer corriger les inégalités de santé. Il faut aussi aider les associations à faire passer leurs messages. Pour le reste, ne nous leurrons pas, on peut lancer toutes les campagnes de prévention du cancer de la peau que l'on veut. S'il faut toujours quatre ou cinq mois pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue, elles ne pourront pas être très efficaces. Idem pour la prévention du glaucome quand il faut, comme dans certaines régions, attendre neuf mois avant de pouvoir consulter un ophtalmologiste.
Certaines pathologies chroniques comme le diabète, l'hypertension ou l'obésité sont très répandues dans les couches les plus précaires de la population. Comment assurer la prévention auprès de ces publics qu'il est difficile de toucher ? Les associations comme la Croix-Rouge, le Secours catholique, le Secours populaire peuvent-elles être un relais ?
La prévention en matière de santé ne se limite pas à communiquer auprès des usagers ou à les sensibiliser. Elle est aussi active, au niveau individuel et au niveau collectif. Individuelle, elle est professionnalisée mais en souffrance : la médecine scolaire et la médecine du travail rencontrent des difficultés de recrutement et manquent de moyens. Collective, elle dispose de moyens, bénéficie d'une impulsion politique, mais son relais dans les territoires reste essentiellement associatif. Ce sont les usagers qui, regroupés en associations, y concourent. Les professionnels de santé – médecins, pharmaciens, infirmiers, ou membres des professions para-médicales – disent qu'ils n'ont pas de moyens pour y participer. Êtes-vous favorable à une professionnalisation des acteurs de la prévention collective ? Si oui, comment ?
La politique de prévention sanitaire a un caractère largement transversal, d'autant qu'elle est très largement appréhendée au travers du prisme des déterminants sociaux, économiques et environnementaux de la santé. Quel est votre sentiment sur le chevauchement des compétences des différentes agences sanitaires et l'absence de coordination interministérielle sur le sujet ? L'INPES pourrait-il se transformer en agence nationale de prévention centralisant l'ensemble des politiques de prévention aujourd'hui éclatées entre les diverses agences ?
Je ne prétends pas arriver à la présidence du conseil d'administration de l'INPES, si ma nomination y est confirmée, avec en tête des orientations, encore moins des décisions, à imposer à ceux avec qui j'aurai à travailler. C'est avec bonheur que j'accéderai à cette présidence mais l'INPES est doté d'un conseil scientifique et d'une direction générale, dont le talent des équipes est reconnu. Mon rôle sera de créer les liens nécessaires entre les différents partenaires pour que l'institut remplisse au mieux ses missions. Je ne prétends pas être celui qui saurait tout et viendrait apporter des réponses à des professionnels travaillant sur ces sujets depuis des années.
Je ne peux que souscrire à l'objectif de rendre les actions de l'INPES plus visibles, plus lisibles et plus cohérentes, comme vous le souhaitez tous. Cela étant, l'INPES n'est pas le seul opérateur de la prévention sanitaire. En région, les IREPS, qui ont repris le rôle des comités départementaux et des comités régionaux d'éducation pour la santé, mènent une action essentielle au plus près des territoires. Les pôles de compétences constitués également en région sont les lieux de rencontre des différents opérateurs. Les actions de prévention, d'éducation à la santé et de promotion de la santé doivent être conduites par chacun avec sa sensibilité propre. À l'INPES de fournir les conseils techniques et l'assistance nécessaires, et de mutualiser les savoirs et les savoir-faire. Il produit une littérature abondante et de très grande qualité. Il est important que cette documentation soit accessible et largement diffusée. L'INPES s'y emploie d'ores et déjà, je n'en doute pas. Je m'y m'attacherai également avec les équipes en place.
On ne peut pas communiquer sur tout par les mêmes canaux. Et il ne faut d'ailleurs pas confondre le vecteur qui est l'information avec la mission qui est la prévention ou l'éducation. Il faut savoir utiliser dans chaque cas le canal le plus approprié.
Rappelant que l'INPES avait un devoir de protection sanitaire auprès des populations, je disais la nécessité de rappeler certains fondamentaux, ne fussent-ils pas très « sexy », comme la prophylaxie, la vaccination et l'hygiène, autant de points sur lesquels notre pays s'est par le passé distingué. L'INPES n'a toutefois pas le monopole de l'action en ces domaines.
C'est seulement lorsque j'aurai rencontré les membres du conseil d'administration et commencé de travailler avec eux que je pourrai répondre plus précisément à certaines de vos questions, notamment sur les voies les plus adaptées pour évaluer l'impact qualitatif des campagnes de prévention. Nous maîtrisons moins bien en France qu'en Amérique du Nord par exemple les moyens de mesurer si une campagne a contribué à modifier les comportements de ceux à qui elle s'adressait. Si nous disposons d'études approfondies et de qualité en santé publique, nous sommes moins avancés en prévention.
Je n'ai pas de savoir-faire particulier en matière de communication ni de méthodologie d'évaluation. Soyez en revanche assurés que j'ai la ferme volonté qu'on s'assure à l'INPES de bien avoir recours aux méthodes les plus adaptées.
Le budget de l'INPES avoisine 110 millions d'euros. Comme tous les opérateurs, il doit maîtriser ses charges et ses coûts, afin de ne pas dépasser l'enveloppe budgétaire qui lui est allouée. Il est de la mission de ses gestionnaires d'optimiser les moyens de façon à faire aussi bien, sinon mieux, avec moins, ce qui suppose inévitablement des arbitrages.
Alors directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Alsace, j'avais eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises votre ancien collègue Yves Bur lorsqu'il travaillait à son rapport sur les agences sanitaires. Je pourrai me forger une meilleure idée du devenir de l'INPES par rapport aux autres agences, une fois connues les conclusions du rapport commun de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales. Je suis à l'écoute des équipes de l'INPES et bien sûr des instructions de l'autorité de tutelle. Il serait aujourd'hui prétentieux de ma part de dire autre chose.
C'est bien à l'INPES qu'il appartient de promouvoir sur l'ensemble du territoire les actions locales qui ont fait la preuve de leur efficacité. Je suis comme vous convaincu qu'il faut aller s'adresser aux publics là où ils sont pour agir efficacement. Si quelqu'un est aujourd'hui en mesure de demander à un jeune adolescent de rentrer sa chemise dans son pantalon, ce n'est pas l'enseignant à l'école, pas nécessairement le parent à la maison, mais beaucoup plus sûrement, l'entraîneur au club de sport. C'est une image pour dire qu'il nous faut partout chercher les relais les plus efficaces et qu'il nous faut convaincre le milieu éducatif et sportif d'être nos porte-parole.
Je ne terminerai pas, madame la présidente, sans répondre à votre première question. Soyez rassurée : je n'avais pas « besoin » du laboratoire Bristol-Myers Squibb. En 2009, celui-ci m'a sollicité pour organiser un colloque sur les territoires de santé et la territorialisation, sujet alors d'une brûlante actualité, parce que j'avais particulièrement soigné cette dimension de l'organisation sanitaire en Alsace, parce que j'avais quelques années plus tôt suivi l'enseignement de l'institut des hautes études de développement et d'aménagement des territoires en Europe et que l'on a estimé que je pouvais utilement faire partager les savoirs que j'avais ainsi acquis. J'ai eu la faiblesse d'accepter cette proposition. Ma participation s'est limitée à une journée de réflexion avec des professionnels de santé sur ces sujets.
Monsieur Aoun, je vous remercie. Plusieurs questions de nos collègues sont restées sans réponse, notamment celle de Bernard Accoyer sur la vaccination. Mais nous avons déjà dépassé le temps qui nous était imparti pour cette audition. Peut-être pourriez-vous, à partir du compte-rendu qui en dressera la liste, répondre ultérieurement par écrit à certaines questions très précises qui vous ont été adressées. Ce serait une première mais je sais que certains de nos collègues restent sur leur faim.
Je suis à votre disposition.
J'espère que votre nomination sera confirmée et que vous serez appelé à revenir un jour devant notre commission.
Ce sera avec plaisir.
Puis la Commission procède à l'audition du professeur Patrick Yeni, président du Conseil national du sida
Nous en venons à l'audition du professeur Patrick Yeni, président du Conseil national du sida depuis avril 2012.
Professeur, vous disposez d'une compétence incontestable en ce qui concerne le sida, puisque vous êtes professeur en immunologie et chef du pôle maladies infectieuses du Groupe hospitalier des hôpitaux universitaires Paris Nord-Val de Seine. Vous avez présidé pendant plusieurs années le groupe d'experts sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH et vous avez initié ou coordonné de nombreux essais thérapeutiques nationaux et internationaux. Vous êtes accompagné de MM. Michel Celse et Laurent Geoffroy, conseillers-experts auprès du Conseil national du sida.
Je rappelle que le Conseil national du sida a été créé en 1989. C'est un organe consultatif indépendant composé de 24 membres spécialistes du VIHsida, de représentants de la société civile ou de militants associatifs. J'indique qu'un député y siège – en l'occurrence, depuis le début de la législature, notre collègue Ségolène Neuville.
Le Conseil national du sida émet des avis et des recommandations sur toutes les questions posées par le sida à notre société. Ses travaux sont adressés aux autorités politiques et à l'ensemble des personnes concernées par l'épidémie. Il participe ainsi à la réflexion sur les politiques publiques et oeuvre au respect des principes éthiques fondamentaux et des droits des personnes.
L'idée de vous proposer cette audition devant la commission m'est venue à la réception de votre courrier par lequel vous m'avez adressé le récent avis émis par le conseil sur les autotests de dépistage rendu en décembre dernier. Cet avis est en distribution, ainsi que celui rendu quelques semaines auparavant sur les conditions de la fusion des centres de dépistage et de diagnostic du VIH et des infections sexuellement transmissibles – les IST.
Il m'a semblé, en effet, que la publication de cet avis sur une question longtemps controversée était l'occasion non seulement de débattre de celle-ci mais également de faire le point avec vous de la situation de l'épidémie de sida dans notre pays, tant en ce qui concerne l'évolution de la maladie et du nombre des malades, que l'efficacité des traitements – notamment les trithérapies.
Professeur Yeni, vous avez la parole.
Madame la présidente, mes collaborateurs et moi-même sommes extrêmement honorés de venir aujourd'hui devant vous et de constater, à la faveur de cette invitation, l'intérêt que vous portez aux questions relatives à l'infection à VIHsida.
Dans votre introduction, vous avez rappelé ce qu'est le Conseil national du sida : une structure créée en 1989, qui n'a rien à voir avec la réflexion menée sur le soin ou la recherche, mais qui est spécifiquement orientée vers les problèmes de politique générale concernant le VIHsida. Cette orientation se traduit dans la composition du conseil, qui réunit des membres de la société civile, parmi lesquels relativement peu de médecins et des personnes venant d'horizons très divers, au-delà de la médecine, à la croisée des sciences sociales et de l'éthique.
Le conseil émet des avis et des recommandations, soit sur saisine des pouvoirs publics, soit de sa propre initiative. Ces avis sont distribués à tous les acteurs de la lutte contre le VIH.
La création du conseil était tout à fait justifiée par la singularité de cette épidémie, pour laquelle, à l'époque, il n'y avait pas vraiment de traitement actif en cours. Mais cette singularité persiste – et ce sera mon premier point – même si son profil s'est un peu modifié.
Tout d'abord, la discrimination reste présente. Les enjeux éthiques liés à cette discrimination ont été au premier plan de certains avis récents émis par le conseil, que cette discrimination continue à s'exercer envers les personnes infectées par le virus, ou envers les personnes appartenant à des populations particulièrement exposées au risque d'infection par le VIH. Je fais référence aux avis sur les restrictions d'accès aux opérations funéraires des personnes décédées infectées par le VIH, et sur la nécessité d'une réflexion autour des questions posées par l'anonymat du dépistage de l'infection. Il est important de garantir cet anonymat mais, en même temps, celui-ci rend plus difficile la transition vers le soin des personnes dépistées.
Ensuite, on observe aujourd'hui un contraste entre l'efficacité à contenir l'infection chez une personne atteinte grâce aux progrès thérapeutiques considérables qui ont été accomplis et l'inefficacité des mesures préventives visant à contenir la transmission de l'infection d'une personne à une autre. L'épidémie de l'infection au VIH reste aussi active qu'il y a une dizaine d'années, et la persistance de cette activité de l'épidémie a conduit à renouveler les concepts préventifs en associant aux méthodes traditionnelles le dépistage et le traitement.
Le Conseil national du sida s'est parfaitement inscrit dans cette logique en produisant, il y a quelques années, un avis demandant l'élargissement du dépistage de l'infection par le VIH et, plus récemment, en émettant des avis, d'une part sur le rôle du traitement comme élément de prévention de la transmission du VIH, et d'autre part sur l'utilisation des autotests diagnostics pour élargir les perspectives de dépistage.
Le troisième élément de singularité réside dans la multiplicité des acteurs engagés d'une façon ou d'une autre dans la lutte contre l'épidémie. Je ne vise pas seulement le personnel responsable des soins et, au-delà, des associations. Je vise également les personnes qui, pour les pouvoirs publics, sont en charge de réfléchir sur les caractéristiques de l'encadrement des populations particulièrement à risque – migrants, personnes prostituées, etc. Cette multiplicité conduit parfois à s'interroger sur la cohérence des politiques publiques. Par exemple, dans les mesures prises à l'égard de certaines populations – précisément les migrants et les personnes prostituées – l'objectif de santé publique peut ne pas être pris en compte.
Le quatrième et dernier élément de singularité de l'épidémie VIHsida est le caractère international et solidaire de la lutte contre l'épidémie. Je pense en particulier à la contribution au financement de la lutte contre l'épidémie dans les pays démunis. En ce domaine, notre pays est en pointe. Trouver des financements devient de plus en plus difficile. Or la France contribue depuis longtemps et avec efficacité à la recherche de financements innovants. Le conseil s'implique dans cette réflexion sur les financements innovants de la solidarité avec les pays démunis, en produisant des avis et des notes et en participant à des colloques internationaux sur ce thème.
Monsieur le professeur, depuis quelque temps, l'efficacité des traitements permet de faire baisser la charge virale, au point que l'on pourrait penser que la personne infectée n'est plus contaminante. On pourrait même déduire du discours de certaines associations de terrain que l'épidémie de sida serait presque terminée. D'où ma question : pensez-vous que les pouvoirs publics soient encore suffisamment offensifs en matière de prévention ? Par exemple, le port du préservatif, qui reste un des outils majeurs de prévention, ne semble plus s'imposer chez les populations jeunes, dont le comportement a changé.
Monsieur le professeur, je vous remercie d'avoir insisté sur le dépistage, qui est devenu une des priorités dans la lutte contre le sida, comme l'a indiqué la ministre de la santé. Je préside pour ma part un groupe parlementaire sur le sida, dont les premières réunions ont été consacrées à ce thème.
Depuis plusieurs années déjà, les modèles mathématiques – puis des modèles concrets – nous ont montré que le contrôle de l'épidémie n'était pas encore possible par un vaccin, mais pouvait l'être par un dépistage pertinent, plus efficace, associé au traitement de tous les patients. Dans le monde, la France a le meilleur taux de personnes traitées par rapport à l'ensemble des séropositifs du pays et sa performance dépasse, par exemple, celle des États-Unis.
Par ailleurs, le traitement est devenu un véritable outil de prévention – ce que les Anglo-saxons appellent le TasP (Treatment as Prevention) : la réduction de la charge virale des personnes traitées fait qu'elles ne sont presque plus contaminantes.
La question est donc de savoir comment améliorer le dépistage dans notre pays. Aujourd'hui, les 30 000 ou 35 000 personnes qui ignorent leur séropositivité sont à l'origine de 70 % des contaminations. Ces contaminations ne sont donc pas le fait des 80 % des personnes qui ont un sida avéré, mais des 20 % des personnes qui n'ont pas la connaissance de leur séropositivité. Si l'on arrivait à dépister et à traiter ces dernières, on pourrait faire chuter considérablement le nombre des nouvelles contaminations qui se produisent chaque année en France – 6 000 à 7 000.
Il faut donc mettre en place de façon urgente une stratégie de dépistage. Bien sûr, il ne s'agit pas de remettre en cause les tests traditionnels, très importants, effectués dans les consultations adaptées, non plus que les TROD, les tests rapides à orientation diagnostique. Mais la question s'est posée à propos des autotests. Aux États-Unis, les autotests salivaires sont autorisés par la Food and drug administration (FDA) depuis juillet 2012. En France, le Conseil national du sida, le Comité national d'éthique et la ministre de la santé ont donné leur feu vert à leur utilisation, sous certaines conditions : leur qualité doit être confirmée ; un test secondaire sanguin de confirmation doit être pratiqué ; le patient doit être accompagné ; enfin, les autotests ne doivent pas se substituer aux autres modes de dépistage.
Il convient évidemment de cibler les populations les plus exposées. Aujourd'hui, c'est plus facile : d'une part, les personnes séropositives ne sont plus stigmatisées – même s'il demeure encore quelques discriminations ; d'autre part et surtout, le dépistage apporte un bénéfice individuel, et pas seulement un bénéfice collectif. Dépister les malades, c'est donner à ceux-ci une chance d'être traités de manière plus efficace, tout en limitant les risques de nouvelles contaminations.
Le dépistage effectué par les professionnels de santé doit être renforcé. Une étude récente de l'Agence nationale de recherche sur le sida, avait montré le nombre « d'occasions manquées » de dépistages. En effet, lorsque l'on reprenait rétrospectivement les séropositifs récemment dépistés, on s'apercevait que la grande majorité d'entre eux avaient pourtant été en contact avec le système de soins, sans que personne ne leur ait proposé de faire de test. Le dépistage doit devenir un réflexe chez tous les professionnels de santé, même quand il n'y a pas de risque avéré au VIH, pour tous les gens qui n'ont pas récemment effectué de test.
Faut-il proposer les TROD en cabinet de médecine générale ? Il faut en tout cas répondre aux besoins de ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se rendre dans les consultations traditionnelles de dépistage – populations migrantes, personnes prostituées, toxicomanes, etc. Des tests de dépistage permettraient d'identifier et de traiter, pour leur propre bénéfice, précocement, des personnes qui ont été contaminées depuis peu et par là même, de diminuer le risque de contagion. On pourrait également développer des centres de santé sexuelle.
Je terminerai par deux questions : comment compléter l'efficacité, à court terme, des dépistages ? Que pensez-vous de l'exclusion des homosexuels du don de sang ?
J'ai le bonheur de bien connaître le Conseil national du sida, pour y avoir siégé avant Ségolène Neuville pendant les derniers mois de la précédente mandature. Par ailleurs, je suis membre de l'Union interparlementaire et représente chaque année la France à l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Je peux donc vous confirmer que la France n'a pas à rougir de sa contribution à la lutte contre le sida, qu'il s'agisse de l'organisation de cette lutte au niveau national ou de son financement. Notre pays est en effet parmi les plus gros donateurs.
J'aimerais faire une observation et poser une question.
Il y a plusieurs années déjà que l'on parle des tests de dépistages rapides et que l'on se demande quand la France autorisera enfin les autotests. Nous disposons des avis du Conseil national du sida et du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Je crois savoir que de nouvelles études ont encore été demandées. Reste qu'il ne faut pas perdre de temps. Les États-Unis ont déjà autorisé ces tests et il ne faudrait pas que nos citoyens les commandent par internet sans que les pouvoirs publics aient leur mot à dire en ce domaine.
Deuxièmement, une proposition de loi de simplification des normes administratives déposée au Sénat avait suggéré, dans un de ses articles, la fusion des consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et les centres d'information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (CIDDIST). Cette fusion nous paraissait logique et indispensable. Vous aviez émis quelques réserves à ce propos. Où en êtes-vous de vos réflexions ?
Je tiens à vous féliciter de l'avis que vous avez émis concernant les autotests de dépistage, sujet qui intéresse les parlementaires. Notre collègue Marietta Karamanli a posé une question écrite au Gouvernement à ce propos. Pour ma part, j'ai été saisi par des associations et je m'apprêtais à saisir le Groupe d'études sur le sida et notre commission lorsque j'ai appris que la ministre avait demandé un avis au Conseil national, qui s'est donc prononcé à ce sujet.
Votre avis est particulièrement pertinent pour deux raisons.
D'abord, nous allons gagner statistiquement sur le dépistage et sur la prévention, avec un temps de dépistage plus rapide et un temps de contamination plus court. Des freins au dépistage traditionnel perdurent, pour des raisons de délai administratif, de complexité ou simplement par crainte d'aller consulter sur ces questions. L'autotest permet, notamment, de gagner du temps. Mais je considère qu'il est important que l'utilisation des autotests reste un moyen complémentaire de dépistage et ne vienne pas se substituer aux dispositifs traditionnels.
Ensuite, ces tests circulent déjà sur internet sans aucun contact ni contrôle médical. Leur délivrance dans le milieu médical, par le biais des pharmaciens, est à même d'assurer ce contact médical et de s'assurer de la fiabilité des tests distribués.
Je me réjouis donc de l'avis que vous avez rendu, et je pense que la plupart des associations qui se battent sur le terrain seront d'accord avec moi.
Je voudrais d'abord saluer l'action et l'engagement des associations – au premier rang desquelles l'association AIDES – dans la prévention de la transmission de maladies virales, dont le VIH, et dans le dépistage : mise en place du programme d'échanges de seringues chez les toxicomanes intraveineux, mise en place et utilisation des autotests. Par exemple, au quotidien, ceux qui travaillent chez AIDES vont dans les bars ou dans les saunas à la rencontre des jeunes, pour assurer cette prévention, ce dépistage et participer au contrôle épidémique.
Je suis chargé d'une mission sur la filière du sang. Au cours des auditions qui viennent de démarrer, nous avons évoqué l'exclusion systématique du don de sang des hommes ayant déclaré avoir eu des rapports sexuels avec d'autres hommes. L'Europe a récemment pris position, préférant parler de « conduites sexuelles à risque » plutôt que de « sexualité » pour justifier l'exclusion du don du sang. Quels sont, selon vous, les critères d'exclusion les plus justes pour assurer la sécurité des dons et la réception de produits issus du sang ?
La France est-elle à la pointe en matière de sécurisation du prélèvement vis-à-vis du risque VIH, et de fragmentation pour les produits dérivés du sang ? S'agissant du risque de transmission virale, et notamment du VIH, avez-vous dégagé des pistes d'amélioration ?
Enfin, nous avons beaucoup parlé de la mise en place prochaine de salles expérimentales de prévention des risques d'injection, ces fameuses salles d'injection supervisée. Quelle serait, selon vous, la place du dépistage du VIH dans ces futurs dispositifs ?
Monsieur le professeur, ma première question concerne le taux de sensibilité et de spécificité des autotests par auto-prélèvement capillaire, qui ont suscité quelques inquiétudes. D'après ce que j'ai compris, aux États-Unis, les autotests salivaires ont un taux optimal de sensibilité et de spécificité. Vous ne vous prononcez pas à ce niveau. Avez-vous les mêmes réserves ?
Ma seconde question concerne l'efficacité thérapeutique et l'inefficacité de la prévention. Ne pensez-vous pas que cette efficacité thérapeutique a conduit à une banalisation de l'infection et donc à l'inefficacité de la prévention ? Aujourd'hui, comme on traite bien le sida, certaines personnes non initiées pourraient être tentées de le comparer à une banale bronchopathie.
Que pensez-vous de la « super bactérie » venue du Japon, qui a été détectée récemment aux États-Unis et qui se rapprocherait du sida ? Plusieurs pays se sont alarmés. Des démentis ont été publiés. Le Conseil national du sida a-t-il vocation à émettre un avis sur ce sujet ? En a-t-il émis un ? Si oui, comment voit-il l'arrivée de ce type de bactéries « connexes », même si leur effet n'a pas l'ampleur de l'épidémie du sida ?
Je souhaite revenir sur l'exclusion des homosexuels du don du sang, en raison d'un risque de contamination par le virus du sida. Certaines associations demandent la levée de cette interdiction, qui n'est toujours pas à l'ordre du jour. Quelles seraient, pour vous, les conditions à réunir pour lever une telle interdiction ?
Monsieur le professeur, j'ai trois questions à vous poser.
Premièrement, selon l'étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) parue en mars 2009, le nombre de cas de sida chez les hommes de plus de 50 ans a considérablement augmenté. Comment l'expliquer ? On pourrait penser que cette tranche d'âge serait plus à même de connaître les risques, et donc de prendre les dispositions nécessaires pour se prémunir de la maladie.
Deuxièmement, y a-t-il des différences notables de politiques dans les autres pays ? Y a-t-il une piste sur laquelle nous aurions intérêt à nous engager ?
Troisièmement, il y a un mois, nous avons entendu qu'un bébé contaminé par le sida aurait été guéri pour la première fois au monde, ou plus exactement que son système immunitaire serait parvenu à contrôler seul le virus. Où en est-on ?
Monsieur le professeur, selon vous, la multitude des acteurs constitue un frein à l'efficacité des politiques publiques engagées. Mon collègue Jean-Pierre Door nous a parlé de la fusion entre les CDAG et les CIDDIST, qui avait été proposée par des parlementaires. Que préconisez-vous pour rationaliser le système ? Une nouvelle organisation, des regroupements ?
Par ailleurs, vous nous avez parlé des dispositifs de solidarité internationale de lutte contre le sida, dans lesquels la France joue un rôle important. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur l'évolution des financements consacrés à cette lutte, et sur la nature et l'origine de ces financements ?
Je lis dans votre avis que les autotests seraient délivrés sans prescription médicale et que vous en recommandez la gratuité. Mais a-t-on mesuré l'impact financier de la mise en service de ces autotests si elle devait avoir lieu ? Quel est par ailleurs le coût d'un kit d'autotest ?
Le nombre de vos questions prouve l'intérêt que vous portez à la lutte contre l'infection par le VIH. Je ne peux que m'en réjouir.
Je commencerai par répondre aux questions relatives à la prévention, dont les autotests font partie.
Chaque année, en France, nous détectons plus de 6 000 nouveaux cas d'infection par le VIH. Les chiffres ne diminuent pas, du moins pas de façon significative depuis plusieurs années. Voilà pourquoi nous considérons que, malgré nos efforts, cette épidémie échappe aux mesures prises pour renforcer la prévention. Les modes de prévention classique – en particulier l'utilisation de préservatifs – ne sont pas suffisamment utilisés pour limiter la transmission de cette maladie. Il faut donc essayer d'améliorer les messages de prévention en ce sens, mais aussi de renouveler les techniques de prévention à notre disposition.
Il y a aujourd'hui environ 150 000 personnes en France qui sont infectées par le VIH, et 20 %, soit 30 000 personnes, l'ignorent. Or plusieurs études ont montré que ces 20 % de personnes qui ne se savent pas contaminées sont responsables de 70 % des transmissions d'infection. Le problème du dépistage est donc au centre de notre réflexion sur la prévention.
D'autres arguments vont en ce sens. Il ressort de plusieurs études que les personnes dépistées transmettent moins l'infection par le VIH. D'abord, un grand nombre d'entre elles sont traitées, ce qui limite considérablement le risque de transmission de l'infection. Par exemple, dans les couples hétérosexuels stables, avec traitement efficace, la charge virale devient indétectable et le risque de transmission de l'infection baisse de 94 %. Ce n'est peut-être pas valable dans toutes les populations, mais cela prouve à quel point le traitement peut aujourd'hui prévenir la transmission de la maladie. Ensuite, les personnes qui se savent infectées modifient leur comportement et risquent moins de transmettre l'infection à leur partenaire que celles qui ne se savent pas infectées. Une meilleure détection permettra donc de mieux combattre cette « épidémie cachée » de l'infection par le VIH.
L'amélioration du dépistage est un des objectifs qui a été ciblé dans le Plan national de lutte contre le sida 2010-2014, qui est en cours. Elle passe par plusieurs actions.
La première est une augmentation du dépistage par les professionnels de santé. Nous avons espéré qu'il serait possible de diminuer les « occasions manquées » en proposant, notamment, aux généralistes de s'impliquer davantage dans le dépistage. Mais la sensibilisation de ceux-ci s'avère difficile. Nous espérons que la situation s'améliorera mais pour le moment, ce n'est pas un grand succès.
La deuxième est l'élargissement du dépistage en y associant des personnes qui ne sont pas forcément des professionnels de santé – en particulier les membres de certaines associations, notamment les associations de lutte contre le sida – et en utilisant les tests rapides d'orientation au diagnostic, les TROD, dont nous ne disposions pas jusqu'à présent. Ces tests sont faits par une personne qualifiée : un médecin ou un membre associatif formé ; la réponse est donnée dans les vingt minutes qui suivent à la personne qui a fait le test. Dans ces conditions, un accompagnement peut être mis en place. L'utilisation des TROD a bien démarré dans notre pays. Elle est bien évidemment encore insuffisante, mais nous espérons que la situation s'améliorera rapidement.
La troisième et dernière action consiste à autoriser les personnes à assumer elles-mêmes ce geste. Nous pensons que les autotests peuvent constituer un dispositif complémentaire, susceptible d'améliorer les conditions du dépistage en France.
À propos des autotests, il y a beaucoup à dire, vos questions le montrent.
En premier lieu, le dispositif fonctionne-t-il bien ? Il est d'usage très simple : il suffit de se passer une spatule sur les gencives puis d'introduire cette spatule dans un instrument pour pouvoir lire ensuite le résultat, positif ou négatif, sur un écran. Un seul test est homologué aux États-Unis. L'évaluation complète à laquelle il a été soumis par la Food & Drug Administration, l'agence sanitaire américaine, a démontré sa spécificité – la capacité à donner un résultat négatif en l'absence d'infection – mais une sensibilité – la capacité à donner un résultat positif en présence de l'infection – un peu moins satisfaisante que celle des tests traditionnels, ce qui se traduit par quelques faux négatifs. Une autre évaluation, conduite en France, a confirmé que l'autotest n'a pas la sensibilité optimale des tests virologiques traditionnels faits en laboratoire. Si, selon l'agence américaine, la sensibilité de l'autotest s'établit à 93 % contre 99 % pour les tests conventionnels, elle serait plutôt de 86 % selon l'étude française. La performance de l'autotest devra donc être améliorée.
Se pose alors la question de l'évaluation bénéficerisque de l'introduction de l'autotest en l'état. Le bénéfice, c'est que des individus se testent qui, sans ce dispositif, ne se seraient pas fait dépister, et il existe indiscutablement une population qui n'aurait pas recouru à un dépistage classique mais qui est prête à faire le test à domicile. Il fallait donc déterminer si la découverte, de la sorte, de nouvelles séropositivités, contrebalance par défaut le nombre de diagnostics qui auraient été réalisés par le dépistage traditionnel et qui ne le seront pas en raison des diagnostics de faux négatif rendus par les autotests. Selon les modélisations retenues par les spécialistes de l'agence américaine, qui nous ont paru de bonne qualité, le taux bénéficerisque est en faveur de l'introduction de l'autotest.
Cependant, l'évaluation bénéficerisque n'est pas tout, car l'autotest laisse les personnes seules devant la découverte de leur séropositivité. La solution adoptée aux États-Unis, et que nous recommandons, est de veiller avec une grande attention au contenu du kit de l'autotest. Il doit inclure une documentation expliquant ce qu'il convient de faire en cas de résultat positif, en renvoyant l'usager à différents services d'assistance à distance tels que numéro vert, chats et réseaux Internet, accessibles sept jours sur sept et 24 heures sur 24.
Il convient de préciser que si la découverte que l'on est infecté par le VIH reste un moment douloureux, cette nouvelle n'a plus le caractère de catastrophe absolue qu'elle avait il y a quinze ans, quand elle signalait une mort prochaine. Au cours des auditions que nous avons conduites, tous nos interlocuteurs ont confirmé que l'accompagnement reste primordial mais que la question ne se pose plus dans les mêmes termes qu'à l'époque où, déjà saisi de cette question, le Conseil national du sida avait exprimé des réserves à l'égard des autotests.
Se prononçant cette fois en faveur de la mise à disposition des autotests de dépistage de l'infection à VIH, le conseil a formulé des recommandations complémentaires. D'abord, les autotests ne peuvent se concevoir que comme un dispositif additionnel à l'offre traditionnelle de dépistage, et en aucun cas comme une offre de substitution – ce serait catastrophique : le résultat affiché doit être confirmé par un test biologique conventionnel.
Ensuite, la distribution de l'autotest doit être organisée en deux circuits. Il doit être proposé en vente libre, de la manière la plus large possible, dans les pharmacies, les parapharmacies et sur l'Internet. Son coût actuel est de 30 euros. Parce que ce coût est élevé, et parce que le marquage « CE » peut compliquer la distribution en pharmacie, il faudra aussi, pour toucher les populations démunies – migrants et prostitué(e)s par exemple – permettre aux associations de distribuer les autotests. Cette distribution a un coût indiscutable, mais nous considérons qu'en termes d'économie de la santé, c'est un bon investissement, le dépistage précoce limitant le coût de la prise en charge de la maladie.
Les conditions d'usage doivent donc garantir l'accompagnement performant des usagers des autotests. Nous recommandons en outre que leur mise à disposition s'accompagne d'un discours volontariste renouvelé de promotion globale du dépistage et de la prévention.
On estime que la première année de leur introduction en France, les autotests pourraient dépister 4 000 séropositivités et entraîner une réduction significative de nouvelles infections à VIH. Il conviendra d'évaluer l'utilisation de l'autotest dès que sa diffusion sera autorisée et de mesurer l'incidence sur l'épidémie pour certains groupes à risque très élevé, tels les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
Je laisserai Laurent Geoffroy répondre aux questions relatives à la fusion CGAD-CIDDIST et à la manière de mieux garantir la cohérence des mesures de lutte contre le VIH.
Alors que quelque trois cinquièmes des CDAG et des CIDDIST poursuivent leurs activités dans les mêmes locaux, ils tiennent deux comptabilités distinctes. Le Conseil national du sida a mis l'accent sur l'impératif de rationalisation budgétaire, qui plaide en faveur de la fusion. Outre cela, en matière de dépistage, la prise en charge globale des personnes qui viennent consulter s'impose, et la fusion permettrait de proposer le dépistage des infections sexuellement transmissibles à ceux qui viennent consulter pour un dépistage de l'infection à VIH. La fusion des structures répondrait donc à plusieurs objectifs : rationalisation financière, simplification administrative, amélioration du dépistage et prise en charge globale. Si le conseil a rendu un avis favorable à la fusion des CDAG et des CIDDIST au moment de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, c'est qu'actuellement, le financement des CIDDIST n'est pas entièrement recentralisé et que celui des CDAG dépend de l'assurance-maladie ; un feu vert législatif est donc nécessaire pour réaliser le projet de fusion préparé par la direction générale de la santé.
Le conseil souhaite par ailleurs que la France envisage l'expérimentation de centres de santé sexuelle. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) propose plusieurs scénarii de fusion : l'un consiste, a minima, à fusionner les CGAD et les CIDDIST, l'autre à créer des centres de santé sexuelle. Un centre de ce type existe déjà, créé à l'initiative de Sida info service, mais son financement n'est pas pérenne. Le conseil appelle à la création de tels centres, pour proposer l'offre la plus globale qui soit. On ne peut demander trop à la seule salle supervisée d'injection qui existe en France pour l'instant – alors que l'on estime à 200 000 le nombre d'usagers de drogue problématique, dont beaucoup sont des injecteurs –, mais il convient de favoriser l'approche la plus globale possible et de profiter de l'installation des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues (CAARUD) et des centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) pour proposer un accès global au dépistage, à la santé et au droit.
S'agissant de l'accès à la santé de certaines populations vulnérables, le conseil a rendu en 2010 un avis relatif à la prostitution, formulant plusieurs recommandations. Dans le rapport qu'elle a rendu en 2011, l'IGAS donnait des indications qui allaient dans le même sens : il est impératif de renforcer les droits des personnes prostituées et le soutien aux associations de santé impliquées dans les actions communautaires, avec une approche globale. Outre cela, l'environnement réglementaire demande à être simplifié. En particulier, il serait judicieux de mettre fin aux contradictions entre les services du ministère de l'intérieur et ceux du ministère de la santé d'une part, mais aussi entre les services de la santé et les services sociaux. Tout cela suppose des initiatives en matières législative et réglementaire. Il faut ajouter que les associations concernées consacrent beaucoup de temps à trouver des financements qui, au demeurant, ne sont pas pérennes.
À l'international, la France est le cinquième pays donateur en matière de lutte contre l'infection à VIH ; elle contribue notamment de manière très importante au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, cette aide étant destinée à une action multilatérale. La restructuration du fonctionnement du fonds mondial assure l'usage efficient des ressources que la France lui alloue. L'aide privée est également importante mais, en cette période de budgets très contraints, des financements innovants sont indispensables pour augmenter l'aide publique au développement et notamment, comme le recommande le conseil, la part de cette aide consacrée à la santé. Aussi le conseil a-t-il, avec d'autres, porté le beau projet de taxe sur les transactions financières, tout en sachant que la fraction de cette ressource qui sera affectée à la lutte contre l'infection au VIH-sida sera très faible – alors même que 6 millions de personnes n'ont pas accès au traitement et que de nouveaux foyers de contamination apparaissent, notamment en Europe de l'Est. Il faut, pour ces raisons, trouver de nouvelles sources de financement ; l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) – s'y emploie.
Quelques mots sur le bébé diagnostiqué séropositif à l'infection par VIH et désormais « guéri ». Quelques cas suggèrent une guérison possible, mais ils sont exceptionnels et la transposition en pratique médicale courante n'est pas possible aujourd'hui. Dans ce cas spécifique, la contamination a eu lieu lors de l'accouchement ; le nourrisson a reçu une trithérapie dans les heures qui ont suivi son infection, avant que le VIH ne commence à se multiplier dans son organisme, et le virus est aujourd'hui indétectable. Cela ne signifie pas de manière absolue que la fillette soit guérie – peut-être les techniques dont nous disposons ne sont-elles pas assez fines pour démontrer la présence du virus –, mais c'est possible. On sait que l'on peut guérir de l'infection par le VIH, mais on sait aussi que ce sera dans une décennie au mieux ; les traitements d'éradication, extrêmement complexes, ne sont pas encore au point, et les traitements actuels ne le permettent pas. Cependant, ceux-ci peuvent rendre les patients asymptomatiques, si bien qu'ils peuvent mener une existence normale, avec une qualité de vie incomparablement meilleure de ce qu'elle était il y a dix ans.
Si l'on dénombre davantage de cas de sida chez les gens âgés de plus de 50 ans, c'est essentiellement parce que le taux de survie des personnes infectées jeunes est plus élevé qu'il ne l'était auparavant. Que l'âge moyen des personnes infectées augmente est donc plutôt bon signe.
Vous répondre au sujet des restrictions au don de sang pour les homosexuels masculins me met mal à l'aise car, à la différence du Comité national d'éthique, le Conseil national du sida n'a pas été saisi de cette question. Mme la ministre de la santé, visitant un centre de transfusion, a exprimé le caractère anormal d'une restriction au don de sang fondée sur le fait d'être homosexuel et non sur celui d'avoir des pratiques à risque. Le conseil a applaudi cette distinction et fait savoir publiquement qu'il l'approuvait. Mais la question demeure posée de savoir si, l'interrogatoire préalable au don du sang étant modifié pour mettre l'accent sur les pratiques à risque, nous sommes capables de garantir que l'on n'observera pas de contamination consécutive à un don de sang. La question est extrêmement sensible en France pour les raisons historiques que l'on sait.
Vous nous avez interrogés sur les rapports à la maladie en France et dans les autres pays d'Europe. Je tiens à saluer l'efficacité des moyens mis à la disposition de la lutte contre l'infection à VIH en France, et à souligner que de nombreux pays se tournent vers ce qui est mis en oeuvre chez nous pour s'en inspirer. M. Michel Celse vous en dira davantage sur la question de la pénalisation de la transmission du virus selon les États.
La pénalisation de la transmission du VIH est hétérogène en Europe et dans le monde. Elle est très forte en Amérique du Nord et dans certains pays scandinaves. La France est dans une position intermédiaire : seuls les cas de transmission effective de l'infection sont passibles d'une condamnation, au titre de l'administration de substances nuisibles, et de quinze à vingt affaires seulement y ont débouché sur une condamnation à ce titre. Il serait très intéressant de faire l'état des lieux des pratiques judiciaires à ce sujet en France : dans ces affaires extrêmement passionnelles, on constate une très grande disparité d'appréciation, et l'on peut se demander si l'état actuel des connaissances scientifiques a été pris en compte dans l'expertise.
Dans de nombreux pays, la simple exposition au risque de transmission peut être poursuivie et très lourdement condamnée. Les personnes infectées peuvent avoir l'obligation de dévoiler leur statut sérologique à leurs partenaires avant une relation sexuelle. Dans certains pays, le fait d'avoir utilisé un préservatif n'est pas pris en compte : même si les relations ont été protégées et n'ont pas entraîné une contamination, le seul fait de ne pas avoir informé le partenaire de son infection suffit à une condamnation. De même, ne sera pas pris en compte le fait qu'une personne, même s'il n'y a pas eu contamination, ait consenti à des rapports sexuels non protégés.
Dans certains pays enfin, il n'y aucune forme de pénalisation. L'ONUSIDA estime pour sa part que le recours à la réponse pénale en cas d'exposition au VIH ou de transmission du virus devrait être strictement limité aux cas où est démontrée une claire volonté de nuire à autrui. Cette question devrait faire l'objet d'un avis du Conseil national du sida à l'avenir.
Je reviens un instant sur la question d'Isabelle Le Callennec à propos du coût des autotests : il faut se rappeler, pour mettre les choses en perspective, que le coût mensuel d'une trithérapie anti-VIH varie de 1 000 à 1 500 euros, et cela pendant de longues années.
Au cours de la précédente législature, le groupe d'études sur le sida de notre Assemblée avait reçu M. Douste-Blazy, président d'ONUSIDA. Il avait envisagé de faire « tomber » plus vite les brevets des laboratoires sur les molécules utilisées dans les trithérapies dans les pays à faible revenu, pour que la diffusion des génériques permette à leurs populations un accès réel à ces traitements. La France est-elle engagée dans une réflexion à ce sujet ?
La question est très importante et très complexe. Les pays à faible revenu peuvent déroger à la règle qui interdit la production pendant vingt ans de trithérapies génériques à moindre coût, mais certains pays qui ont utilisé cette prérogative négociée dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se sont exposés à des représailles de la part des laboratoires pharmaceutiques détenteurs des brevets. Des négociations se poursuivent à ce sujet. Un accord sur les droits de propriété intellectuelle en rapport avec le commerce (ADPIC) est notamment en cours de définition entre l'Union européenne et l'Inde, pays où sont produits 90 % des antirétroviraux à destination des pays à revenu limité, visant à ce que l'Inde bénéficie de la dérogation. Le Conseil national du sida a souligné dans son avis que la libéralisation des brevets est un des leviers importants d'élargissement de la couverture des populations, comme le sont les financements innovants. J'ignore la position de la France.
Je vous remercie, messieurs, pour votre contribution à nos travaux. Nous en retenons que la vigilance s'impose et que le dépistage est indispensable, mais pas dans n'importe quelles conditions.
Je vous rappelle que le président de l'Assemblée nationale peut saisir le conseil s'il le souhaite.
La séance est levée à onze heures trente.