La loi sur l'isolement politique est dictée par le très grand ressentiment de la population libyenne à l'égard d'un dictateur qui se considérait comme appartenant à une caste supérieure. Il y a aujourd'hui une réaction de revanche très violente. La crainte est que les modalités d'application de la loi aient des conséquences excessives. Le président Megarief, qui nous a paru être un homme d'une grande hauteur de vue, a été compromis avec le régime de Kadhafi d'une certaine façon, puisqu'il a servi d'ambassadeur de son pays à une époque, avant de donner sa démission. Le pouvoir risque d'être décapité, comme le souhaitent certains groupes très revanchards.
En ce qui concerne le processus démocratique, la Libye n'a toujours pas de nouvelle Constitution. Un accord a finalement été trouvé pour l'élection d'une commission de soixante sages, qui sera chargée de rédiger un projet de texte. Des élections devraient être organisées une fois que ce projet aura été soumis à référendum. Il paraît difficile que le processus puisse s'achever avant 2015, ce qui est assez inquiétant dans la situation actuelle. La question de savoir s'il faut une Constitution légère, limitée à quelques grands principes, ou au contraire un texte très détaillé, reste entière. L'élection de la commission sera sans doute marquée par ce débat. Tout reste à faire aujourd'hui.
Ce que nous avons entendu en Libye confirme le sentiment général sur la porosité des frontières en Afrique subsaharienne, au sens large du terme, du Mali à l'Egypte en passant par l'Algérie et le Sud tunisien. Il y a aujourd'hui une mobilisation assez conséquente des forces tunisiennes à la frontière algérienne, face à des bandes se revendiquant clairement du terrorisme international. Je retiens de nos entretiens avec les attachés de défense de nos postes qu'il y a une grande mobilité de ces bandes d'un pays à l'autre, avec un reflux depuis le Mali.
L'explication de l'attentat commis à Tripoli n'est probablement pas à chercher du côté des kadhafistes revanchards, qui sont très laminés. Quant aux katibas, elles sont armées, mais elles ne semblent pas se placer dans une perspective terroriste. Elles sont surtout l'expression d'une culture tribale. Quelques heures après l'attentat, il semblait que c'était plutôt du côté des bandes terroristes que l'explication la plus plausible se trouvait.
Pour ce qui est de l'Arabie saoudite et du Qatar, il ressort de tous les contacts que nous avons eus en Egypte, en Libye et en Tunisie qu'il existe une forte rivalité entre ces deux pays. La thèse de Gilles Kepel, que les faits semblent confirmer, est que le Qatar soutiendrait plutôt les Frères musulmans et l'Arabie saoudite les salafistes.