Commission des affaires étrangères

Réunion du 14 mai 2013 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ennahda
  • libye
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  • tunisie
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La réunion

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Compte rendu du déplacement en Libye et en Tunisie de MM. Jacques Myard et Jean Glavany, président et rapporteur de la mission d'information sur les révolutions arabes

La séance est ouverte à seize heures trente.

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Nous sommes arrivés à Tripoli le 21 avril dernier, en passant par Francfort, car il n'y a plus de vol direct depuis Paris. Nous devions déjà nous rendre en Libye au mois de février dernier, mais il a fallu se limiter à l'Egypte et à la Tunisie. Notre ambassadeur redoutait alors une action des salafistes. Nous nous sommes déplacés dans Tripoli en Mercedes blindées, avec des gardes du corps et une voiture de police qui nous ouvrait la voie. Quant à l'adjoint au chef de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), que nous avons rencontré à notre arrivée, nous avons pu constater qu'il travaillait dans une villa implantée dans un complexe très sécurisé.

Nous nous sommes aussi entretenus avec le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères, ainsi qu'avec des députés libyens, avec l'évêque catholique de Tripoli, dont les fidèles sont essentiellement des travailleurs philippins, et avec des membres de la société civile.

Une des particularités de la Libye est que ce ne sont pas les Frères musulmans, ni les salafistes, qui ont remporté les élections, mais des modérés que l'on pourrait qualifier, sinon de laïcs, du moins de « démocrates ». Le président du Congrès, M. Mohamed Megarief, est un ancien ambassadeur qui avait fait défection il y a longtemps. Quant au Premier ministre, Ali Zeidan, il s'était exilé en Allemagne.

Les représentantes d'ONG que nous avons rencontrées à l'ambassade nous ont décrit une situation assez difficile pour les femmes, d'ailleurs moins en raison des textes en vigueur que des attitudes à leur égard dans la société libyenne.

Les chefs d'entreprise français, pour leur part, se plaignaient tous du fait qu'Air France ne desservait plus Tripoli et que l'ensemble du pays était classé en rouge dans la fiche « conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères, à l'exception d'une étroite bande côtière. Le lendemain de cette rencontre avec la communauté française, un attentat a détruit l'ambassade à 80 %. Je dois dire que nous avons été très frappés par le contraste entre cet attentat et la confiance de tous les Français que nous avons rencontrés à Tripoli.

Je peux vous donner quelques nouvelles du gendarme qui a été grièvement blessé. Il était hors de danger lorsque je l'ai eu au téléphone, il y a quelques jours. Il n'a eu la vie sauve que parce qu'il se trouvait dans le sas blindé situé à l'entrée de l'ambassade au moment de l'explosion. C'est un miracle qu'il n'y ait eu de mort ni d'un côté ni de l'autre de cette rue très étroite.

Le chef du protocole libyen avait trois hypothèses lorsqu'il nous a raccompagnés à l'aéroport, après l'attentat. Selon lui, il pouvait s'agir d'un acte commis soit par d'anciens kadhafistes, soit par des membres d'Al-Qaida, soit par les katibas qui font régner leur loi en Libye.

Quelques jours après notre départ, elles ont d'ailleurs fait adopter une loi d'exclusion politique après avoir asségé plusieurs ministères, dont celui des affaires étrangères, en utilisant des pick-up équipés de mitrailleuses et d'armes anti-aériennes. Cette loi d'épuration, qui va très loin, est un véritable coup d'Etat des salafistes.

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Des trois pays concernés par les « révolutions arabes », l'Egypte, la Libye et la Tunisie, la Libye présente le moins de problèmes économiques. Elle bénéficie d'une rente pétrolière conséquente pour une population peu nombreuse – environ 6,5 millions de personnes.

En revanche, la mort de Kadhafi a vu la disparition du peu d'Etat qui existait dans ce pays. Toutes les institutions, notamment l'armée, la police et la justice, étant personnellement liées à Kadhafi, se sont effondrées. Le pouvoir politique actuel est confronté à une véritable désintégration de l'appareil d'Etat.

Le premier problème qui en résulte est sécuritaire. Il n'y a ni armée, ni police, mais beaucoup d'armes circulent. Il règne une anarchie potentiellement violente, qui se manifeste par la présence des katibas évoquées par Jacques Myard. Ces bandes armées, qui relèvent à la fois d'une logique milicienne, mais qui s'inscrivent aussi dans la tradition tribale de la Libye, se partagent le territoire, parfois par quartiers en zone urbaine. Ces groupes surarmés sont capables de mener des coups de poing à tout moment. Pour reconstruire une armée, le pouvoir politique a demandé à un certain nombre de katibas de déléguer chacune quelques centaines d'hommes, mais sans obtenir de véritable résultat concret sur le terrain, pour le moment.

Par la loi d'exclusion ou d'isolement politique – les deux termes sont employés –, les révolutionnaires libyens voudraient aller débusquer dans ce qui reste des ministères les responsables compromis avec le pouvoir précédent. Le principe de cette épuration fait l'objet d'un consensus, mais son application suscite bien des inquiétudes, notamment au sein des organisations internationales et des ONG.

Le contraste entre l'attentat commis le matin de notre départ et tout ce que nous avons entendu sur place est effectivement stupéfiant. Malgré les préoccupations des autorités libyennes en matière de sécurité, il y avait une sorte de consensus entre les chefs d'entreprise et nos diplomates dans leur demande de rétablissement du vol d'Air France et d'évolution des « conseils aux voyageurs ». Cette inconscience du risque potentiel se traduisait jusque dans l'installation de la chancellerie dans une rue étroite, très difficile à garder et très exposée. L'attentat a tragiquement servi de rappel à la réalité.

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Quelles sont les conséquences du vote de la loi que vous venez d'évoquer ? Le président du Congrès et le Premier ministre ont été contraints de l'accepter pour que le siège des ministères prenne fin, mais il y a certainement un risque politique majeur pour eux. Les salafistes espèrent prendre la main à la faveur des prochaines élections, à force d'exclusions. Le Président Megarief lui-même était en poste en Inde il y a très longtemps. Comment analyse-t-on en Libye les conséquences de ce vote ? Le dénonce-t-on comme une erreur ? Le pouvoir en place pourra-t-il garder la maîtrise du processus ? Les salafistes en tireront-ils avantage ?

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Avez-vous trouvé des signes témoignant d'un rétablissement du processus démocratique au cours de votre mission ? Par ailleurs, comment la liberté d'expression et les droits des femmes évoluent-ils ?

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Avez-vous perçu des échos des événements qui se déroulent au Sahel ? Des salafistes venus du Mali ont-ils établi leurs bases arrière en Libye ? Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur l'influence de pays tels que l'Arabie saoudite ou le Qatar ?

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Le risque d'insécurité demeure élevé en Libye. Si j'ai bien compris, on essaye de reconstruire des forces militaires loyalistes à partir de katibas jugées plus fréquentables. C'est là un processus quelque peu discutable. Par ailleurs, certaines katibas auraient fui le Mali pour se réfugier en Libye. On dit qu'on en trouverait même jusqu'au Soudan. Quelle est donc la mobilité de ces groupes ? Sont-ils contrôlés ? Peut-on envisager qu'ils retournent plus tard au Mali ?

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Vous avez évoqué la rente pétrolière. Je voudrais savoir comment elle est redistribuée. Du fait des traditions tribales de ce pays, ne peut-on pas craindre des querelles intestines en la matière ?

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La situation des femmes évolue-t-elle ? Le cas échéant, est-ce uniquement à travers le prisme de la religion ?

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Après l'intervention de la France en Libye, on avait l'espoir d'un développement économique favorable à nos intérêts, mais il semblerait qu'il n'en ait rien été. Quelles sont maintenant les perspectives pour la France et quelle est la présence économique des autres pays ?

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La loi sur l'isolement politique est dictée par le très grand ressentiment de la population libyenne à l'égard d'un dictateur qui se considérait comme appartenant à une caste supérieure. Il y a aujourd'hui une réaction de revanche très violente. La crainte est que les modalités d'application de la loi aient des conséquences excessives. Le président Megarief, qui nous a paru être un homme d'une grande hauteur de vue, a été compromis avec le régime de Kadhafi d'une certaine façon, puisqu'il a servi d'ambassadeur de son pays à une époque, avant de donner sa démission. Le pouvoir risque d'être décapité, comme le souhaitent certains groupes très revanchards.

En ce qui concerne le processus démocratique, la Libye n'a toujours pas de nouvelle Constitution. Un accord a finalement été trouvé pour l'élection d'une commission de soixante sages, qui sera chargée de rédiger un projet de texte. Des élections devraient être organisées une fois que ce projet aura été soumis à référendum. Il paraît difficile que le processus puisse s'achever avant 2015, ce qui est assez inquiétant dans la situation actuelle. La question de savoir s'il faut une Constitution légère, limitée à quelques grands principes, ou au contraire un texte très détaillé, reste entière. L'élection de la commission sera sans doute marquée par ce débat. Tout reste à faire aujourd'hui.

Ce que nous avons entendu en Libye confirme le sentiment général sur la porosité des frontières en Afrique subsaharienne, au sens large du terme, du Mali à l'Egypte en passant par l'Algérie et le Sud tunisien. Il y a aujourd'hui une mobilisation assez conséquente des forces tunisiennes à la frontière algérienne, face à des bandes se revendiquant clairement du terrorisme international. Je retiens de nos entretiens avec les attachés de défense de nos postes qu'il y a une grande mobilité de ces bandes d'un pays à l'autre, avec un reflux depuis le Mali.

L'explication de l'attentat commis à Tripoli n'est probablement pas à chercher du côté des kadhafistes revanchards, qui sont très laminés. Quant aux katibas, elles sont armées, mais elles ne semblent pas se placer dans une perspective terroriste. Elles sont surtout l'expression d'une culture tribale. Quelques heures après l'attentat, il semblait que c'était plutôt du côté des bandes terroristes que l'explication la plus plausible se trouvait.

Pour ce qui est de l'Arabie saoudite et du Qatar, il ressort de tous les contacts que nous avons eus en Egypte, en Libye et en Tunisie qu'il existe une forte rivalité entre ces deux pays. La thèse de Gilles Kepel, que les faits semblent confirmer, est que le Qatar soutiendrait plutôt les Frères musulmans et l'Arabie saoudite les salafistes.

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En Libye, l'influence de ces pays est moins sensible qu'ailleurs. Le Gouvernement et l'administration restant à créer, il est difficile de peser de manière structurée. Mais il y a tout de même des salafistes et des groupes armés.

Beaucoup nous ont dit que Kadhafi gérait la Libye comme une ferme. Il traitait la population comme du bétail. C'est une expression qui est revenue à plusieurs reprises au cours des entretiens.

Il faut savoir qu'on ne paie toujours pas l'électricité en Libye. On ne reçoit pas les factures. C'est une des utilisations de la rente pétrolière.

S'agissant des femmes, la laïcité n'existe pas dans ces sociétés où l'islam sert de corpus de référence. Au Caire, l'imam d'al-Azhar, le cheikh Tayeb, nous a déclaré en substance qu'un athée avait le droit de vivre tant qu'il ne manifestait pas publiquement sa position.

Tous les entrepreneurs que nous avons rencontrés estiment que la Libye est un pays promis à un bel avenir en matière d'expansion économique. Il y a des affaires à réaliser. Certains m'ont dit en aparté que le Gouvernement devrait engager une action plus vigoureuse dans ce domaine. Par ailleurs, beaucoup pensaient que la pusillanimité actuelle était due aux entreprises de sécurité, accusées d'exagérer le danger pour favoriser leur marché de protection des sociétés étrangères. L'attentat a quand même montré qu'il y avait de réels problèmes de sécurité.

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Des progrès considérables restent à faire en Libye en matière de droits des femmes. Les relations avec les hommes, qui se trouvent sous l'emprise de la religion, demeurent très patriarcales et traditionnelles.

Les représentantes d'ONG que nous avons rencontrées voient dans leur travail une sorte de service à rendre à la Révolution, et déplorent le manque de soutien de l'Etat. Selon elles, la Libye manque à la fois d'expérience, de sécurité et de liberté de mouvement pour les femmes, et de l'absence de loi protégeant leur condition. Le grand Mufti aurait ainsi déclaré dans une fatwa que le mariage d'une femme libyenne avec un étranger était désormais interdit et qu'il n'était plus nécessaire d'avoir l'autorisation de sa première femme pour pouvoir en épouser une autre.

Toutes les associations nous ont décrit une situation dans laquelle les femmes sont maltraitées. Elles demandent en particulier que leurs droits soient inscrits dans la Constitution et qu'il y ait des femmes dans la commission chargée de l'élaborer. Nous avons d'ailleurs rencontré au Congrès libyen une jeune députée voilée, mais féministe, qui nous a demandé comment faire pour que des femmes soient élues au Parlement. L'assemblée actuelle est composée de députés indépendants, parmi lesquels il n'y a quasiment aucune femme, et de représentants des partis, où elles sont plus nombreuses.

La présence des entreprises françaises s'accroît lentement depuis la révolution. Elles se heurtent toutes à la même difficulté : l'absence d'Etat de droit et de cadre juridique stable et serein pour les entreprises ou les administrations qui voudraient travailler avec la Libye. Nous avons ainsi appris qu'un important accord de coopération avec la France dans le domaine de la sécurité était prêt depuis quelque temps déjà, mais qu'il y avait des difficultés inattendues pour aller au bout du processus avec l'administration libyenne. On venait de découvrir que les versions en arabe et en français ne suffisaient plus, et qu'il fallait désormais traduire le texte en anglais – mais ce n'est qu'une péripétie parmi d'autres….

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J'aimerais savoir où en est la situation sanitaire et humanitaire en Libye.

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Un système politique a disparu en Libye à la faveur de ce que l'on pourrait appeler un « printemps » ou une révolution, mais rien n'est venu le remplacer. On n'a pas encore assisté à la reconstitution d'un Etat, et encore moins à la naissance d'un Etat de droit.

Par ailleurs, alors que la France a consenti un effort particulier pour la Libye au plan miliaire, vous semblez indiquer que les perspectives restent assez limitées pour notre pays, comme pour l'Europe, malgré la présence de quelques entreprises.

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Il n'y a pas d'Etat, à l'évidence. Un processus démocratique assez étonnant s'est déroulé, mais dans un contexte de fort conservatisme. D'où l'agressivité actuelle des salafistes.

Il y a de l'argent qui circule en Libye – et il y a des voitures dans les rues –, mais la situation n'est pas bonne sur le plan de la santé. L'un des chefs d'entreprise que nous avons eu l'occasion de rencontrer à Tripoli était précisément venu pour un projet hospitalier.

Un Etat totalitaire est terrible, mais l'absence d'Etat est sans doute pire encore. En Libye, où il n'existe ni Etat, ni administration, le ministre de l'Intérieur ne représente que lui-même. La population doit s'en sortir par elle-même.

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Les entreprises françaises ont des perspectives considérables. Notre pays a changé de cap assez brusquement sur la Libye, ce qui a laissé quelques traces, mais il existe une cote d'amour pour les Français. Les frappes aériennes ont sauvé la révolution et accéléré la chute de Kadhafi. Il y a aussi de l'argent et des marchés en Libye. Mais sans stabilité juridique, il n'y a pas d'implantation possible.

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Pouvez-vous nous parler de l'enseignement en Libye ? A quel âge les enfants sont-ils scolarisés ? Y a-t-il des lycées et des universités ? Quelle est la situation de la langue française ?

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Les langues les plus pratiquées sont l'arabe, bien sûr, et l'anglais pour les étrangers. Une école française a rouvert, ce qui était important pour montrer que la situation évoluait. Elle doit scolariser une trentaine d'enfants. Il existe aussi un centre culturel très actif. Lorsque nous y sommes passés, il dispensait des formations en français à des apprentis policiers qui devaient ensuite se rendre dans notre pays.

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Merci pour vos interventions très intéressantes. J'en garde l'impression que le principal défi reste d'aider les Libyens à rétablir la sécurité. C'était déjà la première demande des autorités lorsque je me suis rendue en Libye avec Laurent Fabius au mois de novembre dernier. Si nous y parvenons, des perspectives s'ouvriront pour nos entreprises. Mais il faut « prendre le thé sous la tente » : je veux dire par là qu'il faut s'implanter pour avoir des marchés en Libye.

Si vous le voulez bien, nous en venons à votre déplacement en Tunisie.

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Nous avons commencé par rencontrer le ministre des affaires étrangères, qui est un diplomate de carrière et l'un des ministres « techniques » récemment nommés.

Nous avons ensuite déjeuné avec des responsables de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Des trois pays dans lesquels nous nous sommes rendus dans le cadre de cette mission d'information, la Tunisie est celui où le respect des droits des femmes est le plus fort. Même s'il y a des interrogations et des inquiétudes, la société civile dispose d'anticorps. Les femmes tunisiennes ne vont pas se laisser faire !

Nous avons ensuite eu un long entretien avec le nouveau chef du Gouvernement, Ali Larayedh. Nous n'avions pas pu rencontrer son prédécesseur lors de notre précédent déplacement à Tunis, en raison des débats intenses qui étaient en cours sur la composition du Gouvernement. Les efforts de Hamadi Jebali avaient échoué, mais des ministres « techniques » ont ensuite été nommés aux principaux postes régaliens.

Le processus démocratique est en cours en Tunisie. Il devrait conduire à l'adoption d'une Constitution dans les semaines ou les mois qui viennent.

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Mon premier sentiment est que la situation s'est apaisée par rapport à notre première visite, il y a trois mois. Nous étions arrivés en Tunisie quelques jours après l'assassinat de Chokri Belaïd. Il y avait alors une émotion terrible et une grave crise gouvernementale. Les partis démocrates et progressistes exigeaient qu'Ennahda renonce à ses ministères régaliens, ce que refusait son chef, Rached Ghannouchi. Par une sorte de miracle de la vie politique et démocratique tunisienne, le nouveau chef du Gouvernement, Ali Larayedh, pourtant issu d'Ennahda, lui aussi, est parvenu à obtenir ce qui avait été refusé à Hamadi Jebali.

Mon deuxième sentiment est celui d'une accélération du calendrier politique. Le ministre des affaires étrangères, le chef du Gouvernement, puis le président Marzouki, que j'ai rencontré en votre compagnie, Madame la Présidente, à l'occasion d'un troisième passage à Tunis, nous ont dit leur confiance dans l'accélération du processus constitutionnel et dans la perspective que des élections aient lieu avant la fin de l'année.

Enfin, une préoccupation que nous n'avions pas perçue au mois de février voit le jour en matière de sécurité, notamment dans le Sud du pays, à la frontière avec l'Algérie. Cette évolution n'est pas sans conséquence sur les débats au sein d'Ennahda. La confrontation avec la réalité du pouvoir amène ce parti d'obédience islamiste à faire face à des problèmes de terrorisme islamiste, ce qui pourrait accélérer son évolution interne.

J'en viens à ce que nous a dit le Président de la République, Moncef Marzouki. C'est un personnage à la fois central et potentiellement faible, puisqu'il n'est là que par la volonté de la troïka formée par Ennahda, Ettakatol, le parti socialiste du président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jafaar, et son propre parti, le Congrès pour la République (CPR).

M. Marzouki nous a expliqué qu'il y avait aujourd'hui deux Tunisie : l'une rurale, religieuse et conservatrice ; l'autre urbaine, plus occidentalisée, plus démocratique et plus laïque. Quiconque voudrait que l'une des deux Tunisie l'emporte sur l'autre commettrait une erreur politique lourde. Selon lui, le rôle des responsables politiques, et en particulier celui du Président de la République, est de faire vivre ces deux Tunisie ensemble. C'est, au fond, le pari de la troïka.

M. Marzouki nous a aussi confié que ses principales difficultés avec Ennahda ne concernaient pas les rapports entre la religion et l'Etat – Ennahda avait toujours fini par reculer sur ce terrain –, mais les questions économiques et sociales, Ennahda ayant une approche néo-libérale, parfois très dogmatique, quand le CPR croyait au contraire à l'intervention de l'Etat et à la nécessité de la régulation.

Le président Marzouki nous a dit, malgré tout, sa volonté de faire vivre la troïka jusqu'aux prochaines élections. Il semblait penser qu'il pourrait rester à la Présidence de la République s'il était le candidat unique de la troïka, et que ce dispositif à trois pourrait perdurer. Cela peut paraître contradictoire avec certaines déclarations de M. Ben Jaafar, mais c'est l'impression que j'ai eue en écoutant M. Marzouki.

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Notre entretien avec le Premier ministre était tout aussi intéressant. C'est un homme qui a beaucoup souffert en prison, et l'on sent une grande retenue chez lui. Mais il reste un homme d'Ennahda.

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Je voudrais ajouter quelques mots sur mes rencontres avec le Premier ministre, Ali Larayedh, et le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), Houcine Abassi.

Le risque est de voir Ennahda remporter à la fois les élections présidentielles et les élections législatives, après l'adoption de la Constitution. Le parti est certes fragilisé par les événements du djebel Chaambi, car il est très exposé aux accusations de laissez-faire. Comment toutes ces mines, qui ont blessé une quinzaine de personnes, ont-elles pu être posées ? Le Premier ministre actuel était alors ministre de l'Intérieur. En outre, bien qu'il récuse incontestablement la violence, le parti Ennahda ne parvient pas à condamner clairement les salafistes, ce qui le rend certainement beaucoup moins populaire qu'avant.

Le problème est lié à l'émiettement considérable du paysage politique en face d'Ennahda. Même si des représentants de petits partis démocratiques ont déclaré leur intention de s'unir, le risque est qu'il y ait pléthore de candidats à l'élection présidentielle, notamment M. Marzouki, M. Ben Jafaar, M. Essebsi ou encore M. Chebbi, ce qui favoriserait Ennahda. L'ancien Premier ministre, Hamadi Jebali, qui a acquis une certaine stature depuis qu'il a pris ses distances avec son propre parti, pourrait l'emporter. Dans ces conditions, le maintien de la troïka présente une certaine cohérence.

L'UGTT est une force considérable dans ce paysage. Elle a fait descendre un million de personnes dans la rue, sur dix millions d'habitants, après l'assassinat de Chokri Belaïd. Le secrétaire général de l'UGTT m'a dit que ses priorités étaient l'organisation des élections et la sécurité du pays. Ce sont pour lui deux conditions préalables, qui viennent avant les revendications sociales et économiques, pourtant très fortes aujourd'hui. Je ne sais pas si l'on pourrait imaginer des représentants syndicaux tenir de telles positions dans d'autres pays.

Comme vous l'avez souligné, la société civile est très vivante en Tunisie. Elle a pourtant besoin d'être soutenue. Parmi les initiatives envisageables, on pourrait essayer d'instaurer un forum pour les pays en transition démocratique. Il s'agirait d'organiser des rencontres et des échanges entre représentants de la société civile et parlementaires. Il avait été question d'organiser une conférence sur la sécurité en Méditerranée, à l'image de celle qui avait constituée en Europe à l'époque de la guerre froide. Je crois que nous aurions intérêt à nous inspirer de cette idée, à condition bien sûr de ne pas en rester à des incantations.

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J'aimerais savoir comment évolue la situation économique et sociale. Qu'en est-il des délocalisations et de l'accès à la nutrition et aux soins ? Rencontre-t-on des problèmes particuliers ?

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Que reste-t-il de la Tunisie de Bourguiba aujourd'hui ? S'il reste une référence à cette époque, qui la porte ?

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Où en est l'enquête sur l'assassinat de Chokri Belaïd ? Il a été question ici et là d'une implication éventuelle du Qatar. Est-elle avérée ?

J'ai été, moi aussi, impressionnée par la force et le réalisme de l'UGTT. Malgré la gravité de la situation sociale et économique, elle fait du soutien au processus constitutionnel et au retour à la sécurité ses priorités.

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La situation économique est très différente selon les pays. L'Egypte est au bord de l'implosion et la situation ne semble pas devoir s'améliorer. Les négociations avec le FMI n'aboutissent pas. La Libye a plus de moyens et sa population mange à sa faim. En Tunisie, où un accord aurait été trouvé avec le FMI, la situation me paraît susceptible d'évoluer plus positivement.

J'ajoute que la dépression européenne a un impact direct sur la Méditerranée. Son économie se trouve dans une situation de dépendance certaine vis-à-vis de l'Europe, indépendamment du fait que l'insécurité a fait chuter le tourisme. La situation reste cependant beaucoup moins grave qu'en Egypte, qui se trouve dans une situation d'impasse totale. Il y a aussi le soutien financier de la diaspora qui doit jouer.

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La Tunisie est un petit pays de 11 millions d'habitants, extrêmement dépendant du tourisme. Le choc a été considérable avec l'effondrement de ce secteur, après la révolution. Il semble toutefois qu'il y ait des signes de reprise de l'activité touristique.

Il y a encore des traces importantes du bourguibisme. Il reste, en premier lieu, un appareil d'Etat, notamment une justice, une police, une armée. Ce n'est pas le cas en Libye, où l'Etat a disparu, ni en Egypte, où la police est complètement discréditée et inefficace. Il reste aussi le statut civil de la femme, défendu âprement par une partie de la société civile. Enfin, au plan politique, Nida Tounès se réclame de cet héritage, même s'il s'est démarqué du bénalisme.

S'agissant de l'assassinat de Chokri Belaid, quelques arrestations ont eu lieu, mais il semblerait qu'il s'agisse de complices présumés, et non de l'auteur principal.

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Je rappelle que le Premier ministre actuel était ministre de l'intérieur au moment de l'assassinat.

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Quels sont les liens entre la sécurité et l'évolution du tourisme ?

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Il y a eu quelques manifestations de salafistes contre la consommation d'alcool dans les hôtels et le port des bikinis autour des piscines, avec un effet immédiat.

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On constate des similitudes entre la Tunisie et la Libye en ce qui concerne les femmes. On leur demande pourquoi elles circulent seules en voiture, sans homme à leurs côtés. Ce sont ces phénomènes qui peuvent poser un problème à terme, par leur multiplication dans la vie quotidienne.

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J'ajoute qu'on n'a pas de sentiment d'insécurité à Tunis ou à Djerba. En revanche, la situation est différente dans les oasis du grand Sud.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.