Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 22 mai 2013 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement :

Plusieurs d'entre vous s'inquiètent du mauvais fonctionnement de l'État malien aujourd'hui. Notre intention est clairement de renforcer les collectivités locales. Tout d'abord, dans une logique d'efficacité des politiques publiques – là-bas comme ici. Ensuite, parce le compromis politique qui a pu être trouvé exige cette décentralisation. Pour la première fois, dans le document de conclusions adopté à l'issue de la conférence de Bruxelles, figure la notion d'aide budgétaire sectorielle décentralisée. Nous reprenons à notre compte ce dispositif que la Suisse a expérimenté avec succès il y a quelques années. Une partie des 3,2 milliards d'euros promis ira directement aux collectivités, pour les aider à rendre les services nécessaires à la population. Travailler avec les élus locaux présente aussi l'avantage de dépassionner le débat. Plus pragmatiques, plus proches du quotidien, les élus locaux sont moins obsédés par les grands affrontements traditionnels au Mali.

Vous craignez aussi, vu l'affaiblissement de l'État malien, que nous n'ayons pas d'interlocuteurs. Nous travaillons aujourd'hui avec le gouvernement de transition. Le Premier ministre, le ministre de l'économie et des finances, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la réforme territoriale, le ministre des affaires humanitaires… sont nos interlocuteurs, et nous obtenons d'eux, de manière fiable, toutes les informations dont nous avons besoin. Ils sont aussi en mesure d'identifier les lacunes, les besoins et les priorités.

Reste à renforcer les moyens de l'État, de façon que les fonctionnaires puissent revenir en toute sécurité à leur poste sur le terrain. La condition première est que le processus politique en cours aboutisse. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne : en haut, assurer la stabilité politique du pays, et en bas, apporter l'aide nécessaire, de façon qu'une fois les fonctionnaires revenus en poste, ils disposent de tous les outils, financiers notamment, pour travailler.

Nous faisons le double pari du renforcement des capacités de l'Etat et de la décentralisation. Réussira-t-il ? C'est en tout cas le seul que nous pouvons faire car il faut éviter deux écueils. Le premier serait de dessaisir l'État de toute responsabilité, comme cela a été fait à Haïti où, deux ans après le séisme, les services publics continuent d'être assurés par des ONG, ce qui n'est satisfaisant pour personne. C'est pourquoi nous cherchons d'emblée au Mali à renforcer l'État – ce qui suppose de lutter contre la corruption, d'où l'importance d'assurer la traçabilité de l'aide – et surtout à ne pas laisser se mettre en place de dispositifs parallèles. Le deuxième écueil serait un manque de coordination de l'aide internationale. C'est pourquoi nous réunirons très prochainement à Bamako l'ensemble des bailleurs pour voir précisément, dans le cadre des priorités définies par les Maliens eux-mêmes, à quoi sera affectée l'aide apportée par chacun.

Vous raillez, monsieur Lellouche, notre projet de site internet. Ce n'est qu'un élément d'une panoplie de mesures prises pour s'assurer que l'aide est bien utilisée au service des populations. J'ai demandé à notre ambassadeur d'établir chaque mois un tableau de bord sur l'état d'avancement des projets. Si ce point d'étape mensuel révèle des manques, il faudra remonter la chaîne pour en identifier la cause exacte. L'intérêt d'un site internet, c'est qu'il permet une transparence totale et décentralise le contrôle de l'aide. Je suis en effet convaincu que si ce contrôle n'était exercé que par quelques personnes, quelle que soit leur bonne volonté, il ne pourrait pas être efficace. Je crois en notre initiative. Nous sommes en train de convaincre nos partenaires de s'y associer. Je verrai très prochainement à Bamako où en est concrètement le projet. Le site devrait être opérationnel sous quelques mois.

Plusieurs d'entre vous sont sceptiques quant aux élections. Notons pour l'heure qu'il y a de nombreux candidats à l'élection présidentielle. Nous n'avons de toute façon pas notre mot à dire là-dessus. Nous connaissons les faiblesses structurelles du système politique malien avec des partis qui n'en sont pas vraiment, liés d'abord à des personnes, des familles ou des territoires. Faudrait-il, au motif que le système n'est pas parfait, ne pas organiser d'élections ? Tel n'est pas notre avis. Comment le justifierait-on d'ailleurs ? Nous composons avec les contraintes que nous savons et sur lesquelles il ne nous est de toute façon pas possible d'agir aujourd'hui, en étant les plus offensifs possible sur le calendrier électoral et les modalités du vote.

Un bon indicateur sera la participation. S'il faut bien entendu d'abord que les gens puissent voter – c'est le sens de notre travail sur la gestion des listes électorales –, encore faut-il qu'ils le souhaitent. Nous travaillons, en lien avec le PNUD, à mobiliser la société malienne autour de ces élections. Le taux de participation est traditionnellement faible dans le pays, oscillant entre 20% et 30%. Si dans le contexte actuel, avec le très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, on arrivait à 30%, ce serait un succès.

Pour ce qui est de la situation à Kidal, je ne peux pas dire grand-chose ici, mais serais heureux de m'en entretenir avec vous dans un autre cadre que celui de cette audition publique. Nous discutons avec l'ensemble des parties des meilleures modalités pour que l'élection soit bien organisée à Kidal aussi, faute de quoi son résultat manquerait de légitimité.

Vous m'avez interrogé sur le domaine de l'eau et de l'assainissement. C'est l'un des secteurs prioritaires de notre action. En février dernier, nous avons relancé l'un des principaux projets de l'Agence française de développement (AFD) à Bamako, qui s'était interrompu avec le gel de l'aide internationale. L'installation d'une station de pompage directement dans le fleuve donnerait accès à l'eau potable à plus de 100 000 personnes. Enfin, l'un des principaux projets qui a été affecté à la France dans le cadre de la répartition évoquée plus haut consiste à créer une station de production d'eau potable à Kabala, laquelle alimenterait plus d'un million de personnes.

J'ai lu avec attention la note de MM. Lafourcade et Michailof. J'ai même demandé à M. Michailof une contribution spécifique dans le cadre du conseil d'analyse des politiques de développement (CAPD) que j'ai mis en place et dont il est membre. Pour autant, leur analyse ne me convainc pas totalement. Elle repose en effet sur des présupposés qui ne me paraissent pas correspondre à la réalité. Pourquoi, par principe, la France ferait-elle mieux que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne ou tel pays ? Nous nous engageons à la hauteur nécessaire et acceptons d'assumer un rôle informel de coordination, dans la mesure où notre pays est vraisemblablement le seul à avoir la légitimité pour réunir tous les acteurs autour d'une table. Mais de là à prétendre que la meilleure garantie d'efficacité serait que l'aide passe par un fonds de l'AFD labellisé France, il y a de la marge !

J'en viens aux pays du Golfe, monsieur Lellouche. Comment ne pas s'interroger sur le fait qu'ils soient les seuls, avec la Chine, à n'avoir pas participé à l'effort financier décidé à Bruxelles, comme ils ne l'avaient pas fait non plus pour les aspects militaires à Addis-Abeba ? Le discours tenu par le représentant de la Chine à Bruxelles sonnait étrangement et m'a personnellement choqué. Pourquoi ces deux régions du monde refusent-elles de jouer le jeu dans le cadre multilatéral et transparent qui a été proposé ? Je n'aurais rien contre des financements en provenance des pays du Golfe. Faudrait-il encore qu'il y en ait !

Quant à la banque d'investissement proposée par M. Gordon Brown, qu'est-ce qui la différencierait d'une banque comme la Banque africaine de développement qui est elle aussi une banque d'investissement, accordant des prêts et très peu de dons ? Je rappelle que l'aide de la France comporte 40% de prêts pour 60% de dons. Des équipements comme une centrale électrique ou une station de pompage, qui ont vocation à retirer des revenus de la vente d'électricité ou d'eau, sont en effet finançables sur prêt. Je n'y vois d'ailleurs aucune objection pour autant que les taux d'intérêt soient faibles et le remboursement suffisamment étalé. Qu'apporterait de plus la banque proposée par M. Brown ?

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