Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Canfin, ministre chargé du développement, sur l'aide au développement en faveur du Mali
La séance est ouverte à seize heures quinze.
Au nom de l'ensemble des membres de la commission, je vous remercie, monsieur le ministre délégué chargé du développement, de venir nous présenter les résultats de la conférence internationale des donateurs pour le développement du Mali qui s'est tenue à Bruxelles le 15 mai dernier. Cette conférence, qui a clos un cycle de réunions préalables, dont celle organisée en avril à Lyon sur la coopération décentralisée, a été un succès, réunissant plus d'une centaine de délégations étrangères et treize chefs d'État et de gouvernement. La communauté internationale a su se mobiliser en faveur du peuple malien.
Les engagements financiers qui y ont été pris sont supérieurs aux estimations initiales. Les promesses d'aide se montent finalement à 3,2 milliards d'euros, dont pour la France 280 millions d'euros d'aide bilatérale, en sus de notre contribution multilatérale et de notre participation à hauteur de 20% à l'aide apportée par l'Union européenne, qui s'élève à 520 millions d'euros.
Si l'aide financière est indispensable pour accompagner la sortie de crise au Mali, elle ne suffira pas. Ce pays n'a jamais jusqu'à présent pu se passer de l'aide publique au développement. Il en a reçu ces dernières années environ un milliard de dollars par an, sans hélas, de retombées concrètes pour le peuple malien. Un suivi rigoureux de l'aide a-t-il été prévu de façon à garantir qu'elle bénéficiera bien à la population ?
L'octroi de l'aide est lié à la reconstruction de l'État et à la poursuite du processus de réconciliation nationale. Cela passe par la mise en oeuvre de la feuille de route présentée par le président Traoré il y a quelques mois, et que le gouvernement de transition a fait sienne fin janvier. Cela passe aussi par la tenue des élections pour lesquelles certaines questions demeurent, politiques et techniques.
Nous aimerions, monsieur le ministre, vous entendre sur tous ces points.
La conférence des donateurs « Ensemble pour le renouveau du Mali », qui s'est tenue le 15 mai à Bruxelles, réunissant 108 délégations et treize chefs d'État et de gouvernement, dont le Président de la République française, a été un succès diplomatique pour la France et un rendez-vous réussi pour le Mali, la France, l'Union européenne et la communauté internationale dans son ensemble.
Notre premier objectif était quantitatif. Il s'agissait de mobiliser la communauté internationale à la hauteur des demandes exprimées par le Mali. Les besoins de développement du pays pour les deux prochaines années avaient été évalués à quatre milliards d'euros, dont deux devant être financés par les Maliens eux-mêmes et les deux autres par la communauté internationale. Nous sommes arrivés à un engagement cumulé de 3,2 milliards d'euros, dont 2,2 milliards correspondant à des crédits supplémentaires, un milliard consistant en des aides déjà prévues. La France a su mobiliser l'ensemble de la communauté internationale.
Le deuxième objectif était de mener à bien cette conférence dans un cadre original, franco-européen. C'est la première fois qu'une telle conférence était organisée conjointement par un pays membre et la Commission européenne. Nous avons su innover et mettre à profit la valeur ajoutée d'un travail mené en collaboration avec la Commission.
Le troisième objectif était de convaincre l'ensemble des pays que le décaissement de l'aide devait être subordonné à des avancées politiques dans le pays. Ce contrat figure clairement dans le document de conclusions de la conférence. En contrepartie de l'aide qui lui sera versée, le Mali s'engage à respecter les engagements de la feuille de route de janvier dernier, à organiser des élections le 28 juillet prochain et à poursuivre le processus de réconciliation en cours.
J'en profite pour faire ici un point sur les élections comme vous m'y avez invité, madame la présidente. Il faut impérativement que le premier tour de l'élection présidentielle ait lieu le 28 juillet prochain, comme l'engagement en a été pris. Il y va de la crédibilité de la parole politique. Si cet engagement-là ne devait pas être tenu, quelle serait la valeur des autres ?
Toutes les parties s'étant accordées sur la date du 28 juillet, reste maintenant à résoudre divers problèmes techniques. Il faut ainsi que les personnes déplacées puissent voter sans avoir à retourner dans leur région d'origine : nous y travaillons avec l'entreprise qui a obtenu le marché de la gestion biométrique des listes électorales et avec l'administration. Les réfugiés également doivent pouvoir voter : nous y travaillons avec le Haut commissariat aux réfugiés et les autorités. Il faut enfin qu'il soit possible de voter sur l'ensemble du territoire malien, y compris à Kidal. Nous y travaillons également.
Le quatrième objectif de la conférence de Bruxelles était de garantir la traçabilité de l'aide. Nous le devons au peuple malien comme aux contribuables français en ces temps de crise. L'utilisation de l'aide internationale au Mali jusqu'à présent nourrit trop de suspicions. Nous savons que des détournements ont pu avoir lieu.
Nous avons donc décidé de lancer une expérience pilote. Un site internet, accessible à tous, fera état de l'ensemble des projets financés par l'aide bilatérale française, avec indication de leur calendrier prévisible de réalisation. Toute ONG malienne pourra ainsi savoir que tel centre de santé financé par la France doit ouvrir à telle date dans tel village, telle piste doit être transformée en route à telle date, tel village être équipé à telle date d'une station de pompage ou d'épuration… Et si aux dates prévues, rien n'a été fait, il sera possible de le signaler auprès d'une hot line. Avec dix millions de téléphones portables en service au Mali, il ne devrait pas être trop difficile aux intéressés d'envoyer un SMS sur cette hot line. Je crois en cette décentralisation du contrôle citoyen de l'aide internationale pour en renforcer la transparence, l'efficacité, mais aussi l'appropriation par la société civile malienne. J'aurai l'occasion de travailler concrètement à ce projet lors de mon prochain déplacement à Bamako.
Il faut maintenant convaincre les bailleurs des institutions multilatérales de faire de même. Le délégué de l'Union européenne au Mali m'a indiqué que l'Union y était prête. Si la Banque mondiale et d'autres s'associent au projet, il sera possible de contrôler l'utilisation de la quasi-totalité de l'aide. Pour la première fois, aura été mis en place un système d'information et de pilotage totalement transparent et décentralisé.
Sur les 3,2 milliards d'euros promis au total, les engagements bilatéraux de la France s'élèvent à 280 millions, auxquels s'ajoutent ses engagements multilatéraux. L'ensemble de notre aide, bilatérale et multilatérale, en faveur du Mali dans les deux prochaines années représente 430 millions d'euros, contre 520 millions pour l'Union européenne, 390 millions pour la Banque mondiale et 240 millions pour la Banque africaine de développement. C'est dire que la France est à la hauteur de son rang et de ses responsabilités. Plus de la moitié de notre aide est constituée de dons, le reste de prêts, ce qui se justifie pour certains équipements.
L'efficacité de l'aide dépendra aussi d'une bonne organisation entre bailleurs. Nous avons tenu à ce que la stratégie, définie dans un document unique, soit validée par l'ensemble des bailleurs et les autorités maliennes. Ce document s'accompagne d'un tableau de bord des équipements prioritaires à financer. Je réunirai à Bamako les représentants des principaux bailleurs pour poursuivre la répartition des financements.
Il va nous falloir gagner maintenant ce que j'appelle « la bataille des six mois ». Il faut gagner la saison agricole cet été, gagner la rentrée scolaire, gagner le retour des réfugiés lorsque les conditions de sécurité et de confiance politique seront réunies – c'est là qu'il existe un continuum entre l'action militaire, l'action politique et le développement. L'Union européenne prendra en charge le financement de l'organisation du retour des réfugiés alors que la France financera plutôt le rétablissement des réseaux d'adduction d'eau et d'électricité et la réouverture des écoles. Depuis trois mois que l'aide internationale a repris, même si des centaines de milliers d'enfants ne sont toujours pas scolarisés, deux cents écoles ont pu rouvrir grâce à la contribution de la France, qu'elle ait servi à réhabiliter les équipements, fournir du matériel ou payer les enseignants. Il y a trois mois, il n'y avait plus du tout d'électricité à Gao ou à Tombouctou. L'alimentation électrique est aujourd'hui assurée sept heures par jour, de 6 heures à 8 heures du matin et de 19 heures à minuit.
Beaucoup reste encore à faire mais les services publics commencent à reprendre pied. La bataille n'est pas encore gagnée. Le succès dépend aussi de la capacité des Maliens à trouver entre eux un compromis politique, faute de quoi, nous le savons, les politiques de développement pourraient ne servir de rien. Soyez en tout cas assurés que notre pays prend toute sa part au développement du Mali. Je veille en permanence à ce que les crédits promis soient bien dégagés et à ce que leur utilisation soit contrôlée.
Les institutions maliennes ont été durement éprouvées ces dernières années. Avez-vous le sentiment que l'appareil administratif malien est en mesure de gérer correctement et avec toute la transparence voulue l'aide financière internationale ?
La question du développement du Mali ne peut être abordée sans prendre en compte les facteurs d'instabilité permanents dans la région. Les résultats obtenus lors de la conférence du 15 mai dernier constituent une bonne nouvelle et permettent d'espérer le retour du développement dans ce pays qui en a le plus grand besoin pour garantir sa stabilité politique. Une régionalisation de l'aide ne garantirait-elle pas une meilleure efficacité ? Quel est l'état d'avancement du site internet en projet ?
D'après un récent rapport de l'Organisation mondiale de la santé, 2,4 milliards de personnes dans le monde n'auraient pas accès à l'eau potable. L'accès à l'eau est crucial dans toute la bande sahélienne. Dans l'aide que nous accordons, des crédits spécifiques ont-ils été « fléchés » à cette fin ?
Je mesure la difficulté de la tâche de la France au Mali. Je vous prie donc, monsieur le ministre, de ne voir aucun caractère polémique dans mes propos.
Il semble qu'un compromis ait pu être trouvé – de haute lutte – pour que le premier tour de l'élection présidentielle ait lieu le 28 juillet. « Inch'Allah », serais-je tenté de dire. Mais quid du deuxième tour et des législatives ? Avez-vous le sentiment qu'il existe une véritable volonté d'organiser ces élections ? Les partis se mobilisent-ils vraiment ou n'est-ce que pour faire plaisir à la France qu'une date a été avancée ? Telle est mon inquiétude.
Pour ce qui est de la traçabilité et du contrôle de l'aide, l'intention est louable. L'expérience nous a appris qu'entre les sommes promises lors des conférences de donateurs et celles finalement versées, la différence est souvent considérable. Sur les 3,2 milliards d'euros promis, combien, à votre avis, seront octroyés et surtout combien correspondent à des crédits vraiment nouveaux ? Comment l'aide sera-t-elle coordonnée sur le terrain ? On en sait l'extrême difficulté dans les pays où il n'y a plus d'administration opérationnelle, comme on l'a vu en Afghanistan. La fraction arrivant effectivement dans les villages maliens risque d'être quantité négligeable par rapport à tout ce qui se sera perdu dans la multitude des organisations qui interviennent… et dont ne se plaindront pas les experts et les membres des ONG pour leurs per diem.
Permettez-moi d'être sceptique devant votre projet de site internet et de hot line. Pensez-vous vraiment qu'il permettra de s'assurer de l'utilisation de l'aide et que les acteurs feront part de leurs inquiétudes par téléphone portable ? Si d'aventure cela marchait, vous auriez mis en pratique au Mali la démocratie participative dont rêvait Ségolène Royal ! Mais, avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi d'en douter. J'aurais préféré qu'on mette en place un dispositif de coordination, piloté par un responsable désigné, et que l'on vérifie ensuite ministère par ministère si les actions prévues ont bien été réalisées.
Je reviens de Doha où l'ancien premier ministre britannique, Gordon Brown, a fait une proposition judicieuse. Il a en effet suggéré aux pays du Golfe de financer une banque d'investissement, dont les fonds seraient affectés à des projets précis. Quelle sera l'attitude du Gouvernement français sur cette proposition ? Cette approche ne serait-elle pas préférable à celle consistant à collecter des dons, qui au final se révèlent peu efficaces ?
Dans l'ensemble, les choses se passent plutôt bien en ce moment au Mali, grâce en particulier à l'action de la France. S'agissant des élections, ce que nous rapporte le nouvel ambassadeur de France est plutôt positif. Sur le plan technique, la numérisation des cartes électorales est bien engagée. Et sur le plan politique, quoi que l'on en dise, il y a bien plusieurs candidats en compétition. Ce qui m'inquiète le plus dans la perspective de ces élections, c'est la situation à Kidal. Cette capitale de l'une des trois régions libérées est en effet tenue par les forces du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) qui, en armes, « cohabitent » avec l'armée française. Comment les désarmer et les associer au processus de dialogue en cours ?
Tous les membres de notre commission ont reçu une note remarquable, cosignée d'Olivier Lafourcade et Serge Michaïlof, pointant le risque qui existe de ne pas parvenir à dégager et surtout à coordonner l'aide nécessaire au Mali et formulant des propositions pour y parer. J'aurais souhaité, monsieur le ministre, que vous vous en inspiriez davantage. Les deux auteurs proposent notamment que la France centralise l'ensemble des dons des bailleurs internationaux, qui ont du mal à être efficaces sur le terrain. L'idée de MM. Lafourcade et Michailof est de créer un fonds fiduciaire multibailleurs – lequel pourrait d'ailleurs recueillir, comme vient de le proposer M. Lellouche, des fonds en provenance du Golfe – et que celui-ci centralise l'ensemble de l'aide « projets » destinée au Mali, et portant dans les secteurs où notre pays dispose d'une compétence technique reconnue. La France deviendrait ainsi le réceptacle de cette aide. En effet, si on laisse chaque bailleur apporter sa contribution dans son coin et jouer seul sa petite musique, comme d'habitude en Afrique, cet argent fondra comme neige au soleil et ne servira à rien. Le risque est d'autant plus grand que l'État malien a quasiment disparu. Je suis d'ailleurs pour ma part sceptique sur sa capacité à se reconstruire dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, cela prendra du temps.
L'idée de ce fonds multibailleurs, que la France était en mesure d'imposer vu le rôle qu'elle a joué et joue encore au Mali, n'a pas été exploitée. Pourquoi ? Que pensez-vous de cette proposition ? Notre pays aurait pu demander aux organisations multilatérales, auxquelles elle contribue largement, d'abonder ce fonds, créé à son instigation, et espérer avoir un effet d'entraînement.
Pierre Lellouche et Michel Terrot ayant posé les questions que je souhaitais moi-même poser, je ne pense pas utile de les reprendre.
Pendant toute la crise, les douanes et le trésor public ont continué de fonctionner au Mali, ce qui a permis au pays de ne pas s'écrouler totalement, ce qu'il aurait dû faire depuis le coup d'État. On parle aujourd'hui des élections comme si c'était une première dans ce pays. Mais il s'en est tenu beaucoup depuis 1998, dont des législatives et des municipales, avec les aléas que l'on sait, mais le système a à peu près fonctionné. Il n'est pas vrai que tout redémarre aujourd'hui de zéro. En 1999, une Agence nationale d'investissement des collectivités territoriales a été créée, initiative exemplaire sur le continent africain. Cette agence, d'ailleurs dirigée depuis lors par un Touareg, a permis de financer des équipements structurants. Les collectivités locales et les ONG aussi ont joué un rôle important. L'association des municipalités maliennes, créée elle aussi en 1999, fonctionne tant bien que mal et traite de sujets importants comme la gouvernance et la décentralisation. Même si beaucoup reste à faire, ces acquis ne sont pas négligeables. Prenons appui dessus.
Comme François Loncle, c'est Kidal qui me préoccupe aujourd'hui. On ne prend pas assez en compte les positions de l'ensemble des familles touarègues des trois régions du Nord. Comment gérer aujourd'hui Kidal ?
La sécurisation de l'ensemble du Mali est encore loin d'être assurée et l'État est si affaibli qu'il n'est plus en mesure de remplir ses missions régaliennes, au premier rang desquelles la protection des populations. Quels sont, monsieur le ministre, vos interlocuteurs dans un pays où n'existe plus d'administration crédible, la corruption continuant de sévir de manière endémique ? Comment allez-vous les choisir ?
Plusieurs d'entre vous s'inquiètent du mauvais fonctionnement de l'État malien aujourd'hui. Notre intention est clairement de renforcer les collectivités locales. Tout d'abord, dans une logique d'efficacité des politiques publiques – là-bas comme ici. Ensuite, parce le compromis politique qui a pu être trouvé exige cette décentralisation. Pour la première fois, dans le document de conclusions adopté à l'issue de la conférence de Bruxelles, figure la notion d'aide budgétaire sectorielle décentralisée. Nous reprenons à notre compte ce dispositif que la Suisse a expérimenté avec succès il y a quelques années. Une partie des 3,2 milliards d'euros promis ira directement aux collectivités, pour les aider à rendre les services nécessaires à la population. Travailler avec les élus locaux présente aussi l'avantage de dépassionner le débat. Plus pragmatiques, plus proches du quotidien, les élus locaux sont moins obsédés par les grands affrontements traditionnels au Mali.
Vous craignez aussi, vu l'affaiblissement de l'État malien, que nous n'ayons pas d'interlocuteurs. Nous travaillons aujourd'hui avec le gouvernement de transition. Le Premier ministre, le ministre de l'économie et des finances, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la réforme territoriale, le ministre des affaires humanitaires… sont nos interlocuteurs, et nous obtenons d'eux, de manière fiable, toutes les informations dont nous avons besoin. Ils sont aussi en mesure d'identifier les lacunes, les besoins et les priorités.
Reste à renforcer les moyens de l'État, de façon que les fonctionnaires puissent revenir en toute sécurité à leur poste sur le terrain. La condition première est que le processus politique en cours aboutisse. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne : en haut, assurer la stabilité politique du pays, et en bas, apporter l'aide nécessaire, de façon qu'une fois les fonctionnaires revenus en poste, ils disposent de tous les outils, financiers notamment, pour travailler.
Nous faisons le double pari du renforcement des capacités de l'Etat et de la décentralisation. Réussira-t-il ? C'est en tout cas le seul que nous pouvons faire car il faut éviter deux écueils. Le premier serait de dessaisir l'État de toute responsabilité, comme cela a été fait à Haïti où, deux ans après le séisme, les services publics continuent d'être assurés par des ONG, ce qui n'est satisfaisant pour personne. C'est pourquoi nous cherchons d'emblée au Mali à renforcer l'État – ce qui suppose de lutter contre la corruption, d'où l'importance d'assurer la traçabilité de l'aide – et surtout à ne pas laisser se mettre en place de dispositifs parallèles. Le deuxième écueil serait un manque de coordination de l'aide internationale. C'est pourquoi nous réunirons très prochainement à Bamako l'ensemble des bailleurs pour voir précisément, dans le cadre des priorités définies par les Maliens eux-mêmes, à quoi sera affectée l'aide apportée par chacun.
Vous raillez, monsieur Lellouche, notre projet de site internet. Ce n'est qu'un élément d'une panoplie de mesures prises pour s'assurer que l'aide est bien utilisée au service des populations. J'ai demandé à notre ambassadeur d'établir chaque mois un tableau de bord sur l'état d'avancement des projets. Si ce point d'étape mensuel révèle des manques, il faudra remonter la chaîne pour en identifier la cause exacte. L'intérêt d'un site internet, c'est qu'il permet une transparence totale et décentralise le contrôle de l'aide. Je suis en effet convaincu que si ce contrôle n'était exercé que par quelques personnes, quelle que soit leur bonne volonté, il ne pourrait pas être efficace. Je crois en notre initiative. Nous sommes en train de convaincre nos partenaires de s'y associer. Je verrai très prochainement à Bamako où en est concrètement le projet. Le site devrait être opérationnel sous quelques mois.
Plusieurs d'entre vous sont sceptiques quant aux élections. Notons pour l'heure qu'il y a de nombreux candidats à l'élection présidentielle. Nous n'avons de toute façon pas notre mot à dire là-dessus. Nous connaissons les faiblesses structurelles du système politique malien avec des partis qui n'en sont pas vraiment, liés d'abord à des personnes, des familles ou des territoires. Faudrait-il, au motif que le système n'est pas parfait, ne pas organiser d'élections ? Tel n'est pas notre avis. Comment le justifierait-on d'ailleurs ? Nous composons avec les contraintes que nous savons et sur lesquelles il ne nous est de toute façon pas possible d'agir aujourd'hui, en étant les plus offensifs possible sur le calendrier électoral et les modalités du vote.
Un bon indicateur sera la participation. S'il faut bien entendu d'abord que les gens puissent voter – c'est le sens de notre travail sur la gestion des listes électorales –, encore faut-il qu'ils le souhaitent. Nous travaillons, en lien avec le PNUD, à mobiliser la société malienne autour de ces élections. Le taux de participation est traditionnellement faible dans le pays, oscillant entre 20% et 30%. Si dans le contexte actuel, avec le très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées, on arrivait à 30%, ce serait un succès.
Pour ce qui est de la situation à Kidal, je ne peux pas dire grand-chose ici, mais serais heureux de m'en entretenir avec vous dans un autre cadre que celui de cette audition publique. Nous discutons avec l'ensemble des parties des meilleures modalités pour que l'élection soit bien organisée à Kidal aussi, faute de quoi son résultat manquerait de légitimité.
Vous m'avez interrogé sur le domaine de l'eau et de l'assainissement. C'est l'un des secteurs prioritaires de notre action. En février dernier, nous avons relancé l'un des principaux projets de l'Agence française de développement (AFD) à Bamako, qui s'était interrompu avec le gel de l'aide internationale. L'installation d'une station de pompage directement dans le fleuve donnerait accès à l'eau potable à plus de 100 000 personnes. Enfin, l'un des principaux projets qui a été affecté à la France dans le cadre de la répartition évoquée plus haut consiste à créer une station de production d'eau potable à Kabala, laquelle alimenterait plus d'un million de personnes.
J'ai lu avec attention la note de MM. Lafourcade et Michailof. J'ai même demandé à M. Michailof une contribution spécifique dans le cadre du conseil d'analyse des politiques de développement (CAPD) que j'ai mis en place et dont il est membre. Pour autant, leur analyse ne me convainc pas totalement. Elle repose en effet sur des présupposés qui ne me paraissent pas correspondre à la réalité. Pourquoi, par principe, la France ferait-elle mieux que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne ou tel pays ? Nous nous engageons à la hauteur nécessaire et acceptons d'assumer un rôle informel de coordination, dans la mesure où notre pays est vraisemblablement le seul à avoir la légitimité pour réunir tous les acteurs autour d'une table. Mais de là à prétendre que la meilleure garantie d'efficacité serait que l'aide passe par un fonds de l'AFD labellisé France, il y a de la marge !
J'en viens aux pays du Golfe, monsieur Lellouche. Comment ne pas s'interroger sur le fait qu'ils soient les seuls, avec la Chine, à n'avoir pas participé à l'effort financier décidé à Bruxelles, comme ils ne l'avaient pas fait non plus pour les aspects militaires à Addis-Abeba ? Le discours tenu par le représentant de la Chine à Bruxelles sonnait étrangement et m'a personnellement choqué. Pourquoi ces deux régions du monde refusent-elles de jouer le jeu dans le cadre multilatéral et transparent qui a été proposé ? Je n'aurais rien contre des financements en provenance des pays du Golfe. Faudrait-il encore qu'il y en ait !
Quant à la banque d'investissement proposée par M. Gordon Brown, qu'est-ce qui la différencierait d'une banque comme la Banque africaine de développement qui est elle aussi une banque d'investissement, accordant des prêts et très peu de dons ? Je rappelle que l'aide de la France comporte 40% de prêts pour 60% de dons. Des équipements comme une centrale électrique ou une station de pompage, qui ont vocation à retirer des revenus de la vente d'électricité ou d'eau, sont en effet finançables sur prêt. Je n'y vois d'ailleurs aucune objection pour autant que les taux d'intérêt soient faibles et le remboursement suffisamment étalé. Qu'apporterait de plus la banque proposée par M. Brown ?
Vous continuez, monsieur le ministre, de raisonner en termes de dons alors qu'il faudrait chercher les moyens de financer des projets précis. Cette banque d'investissement associerait des bailleurs comme la Chine et les pays du Golfe qui aujourd'hui ne contribuent pas. Il ne serait pas raisonnable de laisser les pays du Sahel, qui sont à la fois parmi les plus pauvres du monde et ceux où la croissance démographique est la plus forte, à la seule charge de la France. La population malienne, qui était de dix millions d'habitants en 2000, est aujourd'hui de quinze millions et sera de cinquante millions dans un quart de siècle. Il est significatif que le président de la République sénégalais, M. Macky Sall, ait d'ores et déjà changé d'approche, recherchant des outils de financement modernes pour les projets prioritaires de son pays plutôt que des dons. Et il s'est tourné vers les pays du Golfe.
Un dernier mot, monsieur le ministre. Attention à la décentralisation ! Lorsqu'il n'y a plus d'État dans un pays, c'est un pari risqué car elle ne peut réussir que s'il y a des élites non corrompues pour la mettre en oeuvre. J'ai en tête l'exemple de l'Indonésie où elle constitue aujourd'hui la principale entrave. Étant donné la situation au Mali, notre premier souci devrait être d'y restaurer ou instaurer un État et de soutenir le processus de réconciliation.
La priorité n'est ni à la décentralisation ni aux conférences de donateurs. Il faut partir de projets concrets. Comme il n'y a pas d'administration au Mali, il nous revient d'aider les Maliens à élaborer un plan de développement et à en trouver le financement.
Monsieur Lellouche, conférence de donateurs ne signifie pas nécessairement dons. D'ailleurs, je l'ai dit, l'aide de la France au Mali est composée à 40% de prêts.
Ensuite, se pose une question géopolitique stratégique. Faut-il mettre en place avec la Chine et les pays du Golfe des institutions parallèles ou au contraire, si ces pays acceptent d'en jouer le jeu, les inviter à s'associer aux institutions multilatérales existantes ? La question doit être tranchée. En effet, une fois créées des institutions parallèles, il existe un risque de conflit de légitimité. Mais soyez rassuré, monsieur Lellouche, le plan pour la relance durable du Mali est bien structuré par priorités et par projets, identifiés comme tels.
La première priorité au Mali est de préserver la crédibilité de la parole publique. C'est pourquoi nous insistons sur la tenue des élections. La deuxième priorité est de coordonner au mieux l'aide, de façon à en garantir l'efficacité. Nous le devons au peuple malien comme aux contribuables français. La troisième priorité est de définir le modèle de développement souhaité. Étant donné la très forte croissance démographique des pays du Sahel et la tension actuelle sur les ressources naturelles, les modèles actuels seront difficilement soutenables et il faut éviter la fuite en avant. Car alors aucune aide publique au développement, quel qu'en soit le montant, ne pourrait plus être efficace. Aujourd'hui, il pleut 30% de moins qu'il y a dix ans dans la bande sahélienne, aux terres déjà ingrates. L'écosystème sahélien, déjà fragile, est encore fragilisé par les évolutions climatiques. Réfléchissons, avec l'ensemble des partenaires, aux modèles de développement que nous souhaitons encourager à travers notre aide, bilatérale ou multilatérale, si nous ne voulons pas dépenser notre argent pour rien ni envoyer les Maliens dans le mur.
Monsieur le ministre, nous vous remercions. Nos collègues François Loncle et Pierre Lellouche suivent de très près la situation au Mali. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour y gagner la paix.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.