Intervention de Colette Capdevielle

Réunion du 29 mai 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

En raison de son importance et de sa complexité, la question de la laïcité mérite d'être traitée globalement, et non à travers le prisme d'une proposition de loi de circonstance et d'émotion, qui fait suite à une décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation – d'autant que, si l'affaire « Baby Loup » a fait couler beaucoup d'encre, on a beaucoup moins glosé sur l'affaire « Caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis », pourtant tout aussi intéressante.

À titre liminaire, permettez-moi de rappeler que le président de la République a installé, le 8 avril dernier, l'Observatoire de la laïcité, dont la création avait été décidée en 2007, mais qui était resté lettre morte. Il en a confié la présidence à M. Jean-Louis Bianco, et quatre parlementaires en sont membres de droit : Mmes Françoise Laborde et Marie-Jo Zimmermann, MM. Jean Glavany et François-Noël Buffet ; l'opposition parlementaire y est donc représentée. Cet observatoire a pour mission d'assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics : il collectera des données ; il produira des analyses, des études et des recherches ; il pourra saisir le Premier ministre et lui proposer toute mesure permettant une meilleure mise en oeuvre de ce principe ; il pourra être consulté sur des projets de loi. L'Observatoire dressera prochainement un état des lieux, qui fera notamment le point sur les dernières dispositions légales de 2004 et de 2010, et il déposera à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet un rapport intermédiaire, qui formulera des recommandations précises. Son action s'inscrit dans une volonté d'apaisement, de dialogue, de respect et de non-stigmatisation pour un meilleur vivre et un meilleur travailler ensemble.

Cela étant posé, j'en reviens à la proposition de loi. Les deux articles qui la composent visent à modifier le code du travail pour fixer un cadre permettant aux entreprises de droit privé de réglementer le port de signes religieux à l'intérieur de l'entreprise. L'article 1er restreint la protection des droits et libertés individuelles des salariés, qui sont pourtant garanties par le code du travail. L'article 2 permet aux entreprises d'insérer directement dans leur règlement intérieur des dispositions réglementant le port de signes et les manifestations de l'appartenance à une religion.

En raison du travail déjà effectué par l'Observatoire de la laïcité, ce texte de circonstance n'a pas sa place aujourd'hui. Nous refusons l'instrumentalisation du débat sur la laïcité et la stigmatisation d'une religion. Reconnaissons que nous faisons nous-mêmes des entorses au dogme de la laïcité lorsque les cantines servent du poisson le vendredi et que les vacances scolaires sont calquées sur les fêtes religieuses catholiques. Certes, nous ne méconnaissons pas l'augmentation des demandes à caractère religieux au sein des entreprises, et l'enquête publiée hier par l'OFRE note l'importance croissante du fait religieux dans les entreprises. Toutefois, on y apprend aussi que la plupart des demandes se règlent à l'amiable et que 94 % des problèmes liés au fait religieux sont résolus par les responsables des ressources humaines, grâce à une négociation entre partenaires sociaux. Cela montre qu'il n'est peut-être pas pertinent de légiférer en la matière.

En outre, nous exprimons les plus vives réserves sur la constitutionnalité de la proposition de loi, en raison de l'absence de critères précis, notamment dans l'article 1er. Le texte, beaucoup trop généraliste, est de nature à contrevenir aux dispositions des articles 4 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il risque également d'être censuré pour inconventionnalité au titre de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen, qui est directement applicable dans l'ordre juridique interne – surtout si l'on fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, dans un arrêt du 15 janvier 2013, a estimé que le port par une hôtesse de l'air d'une croix sur son uniforme ne nuisait pas à l'image de marque de la compagnie aérienne British Airways. Nous attendons également l'arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public, tel qu'il est inclus dans la loi de 2010.

Selon nous, c'est par le dialogue, la négociation, le consensus et l'apaisement que les questions liées à la laïcité doivent être traitées. Les partenaires sociaux souhaitent-ils réellement que nous légiférions en la matière ? Si tel est le cas, il conviendrait de définir clairement la base juridique qui permettrait de le faire.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de cette proposition de loi.

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