Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 29 mai 2013 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine d'abord, sur le rapport de M. Olivier Dassault, la proposition de loi constitutionnelle de MM. Olivier Dassault, Damien Abad, Bernard Accoyer et plusieurs de leurs collègues (n° 567), ainsi que la proposition de loi organique de MM. Olivier Dassault, Damien Abad, Bernard Accoyer et plusieurs de leurs collègues (n° 568), tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales.

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Il ne se passe pas une année sans que nous ne votions des mesures fiscales qui bouleversent les bases des calculs microéconomiques sur lesquels sont fondées les décisions d'investissement, d'emploi et de production de nos concitoyens. Les derniers débats budgétaires l'ont encore montré : je pense notamment à la fiscalisation des heures supplémentaires, que la majorité avait initialement envisagé de faire rétroagir au 1er janvier 2012, avant de reculer sous la pression de l'opposition et de l'opinion, pour finalement lui donner effet à compter du 1er septembre de la même année. Je pense aussi à la suppression rétroactive du caractère libératoire du prélèvement forfaitaire opéré sur les dividendes et les produits de placement en 2012. Cette mesure particulièrement choquante qu'a votée l'actuelle majorité heurtait à ce point les fondements de notre droit que le Conseil constitutionnel l'a déclarée non conforme à la Constitution, faute d'être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

L'article 2 de notre code civil l'énonce clairement : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. »

Portalis le disait au Corps législatif en 1803, il s'agit là d'une « des vérités utiles qu'il ne suffit pas de publier une fois, mais qu'il faut publier toujours, et qui doivent sans cesse frapper l'oreille du magistrat, du juge, du législateur ». Il ajoutait : « L'office des lois est de régler l'avenir [...] Loin de nous l'idée de ces lois à deux faces, qui, ayant sans cesse un oeil sur le passé, et l'autre sur l'avenir, dessécheraient la source de la confiance, et deviendraient un principe éternel d'injustice, de bouleversement et de désordre. »

Or nous l'oublions trop souvent : le principe de non-rétroactivité des lois en matière civile n'étant posé que par une loi ordinaire, donc dépourvue de valeur constitutionnelle, le législateur n'a de cesse, depuis des décennies, d'y déroger, particulièrement en matière fiscale. C'en est au point qu'un conseiller d'État, M. Olivier Fouquet, a pu écrire que « la rétroactivité des lois fiscales donne à la France, cet “État de droit” des discours officiels, l'image d'une République bananière ».

Les dispositions rétroactives ont proliféré dans le domaine fiscal sous différentes formes.

Certaines d'entre elles sont « juridiquement » rétroactives, c'est-à-dire qu'elles sont rétroactives au sens strict : la loi fiscale s'applique alors à des faits générateurs d'imposition qui sont survenus avant son entrée en vigueur. C'est notamment le cas des lois de validation et d'interprétation.

D'autres dispositions législatives sont « rétrospectives ». Il s'agit de mesures de la loi de finances de l'année qui s'appliquent aux opérations survenues la même année, mais souvent bien avant l'adoption de cette loi. Une fiction juridique veut que le fait générateur de l'impôt survienne le dernier jour de l'année civile pour l'impôt sur le revenu, et à la date de clôture de l'exercice – qui est le plus souvent fixée au 31 décembre – pour l'impôt sur les sociétés, de sorte que la loi de finances, promulguée en général un ou deux jours auparavant, s'applique à ce fait générateur de façon non rétroactive.

Si, juridiquement, la loi de finances n'est pas « rétroactive », il n'en demeure pas moins qu'elle est « rétrospective » puisqu'elle trouve à s'appliquer à des opérations survenues le plus souvent plusieurs mois auparavant, de sorte que, pour reprendre les mots d'un membre du Conseil d'État, devenu un éminent avocat fiscaliste, « le contribuable ignore, au moment où il accomplit l'acte générateur de revenu, quel sera le régime applicable ». Ce « suspens fiscal » est déroutant pour les particuliers comme pour les entreprises. Il est d'autant plus étonnant qu'il n'est entretenu en France que depuis 1948. Auparavant, dans notre pays, comme dans d'autres encore aujourd'hui, la loi fiscale applicable aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année n était celle en vigueur au 1er janvier de ladite année n.

Enfin, des dispositions législatives qui ne sont pas juridiquement rétroactives, puisqu'elles ne disposent que pour l'avenir, peuvent néanmoins être « économiquement » rétroactives dans la mesure où elles bouleversent le traitement fiscal des situations en cours, par exemple en supprimant pour l'avenir un avantage fiscal antérieurement institué pour une durée déterminée. Parce qu'elles modifient les fondements sur lesquels les contribuables ont pris leurs décisions d'emploi, de production et d'investissement dans le passé, ces mesures constituent de véritables ruptures des engagements de l'État et trahissent la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans leurs institutions et dans leurs représentants.

Cette rétroactivité « aux multiples visages », comme dirait notre collègue Jean-Luc Warsmann, a contribué à placer la France au 169e rang des 185 pays étudiés en 2012 par le cabinet PricewaterhouseCoopers en matière d'attractivité fiscale pour les entreprises. Selon l'OCDE, l'impossibilité d'avoir une vision exacte du régime fiscal et social applicable l'année suivante vient en tête des raisons avancées par les étrangers pour renoncer à un investissement en France.

Les créateurs de richesse quittent le territoire national pour investir chez nos concurrents : l'an passé, les départs de chefs d'entreprise vers l'étranger ont été multipliés par cinq.

Ceux de nos concitoyens qui investissent encore leur épargne en France n'ont de cesse d'interpeller les responsables politiques, les exhortant à inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité des lois fiscales.

Dans un contexte de crise économique et de concurrence fiscale acharnée, il est urgent de favoriser l'attractivité du territoire français et de restaurer un climat de confiance propice à l'afflux de nouveaux investisseurs. Le président de la République ne dit d'ailleurs pas autre chose. C'est aussi ce que s'efforce de faire l'association « Génération entreprise-Entrepreneurs associés », que j'ai créée en 2002 avec M. Jean-Michel Fourgous, alors député des Yvelines, pour promouvoir l'esprit d'entreprise.

C'est aussi l'un des projets de l'UMP, puisque la quatorzième des vingt et une propositions en matière fiscale qu'elle a formulées en mars dernier est de « restaurer la confiance fiscale en assurant la non-rétroactivité et la stabilité dans le temps des mesures fiscales ».

Le juge, qu'il soit européen, constitutionnel, judiciaire ou administratif, s'est efforcé de pallier la carence du pouvoir constituant, mais le temps est venu, mes chers collègues, de restaurer l'État de droit et de conférer une valeur constitutionnelle au principe de non-rétroactivité des lois fiscales. C'est l'objet de la proposition de loi constitutionnelle que moi-même et de nombreux collègues avons déposée le 19 décembre dernier.

L'article unique de cette proposition de loi constitutionnelle tend à modifier la rédaction du cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui définit le domaine de la loi en y intégrant notamment « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

Susceptible d'être précisé à la marge par l'amendement purement rédactionnel que j'ai déposé, cet article unique vise à graver dans le marbre de notre loi fondamentale le principe selon lequel les règles relatives à l'assiette et au taux des impositions de toutes natures ne peuvent pas être rétroactives, ainsi qu'à inscrire dans notre Constitution le principe de sécurité juridique qui figure à l'article 9 de la Constitution espagnole, que nos voisins allemands et le juge européen ont depuis longtemps adopté sous la forme du principe de « confiance légitime », que le Conseil d'État a expressément reconnu dans un arrêt de 2006, mais que le Conseil constitutionnel se refuse toujours à consacrer.

Une fois ancré dans notre Constitution, le principe de non-rétroactivité des lois fiscales pourra être détaillé et faire l'objet d'aménagements dans le cadre d'une loi organique qui, vous le savez, ne peut intervenir que dans les domaines et pour les objets limitativement énumérés par la Constitution : afin de préciser les contours du principe de non-rétroactivité des lois fiscales et les exceptions qui doivent être admises, dans l'intérêt du contribuable, j'ai donc déposé avec de nombreux collègues une proposition de loi organique, inspirée par les initiatives prises dans le passé par MM. Nicolas Sarkozy, alors député, Philippe Marini, Alain Suguenot, Charles Millon, Michel Meylan ou encore Jean-Claude Carle, auxquels je tiens à rendre hommage.

L'article 1er de cette proposition de loi organique réaffirme d'abord avec force le principe selon lequel les lois relatives à l'assiette et au taux des impositions ne disposent que pour l'avenir. Le vecteur de la loi organique permet de s'assurer que le principe de non-rétroactivité des lois fiscales sera observé par le législateur non seulement dans les lois ordinaires, mais aussi et surtout dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, qui ne pourront ni méconnaître les dispositions de la loi organique ni empiéter sur son domaine.

Cependant, dans la mesure où la rétroactivité des lois fiscales n'est pas toujours préjudiciable au contribuable, il est impératif d'y aménager des exceptions. C'est tout le sens de ce même article 1er qui propose d'admettre la validité des dispositions législatives diminuant rétroactivement l'assiette ou le taux des impôts indirects.

Concrètement, il s'agit de préserver la possibilité, pour le législateur, de faire rétroagir la baisse d'un taux de TVA à la date de son annonce, afin d'éviter que les consommateurs ne diffèrent leurs achats entre cette date et la date de promulgation de la loi de finances. Ces reports d'opérations pourraient en effet avoir des conséquences particulièrement dommageables sur l'économie.

Par ailleurs, afin de traduire dans la loi organique la jurisprudence élaborée par le Conseil constitutionnel au sujet des lois fiscales rétroactives, notamment des lois de validation fiscales, le dernier alinéa de l'article 1er réserve au législateur la possibilité d'adopter des mesures qui modifient rétroactivement les règles d'assiette des impositions dès lors que ces mesures reposent sur un motif d'intérêt général.

Néanmoins, depuis 1998, lorsqu'il examine la constitutionnalité de lois fiscales rétroactives, le juge constitutionnel procède à un contrôle renforcé, car il exige que ces lois soient justifiées par un motif d'intérêt général suffisant, qui ne peut s'entendre d'un motif purement financier, comme il l'a récemment encore rappelé dans une décision du 29 décembre dernier.

Afin de préciser la rédaction de ce dernier alinéa en tirant toutes les conséquences de l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, je vous proposerai un amendement de réécriture globale de l'article 1er de la proposition de loi organique. Cet amendement permettra en outre, dans un souci de protection du contribuable, d'étendre le principe de non-rétroactivité aux dispositions fiscales « économiquement » rétroactives, d'abord en écartant l'application aux contrats en cours de dispositions fiscales qui, quoique non rétroactives juridiquement, auraient pour effet d'en bouleverser l'équilibre financier, et ensuite en interdisant la remise en cause par une loi ultérieure d'un dispositif fiscal incitatif qu'une loi antérieure a institué pour une durée précisément déterminée, sauf s'il s'agit de le rendre plus favorable au contribuable avant le terme initialement fixé.

L'établissement d'un impôt économiquement rétroactif est contraire à la liberté fondamentale qu'ont nos concitoyens de pouvoir déterminer leurs actes en fonction d'un état du droit. L'absence de garantie constitutionnelle altère l'esprit d'entreprise des contribuables. L'instabilité de l'environnement juridique de l'entreprise et des particuliers tend à les dissuader de développer leurs activités, de consommer ou d'investir.

L'utilisation intempestive de la rétroactivité en matière fiscale affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale, car les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales quand ils savent que celles-ci peuvent être remises en cause dans une ou plusieurs années. Aussi le pouvoir constituant doit-il intervenir pour apporter à nos concitoyens la sécurité juridique qu'ils appellent de leurs voeux.

Il ne tient qu'à vous, mes chers collègues, de répondre aux attentes de nos concitoyens en adoptant ces deux propositions de loi.

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Voilà un texte que nous avons toujours appelé de nos voeux, mais que nous n'avons hélas jamais voté ! L'insécurité juridique est forte dans notre pays, tout particulièrement sur le plan fiscal, ce qui entretient un climat de défiance peu propice aux investissements à long terme. Il est temps, à l'exemple de pays comme l'Espagne ou l'Allemagne, de garantir une stabilité beaucoup plus forte.

Le vote de ces deux propositions de loi permettra aux investisseurs et aux particuliers de disposer d'une véritable visibilité. L'attractivité de notre pays sera renforcée, pour les étrangers comme pour nos concitoyens, car rien n'est pire, lorsque l'on veut investir, que de ne pas connaître les règles qui seront appliquées. Nous tenons là, en début de législature, une occasion unique de renforcer la confiance et l'État de droit.

Bien sûr, il sera toujours possible de modifier la loi fiscale, mais il est important, lorsque l'on a une décision à prendre, de connaître les règles du jeu et d'être certain qu'elles ne seront pas modifiées. Tous les membres de la Commission auront, je crois, été convaincus par l'exposé de notre rapporteur, que je remercie chaleureusement de son initiative.

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Ce texte n'ayant, à l'évidence, aucun caractère politique, je vais me contenter d'une analyse technique ! Sur le fond, nos positions sur les questions d'attractivité de notre territoire et de sécurité juridique ne sont d'ailleurs pas très éloignées.

Vous avez déjà présenté plusieurs fois des textes semblables – vous avez, monsieur le rapporteur, oublié de citer Pascal Clément en 1991. Le texte de MM. Sarkozy, Debré et Douste-Blazy n'était pas exactement de même nature, puisqu'il remettait en cause l'annualité budgétaire.

Nous ne sommes pas favorables à vos propositions de loi, qui nous paraissent techniquement dangereuses et difficiles à mettre en oeuvre ; de plus, le but recherché est en réalité satisfait par la jurisprudence de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État, et de la Cour européenne des droits de l'homme.

Personne, je crois, ne contestera qu'il est parfois nécessaire de voter des lois de validation, lorsque le législateur s'est trompé : ainsi, en 1993, une simple erreur dans la procédure – le législateur n'avait pas suffisamment précisé la notion de puissance fiscale – aurait pu conduire à l'annulation de toutes les recettes liées à la vignette automobile et à l'imposition de moteurs de plaisance !

Il faut aussi pouvoir clarifier des textes, pour lutter contre l'optimisation fiscale – et les cabinets d'avocats fiscalistes travaillent dur ! –, voire contre l'évasion fiscale, et éviter que la jurisprudence ne soit pas conforme à la volonté de la représentation nationale.

Il faut enfin pouvoir neutraliser le délai entre l'annonce d'une mesure fiscale et sa mise en oeuvre. Ainsi, en 1999, a été prise la décision d'assujettir à une taxe sur les plus-values les contribuables qui transféraient leur domicile hors de France : l'entrée en vigueur de ce texte a été fixée au jour de sa discussion en conseil des ministres. Sinon, les gens se seraient organisés pour ne pas tomber sous le coup de la loi au moment où elle serait entrée en vigueur.

Sur la « petite rétroactivité », c'est-à-dire l'imposition de l'année qui précède, nous pourrions être d'accord, mais il y aurait une solution beaucoup plus simple, dont nous avons parlé pendant la campagne électorale, pour régler le problème : la retenue à la source.

D'autre part, le contribuable est déjà protégé par l'interdiction de porter atteinte à l'autorité de la chose jugée, comme par l'interdiction d'instaurer des sanctions plus sévères en matière fiscale – le Conseil constitutionnel a d'ailleurs renforcé sa jurisprudence. Il est également protégé, parce que l'on ne peut évidemment pas faire renaître des prescriptions légalement acquises. Enfin, vous l'avez dit, le Conseil constitutionnel considère que la loi rétroactive doit être fondée sur un motif d'intérêt général suffisant. Votre proposition de loi organique est de ce point de vue moins protectrice que sa jurisprudence actuelle, puisqu'elle n'impose qu'un simple contrôle de proportionnalité en mentionnant un intérêt général « suffisant ».

Enfin, vous vous trompez sur la situation allemande. En Italie, en Belgique, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne même, la situation est peu ou prou la même que la nôtre.

Ne votons donc pas cette proposition de loi, même si, je le répète, elle ne présente à l'évidence aucun caractère politique…

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Je n'ai rien à ajouter à l'excellente argumentation de notre collègue Yves Goasdoué, si ce n'est que, pour qu'une loi fiscale ne puisse être rétroactive, il faut un principe constitutionnel. Il ne suffit pas de l'écrire dans une loi organique : celle-ci n'a pas, contrairement à ce que l'on croit souvent, de valeur normative supérieure à la loi ordinaire. Votre proposition de loi n'est donc qu'une proclamation, un appel au Conseil constitutionnel pour qu'il dégage un principe.

Il n'est pas possible de prévoir ainsi, de façon mécanique, une interdiction de la rétroactivité comme cela a été très bien expliqué. En revanche, l'idée de stabilité fiscale me semble une piste de réflexion très opportune. Je n'y suis pas opposée du tout.

Enfin, toutes les enquêtes montrent que la France est l'un des pays les plus attractifs pour les investisseurs, qui prennent en considération la force de ses services publics, la qualité de son système scolaire et la richesse en ressources humaines des territoires. Notre problème, c'est plutôt que l'attractivité de l'Île-de-France est beaucoup plus grande que celle des autres régions : tous les députés travaillent à renforcer celle de leur circonscription. Si le patriotisme économique des grands groupes soutenus par le contribuable français depuis de longues années pouvait jouer un rôle en ce sens, monsieur Dassault, alors nous aurions fait progresser le redressement de notre pays !

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C'est étonnant : chaque fois qu'il est question d'argent, les grands principes en prennent un coup, et un rude ! Le code civil, le code pénal, la Déclaration des droits de l'homme interdisent tous la rétroactivité de la loi. Il n'y a qu'en matière fiscale qu'elle est possible ! Mais les grands principes, qui constituent notre socle démocratique, peuvent-ils connaître des exceptions sous le seul motif qu'il s'agit d'argent ? Si l'on répond par l'affirmative, on ouvre la porte à d'autres excès ! Ces propositions de loi me paraissent donc bonnes sur le principe, quoique discutables sur la forme : l'argent ne peut pas être roi !

Mais, si on tolère des exceptions au principe de non-rétroactivité, les principes généraux du droit seront de plus en plus souvent bafoués – ils le sont déjà, et c'est très inquiétant, car cela crée une grande insécurité juridique. Pour la sécurité de chacun, et pas forcément pour la protection du fric, rappelons donc une fois pour toutes que la loi ne peut pas être rétroactive. Je veux être clair : je regrette d'avoir à tenir ces propos sur la loi fiscale ; j'aurais préféré les dire sur une autre matière. Mais aller ainsi de concession en concession peut un jour devenir dangereux.

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Je suis ici l'inlassable défenseur de la simplification : la loi française est devenue inconnaissable, donc impraticable pour les citoyens. Il s'agit d'en revenir à nos principes : les lois fiscales ne doivent pas déroger au droit commun. Dans les décisions d'investissement, la fiscalité est un facteur très important. Si l'on choisit un investissement amortissable sur dix ans, et que les règles fiscales changent avant le terme des dix années, cela ne va pas ! Imaginez un chirurgien dentiste qui ne respecte pas un devis remis à son patient : que dirait le patient ? Que dirait la loi ? Elle le sanctionnerait durement.

Aujourd'hui, les citoyens ont le sentiment que les promesses n'engagent pas les hommes politiques, qu'ils font face à un État menteur, escroc. On ne peut pas l'accepter. J'appuie donc la proposition de M. le rapporteur.

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Je veux d'abord féliciter notre rapporteur pour son travail. Depuis plusieurs siècles, nous avons trouvé un équilibre en matière de loi pénale, avec la non-rétroactivité d'une loi pénale plus dure ; il nous faut en trouver un en matière fiscale, car la situation actuelle altère l'attractivité économique de notre pays et porte atteinte à la crédibilité de notre droit.

Ainsi, le crédit d'impôt recherche, qui est l'un des dispositifs qui rendent notre pays très attractif, a été affaibli par les débats récurrents lors du vote de chaque loi de finances ; nous avons perdu des implantations de laboratoires de recherche, car ce dispositif était considéré comme non sécurisé. Cette instabilité nuit au succès des investissements à long terme, donc à l'attractivité de notre pays et par répercussion à nos finances publiques.

Le législateur doit, bien sûr, pouvoir rectifier des erreurs ou des mésinterprétations, mais l'équilibre actuel, je le répète, n'est pas satisfaisant. Notre rapporteur a eu raison de mettre ce débat à l'ordre du jour.

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Je saisis l'occasion de ce débat pour souligner que le problème se pose aussi en matière pénale : la rétroactivité de la loi a été appliquée, il y a deux ans, après le drame de l'assassinat de la jeune Léa. Les aveux de son assassin, enregistrés le 1er janvier, ont été annulés parce que, quelques mois plus tard, malgré un vote de l'Assemblée nationale, l'administration a conclu à la rétroactivité de la loi à compter du 1er janvier.

Nous sommes dans une situation dramatique : la question de la rétroactivité est souvent utilisée de façon aléatoire. Son sens juridique est perdu. Nous avons besoin de vivre dans la sécurité juridique. Nous ne pouvons nous contenter de naviguer au gré des errements administratifs ou politiques !

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Madame Le Dain, il n'est ici question que de rétroactivité fiscale.

Gilbert Collard a eu raison d'affirmer que l'interdiction de la rétroactivité fiscale serait une bonne chose. Ne faisons pas de complexes, n'ayons pas peur de traiter de droit fiscal !

Merci, monsieur Goasdoué, pour la précision de votre analyse. J'ai cité Pascal Clément dans mon rapport, mais je souligne ici que son initiative était beaucoup plus radicale que la mienne, puisqu'elle portait sur la rétroactivité en général.

Je sens poindre ce matin un certain consensus. Mme Bechtel a raison d'appeler de ses voeux la stabilité ; mais c'est justement l'étape qui précède la non-rétroactivité. Nous souhaitons aller dans la même direction : pourquoi ne pas faire un effort ? Je souligne également que je dépose à la fois une proposition de loi organique et une proposition de loi constitutionnelle : si le principe n'est pas inscrit dans la Constitution, il risque d'être bafoué.

Je remercie de leur soutien MM. Gosselin et Warsmann. Même si ces textes ne sont pas votés cette fois, nous aurons pris date.

Nous avons beaucoup parlé d'intérêt général. Droite ou gauche, nous avons tous beaucoup abusé de cette notion, et nous l'avons surtout trop systématiquement associée à l'idée d'exception. En matière fiscale, chaque année est exceptionnelle ! L'intérêt général, aujourd'hui, doit être mieux défendu et mieux précisé.

Monsieur Goasdoué, c'est justement parce que le Conseil constitutionnel se refuse à le consacrer qu'il faut une loi constitutionnelle pour prévoir ce principe de confiance légitime. Il faut prévoir la possibilité de voter des lois de validation si elles sont favorables au contribuable, comme il faut prévoir des mesures pour ce qui est du délai qui s'écoule entre l'annonce d'une mesure et son entrée en vigueur : ces points sont abordés par l'amendement à la loi organique que j'ai déposé.

Enfin, s'agissant du caractère protecteur de la législation, l'amendement précise la notion d'intérêt général « suffisant », inscrivant ainsi dans la loi organique les principes dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La Commission passe à l'examen de l'article unique de la proposition de loi constitutionnelle.

Article unique (article 34 de la Constitution) : Inscription dans la Constitution des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des règles relatives à l'assiette et au taux des impositions

La Commission rejette l'amendement rédactionnel CL 1 du rapporteur.

Puis elle rejette l'article unique et, partant, la proposition de loi constitutionnelle.

Elle en vient ensuite à l'examen des articles de la proposition de loi organique.

Article 1er : Aménagement d'exceptions au principe de non-rétroactivité des règles relatives à l'assiette et au taux des impositions

La Commission est saisie de l'amendement CL 1 du rapporteur.

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Cet amendement vise à renforcer la protection du contribuable en complétant et en précisant la liste des exceptions au principe de non-rétroactivité des lois fiscales : je propose donc de mentionner les dispositions législatives diminuant les droits d'enregistrement et de mutation, les dispositions législatives relatives à l'assiette de l'imposition dès lors qu'elles sont justifiées par un motif d'intérêt général suffisant – exigence formulée par le Conseil constitutionnel – et les lois de validation, dès lors qu'elles sont favorables au contribuable.

Il s'agit ensuite d'intégrer les mesures fiscales économiquement rétroactives dans le champ des dispositions législatives soumises au principe de non-rétroactivité, d'abord en écartant l'application aux contrats en cours des lois fiscales qui bouleverseraient leur équilibre financier, puis en interdisant la remise en cause par une loi ultérieure d'un dispositif fiscal incitatif qu'une loi antérieure a institué pour une durée précisément déterminée, sauf s'il s'agit de le rendre plus favorable au contribuable.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l'article 1er.

Après l'article 1er

La Commission examine l'amendement CL 2 du rapporteur, portant article additionnel après l'article 1er.

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Cet amendement vise à revenir sur le principe de rétrospectivité de la loi fiscale. En effet, celui-ci laisse le contribuable dans l'ignorance du régime fiscal qui lui sera applicable au moment où il accomplit l'acte générateur de revenu. Cela laisse planer un « suspens fiscal » contraire au principe de sécurité juridique. Cet amendement propose donc de restaurer le principe qui prévalait jusqu'en 1948, selon lequel la loi fiscale applicable aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année n était celle en vigueur au 1er janvier de ladite année n.

La Commission rejette l'amendement.

Article 2 : Gage

La Commission rejette l'article 2.

Tous les articles ayant été rejetés, il n'y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l'ensemble de la proposition de loi organique qui est ainsi rejetée.

Amendements examinés par la Commission

(proposition de loi constitutionnelle n° 567)

Amendement CL1 présenté par M. Dassault, rapporteur

Article unique

Rédiger ainsi cet article :

« Le cinquième alinéa de l'article 34 de la Constitution est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« - l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; les règles relatives à l'assiette et au taux de ces impositions ne pouvant pas être rétroactives, en application du principe de sécurité juridique, sauf dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ;

« - le régime d'émission de la monnaie. »

Amendements examinés par la Commission

(proposition de loi organique n° 568)

Amendement CL1 présenté par M. Dassault, rapporteur

Article premier

Rédiger ainsi cet article :

« Les lois relatives à l'assiette et au taux des impositions de toutes natures ne disposent que pour l'avenir.

« Toutefois, peuvent avoir une portée rétroactive :

« 1° les dispositions législatives diminuant l'assiette ou le taux des impôts indirects, des droits d'enregistrement ou des droits de mutation ;

« 2° les dispositions législatives concernant l'assiette des impositions, lorsqu'un motif d'intérêt général suffisant le justifie ;

« 3° les dispositions législatives concernant les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.

« Aucune disposition législative modifiant de façon rétroactive le taux ou l'assiette d'impositions de toutes natures ne peut s'appliquer aux contrats qui ont été conclus avant son entrée en vigueur et dont la durée d'exécution est comprise entre un an et quinze ans, lorsqu'elle a pour effet de bouleverser l'équilibre financier de ces contrats. Le régime fiscal applicable à ces derniers est celui en vigueur à la date de leur conclusion.

« Aucune disposition législative ne peut modifier un dispositif fiscal incitatif institué pour une durée déterminée ou jusqu'à une date déterminée, sauf à rendre ce dispositif plus favorable au contribuable, avant le terme prévu.

« Aucune disposition législative ne peut s'appliquer de façon rétroactive aux réclamations et litiges en cours, sauf si elle est plus favorable au contribuable que la disposition ancienne. »

Amendement CL2 présenté par M. Dassault, rapporteur

Après l'article premier, insérer l'article suivant :

« I. – Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le régime fiscal applicable au fait générateur de l'impôt est celui en vigueur au premier jour de l'année civile au cours de laquelle survient ce fait générateur. »

« II. – La perte de recettes pour l'État est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »

La Commission en vient à l'examen, sur le rapport de M. Éric Ciotti, de la proposition de loi de MM. Christian Jacob, Jean-François Copé, François Fillon, Éric Ciotti, Philippe Houillon et plusieurs de leurs collègues relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations (n° 998).

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La proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter a pour objet de réaffirmer que, conformément à notre Constitution – qui pose le principe de la laïcité de la République –, nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes.

Plus précisément, ce texte vise à clarifier l'application de ce principe dans les entreprises et les associations. Il fait suite à deux décisions que la chambre sociale de la Cour de cassation a rendues le 19 mars dernier : les arrêts « Mme X contre la Caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis » et « Mme X contre l'association Baby Loup » ont en effet précisé les limites de la liberté d'exprimer ses opinions religieuses dans le monde du travail.

Par le premier arrêt, la haute juridiction a durci sa jurisprudence en étendant l'obligation de neutralité à l'ensemble des personnes privées chargées d'une mission de service public : est jugé valide le licenciement d'une personne ne respectant pas ce principe, quand bien même ses fonctions ne la placeraient pas au contact du public.

Par le second arrêt, la Cour de cassation a jugé illégal le licenciement d'une salariée de la crèche associative « Baby Loup », située à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, licenciement motivé par le fait qu'elle refusait d'ôter son voile sur son lieu de travail. La haute juridiction a dit pour droit que, dès lors que cette association ne gérait pas un service public, une clause générale de laïcité et de neutralité prévue par ses statuts, et applicable à tous les salariés, n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché. C'est donc le caractère général et imprécis de la restriction à la libre expression d'opinions religieuses sur le lieu de travail que la Cour de cassation a sanctionné.

Cette décision de justice pose des questions à l'ensemble de la société française. Devant l'Assemblée nationale, le 19 mars dernier, le ministre de l'Intérieur a déclaré la « regretter », estimant qu'elle constituait une « mise en cause de la laïcité ». De fait, elle intervient dans un contexte où les demandes à caractère religieux sur le lieu de travail augmentent, comme en témoigne une récente étude de l'Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE). Si les représentants du MEDEF que nous avons auditionnés ont indiqué que les difficultés restaient peu nombreuses et qu'elles se réglaient, dans la plupart des cas, de manière pragmatique, ils ont également souligné que le législateur avait intérêt à encadrer ces phénomènes avant qu'ils ne prennent de l'ampleur.

Face aux quelques personnes qui voudraient imposer un autre modèle de société, où le communautarisme se substituerait aux lois de la République, nous devons faire front uni ; c'est un combat que doivent mener tous les républicains. Tel est l'enjeu de la présente proposition de loi.

Depuis dix ans, une réflexion a été engagée sur la neutralité religieuse dans les entreprises. En 2003, « au regard des difficultés que rencontrent certaines entreprises », la commission Stasi avait déjà recommandé qu'une disposition législative « permette aux chefs d'entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne ». Le 31 mai 2011, l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du groupe UMP, une résolution qui affirmait son attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse, et qui estimait « souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse ». Le Haut Conseil à l'intégration a émis un avis dont la finalité est identique : il a proposé, en septembre 2011, que soit « inséré dans le code du travail un article autorisant les entreprises à intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l'entreprise (…) au nom d'impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou la paix sociale interne ». De son côté, le Sénat a adopté, en première lecture, le 17 janvier 2012, une proposition de loi de Mme Françoise Laborde visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité.

Le président de la République lui-même a reconnu, dans une récente déclaration télévisée, la nécessité de légiférer. Dès lors, deux options sont possibles : soit celle retenue par le Sénat, soit celle privilégiée par le présent texte, qui tend à permettre aux chefs d'entreprise de réglementer le port de signes religieux et les pratiques manifestant une appartenance religieuse. Cette dernière solution me semble la plus pertinente et la plus compatible avec la Constitution et avec nos obligations conventionnelles.

Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère en effet que toute limitation d'une liberté fondamentale doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou par un motif d'intérêt général. Or le principe de laïcité ne s'applique qu'aux services publics. À la différence de la proposition de loi sénatoriale, la présente proposition de loi ne vise pas à étendre le principe de laïcité à l'ensemble des entreprises, mais à permettre à celles qui le souhaitent d'encadrer de manière précise et proportionnée la libre expression d'une appartenance religieuse sur le lieu de travail – et non pas de l'interdire.

La Cour européenne des droits de l'homme a adopté une jurisprudence similaire en considérant que la limitation d'une liberté devait poursuivre un but légitime, être prévue par la loi et être nécessaire dans une société démocratique. La Cour estime en effet que l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit la liberté de religion, implique la liberté de manifester sa religion, y compris sur son lieu de travail ; toutefois, cette liberté peut faire l'objet de restrictions, dès lors que celles-ci sont « nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé et de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

La proposition de loi prévoit d'autoriser explicitement, dans le code du travail, des restrictions aux libertés individuelles visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse. Ces restrictions, imposées par l'employeur, doivent être justifiées soit par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public – ce qui implique qu'elles ne peuvent pas s'appliquer, dans ce cas, à d'autres salariés que ceux en contact effectif avec le public –, soit par le bon fonctionnement de l'entreprise. En outre, ces restrictions doivent être proportionnées au but recherché.

Dans le cadre du dialogue social interne à l'entreprise, il s'agit d'une solution pragmatique, qui ouvre une faculté d'organisation sans être une contrainte pour l'employeur – notamment s'il s'agit d'une structure confessionnelle.

Cette proposition de loi va au-delà du secteur de la petite enfance – choix effectué par le Sénat –, car la question dépasse largement le cas des crèches privées : on risque de rencontrer demain des difficultés analogues dans des cliniques privées, dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et dans toute société ayant des relations avec le public.

J'espère que ce texte aboutira à un débat serein et le plus consensuel possible avec le Gouvernement – comme ceux que nous avons eus en 2004 sur les signes religieux à l'école ou en 2010 sur l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public.

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En raison de son importance et de sa complexité, la question de la laïcité mérite d'être traitée globalement, et non à travers le prisme d'une proposition de loi de circonstance et d'émotion, qui fait suite à une décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation – d'autant que, si l'affaire « Baby Loup » a fait couler beaucoup d'encre, on a beaucoup moins glosé sur l'affaire « Caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis », pourtant tout aussi intéressante.

À titre liminaire, permettez-moi de rappeler que le président de la République a installé, le 8 avril dernier, l'Observatoire de la laïcité, dont la création avait été décidée en 2007, mais qui était resté lettre morte. Il en a confié la présidence à M. Jean-Louis Bianco, et quatre parlementaires en sont membres de droit : Mmes Françoise Laborde et Marie-Jo Zimmermann, MM. Jean Glavany et François-Noël Buffet ; l'opposition parlementaire y est donc représentée. Cet observatoire a pour mission d'assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics : il collectera des données ; il produira des analyses, des études et des recherches ; il pourra saisir le Premier ministre et lui proposer toute mesure permettant une meilleure mise en oeuvre de ce principe ; il pourra être consulté sur des projets de loi. L'Observatoire dressera prochainement un état des lieux, qui fera notamment le point sur les dernières dispositions légales de 2004 et de 2010, et il déposera à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet un rapport intermédiaire, qui formulera des recommandations précises. Son action s'inscrit dans une volonté d'apaisement, de dialogue, de respect et de non-stigmatisation pour un meilleur vivre et un meilleur travailler ensemble.

Cela étant posé, j'en reviens à la proposition de loi. Les deux articles qui la composent visent à modifier le code du travail pour fixer un cadre permettant aux entreprises de droit privé de réglementer le port de signes religieux à l'intérieur de l'entreprise. L'article 1er restreint la protection des droits et libertés individuelles des salariés, qui sont pourtant garanties par le code du travail. L'article 2 permet aux entreprises d'insérer directement dans leur règlement intérieur des dispositions réglementant le port de signes et les manifestations de l'appartenance à une religion.

En raison du travail déjà effectué par l'Observatoire de la laïcité, ce texte de circonstance n'a pas sa place aujourd'hui. Nous refusons l'instrumentalisation du débat sur la laïcité et la stigmatisation d'une religion. Reconnaissons que nous faisons nous-mêmes des entorses au dogme de la laïcité lorsque les cantines servent du poisson le vendredi et que les vacances scolaires sont calquées sur les fêtes religieuses catholiques. Certes, nous ne méconnaissons pas l'augmentation des demandes à caractère religieux au sein des entreprises, et l'enquête publiée hier par l'OFRE note l'importance croissante du fait religieux dans les entreprises. Toutefois, on y apprend aussi que la plupart des demandes se règlent à l'amiable et que 94 % des problèmes liés au fait religieux sont résolus par les responsables des ressources humaines, grâce à une négociation entre partenaires sociaux. Cela montre qu'il n'est peut-être pas pertinent de légiférer en la matière.

En outre, nous exprimons les plus vives réserves sur la constitutionnalité de la proposition de loi, en raison de l'absence de critères précis, notamment dans l'article 1er. Le texte, beaucoup trop généraliste, est de nature à contrevenir aux dispositions des articles 4 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il risque également d'être censuré pour inconventionnalité au titre de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen, qui est directement applicable dans l'ordre juridique interne – surtout si l'on fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, dans un arrêt du 15 janvier 2013, a estimé que le port par une hôtesse de l'air d'une croix sur son uniforme ne nuisait pas à l'image de marque de la compagnie aérienne British Airways. Nous attendons également l'arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme sur l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public, tel qu'il est inclus dans la loi de 2010.

Selon nous, c'est par le dialogue, la négociation, le consensus et l'apaisement que les questions liées à la laïcité doivent être traitées. Les partenaires sociaux souhaitent-ils réellement que nous légiférions en la matière ? Si tel est le cas, il conviendrait de définir clairement la base juridique qui permettrait de le faire.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de cette proposition de loi.

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Monsieur le rapporteur, vous appelez à un consensus républicain sur la laïcité, mais encore faudrait-il que l'on cesse d'instrumentaliser ou de falsifier celle-ci ! La laïcité ne peut pas être la stigmatisation d'une religion.

Sur ce sujet, la position de l'UMP a beaucoup varié depuis une dizaine d'années. Je me rappelle que, lorsqu'il avait été auditionné par la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, le ministre de l'Intérieur de l'époque s'était déclaré hostile à une loi ; pourtant, celle-ci a été votée de façon largement consensuelle, à l'instigation du Président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, et avec les voix de la gauche, notamment du groupe socialiste.

Devenu président de la République, Nicolas Sarkozy avait eu cette formule, dans son discours du Latran : « L'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » – il aurait très bien pu ajouter « l'imam ou le rabbin »… Où est la laïcité en l'espèce ? Et je n'énumérerai pas les postures successivement prises par l'UMP tout au long du dernier quinquennat – notamment lors du débat sur l'identité nationale. Il reste que, comme vous, je pense que la laïcité doit faire l'objet d'un consensus.

Maire d'une ville de la banlieue nord de Paris, j'ai été confronté à une difficulté de ce type avec un membre du personnel communal. En dépit de tous nos efforts de pédagogie, il a fallu aller jusqu'à la révocation de l'agent, qui a été prononcée par le conseil de discipline. Cela pour dire que la laïcité républicaine doit s'appliquer.

Comme vient de le rappeler Colette Capdevielle, une nouvelle démarche a été engagée avec l'installation de l'Observatoire de la laïcité, qui va produire son premier rapport. Si l'on recherche vraiment le consensus républicain, il faut soutenir cette démarche, qui vise à alimenter la réflexion, sans exclure une éventuelle évolution législative, mais avec l'objectif de promouvoir la laïcité grâce à la pédagogie, sans en faire une source de stigmatisation et de récupération politicienne – ce qui, contrairement à ce que vous prétendez, n'est pas votre cas. Pour paraphraser Renan, la laïcité est « un plébiscite de tous les jours » !

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Je voudrais dire au rapporteur que j'ai apprécié la clarté, la précision et la sérénité de son propos et, à mes collègues de la majorité, qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'utiliser des termes par trop excessifs. Légiférer sous l'effet d'une émotion, nous l'avons fait souvent, et sur tous les bancs – mais ce n'est pas le cas ici. Quant à « stigmatiser » qui que ce soit, le terme me semble décalé tant par rapport à l'objet de la proposition de loi que par rapport à la manière dont elle nous a été présentée.

De quoi est-il question ? Non pas d'étendre artificiellement le champ de la laïcité à la sphère privée, mais d'intégrer à la sphère publique le secteur qui se trouve dans un délicat entre-deux : pas totalement privé, mais pas véritablement public non plus. Cela recouvre les entreprises qui travaillent avec le public, en particulier celles qui s'adressent, non à des clients, mais aux usagers d'un service parapublic – sans se limiter au secteur de la petite enfance. L'objectif de la proposition est de sécuriser le dispositif actuel, en confortant la possibilité d'un dialogue social sur ce sujet éminemment délicat. Il s'agit d'une avancée nécessaire, sage, responsable et sereine, dont je suis heureux et fier d'être un des cosignataires. C'est pourquoi je vous appelle à voter en sa faveur.

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Il s'agit en effet d'un texte de clarification et de sécurisation juridique.

Le code du travail pose pour principe que les libertés fondamentales doivent être respectées dans la sphère du travail, tout en prévoyant une dérogation pour un certain nombre de cas ; le problème, c'est que la règle prétorienne qui en découle n'est pas sécurisée. S'agissant des signes religieux, et plus particulièrement – mais pas seulement – du voile, on estime tantôt que l'interdiction est valide, tantôt qu'elle ne l'est pas, suivant la rédaction des règlements intérieurs. La proposition de loi vise simplement à considérer comme légitime toute interdiction relative au port de signes religieux ostentatoires.

Vous parlez de dialogue avec les services des ressources humaines, mais nous ne vivons pas dans le même monde ! J'ai récemment été informé du cas d'un boulanger, qui n'a pas de règlement intérieur, mais qui a affaire au public, et dont une des vendeuses lui a annoncé que, dorénavant, elle porterait le voile. Voilà comment ça se passe dans la vie réelle ! Il est évident qu'une clarification est nécessaire.

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Je voterai moi aussi en faveur de cette proposition de loi, bien que j'estime qu'elle ne va pas au fond des choses et qu'elle porte sur les effets plutôt que sur la cause.

La cause, c'est le développement du communautarisme dans notre pays. Nos lois n'y sont pas adaptées, pas plus que les règlements européens. Sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, il faut bien faire certaines constations – sinon, autant arrêter tout de suite de légiférer ! Il existe une religion – qui est d'ailleurs moins une religion qu'une loi de fonctionnement global, à la fois politique, familial et social –, qui fait abstraction de la laïcité : dans son cadre, celle-ci n'existe tout simplement pas.

Ce texte ne résoudra pas le problème. Et, si nous ne cherchons pas à le faire, nous succomberons au communautarisme. Certes, cela s'oppose aux bons sentiments qui sont aujourd'hui de règle, mais on ne fait pas les lois avec de bons sentiments ! Il faut adopter un raisonnement rigoureux, sans stigmatiser quiconque, mais en soulignant les tenants et aboutissants du problème auquel nous sommes confrontés, et que nous refusons de voir.

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Lorsqu'ils évoquaient la question de la laïcité, les pères fondateurs du radicalisme n'employaient pas ce terme : ils parlaient de « neutralité » ; le mot « laïcité » est venu bien après. Ce qu'il nous faut retrouver dans une société républicaine aujourd'hui malmenée par les tiraillements confessionnels, c'est un espace de totale neutralité.

Ce texte, je le voterai, bien qu'il tortille un peu de la plume et qu'il lui manque le courage de la clarté. Pour ma part, j'aurais tout simplement interdit toute forme de manifestation religieuse. Certes, il faudrait prendre en considération l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, mais il serait toujours possible de s'entendre sur la notion de « manifestation ».

Peu importe la religion ou le signe : quand on est en contact avec le public, en raison du respect du principe de neutralité, on n'exprime pas sa religion. Et que l'on ne vienne pas me dire qu'il s'agit d'une atteinte au « meilleur vivre et travailler ensemble » ! Qu'est-ce que cela signifie ? Cette expression semble tout droit sortie d'une pièce de boulevard !

Il faut pacifier ce pays, et le seul moyen, c'est de demander aux cornettes, aux voiles et aux croix de ne plus s'exhiber, de manière que nous puissions vivre ensemble. Vous prétendez qu'il y aurait des stigmatisés de la laïcité, mais c'est absurde ! Il s'agit, non pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d'avoir la paix : une paix sociale, une paix religieuse, une paix publique. De ce point de vue, votre texte devrait être plus clair, afin de sortir de ce communautarisme que d'aucuns utilisent pour diviser la République, et permettre à de soi-disant « stigmatisés » de se gargariser d'un « meilleur vivre et travailler ensemble ».

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Notre collègue Colette Capdevielle a insisté sur la notion de dialogue. Le dialogue, c'est l'héritage que nous a laissé la grande entreprise de séparation des Églises et de l'État avec la loi de 1905 ; il s'agissait de la volonté du législateur, dans le cadre d'un compromis plutôt libéral.

Disons les choses telles qu'elles sont : le débat auquel nous assistons depuis 1989 ne porte pas tant sur la notion de laïcité que sur la place de l'islam dans notre société. Il s'agit désormais de la deuxième religion de France, pratiquée par quelque 5 millions de Français, et qui a des exigences qui peuvent parfois heurter. Elle n'a pas trouvé véritablement sa place, ou du moins elle n'est pas totalement reconnue dans l'espace public et dans la République, et des problèmes liés à son financement et à la formation de son clergé se posent : autant de questions sur lesquelles le législateur devrait se mobiliser. Or, depuis 1989 et la première affaire du voile de Creil, ce qui mobilise le législateur, c'est très hypocritement la question des signes religieux, alors que nous savons tous de quoi il retourne ! Je m'oppose à cette façon d'aborder le débat.

Monsieur le rapporteur, je reconnais que vous avez fait une présentation apaisée, qui permet d'engager le débat – cela nous change des outrances de certains responsables de l'opposition sur les pains au chocolat… Vous avez notamment fait référence au rapport Stasi, qui comprenait plusieurs recommandations : ainsi proposait-il notamment reconnaître les principales fêtes religieuses, ce qui n'a pas eu de suite, et, s'agissant de la situation dans les entreprises, de prendre une disposition législative « après concertation avec les partenaires sociaux ». De fait, lors de la préparation de loi de 2004, les partenaires sociaux ont été auditionnés. Or je n'ai pas l'impression – et cela m'a été confirmé à la lecture de Libération, qui a consacré hier trois pages à l'étude de l'OFRE sur les pratiques religieuses dans l'entreprise – que les partenaires sociaux, qu'ils soient du côté des syndicats ou de celui du patronat, estiment qu'un recours à la loi soit susceptible de les aider à résoudre les difficultés qu'ils peuvent parfois rencontrer.

Tout est parti de l'affaire de la crèche « Baby Loup », et, quand on lit la décision de la Cour de cassation, on a dû mal à comprendre pourquoi tout s'est emballé. Cela étant, je ne vous tiens pas pour seul responsable, monsieur le rapporteur : j'ai en mémoire les propos du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui, s'affranchissant du respect de la séparation des pouvoirs, avait « pilonné » cette décision de justice.

Je vois dans cette affaire une crispation face à l'émergence d'une religion et de ses pratiques, qui nécessite qu'on engage une discussion avec les responsables communautaires et que l'on examine au sein des entreprises comment les demandes émergent et de quelle manière elles sont réglées ; aujourd'hui, le dialogue semble primer. Pourquoi ne pas s'en tenir à cela ? J'attends toutefois avec impatience la décision de la Cour européenne des droits de l'homme relative à la loi interdisant le port du voile intégral dans l'espace public, car je pense que les attendus seront très intéressants.

Les écologistes se sont toujours opposés à de telles initiatives législatives. En 1994, nous avions soutenu la jurisprudence du Conseil d'État, qui avait recommandé le dialogue pour régler les questions liées au port du foulard à l'école. Nous nous étions également opposés à l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public, parce que nous pensions qu'il s'agissait d'une atteinte aux libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, je voterai contre la présente proposition de loi.

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Ce débat montre combien la société française a du mal à donner à la religion et à l'expression des convictions religieuses une place dans la vie sociale. Il y a deux positions : certains ne sont pas gênés par le fait que les religions s'expriment dans l'espace public sous la forme qui leur convient, sous réserve que cette expression ne contrecarre pas l'ordre public ; d'autres, estimant que les religions sont à l'origine de plusieurs de nos maux, veulent en contraindre l'expression, voire la confiner dans l'espace privé.

Le problème, c'est que l'objet de la présente position de loi se trouve à la frontière de l'espace public et de l'espace privé. À quelle catégorie ressortit une entreprise qui accueille des clients ? Le droit dit qu'il s'agit d'un espace privé ; mais, d'un autre côté, le code de l'urbanisme érige en catégorie particulière les « établissements recevant du public », par exemple les commerces. Il y a là une confusion dans l'utilisation du terme « public » qu'il faudrait clarifier.

Je suis d'accord avec les collègues qui disent qu'il faut privilégier le dialogue ; d'ailleurs, si j'avais été parlementaire à l'époque, je n'aurais pas voté la loi de 2004, car je ne crois pas que la loi soit un bon outil pour traiter ce genre de sujets. Néanmoins, l'exemple donné par Philippe Houillon montre que, dans certaines circonstances, il est de la responsabilité d'un employeur de prendre une décision en la matière, en fonction de l'impact que cela peut avoir sur la santé économique de son entreprise. À ce titre, il devrait avoir le droit de donner l'ordre à ses employés de ne pas porter le voile. Or c'est impossible dans l'état actuel du droit – même à l'issue d'un dialogue social accompli, et même dans le cadre du règlement intérieur : il se heurterait en effet au fait que le code du travail ne prévoit pas ce genre de restrictions aux libertés des travailleurs. C'est là tout l'enjeu de la proposition de loi.

Un texte législatif est donc nécessaire. Malheureusement, et c'est la réserve que je ferais sur ce texte, il existe un risque réel de dérapage et de stigmatisation des religions – en général, et pas seulement de l'islam.

Tout en saluant le travail du rapporteur, j'attendrai donc le débat en séance plénière pour arrêter définitivement ma position.

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Je soutiens la démarche du rapporteur, qui est marquée par son souci de pragmatisme. Y a-t-il un problème lié au port de signes religieux ostentatoires dans des entreprises ou associations ? La réponse est oui, bien évidemment ! Le droit et la jurisprudence actuels sont-ils pleinement satisfaisants ? La réponse est non : on ne trouve pas toujours de solutions aux difficultés soulevées et le droit n'est pas sécurisé.

La présente proposition de loi propose de passer par le règlement intérieur des entreprises, ce qui me semble être la bonne voie. Ce qui me frappe, c'est l'équilibre de sa rédaction : il est précisé que les restrictions apportées doivent être « proportionnées au but recherché » et qu'elles doivent être justifiées par « la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public » ou par « le bon fonctionnement de l'entreprise ». Nul besoin d'en appeler à de grands concepts ou de remettre en cause la liberté religieuse : ce qui est en jeu, c'est la vie quotidienne et le bon fonctionnement des entreprises et des associations. En cela, la démarche d'Éric Ciotti mérite d'être soutenue.

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Si je salue moi aussi le ton apaisé du rapporteur, il n'empêche qu'il y a derrière ses propos des débats assez déplaisants – mais M. Coronado a dit tout ce qu'il y avait à dire sur le sujet.

Nous sommes tous d'accord sur un point : il ne faut pas porter atteinte à la loi de 1905, qui est une charte de paix civile ; c'est d'ailleurs pourquoi il ne faut pas la constitutionnaliser. Tous, nous nous référons à cette loi. Bien entendu, nous savons qu'elle a photographié la situation de l'époque, dans laquelle le catholicisme était la religion dominante, mais elle a mis en place un équilibre fondamental – à savoir : le public chez lui, le privé chez lui ; dans le public, devoir de neutralité et de laïcité absolu ; dans le privé, liberté religieuse absolue.

Le problème, ce sont les espaces intermédiaires ; dans le cadre d'un service public assumé par le privé, il ne devrait pas y en avoir. De ce point de vue, l'arrêt « Baby Loup » a été mal compris, car il respecte strictement les dispositions de la loi de 1905 : la Cour de cassation a censuré l'interdiction générale et absolue présente dans le règlement intérieur de la crèche, qui fondait la décision d'empêcher qu'une jeune femme voilée puisse accueillir des enfants et s'occuper d'eux – mais qui pouvait tout aussi bien toucher une personne travaillant sans contact avec le public –, et non la décision elle-même. Ce point est donc réglé.

La situation dans l'espace public en général a également été réglée, moyennant une loi qui y prohibe le port du voile intégral.

Il reste le cas des structures privées qui accueillent du public sans gérer un service public ; mais, s'il se présente des difficultés dans ce secteur, l'Observatoire de la laïcité pourra les recenser et proposer des solutions équilibrées, qui s'appliqueront dans tous les domaines et à tout le monde.

Au contraire, la présente proposition de loi démolit l'équilibre issu de la loi de 1905. De surcroît, en donnant aux entreprises la possibilité d'une réglementation de la neutralité au nom de leur bon fonctionnement, elle ouvre les vannes à leur déstabilisation par une multiplication des procès en discrimination !

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En tant que député de Chanteloup-les-Vignes, où est implantée la crèche « Baby Loup », je vous remercie de m'accueillir dans votre commission. Je souhaiterais que cette chronique médiatique prenne fin et que la laïcité ne soit pas un champ de bataille, mais un principe intangible, partagé et respecté.

La décision de la chambre sociale de la Cour de cassation a souligné l'écart entre les structures relevant du secteur public, qui doivent respecter l'obligation de neutralité, et celles qui, bien qu'accomplissant une mission évidente de service public, bénéficiant de fonds publics et étant soumises au contrôle des autorités publiques, demeurent sous statut privé et ne sont pas soumises aux mêmes règles.

Je ne suis pas d'accord avec Mme Bechtel quand elle affirme que ce point de droit est réglé. Je pense au contraire que le temps du législateur est venu ; en revanche, je trouve que la présente proposition de loi est trop générale et qu'elle veut trop embrasser. Il importe de faire une distinction entre la délégation de service public à une structure privée associative et le fait religieux dans l'entreprise ; ce dernier sujet est éminemment sensible et je pense qu'il est trop tôt pour légiférer en la matière. Quant à l'Observatoire de la laïcité, il ne pourra pas, seul, résoudre le problème ; c'est aux partenaires sociaux de s'en charger, avec le Défenseur des droits et dans un cadre plus large.

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Je veux dire aux collègues de la majorité que je regrette leur opposition de principe à ce texte. Tous les orateurs ont reconnu, quelle que soit leur appartenance politique, la pertinence et l'importance de ce débat, et certains son acuité. Que nous en tirions des conclusions différentes, cela n'est guère étonnant ; en revanche, comme Guy Geoffroy, je trouve que certains propos n'ont pas lieu d'être dans un débat de cette importance. Il ne s'agit pas de légiférer sous le coup de l'émotion, ni d'adopter une loi de circonstance.

J'ai rappelé les conclusions du rapport Stasi de 2003 et l'avis du Haut Conseil à l'intégration : le débat est lancé depuis plus de dix ans, et certains faits traduisent une multiplication des problèmes. Certes, ceux-ci restent marginaux, mais les représentants des chefs d'entreprise nous ont alertés sur leur recrudescence. Je regrette que vous cherchiez à les minorer, et je doute que l'on arrive à les régler par le seul dialogue. Il en faut, de même qu'il faut faire confiance aux partenaires sociaux, mais croire que le seul dialogue permettra de résoudre tous les problèmes dénote, je le crains, une certaine naïveté.

Plusieurs députés du groupe socialiste étaient présents hier, quand nous avons auditionné Mme Baleato, la directrice de la crèche « Baby Loup ». Ce qu'elle décrit est terrifiant ! La crèche va être obligée de quitter le territoire où elle est implantée, à la suite d'une pression communautaire. Mme Baleato nous a lancé un appel : « Nous avons besoin que la République nous relégitime, a-t-elle dit, car l'arrêt de la Cour de cassation a ouvert la voie au communautarisme. » Depuis cet arrêt, le personnel de la crèche et elle-même font l'objet de menaces et d'attaques contre leurs véhicules.

En ouvrant au début des années 1990 une crèche associative, sur un territoire où coexistaient soixante nationalités, cette réfugiée politique originaire du Chili avait pourtant permis aux femmes du quartier de s'intégrer et de devenir salariées. Cette idée extraordinaire est sur le point d'être détruite ; dans quelques mois s'installera à sa place une crèche confessionnelle. Mme Baleato a mentionné des faits inquiétants : certains parents sont en conflit ouvert avec les responsables de la crèche parce qu'ils exigent que leurs enfants soient réveillés pour prier ou qu'ils portent le voile ! Je n'invente rien : ces propos ont été tenus hier, vous pourrez le vérifier dans le rapport.

Voilà qui suffit à prouver qu'il est opportun de légiférer. Certes, nous pourrions attendre la réponse de l'Observatoire, mais M. Bianco, que nous avons auditionné, nous a dit que celui-ci ne s'était pas encore pleinement saisi de la question et que son avis n'interviendrait pas avant la fin de l'année. Le président de la République lui-même a souligné qu'il y avait urgence, et l'actuel ministre de l'intérieur a voulu, sous la précédente législature, déposer une proposition de loi sur le sujet. C'est désormais au législateur de prendre ses responsabilités.

Le choix du vecteur juridique est un autre débat. Le Sénat a proposé un texte qui va dans le sens préconisé par Arnaud Richard, en étendant la notion de service public à tout le secteur de la petite enfance. En effet, madame Bechtel, l'arrêt de la Cour de cassation ne confère pas à la structure Baby Loup un caractère de service public : il considère au contraire que, si Baby Loup accomplit une mission d'intérêt général, elle ne peut pas être assimilée à un service public, en conséquence de quoi le principe de neutralité ne peut pas s'appliquer à elle.

Pour ce qui ne relève pas du service public, il existe actuellement un vide juridique, en partie compensé par la jurisprudence, mais qu'il nous faut combler. Contrairement à ce que vous prétendez, madame Capdevielle, nous avons défini des critères – les relations avec le public et le bon fonctionnement de l'entreprise – et nous avons précisé que les restrictions devaient être justifiées par la nature de la fonction et proportionnées au but recherché. Nous entrons donc parfaitement dans le cadre de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de l'arrêt « Eweida contre le Royaume-Uni », dans lequel la Cour européenne a considéré que la mesure de mise à pied de l'employée de British Airways ayant arboré une petite croix sur son uniforme, justifiée pour la compagnie aérienne par son image de marque, était « disproportionnée ».

D'autre part, nous avons opté pour un dispositif pragmatique, qui laisse une liberté de choix aux chefs d'entreprise et aux partenaires sociaux. Enfin, nous avons accordé une portée générale au texte pour éviter d'avoir à légiférer de nouveau si un cas similaire se produisait dans un établissement d'hébergement pour les personnes âgées ou dans une clinique. Il faut que les problèmes auxquels le secteur privé peut être confronté soient réglés au cas par cas, de façon pragmatique, apaisée et consensuelle. Il n'y a là aucune volonté de stigmatisation ! Je vous invite à rencontrer Mme Baleato : vous mesurerez mieux combien il est urgent pour la République de combattre ces formes de communautarisme.

La Commission passe à l'examen des articles.

Article 1er (art. L. 1121-1 du code du travail) : Réglementation de l'expression d'une appartenance religieuse sur le lieu de travail

La Commission rejette l'article.

Article 2 (art. L. 1321-3 du code du travail) : Introduction, dans le règlement intérieur des entreprises, de restrictions à l'expression d'une appartenance religieuse sur le lieu de travail

La Commission rejette l'article.

En raison du rejet de tous les articles, il n'y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l'ensemble de la proposition de loi qui est ainsi rejetée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant que nous levions la séance, je veux rendre hommage à Guy Carcassonne, qui a souvent été auditionné par notre Commission. Nous sommes nombreux à avoir eu la chance de travailler avec lui. Chacun est convaincu que la République a perdu l'un des meilleurs observateurs de la vie politique et le droit un grand serviteur. Il nous manquera beaucoup, à l'Assemblée nationale et au-delà.

La séance est levée à 11 heures 50.