Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 29 mai 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur :

Je vous propose tout d'abord d'évoquer des questions de méthode, de décrire ensuite quelques données et d'analyser la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement avant de vous présenter les principales propositions émises par la mission.

S'agissant de la méthode, quelque peu inhabituelle, consistant à présenter un pré-rapport, elle résulte de la décision du Conseil constitutionnel, citée par la présidente, qui a invalidé des dispositions de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et a différé les effets de sa décision au 1er octobre 2013. C'est pourquoi, il nous a semblé pertinent de présenter l'état des réflexions de la mission sur les soins psychiatriques sous contrainte et de donner nos conclusions en temps utile pour légiférer sur le sujet si la commission des affaires sociales se saisissait d'une proposition de loi ou était amenée à examiner un projet de loi.

J'ajouterai que ce document est une analyse provisoire qui pourra évoluer et être reconsidérée, le cas échéant. En effet, la mission aura le souci de mettre en oeuvre le principe du contradictoire et ses réflexions seront soumises aux personnes que nous avons auditionnées.

La santé mentale est un paysage compliqué, les maladies mentales ne peuvent être associées aux maladies orphelines. Selon le professeur Frédéric Rouillon, un adulte sur trois souffrira dans sa vie de maladie mentale, 1 % de la population souffre de psychoses, 2 % de troubles bipolaires, 5 % de dépression, 7 % de névroses et 2 % d'anorexie. La file active de personnes suivies pour troubles de la santé mentale s'élèverait à deux millions de personnes, dont un million sont suivies par le secteur public et un million par le secteur privé.

Une donnée frappante que je tiens à relever est que l'espérance de vie des personnes atteintes de ces troubles les plus graves est de vingt ans inférieure à la moyenne de la population et de quinze ans inférieure pour l'ensemble de la population souffrant de troubles mentaux. Plusieurs facteurs expliqueraient ces statistiques, le suicide n'étant qu'une des raisons constatées. Le malade mental serait moins en demande de soins somatiques. En conséquence, lorsqu'il aura besoin de soins, il bénéficiera d'abord de soins psychiatriques, mais non de soins somatiques, ce qui pose des difficultés.

Deuxième élément important, le placement sous contrainte a connu une forte augmentation ces dernières années. Ainsi, s'agissant placements à la demande d'un tiers, on est passé de 43 957 placements en 2006 à 63 345 admissions en 2011, soit une augmentation de 44 %. Quant aux placements à la demande du représentant de l'État, ils sont passés de 10 578 admissions en 2006 à 14 967 en 2011, soit une hausse de 41 %. J'en profite pour souligner que, parmi les préconisations du rapport, figure le retour à l'ancienne terminologie de placement, qui restitue plus la vérité d'une procédure autoritaire, certes dans l'intérêt du patient, que le terme d'admission introduit dans la dernière loi.

On peut formuler plusieurs hypothèses pour expliquer les raisons de cette augmentation. La première est l'accroissement du recours à des soins psychiatriques par la population. La deuxième est la volonté de certains psychiatres de ne pas engager leur responsabilité. Enfin, les familles prennent moins en charge leurs proches souffrant de ce type de pathologie et la pression sociale a évolué, les comportements s'éloignant de la norme étant moins bien acceptés.

La loi du 5 juillet 2011 a été adoptée à la suite du discours d'Antony de l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, contesté par les psychiatres, car associant la dangerosité aux troubles de santé mentale. Cette loi a donc une racine sécuritaire mais repose aussi sur des principes garantissant la liberté individuelle. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 26 novembre 2010 avait posé le principe d'un contrôle judiciaire systématique des hospitalisations sous contrainte. Cette loi comporte également une dimension de santé publique, en développant une approche somatique systématique pour le malade entrant en hôpital psychiatrique et en étendant le domaine de la contrainte aux soins.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 avril 2012, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité a invalidé deux articles du code de la santé publique : l'article L. 3211-12 relatif à la sortie de malades ayant été placés dans des UMD et l'article L. 3213-8 relatif à la sortie de certains malades présumés dangereux. La sanction porte plus sur la nature de la règle que sur sa matérialité, le Conseil jugeant que le niveau de protection des malades doit relever de la loi et non du règlement.

S'agissant des UMD, il existe sur le territoire dix unités qui totalisent six cents lits. Elles accueillent les irresponsables pénaux et les patients qui ne peuvent être gérés par les hôpitaux psychiatriques. Les soins dispensés sont similaires mais le personnel est plus nombreux dans les UMD que dans les hôpitaux, de l'ordre de un à trois.

Je souhaiterai souligner que la contrainte n'entraîne pas forcément une hospitalisation. Il existe des éléments de contrainte relevant de la pratique médicale hors tout cadre légal et je pense aux personnes âgées souffrant de maladies neuro-dégénératives résidant dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui sont, de fait, privées de liberté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a justement relevé ce point et souhaiterait pouvoir visiter ces institutions.

La mission s'est aussi interrogée sur l'absence de contrôle juridictionnel du placement des mineurs, puisque ceux-ci relèvent de l'autorité parentale et sont hospitalisés à la demande de leur famille.

Enfin, se pose la question de la contention physique ou chimique et des chambres d'isolement, pratiques différentes selon les établissements mais qui seraient en augmentation, notamment du fait de l'insuffisance de personnel. À défaut d'un encadrement, il serait intéressant de pouvoir suivre la traçabilité de cette pratique, qui figure uniquement dans le dossier médical.

J'en viens aux propositions émises par la mission.

S'agissant de la décision du Conseil constitutionnel, il existe deux solutions. La première est de ne pas légiférer, ce qui soumettrait les patients sous contrainte au droit commun des malades psychiatrique. La deuxième consisterait à légiférer et, dans ce cas, il faut distinguer les UMD et les irresponsables pénaux.

S'agissant des UMD, elles sont conçues comme des unités de soins intensifs qui gardent le malade durant une période allant de cent vingt-cinq jours à deux cent quarante-cinq jours avec une dimension sécurisée. La mission estime qu'il ne faut pas légiférer sur ce point, car les critères d'admission relèvent d'une décision médicale.

Quant aux irresponsables pénaux, il convient, en revanche, de légiférer et de faire figurer dans la loi les dispositions réglementaires existantes. La mission a choisi de maintenir leur statut spécifique, afin de donner des assurances à la société, lorsque ces malades sortiront.

La mission émet plusieurs préconisations ayant trait au contrôle juridictionnel. Certaines figuraient déjà dans le rapport d'information sur la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2011 de nos anciens collègues Serge Blisko et Guy Lefrand. Cette loi est appliquée depuis maintenant dix-huit mois et je tiens à souligner que la justice s'est mobilisée afin de respecter les délais qui y figurent. Les décisions prises sont concentrées sur vingt-quatre tribunaux, de taille différente.

La mission s'est penchée sur l'autorité compétente pour ordonner une hospitalisation sous contrainte et poursuivra ses réflexions quant au rôle du préfet, qui, il faut le relever, ne prend qu'un quart des décisions, le restant relevant des directeurs d'établissements de santé, dans le cadre des hospitalisations à la demande d'un tiers.

La mission propose de ramener de quinze jours à cinq jours le délai de saisine du juge des libertés et de la détention. En effet, au bout de soixante-douze heures, le psychiatre est capable d'émettre un diagnostic et de mettre en oeuvre un programme de soins. La mission propose que le lieu de l'audience soit l'hôpital et non le palais de justice, dans l'intérêt du malade, qui ne comprend pas pourquoi il comparaît devant un juge, tout en préservant l'indépendance de la justice. À ce titre, la visioconférence devra rester exceptionnelle, sauf cas de force majeure. Elle a été unanimement décriée tant par les juges que par les médecins. L'audience devra se tenir en chambre du conseil afin de préserver le secret médical. Les dispositions actuelles permettant au malade mental de renoncer à l'assistance d'un conseil, la mission propose de rendre obligatoire la présence de l'avocat, sous la forme d'un avocat taisant si besoin est.

Enfin, une des dernières propositions que je souhaiterai développer est d'autoriser les sorties d'essai de courte durée, sous la responsabilité du psychiatre, sans condition d'établissement préalable d'un programme de soins.

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