Il est important, sur ce sujet, de trouver un consensus. Je ne parviendrai peut-être pas à répondre à toutes les questions posées qui sont très nombreuses. Je rappelle à Annie Le Houerou que nous ne sommes pas au bout de la mission, que, parmi les questions qu'elle a posées, certaines d'entre elles ainsi que la problématique des prisons relèvent de la suite de nos travaux. S'agissant d'ailleurs des prisons, nous visitions hier, lundi, à Bron, près de Lyon, l'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) dans le centre hospitalier Le Vinatier. L'enveloppe extérieure de l'unité est administrée par les services pénitentiaires tandis qu'à l'intérieur, c'est un hôpital. L'odeur que l'on y sent ne trompe pas : c'est une odeur d'hôpital et non de prison. Ceux qui, comme moi, ont été dans les deux types d'établissements font très nettement la distinction. La visite était intéressante de ce point de vue. Demain, nous procéderons à une série d'auditions sur le lien entre psychiatrie et prison. C'est une question lourde que nous devrons étudier. Je n'y répondrai dans son ensemble que dans le rapport de fin de mission, en octobre.
Les intervenants sont revenus à plusieurs reprises sur le rôle du médecin généraliste. Ce rôle est essentiel. Il intervient dans les décisions d'hospitalisation sous contrainte par la délivrance du certificat médical qui permet au maire de prendre cette décision en urgence et sans tiers identifié. Ce certificat n'est pas obligatoirement délivré par un médecin psychiatre, mais le plus souvent par un médecin généraliste qui, par hypothèse, connaît le patient. Ils sont à l'origine de deux tiers voire de trois quarts des prescriptions de psychotropes. La plupart des premières consultations accordées aux patients souffrant de troubles psychiatriques le sont par un médecin généraliste, parce que leurs cabinets ne connaissent pas ou peu les files d'attente importantes qui encombrent les centres médico-psychologiques (CMP) de certains secteurs. Et il importe que cette première consultation intervienne le plus tôt possible parce que l'expression d'un problème psychiatrique est le signe que la maladie est ancienne et a travaillé en silence. Il n'y a aucun intérêt à attendre, pour cette première consultation, qu'un service de psychiatrie soit disponible. Les moyens affectés aux secteurs psychiatriques sont très différents. Ils vont de un à dix. Dans la suite de ses travaux, la mission travaillera sur l'articulation entre la médecine générale et la médecine psychiatrique. Dans certains secteurs, les psychiatres travaillent avec des médecins généralistes et ceux-ci reçoivent des formations à la médecine psychiatrique. Ils ne deviennent pas psychiatres pour autant mais peuvent mieux appréhender la maladie mentale des patients qui se présentent à leur cabinet. Cette articulation est une dimension importante de notre travail à venir.
Le rôle du maire est également revenu dans plusieurs interventions. Je l'ai abordé dans la relation qu'il entretient avec le médecin généraliste. On nous a parfois décrit de manière pittoresque des problèmes d'ordre public qui ne devraient pas se traiter par la psychiatrie. Je cite le cas d'un maire qui aurait demandé au préfet l'hospitalisation sous contrainte d'une prostituée qui se trouvait devant sa mairie. Nous sommes conscients des risques de dérives mais je crois que les maires sont extrêmement précautionneux. Ils savent qu'une décision de cette nature est humainement difficile à prendre et qu'elle engage juridiquement sa responsabilité. Il a intérêt à vérifier que tous les éléments nécessaires à la prise de l'arrêté sont réunis. Il dispose de l'aide offerte par la permanence des services du préfet qui peuvent lui donner des conseils. Le rapport ne présentera pas de préconisations sur ce rôle et nous ne le modifions pas. Peut-être faudrait-il revenir sur le besoin d'information des maires qui a été souligné. Je pense cependant que, sur la base des travaux menés jusqu'à présent, le rôle du maire est essentiel parce qu'il est présent partout mais qu'il doit être le plus limité possible et doit rester résiduel parce que, s'il doit répondre aux besoins urgents qui s'expriment, sa fonction essentielle n'est pas de décider des hospitalisations sous contrainte.
Une question sur les sorties d'essai est revenue de manière récurrente. Un patient admis en soins psychiatriques sur ordre du préfet ne peut bénéficier d'une sortie d'essai qu'avec l'autorisation du préfet, quel que soit l'avis du psychiatre. C'est l'un des points de litige qui existent entre l'administration préfectorale et les psychiatres. Le régime de la sortie d'essai est la source de désaccords et d'incompréhension la plus fréquemment citée. Il y a clairement une demande d'évolution à laquelle nous avons répondu en considérant que le médecin psychiatre devait pouvoir prendre la responsabilité de la décision de sortie d'essai. Plus précisément, les préfets considèrent qu'une sortie d'essai substitue à un régime d'hospitalisation sous contrainte un régime contraignant d'un programme de soins. Il me semble que si la sortie d'essai est accordée pour une durée limitée, la procédure doit être entièrement réinitialisée. Le retour du patient en hospitalisation doit être précédé d'un nouvel arrêté de placement en soins psychiatriques sous contrainte. Il y a différents types de sorties d'essai. Certaines peuvent permettre au patient d'assister aux obsèques d'un proche. D'autres sorties d'essai tiennent à l'évolution du patient. Le médecin peut estimer favorable à son état qu'il rejoigne sa famille ou son logement s'il ne l'a pas perdu. Il faut ensuite voir concrètement ce qui se passe. Le patient peut-il vivre dans une structure d'accueil en aval de l'hôpital ou bien dans son cadre de vie habituel ? On procède en expérimentant puisque l'on n'est pas dans une science exacte. Il me paraît important de prévoir un dispositif législatif qui permette ce travail attentif du psychiatre qui suit l'évolution du patient. C'est pourquoi je propose que, dans la législation, la sortie d'essai relève de la responsabilité du médecin et qu'elle soit limitée dans le temps mais qu'elle demeure soumise au régime de l'hospitalisation sous contrainte.
Je réponds à la question récurrente que Gérard Sebaoun, très assidu aux travaux de la mission, a soulevée à de multiples reprises. Quels sont les moyens permettant la prise en charge d'un patient soumis à une décision d'hospitalisation sous contrainte qui n'a pas envie de quitter le lieu sur lequel cette décision lui est notifiée ? Il peut, par hypothèse, se trouver dans sa famille. Actuellement, on appelle les ambulanciers. Si le patient se montre violent, les ambulanciers s'en vont. On appelle alors les pompiers qui, à leur tour, alertent les policiers. Tout cela se déroule dans le cadre du régime juridique des hospitalisations demandées par un tiers tandis que les décisions d'hospitalisation sous contrainte prises par les préfets autorisent le recours à la force publique. Nous devons clarifier le dispositif juridique de l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Se pose ensuite la question des moyens de cette prise en charge. Il serait préférable qu'elle soit assurée par des personnes formées et plus encore par des infirmiers psychiatriques. Nous n'avons pas avancé de solution sur ce point pour le moment mais la suite des travaux de la mission devrait nous le permettre. Je n'engage que moi puisque la mission n'a pas délibéré sur ce sujet.
Une intervention a établi une comparaison internationale des moyens des médecines psychiatriques. Ce qui frappe dans le cas des psychiatries française et belge est le grand nombre de médecins psychiatres par rapport à la population. Il y en a proportionnellement deux fois plus en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Il y a également davantage de lits d'hospitalisation que dans ces deux pays. La démographie médicale conduira 40 % des psychiatres à prendre leur retraite dans les prochaines années. Comme pour les autres corps médicaux, la répartition des psychiatres sur le territoire national est très mauvaise. Il y a des zones de surdensité, d'autres de sous-densité et, parmi celles-ci, de véritables déserts psychiatriques, même en Île-de-France, dont on dit pourtant qu'elle accueille une densité anormale de psychiatres. La mission suivra ce problème ainsi que celui de la formation des généralistes. Celle des magistrats reste fondée sur le volontariat. C'est à eux de s'inscrire aux stages qui leur sont proposés.
Il a été souligné que l'intervention du juge était acquise et que tout le monde s'en félicitait. Je serais beaucoup plus prudent. Tout le monde admet, certes, que cette intervention est exigée à la fois par la loi et par le Conseil constitutionnel. Toutefois, officieusement, certains psychiatres reconnaissent qu'ils ne se plient à cette règle que parce que la loi leur impose. Il y a donc encore une certaine réticence devant le regard extérieur.
Lorsque nous avons auditionné les syndicats de psychiatres, une demande a été formulée visant à ce que ce soit le juge des tutelles, et non plus le juge des libertés et de la détention, qui intervienne. Les psychiatres ont, en effet, de meilleures relations avec ces derniers qui s'occupent des problèmes civils ou patrimoniaux des patients et qui donc, par hypothèse, ne sont pas en opposition avec le soin prodigué et avec la contrainte dont celui-ci est éventuellement assorti. Néanmoins, si un jour le contrôle de la contrainte était exercé par le juge des tutelles, il est évident que le rapport avec le psychiatre changerait de nature. Ce point traduit bien l'existence d'une insatisfaction sur la façon dont les choses se passent, même si cette insatisfaction est moindre lorsque les audiences se passent à l'hôpital.
Madame Isabelle Le Callennec, vous avez posé toute une série de questions. Vous nous avez demandé qui pourrait être l'autorité compétente, si ce n'est pas le préfet. Nous nous sommes posé la question.
Pour y répondre, il faut se demander en quoi consiste fondamentalement la décision de mise sous contrainte. On pourrait dire qu'elle est d'ordre médical puisque c'est un médecin qui certifie que des soins sont nécessaires et que, par définition, le patient n'est pas en mesure d'y consentir. La contrainte étant la condition des soins, elle pourrait apparaître comme participant d'un acte thérapeutique. Dès lors, on pourrait imaginer de confier la prise de décision à un médecin de l'agence régionale de santé (ARS). C'est une hypothèse toutefois que nous n'avons pas retenue, ne serait-ce que parce que les médecins d'ARS sont rarement des psychiatres. Plus fondamentalement, il nous a semblé judicieux de maintenir une distinction entre, d'une part, le soin et, d'autre part, la contrainte, qui est certes la condition préalable mais qui en elle-même ne relève pas du soin.
Une autre piste serait celle des directeurs d'établissement. Cela poserait cependant d'autres problèmes. Selon Mme Nicole Questiaux, que nous avons entendue au titre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), ce n'est pas à celui qui gère les murs de les « remplir ». Je ne mets absolument pas en cause ici les directeurs d'établissement, lesquels exercent leur métier avec scrupule. Toutefois, si cette tâche leur était confiée, un doute pèserait nécessairement sur eux.
À défaut, ce ne peut être que le juge ou le procureur. Nous avons fait un peu de droit comparé. Dans les autres pays, ce sont en général les magistrats qui remplissent cette mission tout simplement parce qu'il y a une atteinte à la liberté individuelle. Le juge devient ici un juge « administrateur ». Un directeur d'établissement que nous avons auditionné a fait l'analogie avec l'ordonnance de placement provisoire. En cas d'urgence, le procureur de la République peut en effet placer un enfant, c'est-à-dire le retirer à sa famille, et il faut que dans les huit jours sa décision soit confirmée par un juge du siège, le juge des enfants. Nous n'avons pas encore tranché ce point. Si nous sommes en présence d'un processus administratif, c'est-à-dire si la décision se prend sur dossier au vu de certificats médicaux, cela revient un peu au même que ce soit un préfet ou un juge qui décide. Ajoutons que, si la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est adoptée, elle coupera le lien entre le ministre de la justice et le procureur. Devenu indépendant, celui-ci aura pleinement la qualité de magistrat au sens où l'entend la Cour européenne des droits de l'homme. En revanche, si nous sommes en présence d'un processus judiciaire, cela change tout. Si je suis procureur de la République, que je dois prendre une décision de placement et que je veux le faire au terme d'un débat contradictoire, il faut que je me fasse amener le patient. C'est compliqué puisque, par hypothèse, la décision de placement n'est pas prise. Il faut donc que je fasse appréhender une personne qui n'a pas, ou pas nécessairement, commis d'infraction. Par ailleurs, si la décision de placement est urgente, on peut supposer que le patient est en crise, c'est-à-dire qu'il se trouve au pire moment pour comprendre le processus dont il fait l'objet et pour y participer sans le vivre comme une souffrance plus grande. En résumé, avant de changer l'auteur de la décision, il faudra s'assurer que cela apporte un gain au malade. Pour l'instant, nous n'en sommes pas persuadés.
En ce qui concerne les mineurs, nous n'avons pas de statistiques. Nous avons identifié le problème et nous y travaillons.
S'agissant des droits des malades et de leur information, le vrai problème est aujourd'hui l'effectivité du droit. S'il y a par exemple un droit à un avocat, ce droit ne doit pas rester théorique. Au barreau de Lille, depuis plus d'un an, le bâtonnier ne commet plus d'avocat d'office pour assister les patients devant les juges des libertés et de la détention, car leur indemnité, représentant seulement quatre unités de valeur, soit 95 euros, ne couvrait même pas les charges de cabinet. L'effectivité des droits implique aussi que ceux-ci soient notifiés. C'est souvent compliqué. À quel moment notifie-t-on les droits ? On le fait normalement à l'arrivée du patient mais ce n'est pas facile si le patient est en crise. Sur ce type de problématiques, chaque établissement élabore aujourd'hui ses propres outils. Nous préconisons quant à nous la rédaction d'un livret d'accueil type où toutes les informations à caractère légal soient données Les droits de la « loi Kouchner » du 4 mars 2002 sont ouverts aux malades mentaux comme aux autres malades.
Sur la situation des autistes, nous avons décidé que la mission n'aborderait pas ce sujet. Il y a déjà d'autres travaux consacrés à ce problème, dont la chose exigerait une mission à part entière.
S'agissant des EHPAD, la situation est très compliquée. Il ne s'agit nullement de stigmatiser ces établissements. Nous savons bien que, si l'on ferme à clé certains services, c'est dans l'intérêt des personnes elles-mêmes et de leur sécurité. Il y a d'ailleurs des demandes des familles en ce sens. On se heurte ici à une difficulté juridique. L'EHPAD est en effet le domicile des personnes concernées. Les solutions valables pour l'hôpital ne peuvent donc pas être appliquées ipso facto aux EHPAD. Cela dit, il y a un problème lourd qui est bien identifié et que M. Jean-Marie Delarue a clairement relevé. Des limites sont posées à la liberté en dehors de tout cadre juridique et de tout contrôle efficace. Il existe également des problèmes de contention. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce sujet.
Élie Aboud m'a interrogé sur la prise en charge somatique. La loi du 5 juillet 2011 prescrit une visite à l'entrée qui est généralement respectée. Pour le reste, il y a une facilité de prise en charge dans les hôpitaux généraux dotés d'une division psychiatrique. En revanche, on rencontre des difficultés quand l'hôpital psychiatrique n'a pas de service de médecine générale. Il est inacceptable qu'une personne en hôpital psychiatrique ne voit pas ses problèmes somatiques identifiés et soignés. Rappelons cette évidence qu'un psychiatre est en même temps un médecin.
Une dernière question m'a été posée concernant les infirmiers psychiatriques. Cette profession a été supprimée en 1992, ce qui est ressenti aujourd'hui comme une perte. La formation était différente de celle d'infirmier. Il s'agissait souvent en outre de personnes qui choisissaient cette voie vers l'âge de 40 ans, avec une expérience de vie et donc une qualité humaine spécifique. Pour autant, personne ne souhaite la réintroduction de cette profession sous sa forme ancienne. En revanche, on pourrait envisager que la psychiatrie devienne une spécialisation pour les infirmiers. On nous a dit que certaines personnes s'engageaient dans la voie de la psychiatrie par défaut et s'en allaient dès que possible. Mais nous avons pour notre part rencontré beaucoup de personnes qui y venaient délibérément et avec une forte motivation, des gens très investis auprès des patients et dont les attentes sont grandes vis-à-vis du législateur.