Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 21 mai 2013 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

C'est avec plaisir que je réponds à l'invitation de votre Commission, avec laquelle j'ai toujours des échanges très denses, fructueux, même s'ils sont parfois vifs.

Les deux projets de loi que je vous présente aujourd'hui visent à consolider l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, modifiant les articles 64 et 65 de la Constitution, vise à réformer substantiellement la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, afin de renforcer significativement son rôle. Quant au projet de loi ordinaire, qui tend à modifier les articles 30, 35 et 39-1 du code de procédure pénale, relatifs aux attributions du garde des Sceaux et à ses relations avec le parquet, il a pour objectif essentiel de supprimer la possibilité pour le garde des Sceaux d'adresser au parquet des instructions individuelles. Ces projets traduisent l'engagement n° 53 du candidat François Hollande, réaffirmé en janvier 2013 par le président de la République lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation.

La réforme constitutionnelle de 2008 a été mise en oeuvre en 2011 et l'on pourrait s'interroger sur l'opportunité de procéder à une nouvelle réforme du CSM. C'est qu'il s'agit, comme je viens de le dire, de conforter les conditions de l'indépendance et de l'impartialité de l'autorité judiciaire, tant au niveau du CSM que des parquets eux-mêmes.

Certes, la réforme de 2008 avait permis des avancées substantielles, notamment en retirant au président de la République et au ministre de la Justice respectivement la présidence et la vice-présidence du CSM, et en ouvrant aux justiciables la faculté de saisir le CSM. Cependant, certaines de ses dispositions tendaient à neutraliser ces avancées, notamment s'agissant des rapports entre l'Exécutif et la magistrature. La loi constitutionnelle de 2008 a ainsi confié aux autorités politiques le soin de désigner six personnalités extérieures, au lieu de quatre auparavant. En outre, l'interprétation de cette réforme par le Conseil constitutionnel a dénié au CSM la faculté de s'autosaisir.

Notre proposition de réécriture de l'article 65 de la Constitution, qui a recueilli l'accord du Conseil d'État, vise à mettre le CSM à l'abri des interventions politiques. Conformément au souhait du président de la République, nous avons proposé une présence majoritaire des magistrats élus dans la composition du Conseil. Cependant les échanges auxquels l'avant-projet a donné lieu ont fait apparaître la préférence des parlementaires pour une composition paritaire entre magistrats et non magistrats, parité qui est par ailleurs conforme aux standards européens, notamment aux recommandations du Conseil de l'Europe. Notre texte prévoit par ailleurs que le président du CSM sera choisi parmi les cinq personnalités qualifiées désignées par le collège.

Le projet de loi constitutionnelle dispose par ailleurs que la formation plénière du CSM réunira effectivement tous les membres du Conseil, alors que, dans l'état actuel du droit, elle ne rassemble pas la totalité des membres des deux formations spécialisées, celle compétente à l'égard des magistrats du siège et celle compétente à l'égard des magistrats du parquet.

Ce texte prévoit, par ailleurs, que le CSM pourra se saisir d'office des questions relatives à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.

L'indépendance vis-à-vis de l'Exécutif est le maître mot de notre proposition de réforme du CSM. Je n'ai pas à vous rappeler que, jusqu'en 1993, tous les membres du CSM étaient désignés par le pouvoir politique : ce n'est que depuis cette date que les magistrats siégeant au Conseil sont élus par leurs pairs. À partir de la réforme de 2008, les personnalités qualifiées siégeant au CSM sont nommées par les autorités politiques. Nous proposons qu'elles le soient désormais par un collège dont les membres seront désignés au titre de leur fonction : il s'agirait du vice-président du Conseil d'État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du premier président de la Cour des comptes et d'un professeur des universités.

Ce collège serait chargé de dresser une liste de cinq personnes qualifiées – six en cas de parité dans la composition du Conseil – dont la désignation serait soumise à l'avis conforme des commissions des Lois des deux assemblées, la nomination ne pouvant pas avoir lieu si l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le choix d'un vote sur liste bloquée obéit à un souci de cohésion, mais je n'ignore pas que ce point est discuté, certains nous ayant fait part de leur préférence pour un vote sur les candidatures individuelles.

Le CSM comprendrait en outre un avocat, désigné par le Conseil national des barreaux, et un conseiller d'État, élu par le Conseil d'État.

Le projet de loi constitutionnelle vise aussi à renforcer l'impartialité du parquet puisqu'il prévoit que la nomination des magistrats du parquet sera subordonnée à l'avis conforme du CSM et aligne le régime disciplinaire de ces magistrats, qui relèverait désormais du CSM, sur celui des magistrats du siège. Une telle réforme contribuera à l'unité du corps de la magistrature, conformément à la Constitution et à une revendication forte des magistrats.

Le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique propose, quant à lui, une rédaction de l'article 30 du code de procédure pénale plus conforme aux dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Celle-ci réservait l'exercice de l'action publique aux seuls magistrats du parquet, alors que la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité confiait au ministre de la Justice la conduite directe de l'action publique. Notre projet restitue au garde des Sceaux la responsabilité d'animer la politique pénale du Gouvernement sur l'ensemble du territoire, conformément à l'article 20 de la Constitution, et au parquet le plein exercice de l'action publique. Cela signifie qu'il revient au ministre de la Justice de définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur ressort.

Je vous renvoie au contenu de la circulaire générale de politique pénale du 19 septembre 2012 indiquant les principes directeurs de la nouvelle politique pénale : l'individualisation des décisions à tous les stades de la procédure, le principe que la réponse pénale doit intervenir dans un temps utile, c'est-à-dire n'être ni trop précipitée ni trop longue, des décisions d'incarcération qui tiennent compte des critères élargis par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le respect des droits de la défense, une attention particulière portée aux victimes d'infraction, attention particulière qui s'est traduite dans le projet de loi de finances pour 2013 par la création d'une centaine de nouveaux bureaux d'aide aux victimes, afin que chaque tribunal de grande instance en soit doté d'ici la fin de cette année. Est également rappelée, dans cette circulaire, la nécessité d'une prise en charge continue et dynamique des mineurs délinquants, à vocation d'abord éducative. Quant aux procureurs de la République, il est fait mention de l'obligation qui est la leur d'informer les officiers de police judiciaire des suites données par les juridictions aux procédures qu'ils ont menées.

Ces nouvelles relations entre la Chancellerie et les magistrats du ministère public sont fondées sur la responsabilité du garde des Sceaux en ce qui concerne la mise en oeuvre de la politique pénale sur l'ensemble du territoire. Des directives de politique pénale peuvent également être consacrées à des territoires particuliers, tels que la Corse, Marseille, la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, dont la situation singulière sur le plan pénal appelle des réponses spécifiques. Ainsi, la circulaire du 23 novembre 2012 relative à la politique pénale territoriale pour la Corse recommande au parquet de favoriser la co-saisine des services de police et de gendarmerie.

Les procureurs généraux restent responsables, dans leur ressort, de l'animation et de la coordination de l'action publique, dans le respect des grandes orientations de la politique pénale générale. Les zones de sécurité prioritaires sont l'exemple type de territoires où les procureurs généraux et les procureurs déclinent la politique pénale générale en fonction des profils de délinquance qu'ils rencontrent dans leur ressort.

Les directives du garde des Sceaux peuvent aussi préciser les conditions dans lesquelles la politique pénale s'applique à des thématiques particulières. C'est l'objet de ma circulaire sur la détention d'armes ou de celle consacrée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. De même, le garde des Sceaux peut diffuser des instructions générales visant à accompagner une réforme législative. J'ai ainsi présenté, dans une circulaire, la loi relative au harcèlement sexuel ou encore celle ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Le projet de loi prévoit par ailleurs les conditions dans lesquelles le parquet informe la Chancellerie de l'application de la loi et de la mise en oeuvre des instructions générales. Aux termes de ce texte, les procureurs généraux sont tenus d'adresser, chaque année, au ministre de la Justice un rapport de politique pénale afin de rendre compte, non seulement de la gestion des parquets de leur ressort, mais aussi de la mise en oeuvre de la politique pénale. Ce rapport annuel viendra s'ajouter aux rapports particuliers adressés tout le long de l'année à la Chancellerie, et qui l'informent sur l'état des procédures, la conduite locale de l'action publique, et les difficultés d'application de la politique pénale générale. Ces remontées d'information permettent au garde des Sceaux de prendre des mesures adaptées ou de savoir où il faut renforcer les moyens. Ces signalements sont aussi pour vous, parlementaires, une source d'information fort utile, qui vous permet de ne pas dépendre des médias pour connaître l'état des procédures.

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