La séance est ouverte à 16 heures 30.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.
La Commission procède à l'audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (n° 815) et sur le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique (n° 845).
La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, d'avoir répondu à notre invitation pour nous présenter le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique.
C'est avec plaisir que je réponds à l'invitation de votre Commission, avec laquelle j'ai toujours des échanges très denses, fructueux, même s'ils sont parfois vifs.
Les deux projets de loi que je vous présente aujourd'hui visent à consolider l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, modifiant les articles 64 et 65 de la Constitution, vise à réformer substantiellement la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, afin de renforcer significativement son rôle. Quant au projet de loi ordinaire, qui tend à modifier les articles 30, 35 et 39-1 du code de procédure pénale, relatifs aux attributions du garde des Sceaux et à ses relations avec le parquet, il a pour objectif essentiel de supprimer la possibilité pour le garde des Sceaux d'adresser au parquet des instructions individuelles. Ces projets traduisent l'engagement n° 53 du candidat François Hollande, réaffirmé en janvier 2013 par le président de la République lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation.
La réforme constitutionnelle de 2008 a été mise en oeuvre en 2011 et l'on pourrait s'interroger sur l'opportunité de procéder à une nouvelle réforme du CSM. C'est qu'il s'agit, comme je viens de le dire, de conforter les conditions de l'indépendance et de l'impartialité de l'autorité judiciaire, tant au niveau du CSM que des parquets eux-mêmes.
Certes, la réforme de 2008 avait permis des avancées substantielles, notamment en retirant au président de la République et au ministre de la Justice respectivement la présidence et la vice-présidence du CSM, et en ouvrant aux justiciables la faculté de saisir le CSM. Cependant, certaines de ses dispositions tendaient à neutraliser ces avancées, notamment s'agissant des rapports entre l'Exécutif et la magistrature. La loi constitutionnelle de 2008 a ainsi confié aux autorités politiques le soin de désigner six personnalités extérieures, au lieu de quatre auparavant. En outre, l'interprétation de cette réforme par le Conseil constitutionnel a dénié au CSM la faculté de s'autosaisir.
Notre proposition de réécriture de l'article 65 de la Constitution, qui a recueilli l'accord du Conseil d'État, vise à mettre le CSM à l'abri des interventions politiques. Conformément au souhait du président de la République, nous avons proposé une présence majoritaire des magistrats élus dans la composition du Conseil. Cependant les échanges auxquels l'avant-projet a donné lieu ont fait apparaître la préférence des parlementaires pour une composition paritaire entre magistrats et non magistrats, parité qui est par ailleurs conforme aux standards européens, notamment aux recommandations du Conseil de l'Europe. Notre texte prévoit par ailleurs que le président du CSM sera choisi parmi les cinq personnalités qualifiées désignées par le collège.
Le projet de loi constitutionnelle dispose par ailleurs que la formation plénière du CSM réunira effectivement tous les membres du Conseil, alors que, dans l'état actuel du droit, elle ne rassemble pas la totalité des membres des deux formations spécialisées, celle compétente à l'égard des magistrats du siège et celle compétente à l'égard des magistrats du parquet.
Ce texte prévoit, par ailleurs, que le CSM pourra se saisir d'office des questions relatives à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.
L'indépendance vis-à-vis de l'Exécutif est le maître mot de notre proposition de réforme du CSM. Je n'ai pas à vous rappeler que, jusqu'en 1993, tous les membres du CSM étaient désignés par le pouvoir politique : ce n'est que depuis cette date que les magistrats siégeant au Conseil sont élus par leurs pairs. À partir de la réforme de 2008, les personnalités qualifiées siégeant au CSM sont nommées par les autorités politiques. Nous proposons qu'elles le soient désormais par un collège dont les membres seront désignés au titre de leur fonction : il s'agirait du vice-président du Conseil d'État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du premier président de la Cour des comptes et d'un professeur des universités.
Ce collège serait chargé de dresser une liste de cinq personnes qualifiées – six en cas de parité dans la composition du Conseil – dont la désignation serait soumise à l'avis conforme des commissions des Lois des deux assemblées, la nomination ne pouvant pas avoir lieu si l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le choix d'un vote sur liste bloquée obéit à un souci de cohésion, mais je n'ignore pas que ce point est discuté, certains nous ayant fait part de leur préférence pour un vote sur les candidatures individuelles.
Le CSM comprendrait en outre un avocat, désigné par le Conseil national des barreaux, et un conseiller d'État, élu par le Conseil d'État.
Le projet de loi constitutionnelle vise aussi à renforcer l'impartialité du parquet puisqu'il prévoit que la nomination des magistrats du parquet sera subordonnée à l'avis conforme du CSM et aligne le régime disciplinaire de ces magistrats, qui relèverait désormais du CSM, sur celui des magistrats du siège. Une telle réforme contribuera à l'unité du corps de la magistrature, conformément à la Constitution et à une revendication forte des magistrats.
Le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique propose, quant à lui, une rédaction de l'article 30 du code de procédure pénale plus conforme aux dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Celle-ci réservait l'exercice de l'action publique aux seuls magistrats du parquet, alors que la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité confiait au ministre de la Justice la conduite directe de l'action publique. Notre projet restitue au garde des Sceaux la responsabilité d'animer la politique pénale du Gouvernement sur l'ensemble du territoire, conformément à l'article 20 de la Constitution, et au parquet le plein exercice de l'action publique. Cela signifie qu'il revient au ministre de la Justice de définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur ressort.
Je vous renvoie au contenu de la circulaire générale de politique pénale du 19 septembre 2012 indiquant les principes directeurs de la nouvelle politique pénale : l'individualisation des décisions à tous les stades de la procédure, le principe que la réponse pénale doit intervenir dans un temps utile, c'est-à-dire n'être ni trop précipitée ni trop longue, des décisions d'incarcération qui tiennent compte des critères élargis par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le respect des droits de la défense, une attention particulière portée aux victimes d'infraction, attention particulière qui s'est traduite dans le projet de loi de finances pour 2013 par la création d'une centaine de nouveaux bureaux d'aide aux victimes, afin que chaque tribunal de grande instance en soit doté d'ici la fin de cette année. Est également rappelée, dans cette circulaire, la nécessité d'une prise en charge continue et dynamique des mineurs délinquants, à vocation d'abord éducative. Quant aux procureurs de la République, il est fait mention de l'obligation qui est la leur d'informer les officiers de police judiciaire des suites données par les juridictions aux procédures qu'ils ont menées.
Ces nouvelles relations entre la Chancellerie et les magistrats du ministère public sont fondées sur la responsabilité du garde des Sceaux en ce qui concerne la mise en oeuvre de la politique pénale sur l'ensemble du territoire. Des directives de politique pénale peuvent également être consacrées à des territoires particuliers, tels que la Corse, Marseille, la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, dont la situation singulière sur le plan pénal appelle des réponses spécifiques. Ainsi, la circulaire du 23 novembre 2012 relative à la politique pénale territoriale pour la Corse recommande au parquet de favoriser la co-saisine des services de police et de gendarmerie.
Les procureurs généraux restent responsables, dans leur ressort, de l'animation et de la coordination de l'action publique, dans le respect des grandes orientations de la politique pénale générale. Les zones de sécurité prioritaires sont l'exemple type de territoires où les procureurs généraux et les procureurs déclinent la politique pénale générale en fonction des profils de délinquance qu'ils rencontrent dans leur ressort.
Les directives du garde des Sceaux peuvent aussi préciser les conditions dans lesquelles la politique pénale s'applique à des thématiques particulières. C'est l'objet de ma circulaire sur la détention d'armes ou de celle consacrée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. De même, le garde des Sceaux peut diffuser des instructions générales visant à accompagner une réforme législative. J'ai ainsi présenté, dans une circulaire, la loi relative au harcèlement sexuel ou encore celle ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Le projet de loi prévoit par ailleurs les conditions dans lesquelles le parquet informe la Chancellerie de l'application de la loi et de la mise en oeuvre des instructions générales. Aux termes de ce texte, les procureurs généraux sont tenus d'adresser, chaque année, au ministre de la Justice un rapport de politique pénale afin de rendre compte, non seulement de la gestion des parquets de leur ressort, mais aussi de la mise en oeuvre de la politique pénale. Ce rapport annuel viendra s'ajouter aux rapports particuliers adressés tout le long de l'année à la Chancellerie, et qui l'informent sur l'état des procédures, la conduite locale de l'action publique, et les difficultés d'application de la politique pénale générale. Ces remontées d'information permettent au garde des Sceaux de prendre des mesures adaptées ou de savoir où il faut renforcer les moyens. Ces signalements sont aussi pour vous, parlementaires, une source d'information fort utile, qui vous permet de ne pas dépendre des médias pour connaître l'état des procédures.
Je voudrais d'abord saluer M. Fenech, co-rapporteur d'application pour ce texte, avec lequel j'ai travaillé en bonne intelligence.
La réforme constitutionnelle de 2008 était déjà une avancée incontestable, et les auditions auxquelles nous avons procédé ont confirmé que le fonctionnement de l'actuel CSM, issu de cette réforme, était assez satisfaisant. Ce projet de loi constitutionnelle va cependant permettre de progresser encore, notamment sur deux points : la nécessité d'un avis conforme du CSM pour la nomination des magistrats du parquet ; la diminution de la proportion des non magistrats – je les appellerai les « laïcs » – dans la composition du CSM.
Il est nécessaire de rappeler, à ce stade, que le CSM est un conseil supérieur de la magistrature, et non de la justice : il n'est donc pas question de faire droit à la demande de certains syndicats de magistrats que lui soit transférée la direction des services judiciaires ou l'inspection générale des services judiciaires. L'objectif du texte est simplement de garantir l'indépendance et, par là même, l'impartialité de cet organisme.
Il me semble que l'on peut encore améliorer ce texte, notamment en établissant la parité entre « laïcs » et magistrats dans la composition du CSM. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de porter le nombre de personnalités qualifiées désignées par le collège ad hoc de cinq à six. Le CSM compterait alors trois collèges : un collège de huit magistrats du parquet, un collège de huit magistrats du siège et un collège de huit non magistrats. Il serait également possible de soumettre la désignation des personnes qualifiées à l'obligation de respecter la parité entre les hommes et les femmes.
Ensuite, nous vous proposerons d'introduire dans le collège des autorités de nomination le président d'une « instance consultative de protection des libertés publiques et de défense des droits de l'homme », cette périphrase désignant en réalité la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Le recours à cette périphrase vise à éviter que l'on nous reproche de constitutionnaliser cette instance. De même, par précaution, le projet de loi constitutionnelle désigne la commission des Lois par la périphrase « commission permanente désignée par la loi », pour le cas où cette commission changerait de nom.
Je vous proposerai aussi de confier au collège des autorités de nomination le soin de désigner, parmi les personnalités nommées par lui, le futur président du CSM.
S'agissant du vote des commissions des Lois sur la désignation des membres « laïcs » du CSM, nous proposerons de substituer au vote bloqué de liste, prévu par le projet de loi, un vote sur chaque nom. En outre, chaque nomination, pour être effective, devrait recueillir un vote positif des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions. Nous avons conscience du risque de blocage institutionnel que ce mécanisme comporte, ainsi que de celui de ne voir proposer à la nomination que des personnalités sans aspérité afin de prévenir un tel blocage. Seule l'expérience nous instruira sur ce point, mais si le système fonctionne, il pourrait être généralisé à l'ensemble des nominations visées au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Un autre de mes amendements vise à modifier la composition de la formation plénière. La question est d'importance, sachant que le projet ouvre à celle-ci la possibilité de se saisir d'office de toute question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. Telle qu'elle est prévue par le texte du Gouvernement, cette composition va à l'encontre du principe de parité, puisque sur les vingt-trois membres du CSM, seuls sept ne sont pas magistrats. C'est la raison pour laquelle je vous propose de maintenir le système en vigueur depuis la réforme de 2008, selon lequel la formation plénière ne comprend pas la totalité des magistrats : elle comprendrait alors huit magistrats et huit personnalités qualifiées. La composition paritaire de la formation plénière me semble en effet le meilleur moyen de préserver l'indépendance du CSM et de lui éviter de se transformer en intersyndicale.
Nous proposerons enfin que le CSM puisse être saisi par un magistrat sur une question de déontologie qui le concerne.
Cela fait très longtemps que les rapports entre le parquet et le ministère de la Justice suscitent le débat, le dernier en date ayant abouti au projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, déposé en 1998 sur le bureau de l'Assemblée nationale par la garde des Sceaux de l'époque, Mme Élisabeth Guigou.
La disposition fondamentale du dispositif que l'on nous propose aujourd'hui est la suppression, conformément aux engagements du candidat François Hollande, de la possibilité pour la Chancellerie de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet : c'est l'objet de la nouvelle rédaction qui nous est proposée pour l'article 30 du code de procédure pénale. L'affirmation législative de ce principe vise non seulement à protéger les justiciables et à lutter contre les suspicions de connivence entre les politiques et la justice, mais également à remédier aux colossales difficultés nées de la contradiction entre le principe de subordination hiérarchique du ministère public français et les conventions auxquelles la France est partie. En effet, en vertu de l'article 20 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, c'est au Gouvernement qu'il revient de conduire la politique pénale, via les magistrats du parquet, qui lui sont hiérarchiquement subordonnés. Ce système original présente l'inconvénient de contrevenir aux principes posés par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui s'est progressivement intégrée au droit positif des États membres.
Tout l'enjeu du texte est donc de concilier le principe selon lequel le Gouvernement conduit la politique de la Nation, que nul n'entend remettre en cause, notamment en matière pénale, avec l'exercice de l'action publique par des magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement subordonnés.
Je tiens à souligner que le dispositif législatif qui nous est proposé réaffirme la compétence du ministre de la Justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il le fait plus fortement encore que ne le faisait la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, aux termes duquel « le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement ». En revanche, le projet de loi ne modifie en rien l'article 31 du code de procédure pénale, aux termes duquel il revient au ministère public d'exercer l'action publique et de requérir l'application de la loi. C'est le respect de ces attributions propres à chacun qui doit présider aux relations entre le ministre de la Justice et le ministère public, selon les modalités que Mme la garde des Sceaux vient de rappeler.
Nous vous proposerons donc d'adopter ce dispositif, après y avoir apporté quelques améliorations.
Nous souhaiterions que les instructions générales de politique pénale soient rendues publiques. Nous voudrions aussi que le Gouvernement informe chaque année le Parlement de la mise en oeuvre de sa politique pénale, par une déclaration qui pourrait être suivie d'un débat. Une telle disposition existait déjà dans le projet de loi « Guigou » de 1998.
Nous proposerons également qu'après avoir été adressé au procureur général, le rapport annuel de politique pénale établi par le procureur de la République soit communiqué par celui-ci au président du tribunal de grande instance et fasse l'objet d'un débat lors de la plus prochaine assemblée générale des magistrats du siège et du parquet. Ce dispositif est requis et décliné au niveau de chaque cour d'appel.
Nous suggérons par ailleurs de modifier le titre du projet de loi en substituant aux mots : « d'action », les mots : « de mise en oeuvre de l'action », l'action publique relevant en effet de la compétence exclusive du parquet.
Enfin, afin de conforter encore les conditions de la conciliation entre les enjeux conventionnel et constitutionnel évoqués au début de mon intervention, je proposerai de préciser, à l'article 31 du code de procédure pénale, que le ministère public exerce l'action publique « dans le respect des principes d'indépendance et d'impartialité. » Une telle précision permettrait d'affirmer que les membres du parquet sont des magistrats impartiaux et indépendants, bien que hiérarchiquement subordonnés au garde des Sceaux. Ce texte doit, en lien avec la réforme du CSM, protéger notre pays du risque de sanction de la Cour européenne des droits de l'homme, sans pour autant remettre en cause la spécificité de notre ministère public. Je vous rappelle en effet que la jurisprudence de la Cour européenne dénie au ministère public la qualité d'autorité judiciaire et que la Cour de cassation partage désormais le point de vue de la Cour de Strasbourg.
Je vous remercie d'abord, madame la garde des Sceaux, pour votre présentation et pour l'esprit d'ouverture dont vous faites preuve en acceptant de faire évoluer votre projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM. Mais cette évolution même nous conduit à poser cette question : tout ça pour ça ?
On se souvient que c'est l'affaire Cahuzac qui a incité le président de la République à précipiter une réforme institutionnelle majeure, au point de remettre en cause la réforme de 2008, qui constituait pourtant une avancée considérable, sans même attendre d'avoir le recul nécessaire pour en évaluer les résultats. La majorité de ceux que nous avons auditionnés a même déploré ce que certains qualifient de « régression démocratique » et la constitution d'un « système oligarchique ». Ces auditions m'ont fait pressentir que la disposition donnant aux magistrats la majorité au sein du CSM ne serait finalement pas adoptée.
Vous confondez, madame, indépendance et autonomie : l'indépendance, ce n'est pas l'irresponsabilité. Ce n'est pas en coupant le CSM de la société que nous parviendrons à rétablir la confiance de nos concitoyens envers l'institution judiciaire. La parité entre magistrats et non magistrats serait un moindre mal, mais cela resterait une régression.
Je crains par ailleurs qu'en confiant à un collège d'autorités de nomination la désignation des personnalités qualifiées, votre projet n'affaiblisse la légitimité des membres du CSM. En effet, quelle haute autorité pourrait être plus légitime que le président de la République ou les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ?
Pour toutes ces raisons, ce texte me semble loin d'être une avancée. Et je crains qu'il ne fasse pousser des cris d'orfraie aux syndicats de magistrats eux-mêmes, s'il ne tient pas finalement l'engagement du président de la République de donner aux magistrats – et donc aux syndicats de magistrats – la majorité au sein du CSM.
Je me demande enfin à quel titre vous maintenez la faculté pour le garde des Sceaux d'assister aux séances du CSM.
Si l'intention d'assurer l'indépendance de la justice est louable, ce n'est pas en multipliant les lois qu'on y parviendra, au contraire. Si ce texte met la justice à l'abri de l'Exécutif, il ne la protégera pas des pressions des puissances politiques, ni des coteries, ni des réseaux, des syndicats, des médias, ni du conformisme ambiant, ni des puissances financières, parce que c'est impossible. Pour que le service public de la justice ne puisse pas être soupçonné de partialité, il faudrait que chaque juge soit Dieu. Ce n'est pas en changeant la forme qu'on changera le fond. L'impartialité ne se décrète pas : elle se constate.
S'agissant de la composition du CSM, je partage largement la position de Dominique Raimbourg : les standards européens imposent simplement la parité, et non pas la prédominance des magistrats.
La nomination des cinq personnalités qualifiées qui auront été désignées par un collège à la composition quelque peu baroque – ce qui n'est pas nécessairement un inconvénient – dépendra de la validation d'une liste bloquée par absence de veto des trois cinquièmes des commissions des Lois des deux assemblées. Ce veto aux trois cinquièmes étant plus difficile à obtenir qu'une approbation dans les mêmes proportions, la liste a peu de chances d'être rejetée.
Si la plupart des membres de ce collège sont en effet indépendants du pouvoir politique, je vous rappelle que le Défenseur des droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes sont nommés en Conseil des ministres. Les différentes personnalités composant le collège ont de surcroît moins d'autorité que le président de la République et les présidents des deux assemblées parlementaires. Je ne vois donc pas l'intérêt de la substitution proposée. En outre, en quoi le président du CESE, même s'il est élu par ses pairs, serait-il plus exempt de suspicion que d'autres autorités ?
Par ailleurs, un avis conforme sera requis pour la nomination de tous les membres du parquet, y compris ceux qui sont au sommet de la hiérarchie, alors que certains magistrats du siège, eux, sont nommés sur proposition.
Enfin, je conçois la difficulté qu'il y a à concilier la position des instances européennes sur le statut du parquet et le maintien d'un lien avec la Chancellerie, comme le rappelait M. Le Bouillonnec ; mais l'obligation faite aux procureurs généraux comme aux procureurs de la République d'adapter les instructions générales de politique pénale au contexte de leurs ressorts respectifs ne risque-t-elle pas d'ébrécher l'unité de la loi pénale ? Des explications complémentaires, voire des amendements, me paraissent souhaitables sur ce point.
Je salue la portée des deux textes qui nous sont soumis. Vous étiez déjà la ministre de l'égalité, madame la garde des Sceaux ; vous serez bientôt celle de l'indépendance. En tant que membre de la Délégation aux droits des femmes de notre assemblée, je suis particulièrement sensible à la question de la parité ; or, s'il est une institution inégalitaire sur ce plan, c'est bien l'institution judiciaire, où les femmes sont aussi nombreuses en bas de la hiérarchie que rares en son sommet. Le fait qu'une femme soit à la tête de la Chancellerie ne saurait masquer cette triste réalité.
S'agissant des liens entre la Chancellerie et le parquet, on ne peut que se réjouir de voir consacrée une pratique qui a toujours été celle de la gauche. Cependant, le projet de loi ne répond pas à toutes les attentes des magistrats du parquet, dont la plupart attendent un statut rénové et plus protecteur. Quelles dispositions législatives envisagez-vous pour garantir le respect de l'autonomie de leurs décisions, l'objectivité des critères d'affectation dans les services et d'attribution des dossiers, ainsi que le respect de la liberté de parole à l'audience ?
S'agissant de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, madame la garde des Sceaux, le président de la République s'était engagé à ce que les « clercs » disposent d'un siège de plus que les « laïcs » : la parité que M. le rapporteur veut introduire par amendement ne correspond donc pas à cet engagement.
Le principe de l'opportunité des poursuites est de la plus grande conséquence au regard de l'indépendance du parquet. Quelles sont les voies de recours contre un classement inconsidéré ?
Si un procureur n'applique pas, par simple négligence ou de manière délibérée, les directives de politique pénale, quelles en sont les conséquences et quelle est sa responsabilité ? Quelles sont alors les voies de recours pour le Gouvernement ? Rappelons que l'avortement fut autrefois un crime – passible de la guillotine, à laquelle fut condamnée une femme sous le régime de Vichy –, puis un délit de moins en moins poursuivi, avant d'être tout simplement légalisé et remboursé par la sécurité sociale : ce long chemin est dû, pour une large part, à la politique pénale et à la cessation progressive des poursuites par les parquets.
Comment les citoyens sont-ils protégés de dépendances autres que celles qui peuvent lier les magistrats au pouvoir politique, comme la dépendance aux consignes syndicales ? J'ajoute que l'indépendance et l'impartialité sont deux notions très différentes : on peut être indépendant et partial – cela arrive même très souvent.
Je regrette que l'ordre du jour de l'éventuel Congrès du Parlement du mois de juillet prochain ait été amputé de deux textes d'un intérêt tout particulier, qui de surcroît correspondent à des engagements du président de la République. Dans cette Commission comme ailleurs, le précédent exécutif, faut-il le rappeler, s'était vu reprocher de convoquer le Congrès des motifs un peu courts des « pattes arrière », comme disent les chasseurs Mais, peut-être, Mme la garde des Sceaux pourra-t-elle nous donner des informations sur le calendrier d'examen des projets de loi constitutionnelle relatifs à l'inscription du dialogue social dans la Constitution et au statut pénal du chef de l'État ?
La conclusion de M. Raimbourg me semble être l'idée directrice de son analyse : le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait s'apparenter à une intersyndicale des magistrats. Même si la représentativité des juges était garantie par leur adhésion obligatoire à une organisation syndicale – ce qui est juridiquement impossible, bien entendu –, il ne serait sans doute pas opportun de livrer les clés du CSM à des organisations qui, compte tenu des modalités de désignation, y assurent leur présence. Une telle hypothèse est encore moins crédible au regard d'un taux de syndicalisation en moyenne inférieur à 10 %, même s'il est sans doute un peu plus élevé chez les magistrats. La sagesse commanderait de faire vivre le système actuel un peu plus longtemps ; mais telle n'est pas, apparemment, la volonté du Gouvernement et du chef de l'État. Cela dit, la proposition du rapporteur est un pis-aller, et je la fais donc mienne.
Néanmoins, en l'absence de voix prépondérante, comment faire émerger une majorité au sein d'une instance dont la composition est paritaire ? Cela risque de créer des blocages institutionnels, que le rapporteur lui-même déclare redouter.
Je partage les craintes de M. Schwartzenberg quant à un affaiblissement de l'autorité du CSM. Le projet, par exemple, ne donne aucune précision sur le profil, les titres et la spécialité du professeur d'université membre du collège de désignation : sans remettre en cause ses compétences scientifiques, bien entendu, on peut craindre que son autorité personnelle ne soit contestée dans ce rôle, ce qui ne serait pas sain pour l'institution.
Comment les sept personnalités mentionnées à l'alinéa 15 de l'article 2 désigneront-elles les cinq personnes qualifiées qui siégeront au CSM ? Disposeront-elles d'une liste ? Devront-elles se prononcer à l'unanimité ou à la majorité qualifiée ?
Enfin, j'attends avec impatience le débat sur les amendements annoncé par M. Le Bouillonnec. Quelle forme prendra l'évaluation des procureurs de la République par les procureurs généraux sur la mise en oeuvre des instructions générales, telle qu'elle est prévue à l'article 2 du projet de loi ordinaire ? Comment garantir l'objectivité de cette évaluation ? Je remercie Mme la garde des Sceaux pour les rapports annuels de politique pénale mentionnés aux articles 2 et 3, car ils nous épargnent les traditionnels amendements sur le sujet ; toutefois, aucune présentation au Parlement n'est prévue. Je souhaiterais que ces rapports soient, au mieux, débattus en séance publique ou, à défaut, au sein de notre commission.
Est-il bien nécessaire de convoquer le Congrès pour changer, en fin de compte, un membre du CSM ? Cette convocation, concevable au regard de l'ensemble de la réforme constitutionnelle, ne relève-t-elle pas, désormais, de l'acharnement thérapeutique ?
S'agissant des liens entre le parquet et le garde des Sceaux, nous nous étions opposés à la réforme proposée par Mme Guigou ; il avait fallu des transactions complexes pour aboutir à un texte qui ne fut finalement pas voté, puisque le Congrès n'a pas été convoqué. Les radicaux de gauche refusent la République des juges comme l'indépendance des procureurs. Notre architecture judiciaire est en effet fragilisée par la non-reconnaissance de la spécificité du statut du garde des Sceaux : sa désignation devrait être ratifiée par le Parlement, et il devrait échapper aux aléas des remaniements gouvernementaux – je suis d'ailleurs loin d'être le seul à défendre cette idée. Une telle indépendance politique, en le mettant à l'abri des soupçons, lui permettrait d'établir un véritable rapport hiérarchique avec le parquet. Mais ce n'est évidemment pas le sens du texte qui nous est proposé.
Comme l'a par exemple montré l'affaire Clinton aux États-Unis, l'indépendance donne aux procureurs la possibilité d'agir avec férocité et ce, en l'absence de tout contrôle ; elle devient alors synonyme de partialité – d'où mes doutes quant à toute disposition en ce sens. De plus, comme M. Schwartzenberg le soulignait, l'unité de la politique pénale doit être assurée sur l'ensemble du territoire, tâche qui incombe d'ailleurs aux procureurs de la République – dont chacun sait qu'ils détiennent le vrai pouvoir en la matière – bien davantage qu'aux procureurs généraux. En ce sens, l'absence de hiérarchisation entre le parquet et la Chancellerie me semble dangereuse pour la République.
L'État, rappelons-le, est séparé non pas en trois mais en deux pouvoirs, puisque la justice n'est pas un pouvoir ; c'est une autorité. C'est pourquoi les deux textes dont nous discutons ne laissent pas de m'inquiéter. J'approuve les amendements du rapporteur au projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM, mais ceux-ci ne correspondent toutefois pas aux engagements du président de la République. Enfin, gardons-nous de réduire le lien entre les procureurs et le garde des Sceaux aux directives de politique pénale.
La présente réforme va dans le sens de l'indépendance de la justice. À la faculté de Rennes, si je me souviens bien, mes doctes professeurs d'histoire m'enseignaient qu'il existe un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire.
S'ils le disaient, ils avaient tort ! Cette thèse n'est au demeurant ni celle de Montesquieu ni celle de Locke.
J'ai lu ces auteurs, et l'indépendance de la justice me semble être l'un des fondements de notre droit et de notre démocratie.
Nous avons de surcroît tout intérêt à lever les soupçons de nos concitoyens, qui jugent incestueux les liens entre le pouvoir politique et la justice. La perfection n'est certes pas de ce monde, mais une plus grande clarté sera bénéfique.
Je me félicite également de la présence majoritaire des magistrats au sein du CSM, comme de la place accordée à des personnalités extérieures à l'institution judiciaire.
Par ailleurs, l'un de mes amendements tend à faire valider la liste des membres du CSM par un vote positif à la majorité des trois cinquièmes des deux commissions parlementaires, plutôt que par l'absence de veto, comme c'est le cas dans la rédaction actuelle. Nous avons aussi déposé des amendements sur la question de la parité hommes-femmes et sur les propositions de nomination. En tout état de cause, nous devrions soutenir cette réforme.
La politique judiciaire et l'exercice de la justice sont en effet deux choses très différentes, monsieur Le Bouillonnec.
Enfin, les rapports des procureurs devraient être rendus publics, à tout le moins par le biais de la tenue d'un débat au Parlement.
Je reste perplexe face à certaines dispositions de l'un et l'autre texte.
L'avis conforme du CSM sur la nomination des magistrats du parquet n'appelle pas d'observations particulières de ma part. En revanche, le mode de désignation des non magistrats me semble d'une trop grande complexité au regard de l'objectif, qui était de retirer un peu de légitimité à cette désignation ; de plus, je ne vois pas au nom de quoi le président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat seraient indignes de ce pouvoir. Je remercie donc notre rapporteur des amendements significatifs qu'il a déposés.
Je n'ai pas présenté d'amendements au projet de loi ordinaire, car je pensais que le rapporteur le ferait : l'article 1er ne laisse pas de m'étonner, non pas sur le fond, que l'on peut approuver, mais sur la forme. Aux « instructions générales » du garde des Sceaux on peut en effet opposer, non des instructions « dans des affaires individuelles », mais plutôt des instructions « particulières ». C'est d'ailleurs parce qu'il s'agissait, selon ses propres termes, d'une « affaire particulière » que le CSM – que vous aviez saisi, madame la garde des Sceaux – a refusé de rendre un avis sur l'affaire dite du « mur des cons ». Je suggère donc à notre rapporteur d'amender le quatrième alinéa de l'article 1er, pour remplacer les mots : « dans des affaires individuelles » par une expression telle que : « dans une affaire de nature particulière » ou : « dans une affaire en particulier ». Un tel amendement correspondrait mieux, à mon avis, à l'esprit du texte, esprit auquel je n'adhère d'ailleurs pas tout à fait car il faut veiller, comme le soulignait M. Tourret, à ce que la quête d'indépendance n'entraîne pas des effets collatéraux contraires à l'objectif poursuivi.
Depuis vingt ans que je suis parlementaire, je vois s'empiler les réformes de la justice. N'étant pas un praticien du droit, j'ai cependant acquis la conviction que c'est la compétence des magistrats, leur indépendance et leur imperméabilité aux pressions qui rendent leurs décisions indiscutables – sous réserve, bien entendu, des recours auxquels chaque justiciable a droit.
Je ne doute pas de vos bonnes intentions, madame la garde des Sceaux, mais je crains qu'une simple réforme du CSM ne suffise pas à éviter les dysfonctionnements. J'aborde donc nos débats avec un certain scepticisme, d'autant que le léger déséquilibre entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet m'interpelle un peu.
Beaucoup de questions portent, en substance, sur la signification de l'indépendance de l'autorité judiciaire – puisque c'est bien une « autorité », comme l'a rappelé M. Tourret –, comme sur le difficile exercice consistant à élaborer des mesures, telles que la nomination des magistrats sur avis conforme du CSM, la composition de cette institution où les représentants de la société civile siégeraient à parité avec les magistrats, son fonctionnement, son droit d'auto-saisine ou le principe constitutionnel de l'unité du corps nonobstant l'ordonnance de 1958, qui place le parquet sous l'autorité du garde des Sceaux.
La deuxième difficulté tient à la définition même de l'indépendance : plusieurs constitutionnalistes ont écrit des articles sur le sujet, pour dire qu'au fond, la dépendance envers le pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage universel, était sans doute la moins grave des dépendances. C'est là une question philosophique, sur laquelle je m'étais exprimée en octobre dernier lors du congrès de l'Union syndicale des magistrats. L'indépendance et l'impartialité, de fait, interrogent d'abord les préjugés, les origines et les expériences de chacun. Je propose cependant, à travers la présente réforme, de faire le pari que les magistrats connaissent la grandeur de leur mission ; qu'ils se savent investis d'un pouvoir considérable, celui de décider de la liberté d'autrui ; qu'ils sont vigilants, enfin, sur ce qui pourrait, consciemment ou inconsciemment, affecter leur impartialité.
L'indépendance et l'impartialité sont deux notions distinctes, j'en suis bien d'accord : il est plus facile d'organiser la seconde que la première, qui se heurte par exemple au principe de l'unité du corps, alors même que les magistrats du siège sont inamovibles, contrairement à ceux du parquet qui, pourtant, suivent la même formation, sont recrutés selon les mêmes modalités, prêtent le même serment et sont soumis à la même déontologie. Bref, sans préjuger d'éventuelles exceptions, notre magistrature est d'une grande maturité ; aussi l'avons-nous également associée à la réflexion sur l'indépendance et l'impartialité.
Reste que cette dernière est essentielle, notamment à ceux de nos concitoyens qui n'ont pas accès aux sphères d'influence ; c'est d'abord pour eux que la magistrature doit échapper à tout soupçon d'inféodation. En dépit de la loi du 9 mars 2004, aux termes de laquelle les instructions doivent être écrites et versées au dossier, le justiciable ordinaire a le sentiment que certaines d'entre elles peuvent être orales : bien que je ne donne aucune instruction, j'ai parfois dû préciser que je ne donnais jamais de coups de téléphone non plus… Le fait que le Parlement et le Gouvernement affirment que toute instruction individuelle, qu'elle soit écrite ou orale, est formellement interdite protègera les magistrats. Une telle mesure peut donc conduire ces derniers à accompagner la réforme, s'agissant notamment des conditions de leur impartialité et de leur indépendance.
Ces deux projets, monsieur Fenech, ne sont en rien liés à l'affaire Cahuzac, à la suite de laquelle le président de la République et le Premier ministre ont annoncé des textes sur la transparence de la vie publique et la création d'un parquet financier à compétence nationale. Le sujet n'a rien à voir avec le CSM, même si le Gouvernement a rappelé à l'occasion de cette affaire, son attachement au respect de l'indépendance de la justice, s'abstenant de toute interférence dans les procédures, conformément à des pratiques que nous entendons inscrire dans la loi.
Le projet de loi, dans sa version actuelle, prévoit que les magistrats redeviennent majoritaires au sein du CSM, mais votre Commission a visiblement une position différente ; la parité, au demeurant, est conforme aux recommandations européennes.
Reste que la présente réforme est différente de celle de 2008. J'entends bien les arguments sur la légitimité des autorités de désignation mais, outre que le président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat incarnent le pouvoir politique, ils sont, si l'on excepte le cas particulier de la cohabitation, de sensibilité politique proche, voire identique. Le collège, monsieur Schwartzenberg, n'a certes pas la légitimité du suffrage universel, mais il en a d'autres ; certaines des personnalités qui le composent sont nommées en Conseil des ministres, c'est vrai, mais pas au même moment et pas forcément par le même Gouvernement. Au reste, je ne vous cache pas que sa composition a été difficile à déterminer, notamment parce que le nombre de ses membres devait être un peu supérieur à celui des personnalités qu'il aura à désigner… La solution retenue n'est sans doute pas idéale, mais la solution idéale existe-t-elle ? Compte tenu des engagements du président de la République en la matière, il n'y avait pas beaucoup d'autres choix. Celui qui a été retenu n'affaiblira par ailleurs ni la qualité ni la légitimité des membres du CSM, puisque la liste des personnes désignées par le collège fera l'objet d'un avis public des commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat.
La présence du garde des Sceaux aux séances du CSM – non à ses délibérations – se justifie par le fait qu'il doit défendre des candidatures et préparer le décret de nomination.
J'ajoute que pour les nominations aux postes de procureurs généraux, de magistrats du parquet général à la Cour de cassation, d'inspecteurs généraux, d'inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires, de procureurs généraux près une cour d'appel et de substituts chargés du secrétariat général d'une juridiction, ma circulaire du 31 juillet 2012 impose la transparence.
Le garde des Sceaux doit effectivement veiller au principe de l'unité de la loi pénale par le biais d'une circulaire, que les procureurs généraux déclinent en fonction des réalités de leur ressort. Les orientations de la politique pénale sont précisément détaillées dans cette circulaire, mais les contentieux varient selon les territoires ; l'écart peut être tel qu'il justifie une circulaire de politique territoriale : c'est le cas en Corse, où la criminalité, complexe, a des ramifications dans d'autres territoires et même à l'étranger.
Monsieur Denaja, nous pourrons reparler de la parité, ainsi que du statut des magistrats du parquet ; cependant, l'alignement de leur régime disciplinaire sur celui des magistrats du siège constitue déjà une avancée substantielle. Quant à la liberté de parole à l'audience, elle est inscrite dans l'ordonnance de 1958. Comme le dit l'adage : « la plume est serve mais la parole est libre ».
Entre 1997 et 2002, monsieur Devedjian, aucune instruction individuelle n'a été adressée aux procureurs : la mesure s'inscrit dans la continuité de pratiques anciennes, auxquelles le projet de loi « Guigou » entendait déjà donner une traduction législative. L'interdiction des instructions individuelles, faut-il le préciser, concerne aussi bien les poursuites que les réquisitions. Il existe par ailleurs des voies de recours auprès du procureur général contre un classement sans suite, que le procureur de la République doit toujours motiver. En tout état de cause, c'est précisément l'absence d'instructions qui peut amener le garde des Sceaux à rédiger plusieurs circulaires, par exemple pour préciser, s'il y a lieu, les orientations de la politique pénale en matière de terrorisme. Je rappelle que le procureur de la République est placé sous l'autorité du procureur général qui, pour le coup, peut lui adresser des instructions individuelles aux fins de poursuites ou de réquisitions.
Et le procureur général n'a pas forcément connaissance de tout ce qui se passe dans ses parquets !
Aux termes de l'ordonnance de 1958, le procureur de la République doit rendre compte de ses décisions au procureur général. Bien entendu, si la situation relève d'une procédure disciplinaire, celle-ci sera ouverte ; et s'il y a une négligence du procureur général, il devra en répondre.
Il peut bien entendu y avoir des cas d'exception mais, je le répète, nous faisons le pari de la confiance. Quoi qu'il en soit, votre développement sur la force de la jurisprudence était intéressant.
Je vous ai répondu sur la dépendance, monsieur Poisson. Quant aux autres textes, ils viendront en temps voulu, mais il est vrai que l'inscription à l'ordre du jour parlementaire est un combat de tous les instants, que je mène depuis des mois.
Je suis favorable à la présentation d'un rapport annuel au Parlement par le garde des Sceaux sur l'application de la politique pénale, monsieur Molac, mais pas à celle des rapports établis par les parquets, monsieur Poisson.
Je connais vos positions, monsieur Tourret, mais il faudrait un autre texte pour les prendre en compte, et un tel texte n'est pas à l'ordre du jour.
La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique (n° 845) (M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur).
Article 1er (article 30 du code de procédure pénale) : attributions du ministre de la Justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement
La Commission examine l'amendement CL 2 du rapporteur.
Ne court-on pas, avec cet amendement, le risque que l'expression « À cette fin » ajoutée au début du troisième alinéa ne soit interprétée comme « À cette seule fin » ? Ce qui irait à l'encontre de ce qui vient d'être dit sur la possibilité de circulaires qui, bien que générales, ont une cible territoriale.
Non, car la précision que je propose serait introduite au deuxième alinéa de l'article 30 du code de procédure pénale relatif à la compétence du garde des Sceaux.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL 5 du rapporteur.
Cet amendement vise à rendre publiques les instructions générales de politique pénale adressées par le garde des Sceaux.
La Commission adopte l'amendement à l'unanimité.
L'amendement CL 19 de M. Paul Molac est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL 20 de M. Paul Molac.
Afin de s'assurer qu'aucune instruction individuelle ne soit faite par l'exécutif, il convient de préciser que ces instructions peuvent être orales ou écrites – courrier, fax, mail. En effet, si le nombre d'instructions écrites versées au dossier est relativement limité – une quarantaine au cours des dix dernières années –, les consignes orales se sont en revanche développées. Plusieurs journaux ont ainsi souligné les interventions de membres du cabinet de différents gardes des Sceaux ou celles de la direction des affaires criminelles et des grâces pour transmettre oralement des consignes aux parquets. Il ne faudrait pas que la suppression d'instructions écrites, mais qui sont versées au dossier, aboutisse à la généralisation d'instructions orales, qui, elles, ne le sont pas.
Avis défavorable : d'une part, il existe, nous l'avons vu, d'autres manières de donner des instructions que par écrit ou oralement ; d'autre part, la spécification « écrite ou orale » altère le caractère impératif de l'interdiction des instructions.
L'amendement CL 20 est retiré.
La Commission examine l'amendement CL 4 du rapporteur.
Cet amendement organise l'information annuelle du Parlement sur l'application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, ainsi que sur la mise en oeuvre des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la Justice aux magistrats du ministère public.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 1er modifié.
Article 1er bis (nouveau) (article 31 du code de procédure pénale) : principes d'indépendance et d'impartialité dans la conduite de l'action publique
La Commission est saisie de l'amendement CL 18 du rapporteur portant article additionnel après l'article 1er.
Cet amendement vise à préciser, à l'article 31 du code de procédure pénale, que c'est « dans le respect des principes d'indépendance et d'impartialité auxquels il est tenu » que le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi. Il s'agit certes d'obligations consubstantielles à la fonction de magistrat du parquet, mais dont il me paraît utile d'introduire la mention, afin de faciliter la vérification de l'action de celui-ci, y compris au titre de l'appréciation déontologique et disciplinaire de son comportement par le Conseil supérieur de la magistrature. Il peut y avoir un défaut d'impartialité à ne pas poursuivre, malgré l'opportunité des poursuites, à raison d'une instruction générale privilégiant tel aspect. Cet amendement peut être considéré comme un signe à l'encontre des polémiques constitutionnelles ou conventionnelles qui pourraient surgir à ce propos.
Ne peut-on opposer à cet amendement l'argument avancé tout à l'heure par le rapporteur sur le risque d'affaiblissement du texte par une telle précision ? En effet, les principes d'indépendance et d'impartialité s'imposent au procureur dans tous les actes de sa fonction.
La mention de l'impartialité ne soulève aucune difficulté. En revanche, celle de l'indépendance pose le problème de la relation entre le ministère public et le pouvoir politique.
J'avais, pour ma part, cru comprendre que l'on s'adressait ainsi à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
La confusion entre impartialité et indépendance a été accentuée en 2004 lorsque l'on a confié au garde des Sceaux la conduite de l'action publique. Dans le dispositif que nous redéployons, ce dernier conduit la politique pénale, qu'il fixe par des instructions générales, mais il n'exerce pas l'action publique, qui relève exclusivement de la compétence du parquet, conformément à l'actuelle rédaction de l'article 31 du code de procédure pénale. Ce texte, qui ne fait aucune référence au garde des Sceaux, existait avant que la mention de celui-ci n'apparaisse dans le code de procédure pénale. Dans ces conditions, l'introduction des notions d'indépendance et d'impartialité peut fonder des processus de mise en cause, disciplinaire notamment, du comportement du ministère public.
La mention du principe d'indépendance ne va-t-elle pas conduire à ce que celle-ci soit regardée comme opposable aux instructions générales de politique pénale ?
Ne risque-t-elle pas d'affaiblir la position des magistrats du siège, dont on ne rappelle ni l'indépendance ni l'impartialité ?
Enfin, cette mention suffit-elle à nous garantir vis-à-vis de la jurisprudence de la CEDH, puisque celle-ci considère que le parquet, autorité poursuivante, est partie au procès, perdant ainsi sa qualité de magistrat ?
Ne peut-on se limiter à rappeler le seul principe d'impartialité, qui me paraît au coeur de l'intention du rapporteur ? Car on est indépendant ou on ne l'est pas, mais on n'a pas à se tenir à une règle qui l'imposerait …
Je m'étonne également qu'on puisse être tenu à l'indépendance, alors qu'on peut effectivement être tenu à l'impartialité. Je crains donc que cet ajout n'affaiblisse la portée du texte.
L'amendement indique que c'est « dans le respect » des principes d'indépendance et d'impartialité que le ministère public exerce son action. L'indépendance des magistrats résulte d'un ensemble de dispositifs, qui va de l'article 65 de la Constitution à l'ordonnance du 22 décembre 1958, et se relie à l'unité de leur corps, ce qui pose un problème récurrent entre siège et parquet, qu'il faudra bien résoudre un jour … Il en va différemment de l'exercice de l'action publique, dont on rappelle ici l'indépendance, même si elle se situe dans le cadre d'instructions générales de politique pénale.
Le procureur de la République est dépendant de la loi. Il ne peut donc pas se dire indépendant.
Si l'amendement vise à répondre aux observations de la CEDH, rappelons que celles-ci sont de fond et non pas de forme, portant sur la nature même du parquet, en qualité de partie poursuivante. L'affirmation de l'indépendance de celui-ci ne répond donc pas au problème posé.
Un compromis consisterait à supprimer les derniers mots de l'amendement : « auxquels il est tenu ».
La Commission adopte l'amendement CL 18.
Article 2 (article 35 du code de procédure pénale) : Attributions des procureurs généraux en matière de politique pénale
La Commission est saisie de l'amendement CL 10 du rapporteur.
Cet amendement de précision vise à réintroduire la mention de la compétence, déjà établie, du procureur général tant en matière de prévention que de répression de la délinquance.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte successivement l'amendement rédactionnel CL 7 et l'amendement de précision CL 8 du rapporteur.
Elle en vient à l'amendement CL 9 du rapporteur.
Cet amendement ne vaut que pour la cour d'appel, tandis que l'amendement CL 17 que nous examinerons tout à l'heure, concerne le tribunal de grande instance. Leur économie est la même.
Après avoir transmis son rapport annuel de politique pénale au ministre de la Justice, le procureur général doit le communiquer au premier président de la cour d'appel, afin qu'il puisse donner lieu à un débat lors de l'assemblée générale des magistrats, du siège comme du parquet. Il s'agit ainsi de remédier à l'ignorance de cette politique dont se plaignent les magistrats.
N'est ce pas une atteinte à l'indépendance des magistrats du siège ? Que le rapport du procureur général soit communiqué pour information au premier président de la cour d'appel me semble normal, mais on ne peut contraindre les magistrats du siège et du parquet à débattre, dans une assemblée générale commune, de la politique pénale et de la mise en oeuvre des instructions générales du garde des Sceaux. En quoi les juges du siège sont-ils concernés par celles-ci ? Je crains que l'on commette une confusion entre les fonctions du siège et celles du parquet. L'acte de poursuivre est différent de l'acte de juger. Pour garantir son indépendance, un juge du siège ne doit pas se mêler de politique pénale !
J'y vois, moi aussi en effet, une atteinte à l'impartialité et à l'indépendance des magistrats du siège, qui doivent demeurer extérieurs à la politique pénale. L'amendement participe d'une philosophie tendant à considérer que magistrats du siège et magistrats du parquet font, finalement, la même chose. Il est vrai qu'ils peuvent déjà passer d'une fonction à l'autre, ce qui pose d'ailleurs une importante question mais que l'on n'aborde pas ici. Vincent de Moro-Giafferi disait, à propos de la salle d'audience, qu'il fallait imputer à une erreur de menuiserie le fait que le parquet fût à la même hauteur que le siège.
La politique pénale a d'importantes conséquences sur le travail des magistrats du siège, notamment à travers le nombre d'audiences à ouvrir en fonction de celui des cas poursuivis. La discussion entre siège et parquet a donc forcément lieu. Qu'elle soit organisée de façon générale ne me paraît donc pas porter atteinte à l'indépendance du siège, laquelle se traduit dans les décisions de justice et non dans le fonctionnement des tribunaux ou des cours.
Le débat prévu par l'amendement pourrait déboucher sur des délibérations qui, par exemple, exprimeraient l'opposition de magistrats du siège à la politique pénale du Gouvernement. Mesurez-vous la portée d'une telle disposition ? Imaginez-vous des cours d'appel décidant de ne pas suivre la politique générale ?
Oui, bien que ce soit le code de l'organisation judiciaire qui règlemente le déroulement des assemblées générales. Je précise que rien ne prévoit qu'en plus de l'information et du débat, des délibérations puissent être prises.
J'observe aussi que nos échanges traduisent fidèlement la volonté de dialogue entre siège et parquet.
L'amendement vise le rapport établi par le procureur général et non celui du garde des Sceaux. Est-il si anormal d'envisager qu'il fasse ensuite l'objet d'un débat au sein d'une juridiction, c'est-à-dire entre ceux qui procèdent aux validations de reconnaissance préalable de culpabilité, aux comparutions immédiates, aux recours en appel et ceux qui en furent à l'origine ? En quoi cet échange altérerait-il l'exercice de leurs missions respectives ?
Le débat que je propose permettrait d'éclairer bien des questions concernant la mise en oeuvre de la politique pénale en ne les confinant plus au seul cadre des relations entre le parquet et le garde des Sceaux.
Il faudra bien accepter que, dans les années à venir, les citoyens soient associés au fonctionnement de nos juridictions et procèdent à une évaluation. Je suggère donc de franchir une première étape par le dialogue des magistrats qui, de surcroît, appartiennent tous à un corps unique, soumis aux mêmes obligations d'indépendance et d'impartialité dans un cadre garanti par la Constitution.
La Commission adopte l'amendement CL 9.
Puis elle examine l'amendement CL 21 de M. Paul Molac.
Cet amendement, et l'amendement CL 22 à suivre, visent à préciser que les rapports particuliers du procureur général doivent être versés au dossier de la procédure. Cela semble important dès lors que ce projet de loi a pour ambition de mettre fin aux ingérences de l'Exécutif dans le traitement des affaires judiciaires.
Avis défavorable. Il ne faut pas confondre les instructions générales et les instructions spécifiques qui répondent à des problèmes particuliers, concernant un territoire ou la nature des infractions.
L'amendement CL 21 est retiré.
La Commission adopte l'article 2 modifié.
Article 3 (articles 39-1 et 39-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Attributions des procureurs de la République en matière de politique pénale
La Commission adopte successivement les amendements de coordination CL 14, rédactionnel CL 15 et de précision CL 16 du rapporteur.
Puis elle est saisie de l'amendement CL 17 du rapporteur.
Son objet est identique, pour le tribunal de grande instance, à celui de l'amendement CL 9, relatif à la cour d'appel, qui a été adopté.
La Commission adopte l'amendement.
L'amendement CL 22 de M. Paul Molac est retiré.
La Commission adopte l'article 3 modifié.
Article 4 : Champ d'application territoriale de la présente loi
La Commission adopte l'article 4 sans modification
Titre :
La Commission adopte l'amendement CL 1 du rapporteur.
Puis elle adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
La séance est levée à dix neuf heures.