Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 21 mai 2013 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique :

Cela fait très longtemps que les rapports entre le parquet et le ministère de la Justice suscitent le débat, le dernier en date ayant abouti au projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, déposé en 1998 sur le bureau de l'Assemblée nationale par la garde des Sceaux de l'époque, Mme Élisabeth Guigou.

La disposition fondamentale du dispositif que l'on nous propose aujourd'hui est la suppression, conformément aux engagements du candidat François Hollande, de la possibilité pour la Chancellerie de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet : c'est l'objet de la nouvelle rédaction qui nous est proposée pour l'article 30 du code de procédure pénale. L'affirmation législative de ce principe vise non seulement à protéger les justiciables et à lutter contre les suspicions de connivence entre les politiques et la justice, mais également à remédier aux colossales difficultés nées de la contradiction entre le principe de subordination hiérarchique du ministère public français et les conventions auxquelles la France est partie. En effet, en vertu de l'article 20 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, c'est au Gouvernement qu'il revient de conduire la politique pénale, via les magistrats du parquet, qui lui sont hiérarchiquement subordonnés. Ce système original présente l'inconvénient de contrevenir aux principes posés par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui s'est progressivement intégrée au droit positif des États membres.

Tout l'enjeu du texte est donc de concilier le principe selon lequel le Gouvernement conduit la politique de la Nation, que nul n'entend remettre en cause, notamment en matière pénale, avec l'exercice de l'action publique par des magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement subordonnés.

Je tiens à souligner que le dispositif législatif qui nous est proposé réaffirme la compétence du ministre de la Justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il le fait plus fortement encore que ne le faisait la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, aux termes duquel « le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement ». En revanche, le projet de loi ne modifie en rien l'article 31 du code de procédure pénale, aux termes duquel il revient au ministère public d'exercer l'action publique et de requérir l'application de la loi. C'est le respect de ces attributions propres à chacun qui doit présider aux relations entre le ministre de la Justice et le ministère public, selon les modalités que Mme la garde des Sceaux vient de rappeler.

Nous vous proposerons donc d'adopter ce dispositif, après y avoir apporté quelques améliorations.

Nous souhaiterions que les instructions générales de politique pénale soient rendues publiques. Nous voudrions aussi que le Gouvernement informe chaque année le Parlement de la mise en oeuvre de sa politique pénale, par une déclaration qui pourrait être suivie d'un débat. Une telle disposition existait déjà dans le projet de loi « Guigou » de 1998.

Nous proposerons également qu'après avoir été adressé au procureur général, le rapport annuel de politique pénale établi par le procureur de la République soit communiqué par celui-ci au président du tribunal de grande instance et fasse l'objet d'un débat lors de la plus prochaine assemblée générale des magistrats du siège et du parquet. Ce dispositif est requis et décliné au niveau de chaque cour d'appel.

Nous suggérons par ailleurs de modifier le titre du projet de loi en substituant aux mots : « d'action », les mots : « de mise en oeuvre de l'action », l'action publique relevant en effet de la compétence exclusive du parquet.

Enfin, afin de conforter encore les conditions de la conciliation entre les enjeux conventionnel et constitutionnel évoqués au début de mon intervention, je proposerai de préciser, à l'article 31 du code de procédure pénale, que le ministère public exerce l'action publique « dans le respect des principes d'indépendance et d'impartialité. » Une telle précision permettrait d'affirmer que les membres du parquet sont des magistrats impartiaux et indépendants, bien que hiérarchiquement subordonnés au garde des Sceaux. Ce texte doit, en lien avec la réforme du CSM, protéger notre pays du risque de sanction de la Cour européenne des droits de l'homme, sans pour autant remettre en cause la spécificité de notre ministère public. Je vous rappelle en effet que la jurisprudence de la Cour européenne dénie au ministère public la qualité d'autorité judiciaire et que la Cour de cassation partage désormais le point de vue de la Cour de Strasbourg.

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