L’article 30 amendé du projet de loi a permis un certain assouplissement des conditions de création et de gestion des regroupements des universités. Mais c’est une avancée insuffisante, d’autant que nous en sommes restés par ailleurs à une sorte de centralisme très peu démocratique. Le texte du projet de loi précise en effet que « la politique territoriale de coordination est organisée par un seul établissement pour un territoire donné » et ajoute que « sur la base du projet commun, un seul contrat est conclu entre le ministre chargé de l’enseignement supérieur et les établissements regroupés ». Que se passera-t-il si la communauté a un projet commun dont les stipulations spécifiques propres à chacun des établissements regroupés sont refusées par les intéressés ? On parle aussi de coordination tout en spécifiant que la communauté scientifique est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, tout comme une université. On crée donc en réalité des super-universités dotées d’organes décisionnels qui se superposent à ceux des universités membres. Tout comme une université, une communauté est dotée d’un conseil d’administration et d’un conseil académique, auxquels s’ajoute un conseil des membres. Il existe cependant une différence capitale dans la composition du conseil d’administration : outre des représentants des établissements et organismes de recherche, celui-ci comprend 30 % de personnalités qualifiées et 40 % de représentants élus, au suffrage direct ou indirect, des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, des autres personnels, et des étudiants. Ainsi, les élus ne sont pas majoritaires au conseil d’administration de la communauté, alors qu’ils le sont nettement dans les conseils d’administration des universités membres. Comment faire coexister ces deux niveaux de conseil d’administration construits sur des principes aussi différents ? C’est en tout cas un pari d’arriver à faire fonctionner ces deux étages sans blocage. Si ce dispositif était adopté, la France disposerait d’un système unique au monde où les universités traditionnelles s’effaceraient - au moins pour tout ce qui concerne la stratégie - au profit de ces super-universités régionales qui seraient le plus souvent des mastodontes gouvernés par des conseils empilés. Nous risquerions d’y perdre ce qui fait la qualité des formations et des laboratoires : la liberté d’initiative des acteurs, la collégialité et la diversité qui, partout dans le monde, se déploient dans des universités de taille raisonnable où la subsidiarité est la règle. La disparition des spécialités de masters procède de la même logique. Elle aboutit à des conséquences tout aussi inquiétantes, par la standardisation et l’anonymat des diplômes, et par le nivellement par le bas. À terme, on risque de voir se développer, pour les professions techniques comme celles du droit, un enseignement supérieur privé à vocation étroitement professionnelle. Ce choix pose une question fondamentale à terme : celle de la non-sélection des bacheliers à l’entrée des universités. Ce choix est éminemment respectable mais, pour pratiquer une quasi-gratuité, pour garder ses bons étudiants, pour assurer le renouvellement académique et de la recherche, pour maintenir et développer des formations internationalement reconnues, il faut laisser aux universités le choix de spécialités attractives. Il faut préserver leur liberté d’entreprendre et d’innover. C’est le choix inverse qui a été retenu dans ce projet de loi. L’enseignement numérique relève de la même logique d’uniformisation. Sur ce sujet, il faut de la cohérence, mais elle doit être placée au service de la diversité et de l’esprit de création et d’innovation. C’est dans cet esprit que le groupe UDI suggère que l’agence de mutualisation des universités soit chargée de la mutualisation en logiciels libres des ressources logicielles entre les universités, pour leur gestion, pour les dispositifs d’enseignement et pour les outils destinés à la recherche, et de la mutualisation dans des formats ouverts des contenus numériques. En conclusion, nous déplorons que le mouvement vers une autonomie de l’enseignement supérieur raisonnée et adaptée aux enjeux de notre temps ne trouve pas à se poursuivre dans ce projet de loi. La France, ce pays où les professeurs des universités sont encore nommés par décret du Président de la République, s’engage à contre-courant de toutes les grandes organisations universitaires du monde. Au lieu de faire le choix de la souplesse des organisations, de l’excellence et de la diversité des enseignements, elle opte pour des rigidités empilées au prétexte d’une idée de l’égalité qui produira, au final, exactement l’inverse. Nous espérons que les discussions qui vont s’engager permettront au moins de limiter les effets les plus inquiétants de ce texte, qu’il nous semble très difficile de soutenir en l’état.