Intervention de Jacques Myard

Séance en hémicycle du 22 mai 2013 à 21h30
Projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard :

Nous sommes entrés de plain-pied dans le monde des puissances relatives et, à ce titre, privilégier le globish revient à porter une vision dépassée sur le monde : ce n’est donc pas regarder la réalité. Les grandes langues de l’avenir seront le chinois, l’espagnol et l’arabe. L’anglais restera tout de même une grande langue – de même que le français, grâce aux Africains qui, eux, ont le courage de le parler et de ne pas refuser la réalité du monde. Que nos ingénieurs n’espèrent pas pénétrer le marché chinois sans parler le chinois ! Penser que l’anglais constitue un sésame pour la Chine est une grave erreur ! Je sais de quoi je parle, ayant moi-même négocié avec les Chinois : sortez de votre hôtel, pas un mot d’anglais ne pourra vous aider pour traverser le pays: il faut être sinisant. Tout cela est à replacer dans le contexte de l’Union européenne. On assiste, à Bruxelles, à un matraquage en anglais par la Commission, qui a pour conséquence de faire disparaître peu à peu le français en tant que langue de travail – avec du reste la complicité de nos diplomates, qui se vautrent avec délices dans l’adoration de l’anglais dans l’espoir d’avoir l’air intelligent. Et grâce à eux, le français recule tous les jours! Face à ce phénomène, que faites-vous, madame, pour protéger et renforcer la langue française ? Comment se fait-il que, comme Audrey Linkenheld et moi-même l’avons constaté, presque toutes les publications qui sortent de Bruxelles soient aujourd’hui en anglais ? Nous ne devons pas renoncer à exercer une stratégie d’influence, en refusant ce que veulent nous imposer un certain nombre de technocrates coupés de la réalité – une réalité qui va leur revenir en boomerang dans la figure ! Comme nous l’avons indiqué dans nos conclusions, il est clair que le français doit continuer à être une langue scientifique, que nous devons continuer à défendre bec et ongles. Pour cela, nous devons publier en français, même s’il faut accompagner les textes d’un résumé en chinois, en arabe et en espagnol – croyez-moi, si la publication est de qualité, elle ne manquera pas d’être traduite par les chercheurs du monde entiers, désireux d’en prendre connaissance. Une langue, c’est un monde de pensée. En enseignant notre langue, nous ne donnons pas simplement accès à une technique, à la nanotechnologie ou à la médecine, nous ouvrons la porte sur la maison France : C’est un atout économique, madame la ministre. On ne segmente pas les connaissances et les possibilités de la France, on les ouvre tout grand. Lorsque l’on défend notre langue et qu’on l’enseigne à des étrangers, on leur ouvre l’accès au cinéma français, à la littérature française, au droit français. Sinon, on va droit dans la segmentation de la connaissance, et on a tout faux ! M. Daniel Fasquelle vous l’a dit tout à l’heure et il avait raison:, à un moment où le Gouvernement, avec raison, essaie d’introduire dans l’accord qui va être noué entre l’Union européenne et les États-Unis une exception culturelle, que vous vous faites les fourriers des intérêts anglo-saxons : ce n’est pas acceptable ! L’article 2 est véritablement le « porteur de valises » d’un imperium qui nous a certes apporté beaucoup, mais qui ne saurait constituer une explication du monde suffisante. Dès lors, prenez garde : les querelles linguistiques, madame, ont toujours été les prémices de bouleversements fantastiques en Europe. Voyez ce qui se passe en Belgique, voyez ce qui s’est passé dans l’ex-Yougoslavie et en Union soviétique : ce sont véritablement des bombes à retardement.

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