Madame la ministre, avec une vingtaine de moutures successives depuis le début de l’année, votre projet de loi va de compromis en compromis, sans satisfaire personne, et finalement sans apporter d’éléments réellement novateurs. Il est malheureusement sans vision et sans aucune véritable ambition pour l’enseignement supérieur et la recherche. Comment en est-on arrivé là ? Votre texte est un agrégat de mesures cosmétiques, idéologiques et, enfin, techniques, essentiellement inspirées par le souci de défaire ce qui avait été fait. Vous n’hésitez pas à remettre en cause les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, qui réunissent aujourd’hui l’ensemble des universités et la plupart des grandes écoles dans des structures communes, alors que cela avait été un travail gigantesque de les réunir. Vous décidez de fondre les quelque cent établissements français d’enseignement supérieur actuels en une trentaine de sites, les « communautés d’universités », qui n’auront comme compétences que celles que les établissements voudront bien leur déléguer. Puisque ces établissements seront minoritaires au sein de cette nouvelle entité, on ne peut malheureusement s’attendre qu’à des problèmes de gouvernance considérables qui risquent fort de faire de cette communauté une coquille vide. À l’heure où l’enseignement supérieur et la recherche français doivent s’inscrire plus que jamais dans une compétition internationale de plus en plus intense, vous faites le choix de la régionalisation. L’Allemagne a connu la régionalisation et elle en revient actuellement : le gouvernement allemand a repris la main pour faire émerger des pôles d’excellence nationaux capables d’entrer dans la compétition internationale. Mais, après tout, pourquoi tirer les enseignements des échecs des autres lorsque nous pouvons les éprouver nous-mêmes ? C’est la question que l’on se pose à la lecture de votre projet de loi… Votre ambition ne se résume qu’à prendre le contrepied de ce que le gouvernement précédent a construit en détricotant l’autonomie des universités et à avancer à contresens par rapport à ce qui est fait dans les autres pays. Vous choisissez de mettre un frein au développement d’établissements de premier plan et de sacrifier toute ambition de l’excellence sur l’autel d’un égalitarisme, au demeurant tout à fait théorique, totalement incompatible avec la compétitivité dont notre enseignement supérieur a besoin. L’enseignement supérieur et la recherche sont les meilleurs outils de notre développement économique et de l’attractivité de notre territoire ; encore faut-il leur donner les moyens financiers et structurels de conserver et d’amplifier leur niveau d’excellence. Or votre gouvernement manque cruellement d’ambition, au plan tant national qu’international. Pire encore, vous vous attaquez aux réseaux d’excellence. Ce peut être par exemple de grands établissements spécialisés autour de thèmes d’enseignement et de recherche; c’est aussi les établissements de l’enseignement supérieur associatif, dont vous menacez 1’avenir tant vous avez coupé leurs subventions, à hauteur de plusieurs millions d’euros. L’efficacité de ces établissements est pourtant reconnue sur la scène internationale en matière d’innovation pédagogique, d’accompagnement des étudiants, de formation à l’entreprenariat, de recherche partenariale avec les entreprises, d’ouverture sociale et internationale. Une fois encore, c’est un rendez-vous manqué, madame la ministre. Et puisque nous parlons de recherche, je voudrais dire un mot sur la recherche agricole, puisque votre texte s’en exonère totalement, alors que notre agriculture est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs de production et de durabilité, et ce dans un contexte de crise économique et de croissance de la population mondiale, une population qu’il faudra nourrir. La France a sa place et son rang à tenir sur ce sujet. Je crois très fortement à la complémentarité entre recherche fondamentale, recherche finalisée et recherche appliquée pour garantir la compétitivité et l’adaptation de notre agriculture aux enjeux actuels. Et pour cela, nous devons nous appuyer sur le fameux réseau ACTA qui regroupe les instituts techniques agricoles, et le réseau ACTIA qui fédère les activités des instituts techniques agro-industriels. Je regrette profondément que ces têtes de réseau ne soient pas plus impliquées dans le débat public et se retrouvent au final totalement absentes de ce projet de loi. Là encore, c’est un rendez-vous manqué. Globalement, madame la ministre, votre projet de loi est désolant, au sens premier du terme. Avec ce texte, c’est non pas d’un compromis que les assises ont accouché, mais du plus petit dénominateur commun. Ce dernier n’est donc absolument pas en phase avec les défis du XXIe siècle.