Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 15h00
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme que nous examinons me semble très importante. J'espère que nous aurons à son propos un consensus national, car nous devons mettre notre pays en conformité avec les règles de toutes les démocraties européennes. Cela fait des années que nous faisons l'objet d'observations. Ainsi, la Cour de justice européenne nous dit que notre parquet n'en est pas un. Comme l'a rappelé tout à l'heure M. Le Bouillonnec, la garantie de l'impartialité de la justice est une exigence fondamentale de la Convention européenne des droits de l'homme. Et comme l'a très bien dit tout à l'heure M. le rapporteur, l'indépendance de la justice n'est pas un but en soi, mais un moyen de garantir aux citoyens l'impartialité de la justice.

Il s'agit donc d'une réforme extrêmement importante, indispensable à l'amélioration du fonctionnement de notre République afin de garantir une séparation des pouvoirs, héritage qui vient de loin. Vous l'avez excellemment rappelé, madame le garde des sceaux, en retraçant les évolutions qui, depuis la Révolution française, ont fait notre République et notre justice. La garantie du bon fonctionnement des institutions, nous la devons à la France, pays qui a donné au monde et Montesquieu et la Révolution française. Nous la devons également, et peut-être encore davantage, aux citoyens de notre pays, car seule la garantie de l'indépendance des magistrats, donc de leur impartialité, leur assure qu'ils seront jugés de la même façon selon qu'ils sont, comme dit la fable, puissants ou misérables, sans aucune différence. Telle est, me semble-t-il, la philosophie fondamentale d'une réforme que vous avez le mérite, madame le garde des sceaux, de soumettre aujourd'hui à l'examen de notre Parlement.

Un long chemin a été parcouru, il faut maintenant aller au bout. Je dis, comme vous, à nos collègues de l'opposition d'aujourd'hui et de la majorité d'hier qu'en effet la réforme de 2008 a apporté des améliorations. Vous les avez énumérées, madame le ministre, mais je crois qu'il est important de les rappeler : le Président de la République ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui est un vrai progrès par rapport à une époque que j'ai connue ; le Conseil supérieur de la magistrature dispose de pouvoirs disciplinaires ; la composition du Conseil supérieur de la magistrature est caractérisée par une diversité accrue. Tout cela a constitué des étapes dont il importe de reconnaître les apports. Mais la réforme de 2008 n'a pas parcouru l'intégralité du chemin emprunté dès 1998. Nous pensions alors y arriver, cela n'a pas été possible, ne nous attardons pas sur le passé. À présent, le moment est venu, après tant de maturation, de débats et de progrès, d'aller enfin au bout de la réforme.

De quoi s'agit-il ? Je le dirai rapidement car vous avez, madame le garde des sceaux, et M. le rapporteur après vous, donné avec précision les attendus de la réforme. Il importe tout d'abord que la composition du Conseil supérieur de la magistrature reflète une diversité accrue. J'approuve les amendements proposés par la commission des lois, car je crois que le principe de parité est un bon principe. Si nous voulons répondre aux craintes fort légitimes de corporatisme, il importe d'assurer la parité. La nomination de personnalités extérieures par un collège de personnalités indépendantes, de surcroît approuvée ensuite à la majorité d'une commission permanente de nos assemblées, est évidemment un progrès décisif. C'est un progrès pour la composition du Conseil supérieur de la magistrature, pour la garantie de son impartialité, mais aussi pour notre Parlement. Ce pas, il faut le faire maintenant. C'est ce que vous proposez, madame le ministre, et cela me semble très important.

Le deuxième élément, ce sont, bien sûr, les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature. Certes, plusieurs gardes des sceaux, moi-même mais aussi, sous d'autres majorités, M. Mercier ou Mme Alliot-Marie, ont respecté l'avis du Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination des magistrats du parquet.

Il est indispensable de constitutionnaliser cette garantie, afin qu'il ne puisse plus y avoir ne fût-ce qu'un soupçon d'interférence du pouvoir exécutif dans la carrière des magistrats, qu'il ne puisse plus y avoir la moindre pression de nature à semer le doute, voire à jeter le discrédit sur le fonctionnement de notre démocratie.

En associant à cette garantie constitutionnelle absolument fondamentale l'interdiction à venir – dans un projet de loi que vous allez nous présenter cette semaine, me semble-t-il – des instructions individuelles, un principe que vous respectez au même titre que l'avis conforme, madame la garde des sceaux, et que j'ai moi-même respecté, tout comme M. Méhaignerie, M. Mercier et d'autres, nous allons aboutir à un ensemble cohérent qui commence à ressembler au bout du chemin.

Certains disent que cela va trop loin, et soulignent le risque de corporatisme. Très franchement, je pense que le principe de parité – magistrats et personnalités extérieures – permet d'écarter ce risque. Par ailleurs, le fait que le garde des sceaux conserve la maîtrise de la politique pénale est très important. Ainsi, la capacité de donner des instructions de portée générale – et non individuelle, bien sûr – assure l'égalité de traitement sur tout le territoire, par tous les parquets de France. La maîtrise de la politique pénale permet également d'établir des priorités dans ce domaine, car le système n'est pas basé sur l'automaticité des poursuites, mais sur l'opportunité. Le futur projet de loi sur la politique pénale – il n'est pas nécessaire de réformer la Constitution pour cela – permettra d'apporter toutes les garanties nécessaires dans ce domaine. Le fait que la garde des sceaux ait à rendre compte annuellement, devant l'Assemblée nationale, de sa politique pénale, constituerait également un progrès décisif.

À l'inverse, certains affirment que cela ne va pas assez loin – je pense notamment à M. Bourdouleix et à d'autres orateurs entendus tout à l'heure. Personnellement, je ne comprends pas que l'on puisse refuser de voter une réforme au motif qu'elle ne va pas assez loin ! En l'occurrence, la réforme proposée constitue déjà un progrès considérable, et je ne vois pas au nom de quoi on refuserait ce progrès. À mon sens, cela peut être – cela devrait être – la dernière réforme.

J'ajoute que cette réforme constitutionnelle n'empêchera pas que soient émises des propositions sur l'ensemble du fonctionnement de notre justice, ne demandant pas de révision de la Constitution. Avec votre réforme, madame la garde des sceaux, mais aussi avec les amendements de la commission des lois, évoqués par notre rapporteur, vous avez trouvé un bon équilibre et réussi à éviter les deux écueils que sont le risque de corporatisme et le risque de politisation, tout en respectant les règles européennes. Cet équilibre est nécessaire à notre démocratie : dans un contexte où celle-ci est fragilisée par le soupçon, nous avons besoin de règles incontestables. Cette réforme est un élément fondamental pour rétablir la confiance de nos concitoyens en nos institutions et en notre démocratie. Il y a donc toutes les raisons, madame la garde des sceaux, de voter votre réforme avec enthousiasme.

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