Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans une république parlementaire, l'État de droit repose sur deux pouvoirs – le législatif et l'exécutif –, ainsi que sur une autorité : l'autorité judiciaire. Cet équilibre fragile s'est construit au fil du temps de manière paradoxale puisque, sous l'Ancien Régime, les parlements, qui regroupaient les magistrats, n'ont eu de cesse de revendiquer, contre le pouvoir royal, le droit de faire des remontrances avant l'enregistrement des édits royaux.
L'histoire de la République et l'histoire de la justice se sont alors inscrites dans une conception jacobine, où l'exécutif et le législatif ont imprimé leurs forces à l'autorité judiciaire. Force devait rester à la loi, et les magistrats, donc la justice, étaient là pour assurer l'ordre républicain, c'est-à-dire l'application par les juges d'une politique pénale imposée par le pouvoir exécutif.
Notre système judiciaire, d'inspiration romano-canonique, à la différence de la common law d'inspiration normande, reposait sur une idée simple : un système inquisitoire, et non pas accusatoire, où le pouvoir politique, grâce à la maîtrise de l'opportunité des poursuites, pouvait faire passer sa conception de la politique pénale et orienter les poursuites. Le juge d'instruction, personnage réputé être le plus important de France, était un magistrat indépendant qui venait tempérer les excès du pouvoir politique. En réalité, deux conceptions de la justice se sont toujours opposées. Pour les uns, la justice doit être indépendante : le parquet doit pouvoir agir à sa guise. Pour les autres, la justice doit être le relais de l'action politique, qui tire sa légitimité de l'élection du pouvoir politique par le souverain, c'est-à-dire le peuple.
Madame la garde des sceaux, les radicaux ne veulent à aucun prix d'un gouvernement des juges. Ils soulignent que la légitimité des magistrats, qui relève du diplôme, et non de l'élection comme aux États-Unis, n'est que très relative. C'est pourquoi ils ont toujours pensé que le Conseil supérieur de la magistrature ne pouvait être un organisme dirigé par des magistrats ou par une majorité de magistrats. À l'évidence, ils s'opposent au projet du Président de la République dont nous sommes saisis ; ils soutiendront les amendements du rapporteur – qui a sauvé la loi, il faut bien le dire – et voteront le projet amendé.
Ils soutiennent le principe de parité entre magistrats et personnalités extérieures, un principe fort bien expliqué par Mme Guigou et qui correspond aux normes européennes et à ce que chacun est en droit de revendiquer. Ils soutiennent également le choix d'un président non-magistrat, dont la nomination par un collège spécifique sera soumise aux commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale. Ainsi sera renforcée, non pas l'indépendance, que nous ne revendiquons pas, mais l'impartialité, vraie vertu républicaine. Ils soutiennent, enfin, le projet de confier à des hautes personnalités la désignation des membres non-magistrats du CSM.
Nous approuvons le rôle que pourra jouer la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et soutenons l'élection à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des personnalités qui composeront le CSM – vous conviendrez qu'il serait difficile d'être plus gentils avec vous que nous ne le sommes, monsieur le rapporteur !