Intervention de Sébastien Huyghe

Séance en hémicycle du 28 mai 2013 à 21h30
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'indépendance de la justice, consacrée par l'article 6 de la CEDH, vise à garantir à toute personne le droit fondamental de voir son cas jugé équitablement, en l'absence de toute influence indue. L'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif constitue un aspect fondamental de l'État de droit.

Avec Nicolas Sarkozy, nous nous sommes battus pour moderniser et rééquilibrer les institutions de la Ve République ; nous nous sommes battus pour qu'au-delà de l'affirmation de principe, les conditions d'une réelle indépendance soient définies et garanties par la Constitution.

Le comité de réflexion et de proposition créé par Nicolas Sarkozy et présidé par M. Édouard Balladur, qui avait déposé son rapport en octobre 2007, a ainsi permis : premièrement, de mettre fin à la présidence du Conseil par le Président de la République pour lui substituer dans cette fonction une personnalité indépendante ; deuxièmement, d'élargir la composition du Conseil, les magistrats y devenant minoritaires et le garde des sceaux n'en étant plus membre de droit ; troisièmement, de reconnaître au Conseil une compétence consultative pour la nomination des procureurs généraux ; quatrièmement, de permettre aux justiciables de saisir le Conseil à titre disciplinaire, de consacrer, en d'autres termes, la possibilité pour les citoyens de déposer une plainte contre un magistrat.

La dernière réforme du CSM permise par la révision constitutionnelle de 2008 a ainsi introduit deux innovations substantielles : élargir les compétences du Conseil supérieur de la magistrature en lui permettant de donner son avis sur les nominations aux emplois de procureur général et augmenter le nombre de ses membres n'appartenant pas à la magistrature.

Rappelons qu'en janvier 2013, dans le discours qu'il a prononcé à l'occasion de l'audience de rentrée de la Cour de cassation, François Hollande, réitérant son engagement de campagne d'asseoir plus encore l'indépendance de la justice, a indiqué de manière explicite qu'il mettrait en place trois évolutions majeures à ses yeux : la première concerne la composition du CSM, avec « davantage de magistrats que de personnalités extérieures à la magistrature » ; la deuxième porte sur le mode de nomination des membres du CSM ; la troisième concerne les pouvoirs du Conseil, qui seront étendus – ainsi l'avis conforme sera requis pour toutes les nominations des magistrats du parquet.

Je ne m'attarderai pas sur vos propositions de modification du statut du parquet, qui passent essentiellement par l'introduction d'un avis conforme du CSM, préalable à toute nomination. Car, disons-le, il s'agit d'une pratique aujourd'hui effective : si, à la suite de la révision de 2008, le Conseil supérieur de la magistrature peut donner son avis simple pour les nominations aux emplois de procureur général, dans les faits, la nomination des magistrats du parquet fait suite à un avis conforme. Le projet de loi permettra au mieux de consolider juridiquement une pratique déjà existante mais n'introduit en la matière aucune nouveauté.

La vraie question est celle de savoir comment le CSM, dont les compétences principales concernent la nomination des magistrats et les procédures disciplinaires qui leur sont applicables, doit être composé. L'indépendance de la justice passe-t-elle par le fait que les magistrats s'auto-désignent ? Cette question a été tranchée en 2008 : nous avons considéré que les magistrats devaient être minoritaires, que le CSM avait besoin d'un regard extérieur sur son fonctionnement institutionnel, regard venu de personnes qui n'appartiennent pas au corps judiciaire. Nous ne pouvons que déplorer que l'actuelle majorité souhaite aujourd'hui revenir en arrière.

C'est légitimement que l'on s'interroge sur le bien-fondé d'un projet de loi constitutionnelle qui modifie la composition du CSM – actuellement formé de huit personnalités qualifiées et sept magistrats – en prévoyant une répartition inverse, soit une majorité de magistrats.

Cette interrogation est d'autant plus légitime que par un retournement tout à fait surprenant, des amendements identiques de l'UDI et du rapporteur, adoptés mercredi dernier en commission des lois, fixent la composition du CSM à huit magistrats et huit personnalités extérieures au lieu des huit contre sept prévus initialement dans le projet de loi constitutionnelle réformant le CSM. En clair, la montagne accouche d'une souris, et les magistrats ne redeviendront pas majoritaires au sein du CSM !

Le président socialiste de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, s'était dit défavorable à ce que les magistrats soient majoritaires. M. Raimbourg a noté, quant à lui, que la parité était souhaitée par la commission dite Outreau ainsi que par nombre d'interlocuteurs et qu'elle serait « de nature à mettre fin au récurrent débat relatif à la composition du CSM ». Et de l'aveu de Mme la garde des sceaux elle-même, « il apparaît que la parité serait mieux reçue par les parlementaires » !

Nous sommes stupéfaits de constater que la majorité elle-même s'apprête à désavouer François Hollande en refusant de rétablir la majorité de magistrats !

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