Intervention de Jean-Marc Ayrault

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et débat sur cette déclaration

Jean-Marc Ayrault, Premier ministre :

Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mesdames et messieurs les députés, je l'ai déjà dit à cette tribune, au Mali aujourd'hui comme hier sur d'autres théâtres, notre armée est l'honneur de la France. La valeur de ses officiers et de ses sous-officiers, et la qualité de ses soldats assurent la défense de notre pays et lui valent d'être respectée partout dans le monde. C'est un héritage, c'est une garantie pour l'avenir, et c'est notre responsabilité. Cet avenir doit se bâtir de manière lucide et responsable.

Le nouveau Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale fait oeuvre de vérité et d'ambition. Il faut d'abord tenir compte de l'évolution du paysage stratégique depuis le Livre blanc précédent, celui de 2008 : la crise économique et financière, les révolutions arabes, l'évolution de la posture des États-Unis, les difficultés que traverse l'Europe, pour ne citer que l'essentiel. Mais il faut également rétablir une véritable cohérence, dans la durée, entre l'analyse des défis posés à notre sécurité et les moyens dont notre pays se dote pour y faire face.

Le modèle dessiné par le précédent Livre blanc était, à l'évidence, dans l'impasse. Les plus hauts responsables militaires de notre pays avertissaient, dès 2011, que certains des contrats opérationnels qu'il définissait étaient, en pratique, inaccessibles. Sur le plan budgétaire, la Cour des comptes relevait en juillet 2012 un écart d'au moins 3 milliards d'euros entre les prévisions et les réalisations. Et elle soulignait que cet écart ne pouvait que s'accroître de façon vertigineuse si de nouvelles orientations n'étaient pas prises.

Mesdames, messieurs les députés, parce que notre responsabilité est que la France conserve la maîtrise de son destin, notre devoir impérieux était de définir ces nouvelles orientations. Tel est l'objet du nouveau Livre blanc. Il dessine une véritable ambition pour la défense et la sécurité nationale, tout en intégrant pleinement – et c'est aussi notre responsabilité – la nécessité du redressement de nos comptes publics. Mais ce redressement, mesdames et messieurs les députés, c'est aussi une composante essentielle de notre souveraineté.

Notre projet s'appuie sur une analyse sans complaisance des risques et des menaces auxquels la France est confrontée. Ce sont d'abord les menaces de la force, qu'il s'agisse de conflits entre États, dont beaucoup affectent la sécurité de l'Europe, de la prolifération des armes de destruction massive, ou encore du développement par certaines puissances de capacités informatiques offensives.

Mais ce sont aussi les risques de la faiblesse, c'est-à-dire les conséquences de la défaillance de certains États à exercer les responsabilités de base de la souveraineté. C'est l'essor des trafics, de la piraterie, du terrorisme, voire du chaos de la guerre civile : dans bien des cas, c'est la sécurité de l'Europe, et donc de la France, qui est mise en cause.

C'est, enfin, l'amplification de certaines menaces. La mondialisation facilite l'action des réseaux terroristes ou la prolifération. Elle aggrave aussi la vulnérabilité des systèmes d'information, et démultiplie les risques naturels, sanitaires ou technologiques susceptibles de désorganiser profondément nos sociétés.

La vérité, c'est que les menaces qui pèsent sur la France et sur l'Europe sont loin d'avoir diminué depuis 2008. À ce constat, nous apportons une réponse qui est conforme aux exigences de défense et de sécurité de la France, mais aussi à la mesure de nos engagements et de notre place dans le monde. Nous le faisons en partant d'une définition claire et hiérarchisée de nos priorités.

Outre la protection de notre territoire, de nos ressortissants, et la continuité des fonctions essentielles de la nation, elles portent d'abord sur l'environnement de l'Europe : l'Afrique, le golfe arabo-persique et jusque dans l'océan Indien. Sur tous ces théâtres, la France doit être en mesure, seule ou en coalition, de s'engager de manière déterminante, tout en gardant la capacité de contribuer à la paix et à la sécurité internationales partout ailleurs dans le monde.

Le nouveau modèle d'armée que définit le Livre blanc et les missions qu'il permet de remplir répondent en tous points à ces priorités.

Il s'agit, tout d'abord, de garantir la protection permanente du territoire national et de la population française, avec des moyens de surveillance aérienne et maritime appropriés, et des capacités d'intervention sur le territoire. Par exemple, en cas de crise majeure, les forces terrestres seront en mesure de fournir jusqu'à 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile.

Il s'agit, ensuite, d'assurer la permanence de la mission de dissuasion. C'est la garantie ultime contre les menaces d'agression qui cibleraient nos intérêts vitaux. Elle nous prémunit de tout chantage qui paralyserait notre liberté de décision et d'action. Ses deux composantes, océanique et aéroportée, confortées par le programme de simulation, seront maintenues, dans le respect du principe de stricte suffisance. À ceux qui en critiquent la pertinence ou le coût, le Gouvernement répond, comme l'a fait le Président de la République dans son discours à l'Institut des hautes études de défense nationale, vendredi dernier, que cette garantie est plus que jamais indispensable dans le contexte stratégique d'aujourd'hui, et qu'il n'est pas excessif d'y consacrer un peu plus de 10 % du budget de la défense nationale. Il faut rappeler ce chiffre eu égard aux chiffres fantaisistes qui sont si souvent avancés. Et c'est bien l'objet d'un débat comme celui-ci que de le rappeler.

Il s'agit, enfin, de conforter nos capacités d'intervention extérieure. Outre une force de réaction immédiate de 2 300 hommes, nos armées pourront être engagées dans des opérations de gestion de crise internationale sur trois théâtres distincts, à hauteur de 7 000 hommes. C'est plus que ce que nous avons mobilisé pour le Mali. Nos armées pourront aussi être engagées dans une opération de guerre, contre des adversaires dotés de capacités étatiques, à hauteur de 15 000 hommes des forces terrestres, avec les composantes maritimes et aériennes appropriées. Nos forces restent dotées d'une capacité d'entrée en premier dans tous les milieux, et d'une capacité à planifier et à conduire ces opérations seules ou en coalition.

Le modèle d'armée défini par le Livre blanc est cohérent avec la nature et la diversité de ces missions. Il répond d'abord à un principe d'autonomie stratégique. La France doit disposer à tout moment de sa liberté d'appréciation, de décision et d'action, pour prendre l'initiative d'opérations qu'elle estimerait nécessaires, comme elle l'a fait en réponse à l'appel à l'aide du Mali.

Elle doit aussi pouvoir assumer son rôle en toute souveraineté, au sein d'une alliance ou d'une coalition. Ce modèle d'armée repose par ailleurs sur le choix de différencier l'équipement des forces en fonction des exigences propres à chaque type de mission, et celui de pousser plus loin la mutualisation de capacités polyvalentes et rares.

Le format de nos armées permet de remplir entièrement les missions que j'évoquais à l'instant. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ce format porte haut les ambitions de la France dans le monde. Nos alliés ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, en saluant le projet que dessine ce nouveau Livre blanc. Après avoir salué notre engagement au Mali, ils y voient la cohérence et la continuité de notre action.

Je ne méconnais pas pour autant l'ampleur de l'ajustement qu'imposera ce nouveau modèle à l'ensemble du ministère de la défense. Il entraîne une réduction de 24 000 postes par rapport au modèle défini en 2008, mais qu'il faut mettre en perspective avec les 54 000 suppressions décidées à l'époque. Cette réduction devra préserver au mieux les unités opérationnelles, ce qui exigera une évolution de l'organisation des forces, mais aussi du ministère lui-même. Je fais toute confiance à Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour conduire avec détermination et discernement cette nouvelle étape de la réforme, en cohérence avec le Livre blanc.

Nous nous attacherons à limiter autant que possible les conséquences de ces évolutions pour les territoires. La plus grande attention sera portée, j'y veillerai personnellement, à la situation concrète de chacun d'entre eux, au dialogue préalable, indispensable, avec les élus et à l'accompagnement des évolutions nécessaires.

Nous prenons ainsi toute la mesure des efforts qui sont exigés des personnels de la défense. La précipitation qui a marqué les années passées a provoqué des désordres inacceptables. Ne voyez dans mes propos aucune volonté de polémique, c'est simplement une réalité. Je prends l'exemple du système de paie Louvois, mal ressenti par les militaires. Dès son entrée en fonction, Jean-Yves Le Drian, a perçu qu'il y avait là un problème et s'est appliqué résolument à trouver la solution, avec la mobilisation de tous. Je l'en remercie parce que c'est essentiel pour ceux qui sont pénalisés chaque mois. Lorsqu'ils reçoivent leur solde, il manque un peu d'argent. Il faut donc résoudre le problème et faire en sorte qu'il ne s'étende pas à d'autres administrations.

Les évolutions mises en oeuvre seront assorties des mesures incitatives indispensables à leur réussite, dans le cadre d'une politique de ressources humaines favorisant une gestion active des carrières. Ces évolutions doivent s'appuyer sur un dialogue social enrichi et une rénovation du dispositif de concertation au sein des armées. Nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers doivent se sentir soutenus et pleinement respectés : c'est aussi là, dans leur vie quotidienne, que doit s'exprimer en permanence la reconnaissance de la nation.

De même, la réflexion fructueuse qui a associé défense et justice pour prévenir une judiciarisation excessive de l'action militaire se traduira dès la future loi de programmation.

J'ai pleine confiance dans l'engagement des hommes et des femmes de la défense pour faire vivre et réussir ce nouveau modèle. Les opérations récentes soulignent la qualité de cet engagement. Elles nous en rappellent l'exigence et la valeur. Je profite de cette occasion pour leur renouveler ici l'hommage de la nation tout entière, et je remercie l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale de l'avoir manifesté à l'occasion de notre engagement au Mali. Il est important de le proclamer mais il est aussi important de le traduire en actes et en décisions. Tel est justement l'objet de ce Livre blanc.

Nos soldats doivent bénéficier d'un entraînement conforme aux exigences de leurs missions. Ils l'attendent, avec raison, et cela fera l'objet de toute notre vigilance.

Ils doivent pouvoir mettre en oeuvre, avec une disponibilité suffisante, des équipements performants. Leur renouvellement se poursuivra selon les priorités retenues en faveur des capacités de dissuasion, de renseignement et de projection. Aux lacunes relevées lors des dernières interventions répond l'effort engagé dans le domaine du transport aérien, du ravitaillement en vol et des moyens de renseignement.

Ce modèle d'armée consolide une démarche de modernisation raisonnée, sans sacrifier les effectifs nécessaires à l'action, et en veillant aux conditions d'activité. Il nous permet de maintenir l'excellence de notre outil de défense. Il prépare et préserve l'avenir.

Telle était aussi notre préoccupation, vous l'imaginez bien, dans le domaine de l'industrie de défense. Sa vitalité est d'abord une condition de la souveraineté et de l'autonomie stratégique de la France. Il faut toujours y veiller, y compris dans les négociations commerciales. Elle est aussi, avec plus de 4 000 entreprises de très haute valeur ajoutée et fortement exportatrices, et environ 165 000 emplois, un atout majeur pour le dynamisme de notre économie. On sait que l'industrie de défense en tant que telle crée des emplois, apporte de la plus-value, mais essaime aussi dans d'autres industries et permet d'autres avancées technologiques. Elle profite donc à toute notre industrie, à toute notre économie.

Les choix que nous avons faits préservent l'essentiel. Le rythme du renouvellement des équipements sera ajusté, mais nous avons veillé à éviter toute rupture et à garantir ainsi le maintien de l'excellence et du potentiel de notre industrie de défense. De même, les efforts de recherche seront maintenus au niveau atteint en 2013.

Enfin, nous apporterons, dans le strict respect de nos engagements européens et internationaux, et avec un souci de transparence accru envers le Parlement, un soutien actif aux exportations de défense.

Ce projet conforte aussi la démarche que nous menons pour tirer le meilleur parti de la construction européenne et de notre place dans l'OTAN.

Il nous permettra de poursuivre la mobilisation pour construire l'Europe de la défense. Nous connaissons ses limites, mais nous en mesurons aussi tout le potentiel, dans un contexte où les contraintes financières suggèrent davantage de synergies. La France doit être moteur dans la recherche de ces synergies. Pour répondre à des menaces largement communes, nous avons tout à gagner à des interdépendances librement consenties, et nos partenaires comprennent bien que, dans certaines circonstances exceptionnelles, la France ne peut pas, même si elle assumera toujours ses responsabilités, porter seule la réponse à ces menaces.

Nous allons donc progresser avec pragmatisme, en favorisant des opérations communes, en développant ensemble des capacités propices à la mutualisation, comme le transport aérien – nous avons déjà commencé à le faire, mais il faut prolonger l'effort –, le ravitaillement en vol, ce qui est essentiel, les drones ou les satellites d'observation, et en favorisant des programmes en coopération, en relançant le rapprochement de nos industries de défense, dont l'intégration dans la filière des missiles offre un exemple réussi. Nous devons construire de vrais champions européens de l'industrie de défense et leur permettre de mieux accéder à certains marchés internationaux. Notre démarche s'appuiera sur des partenariats d'excellence. Celui que nous avons noué avec le Royaume-Uni doit en inspirer d'autres. Elle doit affirmer aussi une dynamique à l'échelle de l'Union tout entière. Celle-ci s'est d'ailleurs donné rendez-vous sur le sujet au Conseil européen de la fin de l'année.

Cet engagement européen résolu va de pair avec une participation pleine et entière à l'OTAN. Comme l'a encore rappelé le Président de la République vendredi dernier, la France doit y conserver son identité et son autonomie. Elle doit y intensifier son influence, en veillant à ce que les initiatives qui y sont développées confortent la dynamique européenne. Le rapport commandé à Hubert Védrine avait d'ailleurs fait en ce sens un certain nombre de recommandations particulièrement pertinentes au Président de la République.

Cette dynamique européenne est également présente dans les autres dimensions de la sécurité nationale, de l'analyse des risques jusqu'aux actions civilo-militaires de prévention, de stabilisation ou de gestion de crise.

Au plan national, un contrat général interministériel fixera et préservera les capacités civiles nécessaires à ces missions, en complément des moyens militaires mobilisables en cas de crise grave. Une attention particulière sera portée aux outre-mer et à la combinaison des capacités militaires et civiles nécessaires à la protection de chaque territoire.

Le Livre blanc entérine un effort prioritaire et indispensable en faveur du renseignement. C'est l'une des clés de notre autonomie stratégique. C'est essentiel pour notre sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Le renforcement des moyens humains et techniques des services devra s'accompagner d'une extension des prérogatives du Parlement. Le ministre de l'intérieur, en liaison avec le ministre de la défense, y travaille déjà, dans le dialogue avec les présidentes des commissions compétentes, afin que le Parlement puisse pleinement exercer son contrôle de la politique gouvernementale, dans ce domaine comme dans les autres.

Enfin, le Livre blanc définit une stratégie ambitieuse de cyber-défense. Elle permettra de renforcer le niveau de sécurité des systèmes d'information vitaux, question essentielle, et le Parlement sera saisi de mesures en ce sens. Elle développera nos capacités à identifier les attaques et, le cas échéant, à riposter de manière adéquate.

Mesdames, messieurs les députés, ces choix reflètent une double exigence : le maintien d'un effort de défense volontariste et le retour à l'équilibre de nos comptes publics en 2017. En euros constants, la nation consacrera à la défense nationale 364 milliards d'euros entre 2014 et 2025, dont 179,2 milliards sur la période de la future loi de programmation militaire.

Les premières années de cette programmation, nous maintiendrons un effort financier annuel de 31,4 milliards d'euros, soit le montant auquel nous l'avons stabilisé en 2012 et en 2013. Le retour à l'équilibre des comptes publics nous permettra ensuite d'accentuer cet effort. Il conjuguera crédits budgétaires et ressources exceptionnelles, qui sont identifiées et seront intégralement affectées à la mission « Défense ». Ce sont donc des choix clairs, fermes et, je dois le dire, courageux. Le projet de loi de programmation militaire qui sera transmis au Parlement cet été en témoignera.

Le Président de la République le rappelait dans son discours sur la défense à l'Institut des hautes études de défense nationale, « la France a besoin d'une défense forte pour rester ce qu'elle est : une grande nation, un allié fiable, une puissance qui porte à l'échelle mondiale des responsabilités éminentes ».

Je sais que vous êtes nombreux à partager cette ambition. Je souhaite même que le Parlement soit capable de se rassembler sur ces questions essentielles, qui concernent à la fois l'intérêt national, la sécurité de notre territoire et celle des Français, l'influence de la France dans le monde. Les réflexions que vous avez conduites, madame la présidente de la commission de la défense, avec les membres de votre commission et d'autres commissions témoignent de cet intérêt, ainsi que l'implication de vos représentants dans les travaux de la commission du Livre blanc, dont je salue la qualité, qui nous ont aidés à conclure lors de la réunion du conseil de défense, sous l'autorité du Président de la République. Nous avons arrêté des choix. Le Président de la République a fixé les orientations. Ce Livre blanc dessine un modèle renouvelé, mais qui est fidèle à l'ambition que nous avons pour la France et, surtout, je le répète, qui est porteur d'avenir.

Notre défense restera au premier rang en Europe. La France demeurera l'une des seules puissances au monde à disposer à la fois d'une dissuasion nucléaire autonome, d'une capacité d'intervention extérieure éprouvée et modernisée et d'une industrie de défense performante. C'est un atout pour notre pays. Cette défense, c'est une défense forte, à la mesure de notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité, à la mesure aussi de l'ambition que la France porte pour elle-même et pour ses partenaires, en Europe et au service de la paix dans le monde.

Je souhaite que le débat qui commence, avec la contribution des ministres de la défense et de l'intérieur, permette de renouveler l'adhésion des représentants de la nation à cette ambition et à ce projet. Je vous remercie à l'avance de l'appui que vous y apporterez.

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