Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, je veux d'abord commencer, moi aussi, par remercier le ministre de la défense qui, en dehors de sa présence quasi hebdomadaire devant la commission de la défense, vient régulièrement devant celle des affaires étrangères pour que nous l'entendions sur notre politique de défense en même temps que sur notre politique étrangère.
Comme plusieurs orateurs l'ont souligné avant moi, il était indispensable d'élaborer un nouveau document stratégique au regard des profonds bouleversements géopolitiques intervenus depuis la publication du précédent Livre blanc, en 2008.
Parmi ces changements, il y a bien sûr la crise économique et financière qui pèse lourdement sur les budgets militaires, notamment en Europe, où la plupart des États ont réduit leur effort de défense.
De leur côté, les États-Unis sont entrés dans une nouvelle séquence qui les conduit à réorienter une partie de leurs efforts vers l'Asie et le Pacifique.
Et pendant ce temps, notre environnement n'est pas devenu plus paisible, bien au contraire. La menace liée à la résurgence de conflits interétatiques ne peut être exclue. L'Europe, bien qu'en paix, peut être touchée par le biais de la prolifération nucléaire, balistique ou chimique, ou du développement de capacités informatiques offensives par certaines puissances étrangères.
De l'autre côté du spectre, l'incapacité de certains États à exercer les fonctions de base de la souveraineté constitue une menace sérieuse, d'autant plus que bon nombre de ces États, en faillite ou en quasi-faillite, se trouvent aux portes de l'Europe. Le défi est bien sûr immense. La présence d'un État déliquescent dans notre voisinage soulève des enjeux politiques et humanitaires. L'histoire récente nous montre aussi qu'un État qui ne contrôle plus ses frontières et son territoire, qui ne sait plus administrer les services publics essentiels à sa population, peut rapidement se muer en sanctuaire pour des groupes criminels hostiles.
Il n'est donc pas concevable que nous assistions, impuissants, au développement, dans notre environnement proche, de bastions terroristes ou de zones de non-droit.
De ce point de vue, la rupture intervenue en Afrique du Nord et au Moyen-Orient avec les révolutions arabes suscite à la fois espoirs et inquiétudes. En Libye, en particulier, la situation intérieure devient chaque jour plus préoccupante et pourrait constituer, à terme, une menace significative pour la sécurité de toute la région euroméditerranéenne. L'autorité du gouvernement y est plus que limitée, voire nulle, dans bon nombre de domaines. Le Livre blanc rappelle fort justement que les risques liés à la faiblesse des États sont bien plus insidieux et inquiétants que les menaces liées à leur force, et que ces risques doivent être identifiés le plus vite possible.
Je ne vais pas revenir sur les principales orientations prises par le Livre blanc, que le Premier ministre a très clairement et précisément exposées. Ces orientations ont été saluées par nos alliés et nos partenaires.
Comme l'a indiqué le Président de la République la semaine dernière, notre pays entend maintenir dans le temps, en dépit des contraintes budgétaires, l'effort qu'il consacre à sa défense.
Nous conserverons un modèle d'armée efficient permettant de continuer à protéger la France et les Français. Ainsi, nous maintiendrons une force de dissuasion crédible et nous demeurerons capables d'intervenir sur un théâtre extérieur, comme nous l'avons fait, remarquablement, au Mali.
Notre industrie de défense pourra rester l'une des premières mondiales. Elle continuera de contribuer au renouvellement et au développement des capacités indispensables de nos armées.
Enfin, et j'insisterai plutôt sur ce point, l'Europe de la défense devra s'engager dans une nouvelle étape. Nous le savons, un Conseil européen sera consacré à ce sujet à la fin de cette année, et la France a évidemment la responsabilité de jouer un rôle moteur dans ce domaine. Car nous sommes aujourd'hui à un tournant, où il appartient à la France de faire que l'Europe de la défense ne soit plus une utopie.
Je dis bien « Europe de la défense » et non « défense européenne ». Car l'idée de défense européenne suppose la construction d'une architecture globale qui serait acceptée par l'ensemble de nos partenaires et pourrait conduire, à terme, au développement d'une armée européenne. Aujourd'hui, pour nombre de nos alliés, la « défense européenne », c'est d'abord l'OTAN, une alliance dans laquelle, dans la lignée du rapport d'Hubert Védrine, la France entend continuer de garder toute sa place, tout en intensifiant son influence en son sein.
Mais ce rôle majeur accordé à l'OTAN ne signifie pas qu'il n'y ait pas de place pour l'Europe de la défense, dont le Livre blanc souligne clairement l'intérêt, et je dois dire, monsieur le ministre, que vous vous êtes clairement engagé dans les travaux qui vont mener au Conseil européen de la fin de l'année. La contrainte budgétaire, le pivot américain vers l'Asie mais aussi les menaces proches sur notre continent, qui pèsent autant sur nos voisins que sur nous, sont autant d'arguments en faveur d'une telle évolution.
La guerre au Mali, dans cette perspective, nous a beaucoup appris. Elle a d'ailleurs fait évoluer les mentalités chez bon nombre de nos partenaires européens, si j'en juge d'après les contacts que je peux avoir, que nous pouvons avoir, par exemple, avec la commission des affaires étrangères du Bundestag ou encore, comme ce matin, avec des représentants de la Diète polonaise. La guerre au Mali a confirmé les lacunes capacitaires des Européens mais aussi leurs difficultés à définir ensemble leurs priorités stratégiques et à agir de concert rapidement face à une menace qui, je l'ai dit, ne visait pas seulement la France. Mais l'opération Serval nous a aussi appris que l'Europe de la défense pouvait réellement apporter quelque chose sur le terrain, comme nous l'a montré la mutualisation de fait des capacités de transport opérée par nos amis allemands, britanniques belges, danois ou espagnols, à notre profit ou à celui de la MISMA.
Plusieurs orientations sont envisageables.
Il conviendrait, d'abord, de se mettre d'accord sur l'analyse des risques et des dangers. Nous savons que bon nombre de nos partenaires n'ont admis que tardivement le fait que la situation au Mali constituait une menace pour l'Europe tout entière. Certains ont pu suggérer la rédaction d'un Livre blanc européen. Notre Livre blanc évoque d'ailleurs cette idée en soulignant qu'un tel document permettrait d'exprimer une vision partagée. Mais nous n'en sommes pas là.
Dans un premier temps, il serait assurément souhaitable d'actualiser la stratégie européenne de sécurité, élaborée en 2003 et inchangée depuis 2008 alors même qu'entre-temps, on l'a vu, notre monde a tellement changé. Mais l'actualisation de ce document, je le souligne, ne doit pas être un prétexte pour éviter de mener des actions concrètes, qu'elles soient opérationnelles ou industrielles. Il n'est pas question d'accepter que le prochain Conseil européen et les travaux suivants se perdent dans l'actualisation d'un document sans aboutir à des décisions concrètes.
Des initiatives ont déjà été prises. Elles montrent qu'avec une volonté affirmée il est possible de vaincre les préjugés et de parvenir à des progrès importants. Des coopérations bilatérales ou multilatérales ont déjà permis de développer d'intéressantes capacités intégrées. La coopération que nous menons avec le Royaume-Uni est exemplaire et devrait conduire à la mise en place d'une force d'intervention conjointe d'ici à 2016. Avec l'Allemagne et les pays du Benelux, nous avons réussi à créer l'EATC, le commandement européen du transport aérien, qui, basé à Eindhoven, gère les avions mis à disposition, dans un pot commun, par les États participants. Pourquoi ne pas aller plus loin avec les drones, ou les avions ravitailleurs ? Plusieurs États, dont la France, s'apprêtent à renouveler leur flotte. Je crois que nous avons là, avec les drones et les avions ravitailleurs, des perspectives intéressantes de mutualisation ; peut-être, monsieur le ministre, nous donnerez-vous des éléments en ce sens.
Le Livre blanc souligne expressément que ces coopérations sont utiles et que la France entend les promouvoir ardemment. Notre pays n'a pas adopté de position fermée et se montre ouvert à tous les partenariats, avec l'ensemble de nos partenaires, y compris ceux qui, comme l'a dit vendredi dernier le Président de la République, étaient hier de l'autre côté. Le Groupe de Weimar, le Groupe de Visegrád, auxquels vous consacrez beaucoup de temps, sont autant de cercles dans lesquels la France doit poursuivre une réflexion et mener des initiatives, avec toujours à l'esprit l'idée que nous ne progresserons que si nous sommes réalistes.
Dans ce contexte, le Conseil européen du mois de décembre prochain doit nous mobiliser tous. Le Président de la République a annoncé que la France fera des propositions concrètes en vue de ce Conseil qui doit être un rendez-vous réussi. Sinon, l'échéance sera repoussée à un terme indéterminé. Nous devons aboutir à des décisions dans le domaine des opérations, dans celui des capacités ou dans le domaine industriel. Il faut qu'à deux, à dix ou à vingt-huit, nous puissions déterminer ce que nous voulons et pouvons faire ensemble, en laissant la possibilité à ceux qui le voudraient de venir nous rejoindre, comme le permet la coopération structurée permanente créée par le traité de Lisbonne.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, l'Europe de la défense, après le succès de l'opération au Mali, recèle de formidables potentialités. À nous de les exploiter. Monsieur le ministre, à vous de jouer. La commission des affaires étrangères vous apportera tout son soutien.