Intervention de Yannick Imbert

Réunion du 21 mars 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Yannick Imbert, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, OFII :

Vous avez rappelé les missions essentielles de l'établissement dont j'ai la charge depuis seulement quatre mois. Au vu de ces missions, qu'il s'agisse de l'accueil ou de l'intégration, on pourrait considérer que l'OFII est directement concerné par le problème posé par les immigrés âgés. Mais nous n'accueillons les migrants que pendant les cinq premières années de leur séjour en France. Une telle limite ne s'applique pas, il est vrai, à notre action en faveur de l'insertion, mais il n'en demeure pas moins que le rôle de mon établissement est essentiellement de faire en sorte que les premières années du séjour d'un migrant en France se déroulent dans les meilleures conditions possibles, en favorisant l'apprentissage de la langue française, les formations civiques et citoyennes, la connaissance de nos institutions ou de tout ce qui relève, d'une manière générale, des valeurs, des moeurs et des modes de vie ou de comportement dans notre pays. Au-delà de l'honneur qui m'est fait de parler devant vous ce matin, on pourrait donc s'interroger sur la capacité de l'OFII à intervenir dans le champ de compétences de cette mission d'information.

Il est vrai que l'Office a failli être directement concerné, puisqu'aux termes des articles 58 et 59 de la loi DALO instituant « l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine » – ARFS –, l'ANAEM, devenue l'OFII, avait été chargée de verser cette allocation.

Comme M. Luc Derepas, le secrétaire général à l'immigration et à l'intégration, vous l'a rappelé lors d'une précédente audition, certains migrants, habitués à faire des allers et retours entre la France et leur pays d'origine, peuvent se voir contraints de respecter une durée minimale de résidence en France pour bénéficier de certaines allocations non contributives. Pour résoudre en partie cette difficulté, le législateur a voulu créer un régime spécifique en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d'un certain nombre d'années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l'étranger.

L'élaboration des décrets d'application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Attribuer l'allocation au titre d'une certaine durée passée en France supposerait donc d'ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Cet obstacle a retardé la mise en place d'un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l'étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

Les prestations dont le versement est conditionné à une durée minimale de résidence sur notre sol sont notamment l'allocation personnalisée au logement – APL –, versée par la caisse d'allocations familiales (CAF), l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA, ex-« minimum vieillesse » –, le droit à l'assurance maladie et certains avantages fiscaux. Le fait d'effectuer la « navette » entre leur pays d'origine et la France expose en effet les immigrés âgés bénéficiant de ces prestations à se voir réclamer des sommes indues. Les retraites contributives ne sont en revanche pas concernées par le problème.

L'article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc institué une aide financière annuelle, et l'article 59 un régime de couverture santé, au bénéfice d'étrangers extracommunautaires – les chibanis représentant le public cible –, âgés d'au moins soixante-cinq ans et donc retraités ou soixante ans en cas d'inaptitude au travail, vivant seuls en France, depuis au moins quinze ans, disposant de faibles ressources, et désireux d'effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d'origine. Le plafond de ressources aurait dû être fixé par décret, de même que la durée maximale de séjour hors de France – le retour définitif dans le pays d'origine n'était pas a priori exclu. La possibilité de bénéficier de l'aide tout en s'installant définitivement dans le pays d'origine aurait néanmoins pu poser un problème constitutionnel, mais aussi un problème politique : la population française accepterait-elle que des personnes ne résidant plus dans notre pays continuent à percevoir des prestations de la part d'organismes français ?

Le Conseil d'État, consulté sur un projet de décret d'application, a formulé plusieurs remarques de fond, relatives notamment à l'éligibilité à cette aide de ressortissants communautaires non français. Et il a conclu que, pour respecter le droit européen, tous les étrangers devraient pouvoir en bénéficier.

Or, suivre son avis aurait représenté plusieurs risques pour le Gouvernement de l'époque. Un risque budgétaire, d'abord, en raison de l'accroissement considérable du nombre de bénéficiaires potentiels ; un risque politique, ensuite, dans la mesure où cela revenait à faire payer aux contribuables français une forme de pension destinée à des étrangers qui n'auraient pas résidé en France ; un risque pour l'administration, enfin, dû à la quasi-impossibilité de vérifier la condition de résidence dans le cas d'étrangers ayant vécu dans l'un des vingt-six autres États de l'Union européenne.

Après des hésitations, le Gouvernement n'a donc finalement pas retenu la rédaction du Conseil d'État. Un projet de décret visant à appliquer l'article 58 de la loi DALO a cependant été préparé, faisant de l'ANAEM l'institution pivot pour le paiement de l'ARFS, comme elle l'était déjà pour celui des aides au retour – à la différence, toutefois, que le versement des secondes est ponctuel, tandis que celui de la première aurait été permanent. Le Conseil d'État s'étant toutefois opposé à ce deuxième projet de décret pour les mêmes raisons qu'il s'était opposé au premier, le ministre chargé de l'immigration a fini par y renoncer en octobre 2007.

Pour autant, depuis cette date, l'État n'a pas manqué de rechercher d'autres solutions. Ainsi, un décret de 2007 a ramené à six mois par année civile, contre neuf auparavant, la durée minimale de résidence en France pour le bénéfice de l'ASPA et de certaines aides non contributives. Non seulement cela représentait un progrès pour les allocataires du « minimum vieillesse », qui ont désormais la possibilité de passer trois mois de plus dans leur pays d'origine, mais cela permettait de limiter significativement le public potentiellement concerné par l'ARFS. En revanche, s'agissant de l'APL, le problème reste entier : un immigré passant cinq mois par an à l'étranger risque toujours de se voir réclamer un trop-perçu en cas de contrôle par la CAF.

D'un point de vue budgétaire, l'ARFS avait fait l'objet, en loi de finances initiale pour 2008, d'une inscription spécifique de 3 millions d'euros sur le « programme 104 » – « Intégration et accès à la nationalité ». Cette enveloppe a toutefois été réduite à 1,5 million d'euros en loi de finances initiale pour 2009 et 2010, puis supprimée en loi de finances initiale pour 2011, d'une part en raison de l'impossibilité pratique de mettre en oeuvre le dispositif, et d'autre part parce que la réduction des crédits du « programme 104 », passés de 125,8 millions d'euros de crédits d'intervention en 2008 à 66 millions en 2013, rendait impossible le financement de l'aide à la réinsertion familiale et sociale.

Les dispositions des articles 58 et 59 de la loi DALO n'ont donc pas pu être appliquées pour les raisons que je viens de rappeler. Mais si vous décidiez de relancer cette orientation, l'OFII pourrait être l'opérateur du versement régulier des prestations.

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