La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La mission d'information entend M. Yannick Imbert, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).
Nous commençons notre cycle d'auditions de ce jour avec M. Yannick Imbert, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Le président de l'Office, M. Rémi Schwartz, retenu au Conseil d'État, ne peut donc, pour sa part, être présent parmi nous.
Créé en 2009, l'OFII regroupe l'ensemble des compétences de l'ancienne Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations – ANAEM –, à l'exclusion de la question de l'emploi des Français à l'étranger, et d'une partie des anciennes missions de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, (ACSé). L'OFII est désormais le seul opérateur de l'État en charge de l'immigration légale, et notamment de l'intégration des migrants durant les cinq premières années de leur séjour en France. Il remplit quatre missions principales : la gestion des procédures d'immigration régulières aux côtés ou pour le compte des préfectures et des postes diplomatiques et consulaires ; l'accueil et l'intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France et signataires, à ce titre, d'un contrat d'accueil et d'intégration avec l'État ; l'accueil des demandeurs d'asile ; l'aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d'origine, notamment dans un but de codéveloppement.
Il revient en outre à l'OFII de servir l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine, disposition adoptée en 2007 dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable dite « DALO », mais qui n'a pu, jusqu'à présent, entrer en vigueur.
Vous avez rappelé les missions essentielles de l'établissement dont j'ai la charge depuis seulement quatre mois. Au vu de ces missions, qu'il s'agisse de l'accueil ou de l'intégration, on pourrait considérer que l'OFII est directement concerné par le problème posé par les immigrés âgés. Mais nous n'accueillons les migrants que pendant les cinq premières années de leur séjour en France. Une telle limite ne s'applique pas, il est vrai, à notre action en faveur de l'insertion, mais il n'en demeure pas moins que le rôle de mon établissement est essentiellement de faire en sorte que les premières années du séjour d'un migrant en France se déroulent dans les meilleures conditions possibles, en favorisant l'apprentissage de la langue française, les formations civiques et citoyennes, la connaissance de nos institutions ou de tout ce qui relève, d'une manière générale, des valeurs, des moeurs et des modes de vie ou de comportement dans notre pays. Au-delà de l'honneur qui m'est fait de parler devant vous ce matin, on pourrait donc s'interroger sur la capacité de l'OFII à intervenir dans le champ de compétences de cette mission d'information.
Il est vrai que l'Office a failli être directement concerné, puisqu'aux termes des articles 58 et 59 de la loi DALO instituant « l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine » – ARFS –, l'ANAEM, devenue l'OFII, avait été chargée de verser cette allocation.
Comme M. Luc Derepas, le secrétaire général à l'immigration et à l'intégration, vous l'a rappelé lors d'une précédente audition, certains migrants, habitués à faire des allers et retours entre la France et leur pays d'origine, peuvent se voir contraints de respecter une durée minimale de résidence en France pour bénéficier de certaines allocations non contributives. Pour résoudre en partie cette difficulté, le législateur a voulu créer un régime spécifique en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d'un certain nombre d'années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l'étranger.
L'élaboration des décrets d'application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Attribuer l'allocation au titre d'une certaine durée passée en France supposerait donc d'ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Cet obstacle a retardé la mise en place d'un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l'étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.
Les prestations dont le versement est conditionné à une durée minimale de résidence sur notre sol sont notamment l'allocation personnalisée au logement – APL –, versée par la caisse d'allocations familiales (CAF), l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA, ex-« minimum vieillesse » –, le droit à l'assurance maladie et certains avantages fiscaux. Le fait d'effectuer la « navette » entre leur pays d'origine et la France expose en effet les immigrés âgés bénéficiant de ces prestations à se voir réclamer des sommes indues. Les retraites contributives ne sont en revanche pas concernées par le problème.
L'article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc institué une aide financière annuelle, et l'article 59 un régime de couverture santé, au bénéfice d'étrangers extracommunautaires – les chibanis représentant le public cible –, âgés d'au moins soixante-cinq ans et donc retraités ou soixante ans en cas d'inaptitude au travail, vivant seuls en France, depuis au moins quinze ans, disposant de faibles ressources, et désireux d'effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d'origine. Le plafond de ressources aurait dû être fixé par décret, de même que la durée maximale de séjour hors de France – le retour définitif dans le pays d'origine n'était pas a priori exclu. La possibilité de bénéficier de l'aide tout en s'installant définitivement dans le pays d'origine aurait néanmoins pu poser un problème constitutionnel, mais aussi un problème politique : la population française accepterait-elle que des personnes ne résidant plus dans notre pays continuent à percevoir des prestations de la part d'organismes français ?
Le Conseil d'État, consulté sur un projet de décret d'application, a formulé plusieurs remarques de fond, relatives notamment à l'éligibilité à cette aide de ressortissants communautaires non français. Et il a conclu que, pour respecter le droit européen, tous les étrangers devraient pouvoir en bénéficier.
Or, suivre son avis aurait représenté plusieurs risques pour le Gouvernement de l'époque. Un risque budgétaire, d'abord, en raison de l'accroissement considérable du nombre de bénéficiaires potentiels ; un risque politique, ensuite, dans la mesure où cela revenait à faire payer aux contribuables français une forme de pension destinée à des étrangers qui n'auraient pas résidé en France ; un risque pour l'administration, enfin, dû à la quasi-impossibilité de vérifier la condition de résidence dans le cas d'étrangers ayant vécu dans l'un des vingt-six autres États de l'Union européenne.
Après des hésitations, le Gouvernement n'a donc finalement pas retenu la rédaction du Conseil d'État. Un projet de décret visant à appliquer l'article 58 de la loi DALO a cependant été préparé, faisant de l'ANAEM l'institution pivot pour le paiement de l'ARFS, comme elle l'était déjà pour celui des aides au retour – à la différence, toutefois, que le versement des secondes est ponctuel, tandis que celui de la première aurait été permanent. Le Conseil d'État s'étant toutefois opposé à ce deuxième projet de décret pour les mêmes raisons qu'il s'était opposé au premier, le ministre chargé de l'immigration a fini par y renoncer en octobre 2007.
Pour autant, depuis cette date, l'État n'a pas manqué de rechercher d'autres solutions. Ainsi, un décret de 2007 a ramené à six mois par année civile, contre neuf auparavant, la durée minimale de résidence en France pour le bénéfice de l'ASPA et de certaines aides non contributives. Non seulement cela représentait un progrès pour les allocataires du « minimum vieillesse », qui ont désormais la possibilité de passer trois mois de plus dans leur pays d'origine, mais cela permettait de limiter significativement le public potentiellement concerné par l'ARFS. En revanche, s'agissant de l'APL, le problème reste entier : un immigré passant cinq mois par an à l'étranger risque toujours de se voir réclamer un trop-perçu en cas de contrôle par la CAF.
D'un point de vue budgétaire, l'ARFS avait fait l'objet, en loi de finances initiale pour 2008, d'une inscription spécifique de 3 millions d'euros sur le « programme 104 » – « Intégration et accès à la nationalité ». Cette enveloppe a toutefois été réduite à 1,5 million d'euros en loi de finances initiale pour 2009 et 2010, puis supprimée en loi de finances initiale pour 2011, d'une part en raison de l'impossibilité pratique de mettre en oeuvre le dispositif, et d'autre part parce que la réduction des crédits du « programme 104 », passés de 125,8 millions d'euros de crédits d'intervention en 2008 à 66 millions en 2013, rendait impossible le financement de l'aide à la réinsertion familiale et sociale.
Les dispositions des articles 58 et 59 de la loi DALO n'ont donc pas pu être appliquées pour les raisons que je viens de rappeler. Mais si vous décidiez de relancer cette orientation, l'OFII pourrait être l'opérateur du versement régulier des prestations.
Les dispositions des articles 58 et 59 de la loi DALO sont en effet l'objet d'échanges réguliers avec les personnes que nous auditionnons. Elles représentent un aspect important des travaux de cette mission, mais pas le seul.
Jusque dans les années soixante-dix, l'immigration, dans notre pays, était considérée comme un apport ponctuel de main-d'oeuvre dont l'installation n'avait pas vocation à se pérenniser. De nombreux immigrés âgés dont l'arrivée en France remonte à cette période ne bénéficient pas d'une retraite contributive, non seulement en raison des métiers qu'ils ont exercés, mais aussi à cause des difficultés qu'ils éprouvent à reconstituer leur carrière. En effet, soit une partie du travail qu'ils ont effectué était du travail dissimulé, soit ils ont perdu les traces de leurs activités professionnelles passées. L'immigration a évolué depuis, et on peut espérer que le travail dissimulé n'est plus aussi répandu qu'autrefois. Pour autant, l'OFII mène-t-il des politiques de prévention destinée à éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ?
L'action de l'Office se concentre sur les cinq premières années de séjour en France, ce qui est normal, puisque l'intégration des étrangers fait partie de ses missions. Participez-vous aux plans régionaux d'intégration des populations immigrées (PRIPI) ? Quels sont vos liens avec les organismes chargés de la politique de la ville, qui interviennent en particulier dans les quartiers où se concentrent les populations immigrées ? Votre action bénéficie-t-elle de relais associatifs ? Plus généralement, sur quelles intermédiations l'Office peut-il compter pour que son action à l'échelon national soit relayée sur le terrain auprès des publics ciblés ?
Je m'interroge également sur l'évolution du regroupement familial après le tournant de 1974. Parmi les immigrés présents en France depuis plus de vingt ans, savez-vous quelle est la part de ceux qui ont été rejoints par leur famille ? Les immigrés âgés sont-ils nombreux à avoir déposé une demande de regroupement familial après 1974 ? Quels sont les principaux obstacles à ce qu'un immigré, une fois parvenu à la retraite, puisse faire venir sa famille ? Est-il envisageable de faciliter de telles demandes ?
La question de l'accès à la nationalité est récurrente dans les travaux de cette mission d'information. Estimez-vous que cet accès devrait être facilité pour les immigrés âgés résidant en France depuis plusieurs décennies ? Il nous semble en effet que, parmi les mesures envisageables rapidement, celle-ci pourrait contribuer à améliorer substantiellement leurs conditions de vie.
Vous avez rappelé les raisons pour lesquelles les articles 58 et 59 de la loi DALO ne sont toujours pas entrés en application. À cet égard, chaque audition permet d'enrichir nos connaissances sue le sujet. Nos premiers interlocuteurs, en effet, n'étaient pas en mesure de nous dire pourquoi les décrets d'application n'avaient jamais été publiés, ni par qui les décisions avaient été prises. Grâce à vous, nous savons désormais ce qu'il en est.
La mise en place d'une aide spécifique destinée aux immigrés âgés non communautaires souhaitant résider la plus grande partie de l'année dans leur pays d'origine se heurte donc à des obstacles juridiques, et en particulier au droit de l'Union européenne. Avez-vous une idée de la manière dont le législateur pourrait les franchir ? On sait qu'il serait contraire au principe de non-discrimination de restreindre à certaines catégories ou à certaines nationalités l'éligibilité à l'ARFS. La solution ne résiderait-elle pas dans la conclusion de conventions bilatérales entre la France et les pays d'origine, sachant que 70 à 80 % des migrants dont nous parlons proviennent de seulement quatre pays : l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Mali ? Dans cette hypothèse, le bénéfice de l'aide au retour serait de fait limité aux ressortissants de ces pays. La mission d'information ayant prévu d'effectuer prochainement un déplacement en Algérie et au Maroc, nous aurons l'occasion de poser la question aux autorités locales. Mais il s'agit, me semble-t-il, d'une piste sérieuse sur laquelle vous pourriez commencer à travailler.
Je me réjouis d'avoir pu vous éclairer sur les raisons pour lesquelles les décrets d'application des articles 58 et 59 de la loi DALO n'ont pas été pris, ce que le ministre de l'époque ne cesse de regretter, tant il était attaché aux dispositions portées par ces articles.
La reconstitution des carrières à l'occasion de la liquidation des pensions de retraite n'est évidemment pas la mission principale de l'OFII. Mais l'Office accomplit une démarche comparable, toutes proportions gardées, lorsqu'il joue un rôle de médiateur dans les centres de rétention administrative et aide des migrants s'apprêtant à regagner leur pays d'origine – dans des conditions certes très particulières – à récupérer leurs avoirs et à recouvrer l'intégralité de ce qui leur est dû. Il pourrait, de même, intervenir auprès d'organismes sociaux pour le compte des migrants âgés – et obtenir, espérons-le, de meilleurs résultats –, mais cela représenterait une mission nouvelle et exigerait des moyens supplémentaires. En outre, la reconstitution ne serait possible que pour la partie officielle de la carrière professionnelle. On se heurterait donc rapidement à l'obstacle du travail dissimulé dont les populations dont nous parlons ont souvent été victimes, comme vous l'avez vous-même rappelé. L'Office pourrait donc s'engager dans ce nouveau métier, mais son action trouverait rapidement ses limites.
Nous participons activement à l'élaboration des PRIPI. L'Office dispose d'un réseau d'antennes locales, composé de trente et une directions régionales implantées en métropole et en outre-mer, en plus des neuf représentations à l'étranger. Tous les préfets de région font en sorte d'associer de très près nos directeurs territoriaux aux travaux d'élaboration des PRIPI, mais, en certains endroits, comme à Marseille, leur implication est particulièrement forte.
En ce qui concerne les liens entre l'accueil et l'intégration des immigrés et la politique de la ville, M. Michel Aubouin – ancien directeur de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté au ministère de l'intérieur – serait probablement plus compétent que moi pour vous répondre. Mais mon expérience, y compris à d'autres postes que celui que j'occupe actuellement, me permet d'affirmer que la multiplicité des organismes chargés, à un titre ou à un autre, d'intervenir dans les quartiers classés en zone prioritaire a toujours constitué un problème, chacun défendant son « pré carré ». L'histoire de notre établissement offre un bon exemple de ces difficultés d'ordre administratif, voire technocratique : alors que l'ANAEM dépendait essentiellement de ministères sociaux, l'OFII est passé d'abord sous la tutelle du ministère de l'immigration et de l'identité nationale, puis sous celle du ministère de l'intérieur. Même si cela ne nous interdit pas d'intervenir sur les questions de politique de la ville, celles-ci souffrent déjà d'un défaut de coordination interministérielle. En outre, nos activités ne relèvent pas des mêmes programmes budgétaires.
On peut qualifier d'ambivalentes nos relations avec le tissu associatif. L'OFII est souvent perçu par ce dernier comme, au mieux, un rival, et au pire un acteur non légitime. Le secteur associatif considère en effet que certaines missions d'accueil et d'intégration relèvent de sa vocation, voire de son domaine exclusif. Il n'a donc pas apprécié de voir un opérateur de l'État empiéter sur son terrain.
Même si les relations sont désormais apaisées entre l'Office et les associations, on ne peut nier, chez ces dernières, l'existence d'un discours un peu amer. Que nous soyons sous la tutelle du ministère de l'intérieur constitue même un facteur aggravant aux yeux de certains. Nos relations s'apparentent plus à celles du donneur d'ordres avec son fournisseur qu'à des relations entre partenaires. Qu'il s'agisse de l'accueil des demandeurs d'asile, des formations linguistiques, civiques ou relatives à la vie quotidienne, nous sélectionnons des associations grâce à des appels à projets – à partir de 2015, nous aurons recours à des appels d'offres – lancés sur la base d'un référentiel destiné à unifier les modes d'intervention. Une importante association nationale agissant en faveur des demandeurs d'asile a d'ailleurs contesté la légalité de ce référentiel devant le Conseil d'État, illustrant une fois de plus l'ambiguïté des relations entre l'OFII et les associations.
J'en viens au regroupement familial. Dans le cadre de mes fonctions au sein du corps préfectoral, j'ai pu malheureusement constater que les immigrés âgés étaient parfois dans un état d'isolement humainement insupportable. La situation est moins mauvaise pour ceux qui vivent en foyer que pour ceux qui se trouvent en habitat diffus – on connaît d'ailleurs moins bien les conditions de vie de ces derniers –, mais tous souffrent d'isolement moral et psychologique. Ces gens qui, sur le plan physique, ont beaucoup donné d'eux-mêmes pendant cinquante ans de leur vie, parfois même au-delà du raisonnable, ont le sentiment, à la fin de leur parcours, d'avoir représenté de simples bailleurs de fond pour leur famille restée au pays. Non seulement leurs liens familiaux sont distendus, mais ils ont parfois subi un quasi-reniement. Et c'est avec une profonde émotion que je me remémore la situation de solitude tragique dans laquelle se trouvaient certains immigrés âgés avec qui j'ai pu échanger.
Dans un tel contexte, les demandes de regroupement familial ne sont pas nombreuses. Elles ne concernent que les personnes ayant eu la chance de conserver des liens familiaux. Je ne dispose pas, cependant, d'éléments statistiques susceptibles de répondre à votre question. Certes, depuis 2008, on observe une augmentation de 34 % du nombre de visites médicales passées par des immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans – avec 3 225 visites sous statut visiteur, concernant 1 153 hommes et 2 072 femmes –, mais de telles visites ne sont pas organisées uniquement dans le cadre du regroupement familial. On peut toutefois en conclure, avec une certaine prudence, que la nouvelle génération d'immigrés âgés ne vivra pas dans l'isolement absolu subi par leurs prédécesseurs.
La question de l'accès à la nationalité déborde largement des compétences de l'OFII. On peut considérer qu'après des dizaines d'années de présence en France, l'acquisition de la nationalité française serait la meilleure solution pour des personnes qui ne sont pas des citoyens français, sans non plus être réellement des étrangers. Mais cela relève d'un choix politique.
Vous m'avez demandé comment il serait possible de contourner les obstacles juridiques qui ont empêché la publication des décrets d'application de la loi DALO. Il existe déjà des accords bilatéraux en matière de gestion des flux migratoires ou de réciprocité de la couverture sociale. Or, sans être spécialiste, je sais que la question du recouvrement d'indus, notamment pour les dépenses hospitalières, est un sujet qui, quoique sensible, n'a pas fait partie de l'ordre du jour lors des récentes rencontres entre les dirigeants des pays concernés. Et je ne vois pas bien en quoi un accord bilatéral pourrait constituer une solution pour les immigrés âgés souhaitant conserver le bénéfice de leurs prestations tout en vivant une grande partie de l'année dans leur pays d'origine. En outre, une telle piste devrait faire l'objet d'une expertise juridique, car elle pourrait constituer une violation du principe d'égalité devant la loi.
L'acquisition de la nationalité, dans notre pays, est le résultat d'une démarche individuelle et volontaire, et rien n'empêche les immigrés âgés pouvant justifier de nombreuses années de résidence dans notre pays de déposer une demande. En outre, un travailleur étranger en situation régulière dispose des mêmes droits sociaux qu'un Français. Je ne vois donc pas en quoi un accès facilité à la nationalité pourrait constituer une réponse au problème dont s'occupe notre mission d'information – laquelle n'aurait d'ailleurs plus d'objet si tous les immigrés âgés obtenaient la nationalité française.
Vous avez évoqué les difficultés que peuvent rencontrer les immigrés âgés pour reconstituer leur carrière au moment de prendre leur retraite. Des dispositifs sont pourtant prévus pour accompagner les citoyens dans ce type de démarche, mais il existe un évident problème d'accès à l'information. Pour bénéficier de ces aides, il faut en effet les connaître ! C'est encore plus vrai pour les femmes immigrées, dont certaines ne quittent presque jamais leur domicile. Auriez-vous les moyens d'améliorer l'information des immigrés âgés sur l'assistance dont ils sont susceptibles de bénéficier ?
Ce n'est pas notre coeur de métier, mais il est toujours possible pour nous d'évoluer. Il nous serait possible d'agir pour le compte des personnes concernées. Confrontées à un véritable maquis administratif, celles-ci ne disposent pas nécessairement, en effet, des capacités, linguistiques ou autres, nécessaires pour être reçues et se faire entendre. Elles ne savent pas nécessairement où aller ni à quel guichet s'adresser. À cet égard, une intervention de l'OFII pourrait représenter une véritable plus-value. Nous pourrions commencer par faire la liste de tous les organismes susceptibles d'être intéressés par cette population et définir les dispositifs permettant d'agir au nom des immigrés âgés. Ce serait toutefois un nouveau métier, impliquant de nouvelles procédures en matière de comptabilité et de recouvrement, ainsi que des procédures contentieuses dans le cas où un organisme contesterait les demandes qui lui sont adressées.
Le logement est un des aspects très importants dont nous avons à connaître dans le cadre de cette mission d'information. Quel regard portez-vous sur le plan de traitement lancé voici plusieurs années par Adoma, le principal gestionnaire des foyers de travailleurs migrants ? Avez-vous conclu des partenariats avec cet organisme, de façon à pouvoir intervenir là où se concentrent les migrants, et surtout les primo-arrivants ? Connaissez-vous la proportion de primo-arrivants dans ces foyers de travailleurs ? Plus généralement, comment se loge un migrant qui arrive en France ?
Je ne l'ai pas précisé tant cela semble aller de soi, mais les exigences en matière de logement constituent, avec les conditions de ressources, un obstacle majeur au regroupement familial. Sachant le peu de mètres carrés dont disposent la plupart des immigrés âgés, il n'est même pas besoin d'une enquête logement pour savoir s'ils sont en mesure d'accueillir les membres de leur famille. Et pour accéder à un logement plus vaste, il faut un niveau de ressources dont ils ne peuvent généralement pas se prévaloir.
Je ne dispose pas d'éléments statistiques sur la répartition entre les immigrés logés dans des foyers institutionnels et ceux qui logent en habitat diffus. La connaissance de ces derniers est rendue particulièrement difficile, notamment dans les villes du sud de la France, par la paupérisation de certains quartiers dont on sait pourtant qu'elle frappe plus particulièrement les populations immigrées, et parmi elles, les personnes âgées.
La façon dont se logent les immigrés dépend beaucoup de leur nationalité. Ce qui est certain, c'est qu'ils savent parfaitement où ils veulent s'installer. Le choix du lieu ne doit rien au hasard, puisque, grâce à des liens de type communautaire – au mieux – ou mafieux – au pire –, ils savent où aller, comment s'y rendre et qui contacter.
Les demandeurs d'asile représentent un cas spécifique dans la mesure où ils ont le droit d'être mis à l'abri par l'État français au sein des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA). Ceux qui ne peuvent pas y être logés perçoivent l'aide temporaire à l'asile (ATA). Nos relations avec Adoma sont précisément liées, pour l'essentiel, à l'accueil des demandeurs d'asile, puisque cet organisme est gestionnaire d'un certain nombre de CADA. Adoma est d'ailleurs sur le point de répondre à l'appel à projets lancé par le Gouvernement pour la construction de 4 000 places supplémentaires en CADA d'ici la fin de la mandature. Cet opérateur dispose de 20 000 logements potentiellement disponibles en France et a engagé un programme de rénovation à hauteur de 1,3 milliard d'euros. Son potentiel est donc loin d'être négligeable.
Puis, la mission d'information entend, sur le thème de la santé des migrants âgés, de M. Bernard Montagnon, conseiller santé du Secrétaire général à l'immigration et à l'intégration (SGII) au ministère de l'intérieur, de M. Arnaud Veïsse, directeur général, et M. Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (COMEDE), de Mme Bénédicte Gaudillière, membre de l'association « La case de santé », de Mme Fabienne Diebold, coordinatrice du réseau de santé INTERMED, et Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d'Adoma Rhône-Alpes, et de Mme Brigitte Deroo, directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe.
Monsieur le docteur Bernard Montagnon, vous êtes le conseiller santé du secrétaire général à l'immigration et à l'intégration au ministère de l'intérieur, que nous avons d'ailleurs déjà reçu. Auparavant, vous avez été notamment conseiller médical auprès du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de la région Centre. Vous pourrez donc présenter à la mission un éclairage général sur la prise en compte des enjeux de santé des immigrés âgés par les politiques publiques, qu'elles relèvent des politiques d'intégration ou de santé publique.
Monsieur le docteur Arnaud Veïsse et monsieur Didier Maille, vous représentez le Comité médical pour les exilés (COMEDE), association créée en 1979 pour promouvoir la santé des migrants et qui alerte à ce titre les pouvoirs publics sur le plan national. Le COMEDE gère un centre de santé à l'hôpital de Bicêtre et a créé, en partenariat avec la CIMADE, un espace santé-droit à Aubervilliers qui fournit une assistance juridique pour l'accès aux soins.
Mesdames Catherine Delcroix-Howell et Fabienne Diebold, votre contribution permettra à la mission de connaître les actions du réseau de santé INTERMED, lequel intervient en Rhône-Alpes auprès des résidents des foyers de travailleurs migrants gérés notamment par Adoma. La mission a récemment visité un foyer Adoma en région parisienne ; vos propositions pour améliorer l'accès aux soins des résidents nous seront particulièrement utiles – j'ajoute que, grâce à notre collègue Hélène Geoffroy, nous nous rendrons bientôt dans votre région.
Mme Brigitte Deroo, vous êtes la directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe, dans le Nord, qui s'adresse à l'ensemble des habitants d'un bassin de vie comptant un grand nombre de familles immigrées, dont de nombreux retraités de l'industrie. Vous pourrez nous décrire vos interventions en matière d'éducation en santé sociale, d'actions de prévention et d'aide au bien-être, lesquelles ne passent pas toujours par une consultation médicale.
Enfin, madame le docteur Bénédicte Gaudillière, vous représentez l'association « La Case de santé » qui, depuis 2006, soutient les populations immigrées du quartier toulousain Arnaud-Bernard et des environs, dont une grande partie connaît une forte précarité. Vos actions conjuguent prévention sociale par l'accompagnement et prévention primaire par les soins infirmiers. Vous avez eu notamment l'occasion de souligner que l'aide aux personnes les plus précaires a indéniablement des effets sur leur état de santé.
Je vais m'intéresser plus particulièrement aux 347 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans originaires de pays tiers à l'Union européenne qui sont concernées par les politiques publiques de santé et pour lesquelles nous bénéficions de données via un certain nombre d'enquêtes.
Seulement 10 % d'entre elles, les plus « emblématiques », habitent dans des foyers de travailleurs migrants quand 90 % vivent dans l'habitat diffus et sont donc moins bien connues.
Hors le travail mené par les associations, dont il vous sera fait part, nous bénéficions plus globalement de deux sources principales afin de connaître, quoique d'une manière non détaillée, leur état de santé : l'enquête « handicap- santé » de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ; l'enquête « santé et protection sociale » de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).
Il ressort que l'état de santé de ces personnes a changé. Alors que, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, elles étaient plutôt en meilleure santé que la population native et que leur espérance de vie était supérieure, depuis les années 2000, leur espérance de vie est moindre par rapport à la population native et le ressenti quant à leur état de santé est également moins bon que celui de cette dernière. Cela s'explique en partie par la féminisation de cette population, en raison du regroupement familial – lequel a progressivement remplacé l'immigration de travail. J'ajoute que ces données sont ajustées en fonction des considérations socio-économiques.
L'accès à la prévention est également moindre. Les enquêtes montrent, par exemple, que ce public est sous-représenté dans le dépistage des cancers, ce qui, plus globalement, concerne l'ensemble des personnes en situation précaire.
L'état de santé des migrants âgés s'explique par le changement que je viens d'évoquer mais, aussi, par la diversification des pays d'origine ainsi que par la nature de la couverture sociale. Si 78 % des personnes immigrées sont au régime général, elles sont environ quatre fois plus représentées parmi les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et cinq fois plus s'agissant de la CMU complémentaire (CMU-C). Il convient cependant de faire preuve de prudence puisqu'en recoupant les effectifs des personnes bénéficiant de la CMU-C et le nombre d'immigrés des pays tiers, on obtient des chiffres très faibles, et il est compliqué d'en tirer des conclusions tangibles. Quoi qu'il en soit, la surreprésentation en CMU constitue probablement un frein à l'accès aux soins puisque ces personnes doivent s'acquitter d'un reste à charge.
Nous ne disposons pas de données chiffrées quant à l'accès à la complémentaire santé de ce public-là.
La règle est que les immigrés ont accès au droit commun des prestations de l'assurance maladie, mais il est notable qu'ils consomment moins de soins que la population native. Vraisemblablement disposerons-nous de données plus précises en la matière, notamment en ce qui concerne les affections de longue durée, puisque l'enquête « handicap-santé » prévoit un couplage avec le fichier de liquidation de l'assurance maladie.
S'agissant des politiques menées, je souhaite aborder plus particulièrement les PRIPI.
Le décret de 1990 et l'article L. 117-2 du code de l'action sociale et des familles n'évoquent pas explicitement la question de la santé mais font plutôt état de l'accueil, de l'action éducative, de la formation, de l'emploi, du logement, de l'insertion sociale, de la lutte contre les discriminations. La santé n'est mentionnée qu'à partir de la circulaire de 2003 avec, notamment, l'ouverture et l'interruption des droits. C'est également dans cette même circulaire que la question des immigrés âgés, qui n'étaient pas toujours repérés auparavant au sein des PRIPI, est abordée. La circulaire de 2010 précise quant à elle les intentions des pouvoirs publics en définissant ces personnes comme une population spécifique dont il convient de résoudre les problèmes d'accès aux droits repérés. Un aspect particulier est également dédié aux foyers de travailleurs migrants ainsi qu'à la question de l'accès aux soins.
La première vague de PRIPI a fait l'objet d'une évaluation par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) en 2008.
Sur vingt et un PRIPI, le champ de la santé n'est couvert que dans la moitié des régions, le public immigré âgé étant pris en compte, mais pas nécessairement sous cet angle-là. Les comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) ont fait le même constat la même année quant aux questions de dépendance et de perte d'autonomie mais je n'insisterai pas sur ce point-là puisqu'il ne relève pas absolument du domaine de la santé. Selon les CODERPA, il n'est pas possible de connaître les bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) parmi les personnes immigrées vieillissantes. De la même manière, les schémas gérontologiques abordent peu ce public spécifique.
Dans la génération des PRIPI 2010-2012, la moitié des régions aborde la question de la santé et du vieillissement. Si l'on cumule ces deux aspects, nous pouvons considérer que les trois quarts des régions ont abordé ce problème.
Ces personnes souffrent des maladies communes à l'ensemble des personnes âgées : diabète, rhumatismes, hypertension artérielle, maladies infectieuses. Les PRIPI insistent également beaucoup sur les problèmes de santé mentale, notamment les dépressions en relation avec l'isolement et le phénomène migratoire, donc, la perte des attaches.
Parmi les actions proposées ou mises en oeuvre en leur sein figurent l'information des usagers, la formation et la mise en réseaux des acteurs, la promotion et le renforcement de l'interprétariat – ce qui doit sans doute être corrélé à la féminisation de l'immigration, les épouses étant souvent restées à l'écart et souffrant d'une moins bonne maîtrise de la langue, ce qui constitue un frein pour accéder aux professionnels de santé.
L'inscription de la population formée par les immigrés âgés dans les différents programmes et schémas des agences régionales de santé serait sans doute envisageable.
En 2010, un important bouleversement s'est produit qui a entraîné une forme de scission administrative entre les domaines sanitaire et social. Il est frappant de constater que très peu de médecins de l'administration interviennent au sein des PRIPI. Autant il était facile, lorsque les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) existaient, de faire travailler ensemble le médecin proche de l'assistante sociale et de l'inspecteur sur un programme général social-santé, autant la disjonction des institutions ne facilite plus une telle démarche. En tout cas, telle était la situation en 2010 mais peut-être s'est-elle améliorée entre-temps.
Les outils dont il est question à l'article L. 1434-2 du code de la santé publique – programmes régionaux de santé et déclinaisons en schémas d'organisation médico-sociale, sanitaire, programmes ou contrats locaux de santé – pourraient être utilisés en faveur des personnes immigrées âgées.
Enfin, une meilleure connaissance du public grâce à des outils statistiques idoines serait utile même si, hélas, ce repérage pourrait être très vite interprété comme une stigmatisation alors qu'il s'agirait simplement de mieux connaître les besoins de cette population. De surcroît, les fichiers de liquidation de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), par exemple, ne comportent aucune donnée permettant de définir l'origine d'une personne.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de partager avec vous l'expérience du COMEDE.
Le Comité travaille dans le domaine de la prévention, des soins et de l'accompagnement des migrants. Il dispose d'un « centre ressources » sur la santé des migrants menant des actions de recherche, d'information et de formation sur la santé et l'accès aux soins. En 2012, 6 500 personnes ont été directement soutenues par le COMEDE dont 600 âgées de soixante ans et plus.
Concernant la santé des migrants, certains points sont connus.
Plusieurs travaux décrivent ainsi la situation sociale, la vulnérabilité et le rapport des migrants âgés à la santé. Les chiffres corroborent les propos qui ont été tenus lors d'autres auditions : addition de nombre de facteurs de vulnérabilité, précarité du logement, isolement social et relationnel – personne n'étant là, disent-ils, pour « partager leurs émotions » - précarité financière. Certaines enquêtes qualitatives font également état des obstacles linguistiques qui, pour ne pas être chiffrés, sont souvent cités, ce qui contribue à expliquer le non-recours ou les difficultés d'accès aux soins ou aux programmes de prévention. La situation, dans chacun de ces cas de figure, est encore pire pour les femmes que pour les hommes.
D'autres travaux font état de la mauvaise santé ressentie, d'une dépendance plus précoce, des accidents du travail et de la souffrance psychique. Précisément, en matière d'épidémiologie, la santé mentale est encore plus difficile à caractériser que d'autres pathologies mais certains chiffres n'en demeurent pas moins impressionnants. Les bilans de santé pratiqués par l'Institut régional information prévention sénescence (IRIPS) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pour les migrants âgés indiquent que 80 % d'entre eux souffrent psychiquement.
Une série d'informations dont nous disposons corrobore l'idée d'une difficulté d'accès à la prévention et aux soins ainsi que de renoncements fréquents à ces derniers en raison d'obstacles linguistiques et financiers. La moitié des personnes qui appelle les permanences téléphoniques du COMEDE est dépourvue d'une protection maladie en raison des difficultés à l'obtenir.
J'ajoute que cette population a préférentiellement recours au médecin généraliste et à l'hôpital public.
Enfin, les immigrés ne consomment pas plus de soins que l'ensemble de la population.
Certains points sont en revanche moins connus.
Très peu de données épidémiologiques permettent de corréler les problèmes de santé liés aux principales pathologies avec la nationalité ou le pays d'origine alors qu'un certain nombre d'acteurs confondent les statistiques ethniques – ce n'est en l'occurrence pas de cela qu'il s'agit – et des données d'état civil permettant, comme cela fut le cas dans la caractérisation du VIH ou de la tuberculose, de montrer que des actions de prévention prioritaires doivent être développées auprès de certains publics. Un tel travail étant beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre pour les autres pathologies, nous avons besoin d'affiner les recherches afin de mieux caractériser les principaux problèmes de santé de ce public. J'ajoute que, lorsque de telles données existent, nous n'avons pas toujours la possibilité de les croiser avec celles concernant les personnes de plus de cinquante-cinq, soixante ou soixante-cinq ans tant nous disposons d'encore moins d'informations.
Les signaux d'alerte n'en sont pas moins réels. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a ainsi montré qu'à Paris, la surmortalité des étrangers entre soixante et soixante-dix ans, en particulier des femmes d'origine subsaharienne ainsi que des hommes originaires d'Afrique du Nord, est patente. Concernant l'hépatite B ou le VIH, des données non publiées de l'Institut de veille sanitaire montrent qu'au-delà de soixante ans, les retards de diagnostic sont beaucoup plus fréquents et que les maladies sont donc dépistées à un stade beaucoup plus avancé qu'en deçà de cet âge.
Les pathologies principales, quant à elles, sont d'abord constituées par les maladies chroniques, en particulier chez des personnes exclues des soins pendant longtemps mais, aussi, les cancers, lesquels n'ont pas été dépistés en temps et en heure.
Enfin, deux zones d'ombre demeurent.
La population originaire d'Afrique du Nord représente certes 72 % des ressortissants des pays tiers âgés de soixante ans mais nous disposons d'encore moins d'informations sur les 28 % qui viennent d'Afrique subsaharienne, d'Europe de l'Est ou d'Asie. Il serait donc important de mieux caractériser leurs problèmes de santé et d'accès aux soins. Les facteurs de vulnérabilité sont probablement identiques mais sans doute sont-ils encore plus intenses s'agissant, par exemple, de l'obstacle linguistique ou de la précarité.
De plus, il est très difficile de caractériser les facteurs de vulnérabilité généraux et spécifiques – je songe à l'accès aux droits sociaux – des personnes qui sont en séjour précaire, qui ont fait des allers-retours avec leur pays d'origine et qui sont alternativement exclues des soins et régularisées.
Je précise que le ministère de la santé ne propose aucun programme dédié en tant que tel à la santé des migrants âgés. Tant qu'il en sera ainsi, il sera encore plus difficile de caractériser la situation de ceux qui, parmi eux, ont plus de soixante ans. Les ARS et le ministère de la santé doivent considérer qu'il s'agit là d'une mission prioritaire, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.
Mon intervention portera sur le droit de la santé et, plus particulièrement, sur la carte de séjour portant la mention « retraité » et la question du « double transfert » de ces vieux migrants qui, après avoir travaillé en France et être retournés dans leur pays d'origine, reviennent en France.
Pour les titulaires de la carte de séjour portant la mention « retraité », il est très difficile de se soigner en France, comme l'attestent les appels de familles françaises dont les parents âgés ne peuvent pas accéder aux soins. Sur un plan juridique, la situation est assez kafkaïenne mais il existe des moyens techniques assez simples permettant de l'améliorer. Je rappelle qu'il est question de retraités percevant une retraite contributive de droit français, qui ont par exemple quitté la France sous le statut que confère cette carte et qui, de retour en France avec un titre de séjour, se retrouvent face à une situation « juridiquement bloquée ».
Bien entendu se pose alors la question de l'accès à l'assurance maladie à laquelle ces personnes sont éligibles. Or, tout est verrouillé par l'article D. 115-1 du code de la sécurité sociale qui énumère la liste des titres de séjour donnant accès à l'assurance maladie et où n'est pas mentionnée la carte de séjour « retraité ». L'article D. 161-15 du même code interdit quant à lui au titulaire de la carte de séjour portant la mention « retraité » d'être ayant droit d'une personne bénéficiant de l'assurance maladie. Il n'est pas non plus possible de bénéficier de de la CMU de base puisque l'adresse figurant sur la carte de séjour est celle du pays d'origine. Ces personnes se retrouvent donc dans la situation de nouveaux entrants alors qu'elles ont un lien fort avec la collectivité puisqu'elles ont accompli toute leur carrière en France et que, je le répète, elles perçoivent une retraite de droit français.
Le COMEDE a produit un certain nombre de travaux concernant les difficultés rencontrées par les nouveaux entrants.
Le double système assurance maladieaide médicale de l'État (AME), en l'occurrence, est absolument néfaste. Que doit faire la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) lorsque le père d'un citoyen français est de retour depuis un an sur le territoire national et que lui sont ouverts les droits à l'assurance maladie, éventuellement au titre de la CMU de base s'il a bénéficié du soutien juridique nécessaire, dès lors que les séjours réguliers sous carte « retraité » sont supposés durer au maximum une année, la résidence ayant été transférée à l'étranger ? Au bout d'un an, la caisse se retrouve avec une personne qui est en séjour irrégulier, qui doit donc être prise en charge par l'AME. Je vous passe les détails bien connus de tous ceux qui travaillent sur la situation des étrangers précaires.
Nous avons écouté attentivement le directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Fatome. Il travaille beaucoup à cette importante question qu'est l'accès aux droits, comme en attestent les travaux de la mission, mais je vous alerte sur ce paradoxe que constitue le désengagement des caisses primaires et régionales. Dans les départements d'outre-mer, par exemple, nous constatons la fin du front office et de l'accueil du public, le COMEDE devant constituer les dossiers et les envoyer par voie postale. En outre, et cela est très alarmant, les caisses mettent en place des « filières VIP » : si le COMEDE constitue le dossier, il faut six jours pour le traiter à Paris – tel est le chiffre qui a été communiqué le 6 juillet 2012 – mais si c'est un citoyen lambda, cinquante-trois jours sont, en moyenne, nécessaires. Si le discours sur l'accès aux droits est très fort, les pratiques, elles, sont catastrophiques.
Je me permets, pour conclure, de formuler quelques recommandations.
Il convient, tout d'abord, de sécuriser le droit au séjour des migrants âgés.
S'agissant de l'organisation des droits, nous insistons lourdement sur le double système AMEassurance maladie. Nous comprenons ce fort enjeu politique qu'est le maintien de 200 000 personnes dans le système de l'AME mais cela constitue une gabegie en termes financier et d'organisation.
Il doit être assez simple, techniquement, de faire en sorte que la carte de séjour « retraité » permette d'être ayant droit puisque les personnes concernées résident en France et sont en situation légale.
Enfin, il faut progresser sur la question du financement de l'interprétariat car c'est grâce à ce dernier qu'il est possible, dans un premier temps, d'apprendre le français. Pourquoi ne pas envisager son financement par l'assurance maladie ou la protection sociale ?
Je vous remercie de votre invitation.
INTERMED est une association loi de 1901 créée à l'initiative d'Adoma Rhône-Alpes afin de tenter de répondre aux problématiques de santé qui devenaient de plus en plus prégnantes dans les foyers et résidences sociales Adoma. Ce dispositif cible les adhérents les plus vulnérables, les plus isolés et je dirais même les plus « reclus » dans leur logement. Il vise l'ensemble de ces publics et, notamment, nos anciens travailleurs migrants.
Ces personnes ne se situent pas dans le registre de la demande. Elles ont été « perdues de vue », formule qui avait été reprise en conclusion d'une étude épidémiologique menée par le conseil général du Rhône en 2005, qui considérait également qu'il y avait urgence à mettre en place des dispositifs de « médiation santé » fondés sur un « aller vers » puisque, précisément, ces personnes ne demandent rien et ne disposent pas d'un accès « autonome » aux soins.
Cette étude avait également relevé la précocité du vieillissement des anciens migrants, lequel devait être selon elle considéré dès l'âge de cinquante-six ans, de même que la prévalence de la dépendance par rapport à l'ensemble de la population française.
La SONACOTRA a expérimenté des dispositifs de médiation santé depuis 2003 en Savoie et dans le Rhône (à Villeurbanne) mais, outre que les financements sont toujours extrêmement précaires, il faut à chaque fois en trouver d'autres dès que l'expérience est probante. C'est pour sortir d'une telle logique que nous avons tenté l'aventure « réseau de santé » en promouvant des programmes aussi pérennes que possible. La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) nous a donné un grand coup de pouce grâce à un financement à hauteur de 50 %, ce qui nous a permis de travailler à une autre échelle car nous ne pouvions plus nous contenter d'oeuvrer sur de petits dispositifs s'adressant à quelques foyers de Villeurbanne ou de Savoie. Nous devions nous attaquer aux problèmes qui se posent à l'échelle des besoins tels que nous les connaissons dans tous les foyers et toutes les résidences sociales. Ce réseau de santé a alors été labellisé en 2009 par l'union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM) et l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH).
Par parenthèse, je signale que l'ARS a décidé qu'INTERMED ne serait plus « réseau de santé » mais, heureusement, d'autres financements permettent de pérenniser notre action. Avec 85 % des foyers et résidences sociales impactés en Rhône-Alpes, nous disposons aujourd'hui d'une couverture quasi régionale et nous atteignons 88 % des résidents« Adoma ».
Compte tenu des expériences passées, ce sont des infirmiers et, depuis peu, un psychologue qui travaillent dans le cadre de ces dispositifs de médiation santé. En tout, cela représente environ quatorze équivalents temps plein déployés sur l'ensemble de la région. Pour 2012, le nombre de bénéficiaires s'élève à près de 1 150, soit 13 % des résidents concernés, ce qui est considérable puisque INTERMED, je le rappelle, ne cible que les personnes les plus vulnérables et les plus isolées afin de les « apprivoiser » et de tenter auprès d'elles une démarche d'accès aux droits et aux soins. Au 31 décembre 2012, 40 % des bénéficiaires d'INTERMED étaient des anciens travailleurs migrants, surreprésentés par rapport à leur nombre parmi les résidents Adoma.
Notre philosophie consiste à considérer ce qu'il est possible de faire tout en prenant en compte et en analysant les différents blocages existant.
Le soin relationnel est une démarche active d'« aller vers » les personnes, sur leur lieu de vie, à domicile ou au plus près de ce dernier, quel que soit celui qui est proposé par Adoma. Nous nous rendons dans les plus petites chambres, dans les cuisines collectives, le jardin, les couloirs s'il le faut, partout où nous sommes susceptibles de rencontrer ces personnes en situation de vulnérabilité, d'isolement et qui connaissent un syndrome d'auto-exclusion leur interdisant, pour la plupart, de se rendre spontanément vers les services de droit commun.
Nous promouvons une approche globale et médico-sociale des situations ainsi qu'un accompagnement de proximité s'inscrivant le plus souvent dans la durée, notamment pour les migrants âgés, et intégrant la question des allers-retours mais, aussi, de la fin de vie.
Ce travail est évidemment effectué en réseau afin de favoriser l'articulation et la coordination avec les différentes interventions ainsi que leur continuité. Nous travaillons à la mise en place d'aides et de soins à domicile dans le cadre de tout dispositif existant dans un quartier ou une commune.
Nous proposons des actions de prévention et de dépistage ainsi qu'une veille attentive visant à ce que les différents dispositifs se relaient efficacement. En effet, ce n'est pas parce qu'une méthode de travail et un plan d'aide ont été mis en place que la vie devient un long fleuve tranquille, bien au contraire. Il est donc très important de pouvoir suivre les personnes en grande vulnérabilité sans interruption, régulièrement.
Nous contribuons et nous avons recours aux diverses instances locales de travail inter-partenarial. Ainsi, nous sommes membres de la majorité des CODERPA en Rhône-Alpes, nous avons participé à des groupes de travail dans le cadre de schémas gérontologiques, nous participons aux centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC), au conseil local de santé mentale et à toutes les instances de réflexion sur les questions liées à la vieillesse, à la vieillesse des migrants, ainsi qu'à la santé mentale et psychique.
Parmi les problèmes repérés, 45 % relèvent de l'aspect somatique : pathologies très lourdes, poly-pathologies relevant d'accidents du travail plus ou moins bien pris en charge, problématiques ophtalmologiques, cancers souvent très avancés – nous avons l'habitude de dire que nous commençons les soins par les complications –, maladies cardio-vasculaires, diabète, maladies neurologiques dégénératives, souffrances psychiques et syndromes dépressifs liés à un parcours migratoire complexe et, assez souvent, à des ruptures de liens.
18 % des problèmes concernent les addictions et, en particulier, l'alcoolo-dépendance.
Nous sommes également confrontés, quoique dans une moindre mesure, à des personnes souffrant de handicaps.
Le temps est notre outil de travail car lui seul permet d'établir une relation de confiance, prérequis indispensable à toute approche et à toute acception d'un plan d'aide de la part de ce public.
Nous proposons aussi un accompagnement à l'accès aux droits et aux démarches administratives car sans droits, il n'y a pas de soins.
Malgré les réticences initiales, nous parvenons à mettre en oeuvre des plans d'aide, y compris au sein des foyers, quel que soit le type d'habitat contraint, y compris pour des personnes qui font des allers-retours : APA, plans d'aide personnalisée (PAP), etc.
Des professionnels de droit commun interviennent plus facilement depuis que nos équipes constituent un interlocuteur légitime et professionnel, avec des garanties éthiques et de confidentialité. Ainsi, grâce à INTERMED, nous sommes parvenus à opérer des rapprochements avec l'ensemble des dispositifs de soins de ville.
Enfin, nous observons un moindre recours aux hospitalisations récurrentes et aux services d'urgence grâce à un accès aux soins coordonné.
Je vous remercie de m'avoir invitée à présenter une action différente puisque nous travaillons spécifiquement avec un public qui vit dans l'habitat diffus, a priori le plus difficile à sensibiliser aux questions de santé.
Grande-Synthe compte 20 901 habitants. C'est une ville que l'on disait jeune en raison de la population qui est venue y travailler lors de l'installation des usines de métallurgie et, plus particulièrement, d'Usinor. Aujourd'hui, ces personnes ont évidemment vieilli et sont restées sur place. Très longtemps, elles ont été invisibles en s'auto-excluant du droit commun et en ne participant guère à la vie de la cité.
Grande-Synthe a mis en place un centre de santé et une association de type loi de 1901 financée à 60 % environ par la ville avec un souci prégnant de « santé communautaire ». Tous les services de prévention y sont présents : protection maternelle et infantile (PMI), santé scolaire, médecine du travail, etc. Les habitants connaissent cette pluridisciplinarité, étrangère à toute distinction stigmatisante : médecine de pauvres – je pèse mes mots –, médecine parallèle, médecine gratuite… L'accès à cette structure est également très simplifié.
Nous avons mis en place ce projet d'accompagnement des personnes immigrées depuis longtemps car, cela a été dit, ce public très fragile a besoin de temps, de proximité et de confiance, les politiques contractuelles à court terme, en revanche, soulevant bien des difficultés dès lors qu'il est sans arrêt nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier.
À l'origine, après la perte de milliers d'emplois dans l'industrie, la ville s'est posée la question du devenir anciens travailleurs vieillissants devenus allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) : quel avenir et quelle retraite ? Nous nous sommes rendus compte que nombre d'entre eux étaient immigrés. La première année, nous avons travaillé avec de nombreux messieurs puisque c'est le chef de famille qui, alors, était porteur du dossier RMI. Nous leur avons donné la parole afin de connaître leurs attentes quant à la retraite et au droit commun de la culture, dont l'axe santé. Ces personnes ont déclaré qu'elles pouvaient penser à elles après le départ de leurs enfants, qu'elles souhaitaient quitter des logements jugés désormais trop vastes, qu'elles voulaient faire du sport et connaître leur état de santé.
Nous avons donc mis en place le programme santé. Après un an d'accompagnement, les hommes nous ont demandé d'agir en faveur de leurs épouses. Les mille immigrés de Grande-Synthe âgés de plus de cinquante-cinq ans ont alors intégré ce programme et nous travaillons aujourd'hui avec des hommes et des femmes, pour la plupart d'origine marocaine et berbère.
Leurs demandes d'information nous surprennent beaucoup. Nous sommes souvent confrontés à des caricatures ou à des clichés dont sont victimes de nombreux professionnels selon lesquels ces personnes n'auraient ni attentes ni besoins, se ficheraient de leur silhouette et de leur poids, etc. Or, c'est faux. Elles se sont simplement exclues du droit commun, considérant que ce n'était pas pour elles.
Les médecins traitants nous accompagnent puisque la participation au programme – sport, marche, sorties etc. – implique la délivrance d'un certificat médical. L'infantilisation est moindre, les demandes sont positives. La CPAM est également très proche de nous car, grâce à l'accompagnement collectif, les dépistages – mammographie, détection du cancer du côlon – font moins peur et la participation est assez impressionnante. Nous partons du principe que les personnes ont le choix d'y participer ou non. Ce n'est pas parce que nous travaillons sur un plan collectif que nous les emmenons systématiquement réaliser un bilan de santé ou un dépistage.
Cette meilleure relation avec le médecin traitant entraîne une meilleure prise en charge de la personne par elle-même.
Sans la conjonction du temps, du lieu et des participants au projet, il est impossible d'agir. C'est pourquoi, d'ailleurs, il est toujours difficile de reproduire ceux d'entre eux qui se déroulent dans des micro-territoires.
La volonté politique est également importante afin de pérenniser le programme, en particulier dans une période de restriction budgétaire où il est difficile de trouver des financements. Sans elle, sans une volonté de reconnaissance et de non-stigmatisation, il n'aurait pas pu avoir lieu.
J'ajoute que ce projet a permis de « rafraîchir » l'image que les soignants se font de ce public. Ils se sont rapprochés de lui en ayant beaucoup moins d'a-priori et de blocages.
Enfin, le centre de santé peut servir d'interface afin d'améliorer les relations entre les dispositifs de droit commun, les dépistages organisés et l'accès aux soins et aux droits. Une telle structure joue le rôle de passerelle avec la population visée.
« La Case de santé » est un centre qui se situe dans le quartier Arnaud-Bernard, l'un des derniers quartiers populaires de Toulouse, lieu de vie historique, de rencontres et de passages pour les vieux migrants. Un café social a été mis en place, El Zamen, « Le temps », celui qui passe et celui que professionnels et usagers passent ensemble. C'est un lieu de reconnaissance mutuelle dans lequel la pluridisciplinarité des intervenants permet de faire émerger certaines considérations.
S'agissant des soins primaires ambulatoires, la question de l'interprétariat nous semble très importante. Le premier recours étant la médecine générale, il importe d'en faciliter l'accès. Pourquoi ne pas envisager un mode de financement par l'assurance maladie, au moins pour les plus démunis, ou bien un forfait comme c'est le cas pour les soins palliatifs ? L'interprétariat pourrait également être utile dans le cadre de l'éducation thérapeutique afin notamment que ces personnes puissent utiliser des lecteurs de glycémie ou manipuler certains médicaments.
Tout cela demande du temps, comme cela a été dit et comme je serai sans doute amenée à le répéter moi-même.
Il nous semble aussi important de rendre visible l'invisible.
Je songe à la question des femmes âgées, qui sont souvent les oubliées des programmes d'intervention. Ainsi les personnes dont le score de précarité EPICES est supérieur à 30 ont-elles moins recours aux soins, en particulier sur le plan gynécologique. Les femmes âgées sont d'autant plus éloignées des soins que la barrière de la langue demeure importante, de même que la barrière que s'imposent certains soignants en matière de gynécologie.
En outre, comme il est parfois plus difficile pour les femmes d'intervenir dans les lieux de partage et de rencontre, peut-être faudrait-il envisager la configuration d'endroits non mixtes.
Je songe, également, à la question de la santé mentale pour laquelle il importe d'adapter les outils existant comme ceux permettant aux personnes francophones de mesurer la démence. Leur usage nécessite de surcroît une formation primaire de base dont les migrants ne disposent pas toujours.
Des lieux conviviaux comme « El Zamen » ou d'autres endroits auxquels il vient d'être fait référence à Grande-Synthe permettent de faire émerger collectivement des points qui sont parfois difficiles à exprimer, notamment en ce qui concerne les discriminations. Les migrants rappellent ainsi qu'ils ont été assignés à une place tout au long de leur vie et que leur trajectoire a souvent été douloureuse.
De tels espaces sont aussi propices à l'émergence d'un questionnement sur la mort, lequel est un facteur d'anxiété : lorsque ces personnes vivent en habitat diffus, ce qui est le cas de nombreux migrants âgés, elles craignent de mourir seules ; à cela s'ajoute la peur de mourir en exil avec tous les problèmes liés au rapatriement des corps.
Il est urgent de clarifier la façon dont la gestion de la fin de vie de ces migrants âgés pourrait être effectuée.
Le maintien à domicile est difficile pour les personnes âgées dépendantes en général et encore plus pour les migrants en raison de leur isolement, de la barrière de la langue, de la non prise en compte de certains régimes sociaux, etc.
Les soignants, quant à eux, doivent pouvoir bénéficier d'une formation initiale et continue, la première étant notamment dispensée à Toulouse dans le département universitaire de médecine générale à travers le module « patient migrant accompagné s'exprimant mal en français ».
Plus généralement, les formations à la prise en charge des migrants, notamment âgés, doivent être pérennisées : comment gérer le diabète pendant la période du ramadan, les allers-retours entre le pays d'origine et la France, etc. ?
S'agissant du niveau secondaire, les orientations en gériatrie qui ont été définies en 2012 au centre de santé ont toutes échoué, les différentes approches étant globalement mal adaptées. Les soignants en gérontologie qui reçoivent ces personnes sont souvent confrontés à ce qu'ils appellent la « barrière de la langue », laquelle limite bien des possibilités de soins à l'hôpital, certes, mais aussi et surtout lorsque les patients en sortent.
J'ajoute que ces personnes semblent essuyer plus de refus que l'ensemble de la population lorsqu'elles souhaitent intégrer des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Sur le plan de l'environnement, la question des maladies professionnelles a été un peu évoquée. Le dépistage est probablement très difficile à réaliser en raison de la complexité du parcours professionnel des migrants âgés, certaines périodes de travail, parfois longues, n'ayant pas fait l'objet de déclaration. Cette population a été pourtant très exposée à l'amiante et à d'autres substances. J'ajoute que les médecins ont le plus grand mal à trouver des référents au sein des caisses de retraite afin de synthétiser leurs parcours.
Les questions de l'habitat et de l'alimentation sont également essentielles. D'une part, je l'ai dit, l'isolement, constitue un facteur d'angoisse dont les conséquences en termes de santé mentale sont très importantes. D'autre part, à « La Case de santé », nous avons dépisté chez des patients dénutris des maladies historiques comme le scorbut.
L'accès aux droits est également problématique en raison de toutes les contraintes qui pèsent sur la vie quotidienne de ces personnes et, notamment, l'obligation de respecter une durée de résidence égale à six mois par année civile pour bénéficier de l'ASPA. Cela constitue un facteur d'anxiété très important, voire, de dépression parfois sévère entraînant de fortes consommations de psychotropes.
À mon sens, ces personnes doivent faire l'objet d'une approche spécifique mais au sein du droit commun.
Je vous remercie de vos interventions.
Pouvez-vous mesurer les conséquences des conditions de logement sur la santé des migrants âgés et, notamment, sur ceux qui vivent dans des foyers ? Notre mission en a visité certains et elle continuera de le faire mais il est d'ores et déjà manifeste que, les conditions de logement étant ce qu'elles sont, la qualité du sommeil ou du mobilier n'offrent pas des perspectives très satisfaisantes sur le très long terme en particulier. Cela est d'autant plus problématique que l'ensemble de ces populations a été astreint à des conditions de vie identiques, peu dignes et peu confortables, pendant très longtemps.
Cela m'amène à évoquer la question des maladies professionnelles et des affections spécifiques de ces populations liées au type de travail qu'elles ont accompli : les travaux physiques, notamment, ont pu avoir des impacts sur la colonne vertébrale et les membres inférieurs ou supérieurs, les personnes ayant travaillé dans l'industrie ou le bâtiment et les travaux publics pouvant quant à elles souffrir de problèmes respiratoires. Pourriez-vous nous en dire plus à ce propos ? Les programmes de la sécurité sociale permettent-ils de prendre en compte ces spécificités ou existe-t-il des difficultés particulières ?
S'agissant de l'accès aux soins, de nombreux centres d'examens sont coordonnés par la CNAMTS. Dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2009, la Cour des comptes les avait jugés insuffisamment ciblés sur les populations les plus précaires et avait proposé leur transformation en centres de santé comme ceux dont vous avez parlé. Ces préconisations ont-elles commencé à être mises en oeuvre et, si oui, l'ont-elles été de manière satisfaisante ?
La liaison s'opère-t-elle correctement entre les communes, les centres communaux d'action sociale (CCAS), les départements et les différents acteurs locaux dans la conduite des actions de prévention et d'accompagnement ? Les auditions que nous avons réalisées ont montré que les situations étaient très variables en raison de la diversité des territoires, certains d'entre eux menant l'ensemble des politiques nécessaires et coordonnant l'ensemble des acteurs, d'autres étant peut-être en retrait. Comment améliorer cette coordination dès lors que cela ne concerne pas tout le territoire mais, le plus souvent, des lieux spécifiques, marqués par l'histoire industrielle ? Des actions particulières pourraient-elles être envisagées pour inciter les conseils généraux, les collectivités concernées et les administrations à agir en ce sens ?
Enfin, avez-vous constaté une modification de certains comportements alimentaires, certaines personnes âgées étant friandes de sucre et la prévalence du diabète chez les Maghrébins étant patente ? J'ajoute que la question d'une meilleure prise en charge du diabète a été posée lorsque nous avons rencontré les chibanis du foyer Adoma de Gennevilliers.
J'ai été intriguée par votre affirmation sur l'état de santé des migrants, lequel aurait été meilleur chez ceux de la génération précédente. J'avoue que je n'avais pas mesuré cet aspect-là de la situation.
Pourriez-vous préciser les disparités de santé existant en fonction du pays d'origine ?
Pourriez-vous également préciser ce qu'il en est de la surreprésentation de ces personnes parmi les bénéficiaires de la CMU par rapport à ceux de la CMU-C ? Les différents types de titres de séjour existant ont-ils une incidence sur cette situation ?
S'agissant de l'accès aux soins, considérez-vous qu'il convient de maintenir des actions spécifiques pour les femmes immigrées âgées ?
Enfin, pourriez-vous préciser votre pensée quant à la question de la mixité dans les lieux d'accueil et de vie ?
S'agissant de la consommation de soins, les statistiques montrent que nombre de migrants ne rencontrent jamais de médecin généraliste mais qu'ils sont néanmoins aussi nombreux à être en surconsommation, ce qui aboutit à une surconsommation globale alors que certains n'y ont jamais recours. Ce déséquilibre un peu paradoxal nécessiterait d'affiner les études en fonction du mode et du lieu de résidence. On compte en effet beaucoup d'immigrés âgés en milieu urbain mais ils sont également nombreux en milieu rural.
Parfois, cela a été dit, les femmes immigrées ne sortent pas de leur domicile. Lorsqu'elles sont atteintes de cancers, ils sont souvent découverts au stade quatre, ce qui doit nous interpeller. J'ose donc évoquer l'idée d'une mise en place, pour ces populations fragiles, d'une consultation annuelle obligatoire afin de réaliser un point sur leur état de santé et de limiter le nombre de cas aussi extrêmes.
Le diabète des populations maghrébines étant souvent d'origine génétique, elles constituent comme telles des populations à risque. Cette pathologie s'explique également par une mauvaise nutrition et un excès de consommation de féculents, lesquels sont moins onéreux que les viandes ou les poissons, ce qui favorise le développement d'une obésité. Cette maladie, de surcroît, est économiquement terrible et entraîne l'apparition d'autres pathologies, en particulier oculaires, lesquelles débouchent inexorablement sur la cécité. La prévention et l'éducation à la santé sont donc fondamentales mais ces populations sont difficiles à atteindre en raison d'une méconnaissance de notre langue et d'un impossible accès à l'information.
Depuis que nous avons commencé nos travaux, je me rends compte que nous avons de très nombreux dispositifs et un milieu associatif très riche mais que, parfois, le manque de coordination explique l'accès insuffisant des immigrés âgés aux soins.
M. Montagnon a précisé que 78 % des migrants sont couverts par le régime général, qu'un certain nombre d'entre eux l'est par la CMU et d'autres par la CMU-C, ces derniers disposant des ressources les plus faibles. Avez-vous des informations plus précises à ce propos ?
Parmi les immigrés âgés figurent ceux qui ont travaillé dans des régions industrielles comme, par exemple, à Grande-Synthe, chez Usinor ou, en Lorraine. En souriant, je dis parfois qu'elles ont droit à des « retraites chapeaux » car la couverture sociale de ces usines était alors extrêmement importante via leur système de mutuelle. En revanche, les salariés qui ont travaillé dans le domaine agricole n'étaient pas tous déclarés, certains étant par ailleurs hébergés et nourris, et l'on a constaté au moment de leur retraite, puisqu'ils ont décidé de rester dans notre pays, les dégâts que cela pouvait causer.
Vous avez évoqué la souffrance psychique et nous savons en effet que l'isolement est en partie responsable de maladies neurodégénératives. Or, il est extrêmement difficile, pour des personnes qui ont vécu très longtemps très isolées, de sortir de leur situation – d'où l'importance du rôle des animateurs et des médiateurs au sein des foyers. Par ailleurs, ces personnes ne parlent pas toujours bien la langue et ne savent pas toujours lire, ce qui rend très difficile leur compréhension du système et des documents de sécurité sociale.
Il me semble important de se mettre au niveau de la population intéressée. La première des préoccupations n'est pas tant de créer des systèmes ou des organisations que de mieux articuler les dispositifs existant. J'entends souvent parler de « réseaux de partenaires » mais dès lors que l'on travaille avec un public en grande précarité, la tendance est forte de vouloir se l'approprier et de le garder. Nous éprouvons donc des difficultés à faire en sorte que les financements servent des activités et non des personnes, de manière à éviter qu'ils soient liés à un tel mouvement d'appropriation, lequel constitue par exemple, un frein phénoménal pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Au lieu d'aider à l'accompagnement des gens vers le droit commun, la nature des financements favorise leur « rétention ».
Vous connaissez les conditions d'habitat dans certains foyers ou résidences sociales avant leur réhabilitation. Leur impact sur la santé n'est pas contestable. Le plan de traitement d'un foyer de travailleurs migrants prend du temps et est complexe, notamment s'agissant du foncier, mais il ne faut pas pour autant abdiquer. Là où il est possible d'aménager des sanitaires plus dignes et plus accessibles, nous essayons de le faire. Là où l'on peut réaliser des aménagements, nous le faisons – je ne parle pas des nouvelles résidences sociales dans lesquelles les logements sont autonomes ; cela ne signifie d'ailleurs pas que nos anciens travailleurs migrants vivent facilement leur entrée dans ce type d'habitat car, parfois, ils se font de plus en plus invisibles, en raison de la disparition des cuisines collectives notamment. Nos anciens migrants représentent aujourd'hui 31 % des résidents des foyers Adoma. Les autres personnes qui vivent dans les foyers connaissent également une grande souffrance psychique ainsi que des problèmes de santé mentale, ce qui rend la cohabitation parfois très anxiogène pour nos anciens. C'est pourquoi nous insistons toujours sur le clivage des financements. INTERMED est donc pour nous très important, comme il est important de continuer à travailler auprès de tous les résidents en grande souffrance et en grande vulnérabilité. Travailler auprès d'une personne en grande précarité et en grande souffrance, d'âge médian et français contribuera à apaiser le lieu de vie et à améliorer les conditions d'existence de tous.
Enfin, la stigmatisation des logements Adoma constitue encore un problème mais il n'est désormais pas rare, grâce à un travail de médiation dans la durée, d'entendre nos infirmiers et les professionnels du soin déclarer se sentir plus « sécurisés » parce qu'ils savent qu'il y aura des soins de suite et qu'un travail au long cours sera engagé. Cela enclenche un cercle vertueux grâce auquel les professionnels de droit commun, médecins, infirmiers, aides à domicile, savent qu'ils pourront bénéficier d'un appui. INTERMED contribue donc à changer le regard qu'ils avaient sur Adoma.
La reconnaissance de l'existence de maladies professionnelles est déjà difficile pour tous les Français qui savent lire et écrire et qui ont des parcours professionnels « lisibles » ; or, le public dont nous parlons a souvent connu des parcours très morcelés et n'a parfois pas été déclaré, à son insu d'ailleurs. Il faudra bien trouver une solution pour eux.
De plus, lorsque le médecin généraliste ou le médecin du travail identifie des pathologies professionnelles de type respiratoire ou musculo-squelettique, il est extrêmement difficile de trouver des référents au sein des caisses de retraite pour reconstituer les carrières et trouver des preuves d'activité.
Dans le domaine de l'accès aux soins, la promotion des bilans de santé, notamment au sein des centres de santé, me semble une bonne chose parce que l'on y prend souvent le temps nécessaire. Sans doute faudrait-il même réfléchir à la façon de « rémunérer le temps ».
S'agissant de la prévention et de l'accompagnement, l'expérience d' « El Zamen » a montré l'importance des lieux collectifs pour faire émerger certaines demandes ou connaître certaines souffrances parfois difficiles à porter individuellement dans le face-à-face des consultations.
En ce qui concerne les régimes alimentaires, la question des carences a été évoquée – elles sont souvent liées à la cherté des produits – et j'approuve entièrement les propos de monsieur Vitel sur le diabète.
Les femmes constituent une population encore plus vulnérable en raison de leurs parcours. Sans doute conviendrait-il de travailler sur les représentations des soignants, par exemple pour qu'ils puissent pratiquer un examen gynécologique sur une femme âgée qui, de surcroît, ne parle pas le français.
J'ai en effet évoqué la question de lieux non mixtes où rendre plus faciles les approches entre femmes car il est parfois difficile d'intervenir dans des endroits collectifs ou dans des assemblées d'hommes. Même si « El Zamen » est un lieu de mixité ouvert à tous, les femmes n'y viennent plus. Nous avons donc mis en place d'autres expériences comme la « cantine des femmes » mais sans doute faudrait-il réfléchir à ce problème plus longuement, les femmes ayant tendance à s'exclure elles-mêmes de ces lieux.
À « El Zamen », nous nous sommes rendu compte qu'une action sur l'environnement permet de diminuer la fréquence de certains problèmes, dont ceux de la consommation de psychotropes ou d'alcool.
Je ne crois pas du tout à l'instauration de consultations obligatoires. En revanche, notre expérience à « El Zamen » montre que les gens sont plutôt contents de venir nous voir si nous parvenons à réaliser certains aménagements et à rompre certaines représentations.
Enfin, s'agissant des pathologies oculaires, il faudrait songer à la prise en charge du coût des lunettes.
L'amélioration de nos connaissances épidémiologiques permet de montrer que, s'il n'existe pas de maladies spécifiques des migrants, ces dernières sont plus ou moins réparties selon les publics, ce qui influe sur les conseils de dépistage ainsi que sur les bilans de santé.
Il est vrai que la prévalence du diabète est plus importante chez les personnes originaires d'Afrique du Nord mais aussi, et c'est moins connu, chez celles qui viennent du sud de l'Asie – d'où, lorsque cela est ignoré, certains retards de dépistage.
La prévalence du VIH est plus importante chez les personnes d'origine subsaharienne ou des Caraïbes, l'épidémie d'hépatite C l'étant chez celles qui viennent d'Europe de l'Est et l'hépatite B chez celles qui viennent d'Afrique de l'Ouest.
Il est nécessaire que l'ensemble des centres d'examens de santé de la sécurité sociale et de droit commun adaptent leurs pratiques dans leurs bilans de santé. Cela a d'ailleurs commencé suite à une recommandation formulée dans un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) puisqu'une expérimentation pilotée par la direction générale de la santé est en cours dans trois centres d'examens de santé d'Île-de-France s'agissant des visites de prévention pour les bénéficiaires de l'AME.
Cela est d'autant plus important que, indépendamment du problème des migrants, nos systèmes de prévention sont très verticaux. En effet, une radio du poumon montrera, par exemple, qu'un patient n'est pas atteint de tuberculose alors que l'hépatite C dont il souffre ne sera dépistée que dix ans plus tard, lorsqu'il souffrira d'une cirrhose.
Nous avons besoin de lieux adaptés et les centres d'examens de santé sont une bonne chose. Doivent-ils pour autant devenir des centres de santé ? C'est une autre question. S'ils remplissent leur mission de prévention et de dépistage, cela sera déjà très bien.
À l'instar de Mme Gaudillière, je considère que le caractère obligatoire des consultations n'améliorerait pas l'efficacité des soins, au contraire. Des économies devant être réalisées, je note que la visite obligatoire de l'OFII n'a aucun intérêt en termes de santé publique même si elle peut avoir du sens en termes de contrôle sanitaire aux frontières. En tout cas, elle en aurait si elle n'était pas effectuée longtemps après l'arrivée sur le territoire et si elle ne se limitait pas, par exemple, à détecter une tuberculose. Le caractère obligatoire d'une démarche entame la confiance et se heurte également à une contradiction légale et déontologique : exercer une médecine de contrôle, ce n'est pas exercer une médecine de prévention.
Le centre de santé du COMEDE propose à tous les nouveaux patients un bilan de santé que 84 % d'entre eux effectuent. Les autres ne le refusent pas mais il arrive qu'ils ne puissent pas s'y rendre le jour de leur convocation ou que l'interprète ne soit pas disponible ce jour-là. Il n'en reste pas moins qu'ils en bénéficient plus tard. Dans les centres d'examens de santé, facilitons un accès aux bilans de santé et les gens iront le faire !
La variation de l'état de santé entre les générations de migrants a également été constatée sur un plan international. Nombre de publications montrent que celui des premiers migrants, sans doute en raison d'une sur-sélection liée à l'immigration de travail, était meilleur. Il s'est dégradé ensuite, après le changement de nature de l'immigration.
La surreprésentation des migrants parmi les bénéficiaires de la CMU est évidemment liée à leur niveau de ressources.
La majorité des personnes concernées bénéficient de la CMU mais pas de la CMU-C en raison de l'effet de seuil, même si, en principe, celui-ci devrait ouvrir le droit à l'assurance complémentaire. Toutefois, nous ne disposons pas d'information particulière en la matière, ce qui constitue sans doute une nouvelle piste de travail.
Si ces personnes ne disposent pas de la CMU-C, c'est qu'elles bénéficient de revenus qui ne les y autorisent pas.
J'ai vécu ici même la création de la CMU et de la CMU-C et, comme vous l'avez dit, il existe différents seuils.
L'impact est très important, dans ces cas-là, sur le renoncement aux soins.
Les conditions d'habitat, quant à elles, ont certes été indignes mais elles se sont améliorées, ce qui a dû avoir des conséquences sur la santé.
Les migrants disposent de ressources très faibles et comptent à l'euro près, parce qu'ils doivent envoyer de l'argent à leur famille. L'un des moyens d'y parvenir est de s'abstenir de toute dépense de santé ou de loisirs.
S'agissant de la surconsommation ou de la non-consommation de soins, les statistiques de l'IRDES s'intéressent aux bénéficiaires de la CMU sans distinguer les immigrés des autres.
L'article L. 1111-4 du code de la santé publique s'oppose à la consultation obligatoire, chaque personne étant libre vis-à-vis de sa propre santé.
S'agissant des spécificités territoriales, le contrat local de santé implique que les ARS, en lien avec les communes, s'adaptent aux réalités locales afin de constituer leurs programmes.
Enfin, la mission d'information entend M. Thierry Tuot, conseiller d'État, auteur du rapport sur la refondation des politiques d'intégration, remis au Premier ministre (février 2013).
Nous recevons à présent M. Thierry Tuot, conseiller d'État, auteur du rapport sur La refondation des politiques d'intégration, remis au Premier ministre le 11 février 2013.
Votre rapport aborde de nombreux points directement liés aux travaux de la mission, qui s'intéresse aux immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires d'États tiers à l'Union européenne. Dans le cadre de nos auditions, nous avons eu l'occasion d'aborder plusieurs thèmes : le périmètre des politiques d'intégration et leurs liens avec la politique de la ville et de la cohésion sociale, l'accès aux droits sociaux, le logement – notamment la transformation des foyers de travailleurs migrants –, la santé, l'isolement, la dépendance, la pratique de la « navette », l'accès à la nationalité, etc. Nous nous sommes également rendus dans un foyer Adoma à Gennevilliers et nous poursuivrons nos visites de terrain jusqu'au terme de nos travaux.
Dans la mesure où le rapport que vous avez remis au Premier ministre traite largement de ces thématiques, il nous a semblé indispensable de vous entendre, afin que vous nous présentiez le diagnostic que vous avez établi ainsi que les recommandations, de court terme comme de moyen et de long terme, qui vous ont semblé devoir être formulées.
Je vous remercie pour votre invitation. Je m'efforcerai de mettre en exergue les points de mon rapport qui ont trait à l'objet principal de votre mission, à savoir les immigrés les plus âgés.
Le Premier ministre m'a commandé le rapport le 1er août 2012 et la version de travail a été remise le 29 novembre de la même année. C'est dire le peu de temps dont j'ai disposé pour étayer mon propos, qui est plus allusif qu'il ne serait souhaitable.
Du reste, une des difficultés principales auxquelles on se heurte est le défaut de connaissances scientifiques et académiques en la matière. La première chose à faire pour éclairer le débat public et les politiques publiques serait de satisfaire à ce que j'ai appelé le « devoir d'intelligence collective ». Nous devons nous doter de l'appareil scientifique permettant de connaître les réalités quantitatives, d'apprécier les évolutions de toutes natures – sociologique, historique, économique, sociale – de façon à mieux apprécier les difficultés rencontrées en matière de santé, de logement, etc.
Certaines données présentées comme évidentes ne le sont pas toujours. De nombreuses intuitions issues de l'observation spontanée peuvent être mises en cause par une analyse scientifique de long terme, indépendante et critique.
C'est pourquoi il me semble que les pouvoirs publics doivent d'abord relancer un programme universitaire de recherche de haut niveau, que l'on gagnerait d'ailleurs à rendre européen. En effet, un regard étranger nous aiderait à sortir des biais nationaux et à mieux comprendre ce dont nous parlons.
Aussi mon propos est-il subordonné à la critique, tout à fait fondée, de l'insuffisance de données scientifiques suffisantes pour étayer le propos, quel qu'il soit.
Dans mon rapport – dont le champ, je le rappelle, était très large puisqu'il s'agissait de la refondation des politiques d'intégration –, j'appelle les pouvoirs publics à prendre une position politique claire. Il ne s'agit pas simplement de recourir à des remèdes technocratiques ou sociologiques, mais bien de réfléchir au choix collectif à faire sur la manière d'aider la société à mieux intégrer les personnes étrangères.
Cela suppose une vision nette du type de rapports sociaux que nous voulons construire. Il ne s'agit pas d'apporter des réponses éparses à des problèmes dénués de lien entre eux – tantôt l'islam, tantôt les foyers, tantôt les femmes, tantôt la politique de la ville, etc. – mais de considérer les choses comme un tout en les articulant autour d'une idée précise du fonctionnement social de la nation française.
Il m'a semblé que cette approche globale devait d'abord, pour marquer une rupture, être fondée sur la bienveillance. La politique vis-à-vis des immigrés ne peut reposer sur la suspicion, la crainte et l'invocation permanente de l'ordre public, de la menace et du danger. On le voit lorsque l'on s'intéresse aux immigrés âgés : il s'agit de sujets humains, nullement menaçants, qu'il faut avant tout traiter selon une exigence morale. Or, la situation dans laquelle ils se trouvent est souvent indigne des valeurs que nous rappelons en permanence lorsque nous parlons d'intégration. Pour crédibiliser le discours public en la matière, il faudrait commencer par le mettre en application en ce qui concerne cette catégorie de personnes. Les valeurs de la famille, de la patrie – c'est-à-dire de la terre des pères –, reposent sur la reconnaissance de l'exigence formulée dans le préambule de la Constitution de 1946 : nous devons sécurité et secours aux personnes les plus âgées. Les immigrés ne peuvent pas et ne doivent pas faire l'objet d'un traitement distinct.
À ceux qui ne seraient pas convaincus par la nécessité de ce devoir moral, on peut répondre que les politiques publiques en direction des populations les plus sensibles et les plus difficiles – les jeunes, les délinquants, les islamistes, ceux qui manifestent leur refus de s'intégrer par des positions agressives ou peu compatibles avec nos moeurs – gagneraient en efficacité et en crédibilité si nous faisions preuve, vis-à-vis des plus âgés de notre capacité de reconnaissance au regard de leur contribution à l'histoire nationale ou d'un traitement social à même de répondre à leurs difficultés.
Autrement dit, une politique s'adressant aux immigrés âgés est rentable : elle est moins coûteuse, plus efficace, et ses retombées dépassent largement ce seul public. Pour parvenir à s'adresser aux jeunes, il faut nécessairement parler aux plus âgés.
À tous ceux qui n'ont pas de racines, nous devons montrer que leurs grands-parents sont toujours les bienvenus et que nous les traitons convenablement. À tous ceux qui imaginent une religion islamique trouvée sur internet, nous devons montrer des pratiques et des rites très différents, pratiqués de façon paisible et pacifique. À tous ceux qui pensent qu'ils ne sont pas français alors même qu'ils possèdent des papiers d'identité, nous devons montrer que leurs pères, leurs grands-pères et leurs arrière-grands-pères ont participé à la défense de la nation, à la libération du territoire, à l'essor national, à la croissance, et continuent à jouer un rôle social dans les quartiers.
En résumé, une politique exemplaire en direction des immigrés âgés fera passer un message beaucoup plus crédible en matière d'ordre public, de moeurs et d'intégration. S'il fallait désigner un public prioritaire pour la politique d'intégration, c'est très volontiers les immigrés âgés que je désignerais, beaucoup plus que les jeunes, les femmes ou les habitants des quartiers comme on le fait d'ordinaire.
Le rôle social des immigrés âgés devrait être beaucoup mieux considéré qu'il ne l'est. Ce ne sont pas seulement des victimes qui auraient droit à notre commisération : ils peuvent encore être des acteurs sociaux. Alors que l'on cherche à maintenir le rôle des seniors dans l'emploi, dans l'entreprise, dans la vie associative, publique, etc., il faut viser pour les immigrés âgés un rôle social qui ne soit pas seulement la compensation des handicaps dont ils peuvent souffrir en matière de santé, de logement ou de revenus, mais aussi la valorisation du rôle qu'ils jouent dans la transmission des savoirs et des valeurs, dans l'animation d'un quartier, dans les relations entre les personnes, dans la médiation. Ce n'est pas seulement aux grands frères que revient ce rôle-là, c'est aussi aux personnes âgées, hommes et femmes.
J'insiste sur ce dernier point car les femmes, majoritaires chez les immigrés âgés, souffrent d'un double handicap : non seulement elles sont tout aussi mal intégrées dans leur quartier que leur mari – dont souvent elles sont veuves –, mais elles sont souvent venues en France plus tardivement, à la faveur d'un regroupement familial, et n'ont pas bénéficié d'une insertion professionnelle. Leur rôle a souvent consisté à s'occuper de la famille. Lorsqu'elles se retrouvent abandonnées à la suite de divers accidents de la vie, il leur est encore plus difficile de trouver les voies d'une bonne insertion : les solidarités traditionnelles entre collègues de travail, entre camarades de café ou entre joueurs de boules et de PMU leur sont étrangères. Une priorité devrait leur être accordée, notamment en matière de reconnaissance du rôle social et d'accès au logement, car leurs difficultés sont les plus silencieuses et les moins voyantes.
Là encore, le « rendement » social d'une telle politique serait élevé. Il est toujours frappant d'entendre à quel point le discours des grands-mères afghanes, turques, nord-africaines, d'Afrique noire ou asiatiques porte sur les valeurs, l'ordre, la discipline. Ce discours que les pouvoirs publics ont du mal à tenir sans paraître ridicules leur est spontané et il est entendu. Le respect pour les anciens est partagé par tous. S'il est encore une valeur qui nous unit et qui nous donne la possibilité d'échanger sur certains sujets, c'est bien la transmission par les générations les plus âgées.
Reconnaître ce rôle et soutenir les associations qui travaillent à le qualifier et à le diffuser me paraît être une priorité.
J'ai proposé, dans mon rapport, différentes mesures dont certaines sont purement symboliques : elles concernent peu de personnes mais sont de nature à marquer de façon nette que nous arrêtons de nous affronter sur l'invocation rituelle de grands mots qui ignorent les réalités sociales.
Si nous voulons être respectés, il faut d'abord que nous respections les morts. Aménager des « carrés musulmans » dans les cimetières pour éviter la reconduite à la frontière des cadavres est essentiel et ne demande aucune évolution juridique, contrairement à ce que l'on entend parfois : tout maire en a aujourd'hui la possibilité.
Il est dommage de procéder par circulaires. Sur un plan symbolique, une disposition législative affirmant qu'il est possible de procéder à de telles inhumations religieuses serait marquante et utile.
De même, en matière d'accès à la nationalité, j'ai proposé une mesure simple qui a d'ailleurs soulevé une controverse. Il s'agit de mettre en accord nos principes et nos actes: puisque nous reconnaissons la famille comme l'élément essentiel de ce qui nous unit et le respect des anciens comme le fondement de la famille, peut-être pourrions-nous donner enfin la nationalité française à des mères de famille qui en sont à leur troisième titre de séjour, qui ont donc résidé plus de vingt ans en France, et qui ont donné des enfants et des petits-enfants au pays – lesquels, je le rappelle, sont surreprésentés dans nos forces armées, de même que dans nos services publics. Leur épargner la procédure quelque peu sourcilleuse et restrictive qui est d'ordinaire appliquée pour l'octroi de la nationalité serait un geste symbolique – seules quelques dizaines ou centaines de personnes seraient concernées – mais extrêmement significatif. Là aussi, une disposition législative serait la bienvenue.
Il faut également rénover les foyers de travailleurs migrants qui ne l'ont pas encore été, sachant qu'il s'agit en réalité d'accompagner leur disparition progressive : pas plus qu'il n'y a de voitures pour immigrés, de restaurants pour immigrés, de plages pour immigrés, il ne saurait y avoir de logement pour immigrés. Hélas, on constate que ce sont essentiellement des personnes âgées qui restent dans ces foyers. Nous devons non pas les en extraire – ce qui porterait atteinte à la sociabilité qui s'y est construite –, mais leur permettre de finir leurs jours de façon décente.
Sur le plus long terme, les pouvoirs publics doivent reconnaître, dans leur discours, le rôle des immigrés âgés dans la construction de la nation française, dont ils sont une composante majeure ; soutenir les associations qui travaillent à leurs côtés, aussi bien dans l'accompagnement que dans la valorisation de leur rôle ; prêter une attention toute particulière au logement – on se réfère trop souvent aux grandes familles d'immigrés alors qu'aujourd'hui, le problème est plutôt celui des petits logements, pour les vieux comme pour les jeunes, ce qui suppose de faire des choix dans le parc social ; lutter contre la discrimination dans l'accès aux soins, aux prestations sociales, à la retraite et aux maisons de retraite, et subordonner la délivrance des agréments administratifs à la prise en compte du sujet de la discrimination envers les personnes âgées d'origine étrangère.
Vous dressez des constats mais apportez surtout des propositions. C'est ce que nous attendons et nous vous en remercions.
Nous en venons aux questions que le rapporteur et moi-même vous posons conjointement.
Le travail que vous avez effectué sera un élément important de notre propre rapport. En elle-même, notre mission d'information se veut déjà un cadre d'écriture de cette histoire qui n'a pas été écrite – du moins pas au sein de cette institution de la République. Le fait que le Bureau de l'Assemblée ait décidé de la création de notre mission à l'unanimité constitue en lui-même un premier pas dans la direction que vous avez indiquée.
Je souhaiterais que nous revenions sur les mesures qu'il conviendra de prendre, parfois en urgence, après la publication de nos travaux respectifs.
Pour ce qui est de la connaissance des publics concernés, vous estimez que la solution résiderait dans la réorganisation et la réécriture des missions du Haut Conseil à l'intégration. Pourriez-vous préciser ce point ? Plusieurs auditions nous l'ont montré : la connaissance parcellaire ou l'absence de connaissance pose d'emblée le problème de l'efficacité des politiques publiques. Comment, en effet, apporter des réponses à des situations dont on a une compréhension insuffisante ?
Vous appelez également de vos voeux la réorganisation et la rationalisation de la politique d'intégration à l'échelle des territoires, en commençant par expérimenter, dans une vingtaine de territoires, la réorganisation des compétences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Étant observé que la prochaine loi de décentralisation devrait traiter de ce sujet, avez-vous envisagé un calendrier pour ces expérimentations ? Quelles institutions imaginez-vous comme « chefs de file » ? Nos auditions nous ont confirmé un problème récurrent : nous avons en France beaucoup d'administrations, de politiques publiques, de collectivités locales ; la difficulté ne réside pas tant dans l'absence de dispositifs que dans la nécessité de les diriger vers le public auquel ils sont destinés. Mettre en place un dispositif, c'est bien ; amener les gens à le connaître et à l'utiliser, c'est mieux !
Quant à la proposition de donner la nationalité française à certaines personnes sur simple déclaration, je considère qu'elle est utile. Je le vois dans ma circonscription : la constitution du dossier telle qu'elle est conçue aujourd'hui est un obstacle à l'accession à la nationalité française pour de nombreuses personnes vivant depuis longtemps en France mais ayant du mal à maîtriser l'écrit. Il arrive que les élus jouent les médiateurs, mais ce n'est pas le signe d'un fonctionnement normal. Une mesure serait en effet la bienvenue, d'autant, vous l'avez dit, qu'elle ne concerne que des publics très ciblés.
Le plan de rénovation des foyers de travailleurs migrants a pris beaucoup de retard. Le directeur d'Adoma, M. Arbouet, nous l'a confirmé. Vous proposez pour votre part d'achever ce plan dans un délai de dix-huit mois. Une accélération serait certes possible si Adoma bénéficiait de financements renforcés. Néanmoins, cent cinquante foyers restent à traiter dans le cadre de la première partie du plan et cent cinquante autres ne sont pas dans le plan. En d'autres termes, sur l'ensemble du patrimoine d'Adoma, les deux tiers restent à traiter. Votre proposition est formidable sur le papier, mais selon quel calendrier et grâce à quels leviers financiers la rendre concrète ?
Vous avez formulé une autre proposition intéressante : la modification des critères d'attribution des logements sociaux. La plupart du temps, les résidents des foyers ne peuvent bénéficier d'un logement social en raison même de leur qualité de résident de foyer. On peut résumer ainsi le raisonnement des communes, qui sont aussi des bailleurs sociaux : nous avons fait l'effort d'accueillir un foyer de travailleurs migrants, mais en contrepartie, les résidents doivent y rester. Vous avez mis le doigt sur un problème. Pourriez-vous y revenir ?
Vous souhaitez enfin que les décrets d'application des articles 58 et 59 de la loi « DALO » soient pris. Or, les auditions que nous avons menées ont progressivement fait apparaître que c'est surtout la rédaction de la loi qui pose un problème et que le Conseil d'État considère le texte comme inapplicable au regard du droit de l'Union européenne. Le risque est que les dispositions s'appliquent à tous les étrangers, dans l'Union européenne, ce qui entraînerait d'importantes conséquences politiques et financières.
Notre mission a demandé à tous les responsables concernés s'il existe des voies alternatives acceptables politiquement et juridiquement sécurisées. Avez-vous réfléchi à cette question, sachant que l'on se heurte en l'occurrence à l'un des principes essentiels du droit communautaire, le principe de non-discrimination, pour mettre en place une aide spécifique aux immigrés âgés ?
« Doit-on encore parler d'intégration ? » vous demandez-vous dans votre rapport. C'est un peu l'objet de notre mission d'information. À partir de quand les personnes sont-elles intégrées ? Faut-il lier cette question à celle des droits et des devoirs, comme on le fait souvent, ou considérer qu'elle n'a plus lieu d'être au bout d'un certain temps ?
Vous évoquez aussi notre histoire partagée. Que préconisez-vous pour construire une mémoire commune ? Lorsqu'une opération de rénovation urbaine intervient, on assiste à de nombreuses initiatives pour que chacun raconte son histoire. Souvent, un livre est édité qui retrace l'histoire des hommes et des femmes venus d'ailleurs. C'est un moment d'émotion mais cela ne suffit pas à faire partager une histoire à l'échelle de la nation.
Vous proposez d'« interdire par la loi et pour une période donnée la création de toute nouvelle institution culturelle ailleurs que dans les quartiers de la politique de la ville ». Qu'entendez-vous par là ? L'objectif est-il de faire « culture commune » ?
Que pensez-vous de l'action de dispositifs comme le Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) ou l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé) dans le cadre de ces politiques ?
Quel est le terme de l'intégration ? Je n'en sais rien, évidemment. C'est toute la difficulté de la notion même d'intégration, dont la plupart des acteurs de ces politiques voudraient que l'on se débarrasse.
Je propose que la réflexion s'articule autour de deux idées que je confesse avoir empruntées, pour l'essentiel, aux politiques américaines.
D'abord celle de « société inclusive » : une société qui ne repose pas sur un modèle uniforme, mais une société qui n'a pas de frontières à l'extérieur desquelles on maintient des catégories – pauvres, personnes d'origine étrangère, femmes, homosexuels, etc. Il ne s'agit ni de lutte contre les discriminations ni d'intégration à un ensemble que l'on serait bien en peine de définir, mais de l'idée que la société, aidée par les pouvoirs publics, doit en permanence faire en sorte de ramener toutes ses composantes en son centre, lequel centre peut avoir plusieurs couleurs ou plusieurs façons d'exister.
La notion s'articule avec celle de « mise en capacité » – l'empowerment américain. Il ne s'agit pas d'accorder plus de droits aux immigrés qu'aux non-immigrés, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas possible de les identifier en tant que tels, mais de faire en sorte que personne ne subisse de difficultés sociales parce qu'on lui prête une origine étrangère. Ce n'est ni la négation de cette origine ni la volonté de son effacement par « blanchiment » de la population. Le propos n'est pas de refuser les identités et de forcer les personnes à s'intégrer dans un ensemble qui les dépasse, mais de les mettre en capacité d'utiliser tous les leviers de la réussite sociale : école, logement, insertion sociale, etc.
Loin de tout aspect normatif, on considère là que les personnes étrangères doivent bien entendu évoluer, mais que nous aussi évoluons avec elles. La société inclusive qui résulte de cet effort collectif n'est pas la même que la société de départ. C'est ce qui explique une partie des craintes qu'elle inspire, puisqu'il est dit aux gens qu'ils ne seront pas les mêmes après. Même si cela fait des siècles qu'il en va ainsi en France, ils n'en sont pas conscients et il est compréhensible que cela puisse paraître inquiétant. C'est néanmoins le chemin qu'il faut prendre.
S'agissant de la mémoire partagée, je déplore que les très nombreuses initiatives prises dans les quartiers ne soient que rarement relayées par les pouvoirs publics. C'est pourquoi je propose que les programmes de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) consacrent systématiquement un premier pour-cent du montant des travaux à la mémoire, à l'identité et au devenir des habitants. Il est essentiel de rappeler que les opérations de rénovation urbaine ne sont pas destinées à enlever les habitants de là où ils sont, mais à mieux les reloger.
Les objectifs poursuivis doivent toujours être sociaux. La politique de la ville ne consiste pas à dissoudre l'identité pour recréer autre chose, elle doit permettre de continuer d'habiter quelque part mais dans de meilleures conditions. C'est donc d'abord un projet social dans lequel la mémoire doit jouer un rôle important.
À l'échelon national, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration est un outil public trop peu utilisé alors qu'il dispose d'une capacité de rayonnement aussi bien comme musée qu'en milieu scolaire, dans l'audiovisuel et sur internet. Il faut qu'elle redevienne porteuse d'un grand projet national consacré à la mémoire.
Ce projet, nous ne le mènerons pas à bien si nous ne réglons pas définitivement son compte à notre mémoire coloniale. Nous ne pouvons tenir un discours sur l'histoire de l'esclavage – à laquelle sera peut-être consacré, un jour, un musée –, un discours sur l'immigration, et ne pas parler des colonies, comme si nous n'y étions jamais allés et qu'il ne s'y était rien passé. Le temps est venu d'affronter cette réalité. Si une immigration d'un certain type se poursuit dans notre pays, c'est parce que nous avons une histoire coloniale que nous devons assumer. Je rêve d'un triptyque mariant la vision que la France avait des peuples d'autres couleurs jusqu'au XVIIIe siècle – c'est-à-dire une histoire de la colonisation commerciale et de l'esclavage –, l'histoire de la colonisation massive du XIXe et du début du XXe siècles et l'histoire de l'immigration.
Nous devrions être capables de regarder en face ces trois aspects de notre relation à l'étranger. Il ne faut pas fuir cette histoire mais la reconnaître et la célébrer.
J'ai ainsi proposé que l'on rende hommage à tous les anciens soldats de nos colonies dont les pays d'origine n'entretiennent plus les tombes. Il est paradoxal qu'en Afrique du Nord les tombes des Français soient désormais convenablement entretenues, tandis que les corps des tirailleurs marocains, des goumiers, des moghaznis, sans parler des Sénégalais – le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad, rappelons-le, a pris Koufra – ont disparu dans le sable. Les noms de ces combattants nous sont connus et il serait symboliquement fort qu'on leur érige un monument. J'avais suggéré que l'on trouve à cet effet un hectare de blé près de Chartres, non loin de l'endroit où Jean Moulin avait essayé de mettre fin à ses jours pour ne pas se rendre complice de l'exécution de Sénégalais par les Allemands. Il ne s'agit pas du lieu d'un combat, d'une défaite ou d'une victoire, mais d'un lieu moral qui me semble être propice à une telle célébration.
En matière culturelle, je suis choqué par la discrimination sociale pratiquée par les grands établissements culturels malgré leurs efforts propres. Ils sont en général situés dans les beaux quartiers, accessibles aux personnes qui en ont les moyens. Et, ce qui est paradoxal, les personnes qui en ont les moyens ne paient pas !
Il faut donc ouvrir de grandes institutions culturelles consacrées à des formes artistiques rares – pas forcément le rap et le graff, mais l'opéra, la littérature, le théâtre, la création contemporaine – qui soient à la fois des outils d'ouverture à la culture pour les populations et des lieux de mélange social. Aller dans les quartiers parce que c'est le lieu de la dernière création et pas pour tourner un reportage comme dans un pays en guerre ou pour donner dans la commisération ou dans le militantisme social transformerait notre regard.
Pour en revenir au Haut Conseil à l'intégration, j'ai participé à sa création aux côtés de M. Marceau Long comme chargé de mission et rédacteur. C'est le débat sur les statistiques de l'immigration qui avait conduit le Premier ministre à créer cette instance. En 1987-1988, en effet, la question de savoir si les immigrés coûtaient ou non aux régimes sociaux était au centre d'une vive polémique. La première action du Haut Conseil, qui comptait Stéphane Hessel parmi ses membres et ne pouvait être soupçonné de partialité, a été de demander à des universitaires de faire des calculs. Dix-huit mois plus tard, il a publié les chiffres et la polémique s'est éteinte.
À la lumière de cette première expérience, il me semble que le Haut Conseil à l'intégration doit redevenir le garant du débat public en matière d'immigration, et le garant d'un programme de recherche universitaire statistique et qualitatif portant sur l'histoire, la sociologie, l'anthropologie, l'économie de l'immigration. Il faut que nous sachions de quoi nous parlons. Alors que notre pays mène depuis trente ans des politiques presque martiales de lutte contre la clandestinité, nous ne savons pas d'où viennent les clandestins, qui les « fabrique », quelles sont les filières et comment elles fonctionnent. Contrairement à la Belgique, aux Pays-Bas, à l'Allemagne, à la Grande-Bretagne, les études académiques n'existent pas en France. Il me paraît donc plus important de travailler à une connaissance dont le Haut Conseil serait le garant que d'avoir une structure ajoutant des rapports à d'autres rapports.
Sa composition doit être incontestable. C'est pourquoi j'ai proposé que l'on en revienne au mode tripartite de nomination bien connu – exécutif, président de l'Assemblée nationale, président du Sénat – et qu'il ne comprenne que neuf membres. Il est inutile qu'il dispose d'une administration et de bureaux : c'est une autorité morale qu'il exerce, d'abord sur les données statistiques qui permettront d'alimenter le débat public en connaissance, ensuite sur l'évaluation critique du programme de recherche sur les migrants âgés. À cet égard, comme je l'ai dit au président Bartolone, le lien avec les assemblées parlementaires devrait être renforcé, puisque cette action se rapproche davantage de la mission de contrôle propre au Parlement que de l'assistance à l'exécutif.
Pour ce qui est de l'administration territoriale, je rêve d'un système dans lequel, tout en conservant une mairie où l'on célébrerait les mariages et où l'on remettrait les diplômes de nationalité ou les médailles de la famille française, on ne compterait plus que 1 000 ou 2 000 communes en France au lieu des 36 700 actuelles et où l'on supprimerait tous les autres échelons territoriaux pour n'en garder qu'un seul. Dans certains cas, ce seraient de grandes agglomérations, sur le modèle des villes libres allemandes.
C'est à cette expérimentation territoriale que je pense. Essayons de la mener sur une base volontaire. Depuis vingt ans, nous simplifions la politique de la ville en concentrant les pouvoirs, mais il n'en reste pas moins que, pour décider d'attribuer 1 000 euros à une association, au moins vingt responsables administratifs doivent être autour de la table. Le coût de l'administration de ces subventions est devenu inacceptable !
Dans l'idéal, on pourrait conserver deux autorités.
La première, selon les endroits, serait la ville, l'intercommunalité ou le département, voire la région. Il ne faut pas être dogmatique en la matière : en Alsace, on peut imaginer que deux autorités pourraient se charger de la politique d'intégration, Strasbourg et la région, pour tenir compte de la concentration de l'immigration à Strasbourg et sa diffusion dans les banlieues et dans le milieu rural ; en Picardie également, la région pourrait être la bonne échelle ; mais dans la Petite Couronne, ce rôle reviendrait aux départements.
Toujours est-il qu'une fois choisi le bon échelon, il faut y concentrer par délégation tous les pouvoirs, crédits, personnels et compétences, moyennant un contrôle politique renforcé.
Exactement.
Pourquoi ne pas ouvrir, par voie législative, la possibilité de conduire une telle expérimentation, qui commencerait dans les prochains mois et s'étendrait jusqu'à la fin de la législature, c'est-à-dire pendant trois ans ? Dans le même temps, on lancerait l'appel d'offres pour choisir les quinze laboratoires universitaires qui suivraient et évalueraient l'expérience. Au demeurant, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pourrait mener une évaluation parallèle.
S'agissant de la rénovation des foyers, je reconnais que le calendrier que je propose est ambitieux. Mais cela fait trente ans que l'on parle d'accélération ! On sait ce qu'il faut faire, on peut trouver l'argent : ce qui manque, c'est une unité de commandement. Soit on demande à Adoma de mener les opérations, ce qui suppose de la renforcer. Soit Adoma désigne des opérateurs en régie, par exemple les offices publics de l'habitat, pour lesquels la rénovation de cinquante chambres, sur un programme de 3 000, représente peu de chose : moyennant l'ajout d'une tranche de marché, on peut y arriver. Car il ne s'agit pas, à quelques exceptions près, de restructurations massives : il s'agit de repeindre ce qui ne l'a pas été depuis quarante ans, de changer des huisseries, de racheter du mobilier...
Elles ne sont pas majoritaires. Et, dans tous les cas, il faut déterminer ce que l'on fera de ces foyers lorsque le dernier résident âgé sera parti : démolition, transformation, acquisition d'autres structures ? C'est un moyen de réduire considérablement la facture des travaux.
Il faut donc définir une stratégie. Adoma possède l'expertise technique pour le faire. Pour le reste, je rêve d'un système où l'on pourrait désigner des ministres pour accomplir une mission pour une durée de six mois, un peu sur le modèle des parlementaires en mission. Ainsi, ils consacreraient tout leur temps et leur autorité à une seule tâche, avec l'aide, le cas échéant, de dispositions législatives permettant de déroger en urgence au code des marchés publics et aux normes de construction.
Tout à fait.
J'ai par ailleurs participé au groupe de travail mis en place par Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les critères d'attribution des logements sociaux. Il va de soi que le fait de résider dans un foyer de travailleurs migrants devrait donner une priorité pour l'accès au logement social et non l'inverse.
Il convient aussi d'apprécier ces critères à l'échelle d'un bassin de population et non, comme on le fait aujourd'hui, opérateur par opérateur ou commune par commune. À l'évidence, avec un immigré de plus dans le parc social de Gennevilliers, on risque d'aggraver une situation sociale qui peut apparaître comme tendue, tandis que cela sera sans incidence à Marnes-la-Coquette. Une analyse sociale portant sur l'ensemble du bassin de vie, incluant les réseaux de sociabilité, l'implantation familiale, la scolarisation, l'accès aux soins, etc., change complètement la donne et fait tomber les critères usuels, qui répondent à une logique de frontières artificielles sans rapport avec la vie réelle de la société.
Concernant les décrets d'application de la « loi DALO », je ne me prononcerai pas sur ce que mes collègues du Conseil d'État ont estimé au sujet de la conventionalité du texte. Je pressens simplement le problème, dans la mesure où le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont relevé la même difficulté s'agissant des lois relatives aux rapatriés et anciens supplétifs : les clauses de nationalité française ont dû être déclarées inconventionnelles par la sous-section que je préside et inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel. Prendre des mesures réglementaires – même sur une base législative – qui privilégieraient les personnes originaires d'Afrique du Nord ou des anciennes colonies françaises nous exposerait à une censure.
Mais il existe d'autres façons de faire. La première démarche est d'identifier les populations concernées. En matière d'immigration et d'intégration, il est toujours difficile de légiférer par le haut. Mieux vaut partir du bas et définir le problème. En l'occurrence, celui de quelques centaines d'immigrés qui vivent dans des foyers, notamment dans le grand Sud-Ouest, qui ont gardé des attaches familiales importantes dans leur pays d'origine, qui ont ou n'ont pas la nationalité française et auxquels on oppose des clauses de durée de résidence pour la perception de leurs droits.
Plutôt qu'un dispositif législatif définissant des droits pour toute personne, ne pourrait-on imaginer qu'après intervention d'une assistante sociale ou d'une association agréée, les personnes s'inscrivant dans cette situation précise puissent faire l'objet d'une mesure dérogatoire ? Ce diagnostic social – qui, d'ailleurs, devrait toujours présider à l'attribution de quelque avantage que ce soit, ne serait-ce que pour désarmer la critique selon laquelle on n'agit que pour les immigrés et pas pour les autres – permettrait d'écarter d'emblée l'hypothèse de l'avocat britannique retraité dans le Périgord qui demanderait à bénéficier des mêmes droits. Une entrée sociale dans un régime de dérogation posé par le législateur me paraît préférable à un dispositif normatif forcément aveugle. Tous les vieux immigrés n'ont pas besoin de cette facilité, non plus que tous les étrangers. En revanche, nous savons qu'il existe un problème social. Traitons-le !
Nous vous remercions vivement de la qualité et de l'originalité de vos réponses. La matière intellectuelle que vous apportez nourrira assurément notre rapport.
La séance est levée à douze heures trente.