Intervention de Yannick Imbert

Réunion du 21 mars 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Yannick Imbert, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, OFII :

Je me réjouis d'avoir pu vous éclairer sur les raisons pour lesquelles les décrets d'application des articles 58 et 59 de la loi DALO n'ont pas été pris, ce que le ministre de l'époque ne cesse de regretter, tant il était attaché aux dispositions portées par ces articles.

La reconstitution des carrières à l'occasion de la liquidation des pensions de retraite n'est évidemment pas la mission principale de l'OFII. Mais l'Office accomplit une démarche comparable, toutes proportions gardées, lorsqu'il joue un rôle de médiateur dans les centres de rétention administrative et aide des migrants s'apprêtant à regagner leur pays d'origine – dans des conditions certes très particulières – à récupérer leurs avoirs et à recouvrer l'intégralité de ce qui leur est dû. Il pourrait, de même, intervenir auprès d'organismes sociaux pour le compte des migrants âgés – et obtenir, espérons-le, de meilleurs résultats –, mais cela représenterait une mission nouvelle et exigerait des moyens supplémentaires. En outre, la reconstitution ne serait possible que pour la partie officielle de la carrière professionnelle. On se heurterait donc rapidement à l'obstacle du travail dissimulé dont les populations dont nous parlons ont souvent été victimes, comme vous l'avez vous-même rappelé. L'Office pourrait donc s'engager dans ce nouveau métier, mais son action trouverait rapidement ses limites.

Nous participons activement à l'élaboration des PRIPI. L'Office dispose d'un réseau d'antennes locales, composé de trente et une directions régionales implantées en métropole et en outre-mer, en plus des neuf représentations à l'étranger. Tous les préfets de région font en sorte d'associer de très près nos directeurs territoriaux aux travaux d'élaboration des PRIPI, mais, en certains endroits, comme à Marseille, leur implication est particulièrement forte.

En ce qui concerne les liens entre l'accueil et l'intégration des immigrés et la politique de la ville, M. Michel Aubouin – ancien directeur de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté au ministère de l'intérieur – serait probablement plus compétent que moi pour vous répondre. Mais mon expérience, y compris à d'autres postes que celui que j'occupe actuellement, me permet d'affirmer que la multiplicité des organismes chargés, à un titre ou à un autre, d'intervenir dans les quartiers classés en zone prioritaire a toujours constitué un problème, chacun défendant son « pré carré ». L'histoire de notre établissement offre un bon exemple de ces difficultés d'ordre administratif, voire technocratique : alors que l'ANAEM dépendait essentiellement de ministères sociaux, l'OFII est passé d'abord sous la tutelle du ministère de l'immigration et de l'identité nationale, puis sous celle du ministère de l'intérieur. Même si cela ne nous interdit pas d'intervenir sur les questions de politique de la ville, celles-ci souffrent déjà d'un défaut de coordination interministérielle. En outre, nos activités ne relèvent pas des mêmes programmes budgétaires.

On peut qualifier d'ambivalentes nos relations avec le tissu associatif. L'OFII est souvent perçu par ce dernier comme, au mieux, un rival, et au pire un acteur non légitime. Le secteur associatif considère en effet que certaines missions d'accueil et d'intégration relèvent de sa vocation, voire de son domaine exclusif. Il n'a donc pas apprécié de voir un opérateur de l'État empiéter sur son terrain.

Même si les relations sont désormais apaisées entre l'Office et les associations, on ne peut nier, chez ces dernières, l'existence d'un discours un peu amer. Que nous soyons sous la tutelle du ministère de l'intérieur constitue même un facteur aggravant aux yeux de certains. Nos relations s'apparentent plus à celles du donneur d'ordres avec son fournisseur qu'à des relations entre partenaires. Qu'il s'agisse de l'accueil des demandeurs d'asile, des formations linguistiques, civiques ou relatives à la vie quotidienne, nous sélectionnons des associations grâce à des appels à projets – à partir de 2015, nous aurons recours à des appels d'offres – lancés sur la base d'un référentiel destiné à unifier les modes d'intervention. Une importante association nationale agissant en faveur des demandeurs d'asile a d'ailleurs contesté la légalité de ce référentiel devant le Conseil d'État, illustrant une fois de plus l'ambiguïté des relations entre l'OFII et les associations.

J'en viens au regroupement familial. Dans le cadre de mes fonctions au sein du corps préfectoral, j'ai pu malheureusement constater que les immigrés âgés étaient parfois dans un état d'isolement humainement insupportable. La situation est moins mauvaise pour ceux qui vivent en foyer que pour ceux qui se trouvent en habitat diffus – on connaît d'ailleurs moins bien les conditions de vie de ces derniers –, mais tous souffrent d'isolement moral et psychologique. Ces gens qui, sur le plan physique, ont beaucoup donné d'eux-mêmes pendant cinquante ans de leur vie, parfois même au-delà du raisonnable, ont le sentiment, à la fin de leur parcours, d'avoir représenté de simples bailleurs de fond pour leur famille restée au pays. Non seulement leurs liens familiaux sont distendus, mais ils ont parfois subi un quasi-reniement. Et c'est avec une profonde émotion que je me remémore la situation de solitude tragique dans laquelle se trouvaient certains immigrés âgés avec qui j'ai pu échanger.

Dans un tel contexte, les demandes de regroupement familial ne sont pas nombreuses. Elles ne concernent que les personnes ayant eu la chance de conserver des liens familiaux. Je ne dispose pas, cependant, d'éléments statistiques susceptibles de répondre à votre question. Certes, depuis 2008, on observe une augmentation de 34 % du nombre de visites médicales passées par des immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans – avec 3 225 visites sous statut visiteur, concernant 1 153 hommes et 2 072 femmes –, mais de telles visites ne sont pas organisées uniquement dans le cadre du regroupement familial. On peut toutefois en conclure, avec une certaine prudence, que la nouvelle génération d'immigrés âgés ne vivra pas dans l'isolement absolu subi par leurs prédécesseurs.

La question de l'accès à la nationalité déborde largement des compétences de l'OFII. On peut considérer qu'après des dizaines d'années de présence en France, l'acquisition de la nationalité française serait la meilleure solution pour des personnes qui ne sont pas des citoyens français, sans non plus être réellement des étrangers. Mais cela relève d'un choix politique.

Vous m'avez demandé comment il serait possible de contourner les obstacles juridiques qui ont empêché la publication des décrets d'application de la loi DALO. Il existe déjà des accords bilatéraux en matière de gestion des flux migratoires ou de réciprocité de la couverture sociale. Or, sans être spécialiste, je sais que la question du recouvrement d'indus, notamment pour les dépenses hospitalières, est un sujet qui, quoique sensible, n'a pas fait partie de l'ordre du jour lors des récentes rencontres entre les dirigeants des pays concernés. Et je ne vois pas bien en quoi un accord bilatéral pourrait constituer une solution pour les immigrés âgés souhaitant conserver le bénéfice de leurs prestations tout en vivant une grande partie de l'année dans leur pays d'origine. En outre, une telle piste devrait faire l'objet d'une expertise juridique, car elle pourrait constituer une violation du principe d'égalité devant la loi.

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