Je vais m'intéresser plus particulièrement aux 347 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans originaires de pays tiers à l'Union européenne qui sont concernées par les politiques publiques de santé et pour lesquelles nous bénéficions de données via un certain nombre d'enquêtes.
Seulement 10 % d'entre elles, les plus « emblématiques », habitent dans des foyers de travailleurs migrants quand 90 % vivent dans l'habitat diffus et sont donc moins bien connues.
Hors le travail mené par les associations, dont il vous sera fait part, nous bénéficions plus globalement de deux sources principales afin de connaître, quoique d'une manière non détaillée, leur état de santé : l'enquête « handicap- santé » de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ; l'enquête « santé et protection sociale » de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).
Il ressort que l'état de santé de ces personnes a changé. Alors que, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, elles étaient plutôt en meilleure santé que la population native et que leur espérance de vie était supérieure, depuis les années 2000, leur espérance de vie est moindre par rapport à la population native et le ressenti quant à leur état de santé est également moins bon que celui de cette dernière. Cela s'explique en partie par la féminisation de cette population, en raison du regroupement familial – lequel a progressivement remplacé l'immigration de travail. J'ajoute que ces données sont ajustées en fonction des considérations socio-économiques.
L'accès à la prévention est également moindre. Les enquêtes montrent, par exemple, que ce public est sous-représenté dans le dépistage des cancers, ce qui, plus globalement, concerne l'ensemble des personnes en situation précaire.
L'état de santé des migrants âgés s'explique par le changement que je viens d'évoquer mais, aussi, par la diversification des pays d'origine ainsi que par la nature de la couverture sociale. Si 78 % des personnes immigrées sont au régime général, elles sont environ quatre fois plus représentées parmi les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et cinq fois plus s'agissant de la CMU complémentaire (CMU-C). Il convient cependant de faire preuve de prudence puisqu'en recoupant les effectifs des personnes bénéficiant de la CMU-C et le nombre d'immigrés des pays tiers, on obtient des chiffres très faibles, et il est compliqué d'en tirer des conclusions tangibles. Quoi qu'il en soit, la surreprésentation en CMU constitue probablement un frein à l'accès aux soins puisque ces personnes doivent s'acquitter d'un reste à charge.
Nous ne disposons pas de données chiffrées quant à l'accès à la complémentaire santé de ce public-là.
La règle est que les immigrés ont accès au droit commun des prestations de l'assurance maladie, mais il est notable qu'ils consomment moins de soins que la population native. Vraisemblablement disposerons-nous de données plus précises en la matière, notamment en ce qui concerne les affections de longue durée, puisque l'enquête « handicap-santé » prévoit un couplage avec le fichier de liquidation de l'assurance maladie.
S'agissant des politiques menées, je souhaite aborder plus particulièrement les PRIPI.
Le décret de 1990 et l'article L. 117-2 du code de l'action sociale et des familles n'évoquent pas explicitement la question de la santé mais font plutôt état de l'accueil, de l'action éducative, de la formation, de l'emploi, du logement, de l'insertion sociale, de la lutte contre les discriminations. La santé n'est mentionnée qu'à partir de la circulaire de 2003 avec, notamment, l'ouverture et l'interruption des droits. C'est également dans cette même circulaire que la question des immigrés âgés, qui n'étaient pas toujours repérés auparavant au sein des PRIPI, est abordée. La circulaire de 2010 précise quant à elle les intentions des pouvoirs publics en définissant ces personnes comme une population spécifique dont il convient de résoudre les problèmes d'accès aux droits repérés. Un aspect particulier est également dédié aux foyers de travailleurs migrants ainsi qu'à la question de l'accès aux soins.
La première vague de PRIPI a fait l'objet d'une évaluation par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) en 2008.
Sur vingt et un PRIPI, le champ de la santé n'est couvert que dans la moitié des régions, le public immigré âgé étant pris en compte, mais pas nécessairement sous cet angle-là. Les comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) ont fait le même constat la même année quant aux questions de dépendance et de perte d'autonomie mais je n'insisterai pas sur ce point-là puisqu'il ne relève pas absolument du domaine de la santé. Selon les CODERPA, il n'est pas possible de connaître les bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) parmi les personnes immigrées vieillissantes. De la même manière, les schémas gérontologiques abordent peu ce public spécifique.
Dans la génération des PRIPI 2010-2012, la moitié des régions aborde la question de la santé et du vieillissement. Si l'on cumule ces deux aspects, nous pouvons considérer que les trois quarts des régions ont abordé ce problème.
Ces personnes souffrent des maladies communes à l'ensemble des personnes âgées : diabète, rhumatismes, hypertension artérielle, maladies infectieuses. Les PRIPI insistent également beaucoup sur les problèmes de santé mentale, notamment les dépressions en relation avec l'isolement et le phénomène migratoire, donc, la perte des attaches.
Parmi les actions proposées ou mises en oeuvre en leur sein figurent l'information des usagers, la formation et la mise en réseaux des acteurs, la promotion et le renforcement de l'interprétariat – ce qui doit sans doute être corrélé à la féminisation de l'immigration, les épouses étant souvent restées à l'écart et souffrant d'une moins bonne maîtrise de la langue, ce qui constitue un frein pour accéder aux professionnels de santé.
L'inscription de la population formée par les immigrés âgés dans les différents programmes et schémas des agences régionales de santé serait sans doute envisageable.
En 2010, un important bouleversement s'est produit qui a entraîné une forme de scission administrative entre les domaines sanitaire et social. Il est frappant de constater que très peu de médecins de l'administration interviennent au sein des PRIPI. Autant il était facile, lorsque les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) existaient, de faire travailler ensemble le médecin proche de l'assistante sociale et de l'inspecteur sur un programme général social-santé, autant la disjonction des institutions ne facilite plus une telle démarche. En tout cas, telle était la situation en 2010 mais peut-être s'est-elle améliorée entre-temps.
Les outils dont il est question à l'article L. 1434-2 du code de la santé publique – programmes régionaux de santé et déclinaisons en schémas d'organisation médico-sociale, sanitaire, programmes ou contrats locaux de santé – pourraient être utilisés en faveur des personnes immigrées âgées.
Enfin, une meilleure connaissance du public grâce à des outils statistiques idoines serait utile même si, hélas, ce repérage pourrait être très vite interprété comme une stigmatisation alors qu'il s'agirait simplement de mieux connaître les besoins de cette population. De surcroît, les fichiers de liquidation de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), par exemple, ne comportent aucune donnée permettant de définir l'origine d'une personne.