Je vous remercie de m'avoir invitée à présenter une action différente puisque nous travaillons spécifiquement avec un public qui vit dans l'habitat diffus, a priori le plus difficile à sensibiliser aux questions de santé.
Grande-Synthe compte 20 901 habitants. C'est une ville que l'on disait jeune en raison de la population qui est venue y travailler lors de l'installation des usines de métallurgie et, plus particulièrement, d'Usinor. Aujourd'hui, ces personnes ont évidemment vieilli et sont restées sur place. Très longtemps, elles ont été invisibles en s'auto-excluant du droit commun et en ne participant guère à la vie de la cité.
Grande-Synthe a mis en place un centre de santé et une association de type loi de 1901 financée à 60 % environ par la ville avec un souci prégnant de « santé communautaire ». Tous les services de prévention y sont présents : protection maternelle et infantile (PMI), santé scolaire, médecine du travail, etc. Les habitants connaissent cette pluridisciplinarité, étrangère à toute distinction stigmatisante : médecine de pauvres – je pèse mes mots –, médecine parallèle, médecine gratuite… L'accès à cette structure est également très simplifié.
Nous avons mis en place ce projet d'accompagnement des personnes immigrées depuis longtemps car, cela a été dit, ce public très fragile a besoin de temps, de proximité et de confiance, les politiques contractuelles à court terme, en revanche, soulevant bien des difficultés dès lors qu'il est sans arrêt nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier.
À l'origine, après la perte de milliers d'emplois dans l'industrie, la ville s'est posée la question du devenir anciens travailleurs vieillissants devenus allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) : quel avenir et quelle retraite ? Nous nous sommes rendus compte que nombre d'entre eux étaient immigrés. La première année, nous avons travaillé avec de nombreux messieurs puisque c'est le chef de famille qui, alors, était porteur du dossier RMI. Nous leur avons donné la parole afin de connaître leurs attentes quant à la retraite et au droit commun de la culture, dont l'axe santé. Ces personnes ont déclaré qu'elles pouvaient penser à elles après le départ de leurs enfants, qu'elles souhaitaient quitter des logements jugés désormais trop vastes, qu'elles voulaient faire du sport et connaître leur état de santé.
Nous avons donc mis en place le programme santé. Après un an d'accompagnement, les hommes nous ont demandé d'agir en faveur de leurs épouses. Les mille immigrés de Grande-Synthe âgés de plus de cinquante-cinq ans ont alors intégré ce programme et nous travaillons aujourd'hui avec des hommes et des femmes, pour la plupart d'origine marocaine et berbère.
Leurs demandes d'information nous surprennent beaucoup. Nous sommes souvent confrontés à des caricatures ou à des clichés dont sont victimes de nombreux professionnels selon lesquels ces personnes n'auraient ni attentes ni besoins, se ficheraient de leur silhouette et de leur poids, etc. Or, c'est faux. Elles se sont simplement exclues du droit commun, considérant que ce n'était pas pour elles.
Les médecins traitants nous accompagnent puisque la participation au programme – sport, marche, sorties etc. – implique la délivrance d'un certificat médical. L'infantilisation est moindre, les demandes sont positives. La CPAM est également très proche de nous car, grâce à l'accompagnement collectif, les dépistages – mammographie, détection du cancer du côlon – font moins peur et la participation est assez impressionnante. Nous partons du principe que les personnes ont le choix d'y participer ou non. Ce n'est pas parce que nous travaillons sur un plan collectif que nous les emmenons systématiquement réaliser un bilan de santé ou un dépistage.
Cette meilleure relation avec le médecin traitant entraîne une meilleure prise en charge de la personne par elle-même.
Sans la conjonction du temps, du lieu et des participants au projet, il est impossible d'agir. C'est pourquoi, d'ailleurs, il est toujours difficile de reproduire ceux d'entre eux qui se déroulent dans des micro-territoires.
La volonté politique est également importante afin de pérenniser le programme, en particulier dans une période de restriction budgétaire où il est difficile de trouver des financements. Sans elle, sans une volonté de reconnaissance et de non-stigmatisation, il n'aurait pas pu avoir lieu.
J'ajoute que ce projet a permis de « rafraîchir » l'image que les soignants se font de ce public. Ils se sont rapprochés de lui en ayant beaucoup moins d'a-priori et de blocages.
Enfin, le centre de santé peut servir d'interface afin d'améliorer les relations entre les dispositifs de droit commun, les dépistages organisés et l'accès aux soins et aux droits. Une telle structure joue le rôle de passerelle avec la population visée.