Intervention de Bénédicte Gaudillière

Réunion du 21 mars 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Bénédicte Gaudillière, membre de l'association « la Case de santé » :

« La Case de santé » est un centre qui se situe dans le quartier Arnaud-Bernard, l'un des derniers quartiers populaires de Toulouse, lieu de vie historique, de rencontres et de passages pour les vieux migrants. Un café social a été mis en place, El Zamen, « Le temps », celui qui passe et celui que professionnels et usagers passent ensemble. C'est un lieu de reconnaissance mutuelle dans lequel la pluridisciplinarité des intervenants permet de faire émerger certaines considérations.

S'agissant des soins primaires ambulatoires, la question de l'interprétariat nous semble très importante. Le premier recours étant la médecine générale, il importe d'en faciliter l'accès. Pourquoi ne pas envisager un mode de financement par l'assurance maladie, au moins pour les plus démunis, ou bien un forfait comme c'est le cas pour les soins palliatifs ? L'interprétariat pourrait également être utile dans le cadre de l'éducation thérapeutique afin notamment que ces personnes puissent utiliser des lecteurs de glycémie ou manipuler certains médicaments.

Tout cela demande du temps, comme cela a été dit et comme je serai sans doute amenée à le répéter moi-même.

Il nous semble aussi important de rendre visible l'invisible.

Je songe à la question des femmes âgées, qui sont souvent les oubliées des programmes d'intervention. Ainsi les personnes dont le score de précarité EPICES est supérieur à 30 ont-elles moins recours aux soins, en particulier sur le plan gynécologique. Les femmes âgées sont d'autant plus éloignées des soins que la barrière de la langue demeure importante, de même que la barrière que s'imposent certains soignants en matière de gynécologie.

En outre, comme il est parfois plus difficile pour les femmes d'intervenir dans les lieux de partage et de rencontre, peut-être faudrait-il envisager la configuration d'endroits non mixtes.

Je songe, également, à la question de la santé mentale pour laquelle il importe d'adapter les outils existant comme ceux permettant aux personnes francophones de mesurer la démence. Leur usage nécessite de surcroît une formation primaire de base dont les migrants ne disposent pas toujours.

Des lieux conviviaux comme « El Zamen » ou d'autres endroits auxquels il vient d'être fait référence à Grande-Synthe permettent de faire émerger collectivement des points qui sont parfois difficiles à exprimer, notamment en ce qui concerne les discriminations. Les migrants rappellent ainsi qu'ils ont été assignés à une place tout au long de leur vie et que leur trajectoire a souvent été douloureuse.

De tels espaces sont aussi propices à l'émergence d'un questionnement sur la mort, lequel est un facteur d'anxiété : lorsque ces personnes vivent en habitat diffus, ce qui est le cas de nombreux migrants âgés, elles craignent de mourir seules ; à cela s'ajoute la peur de mourir en exil avec tous les problèmes liés au rapatriement des corps.

Il est urgent de clarifier la façon dont la gestion de la fin de vie de ces migrants âgés pourrait être effectuée.

Le maintien à domicile est difficile pour les personnes âgées dépendantes en général et encore plus pour les migrants en raison de leur isolement, de la barrière de la langue, de la non prise en compte de certains régimes sociaux, etc.

Les soignants, quant à eux, doivent pouvoir bénéficier d'une formation initiale et continue, la première étant notamment dispensée à Toulouse dans le département universitaire de médecine générale à travers le module « patient migrant accompagné s'exprimant mal en français ».

Plus généralement, les formations à la prise en charge des migrants, notamment âgés, doivent être pérennisées : comment gérer le diabète pendant la période du ramadan, les allers-retours entre le pays d'origine et la France, etc. ?

S'agissant du niveau secondaire, les orientations en gériatrie qui ont été définies en 2012 au centre de santé ont toutes échoué, les différentes approches étant globalement mal adaptées. Les soignants en gérontologie qui reçoivent ces personnes sont souvent confrontés à ce qu'ils appellent la « barrière de la langue », laquelle limite bien des possibilités de soins à l'hôpital, certes, mais aussi et surtout lorsque les patients en sortent.

J'ajoute que ces personnes semblent essuyer plus de refus que l'ensemble de la population lorsqu'elles souhaitent intégrer des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Sur le plan de l'environnement, la question des maladies professionnelles a été un peu évoquée. Le dépistage est probablement très difficile à réaliser en raison de la complexité du parcours professionnel des migrants âgés, certaines périodes de travail, parfois longues, n'ayant pas fait l'objet de déclaration. Cette population a été pourtant très exposée à l'amiante et à d'autres substances. J'ajoute que les médecins ont le plus grand mal à trouver des référents au sein des caisses de retraite afin de synthétiser leurs parcours.

Les questions de l'habitat et de l'alimentation sont également essentielles. D'une part, je l'ai dit, l'isolement, constitue un facteur d'angoisse dont les conséquences en termes de santé mentale sont très importantes. D'autre part, à « La Case de santé », nous avons dépisté chez des patients dénutris des maladies historiques comme le scorbut.

L'accès aux droits est également problématique en raison de toutes les contraintes qui pèsent sur la vie quotidienne de ces personnes et, notamment, l'obligation de respecter une durée de résidence égale à six mois par année civile pour bénéficier de l'ASPA. Cela constitue un facteur d'anxiété très important, voire, de dépression parfois sévère entraînant de fortes consommations de psychotropes.

À mon sens, ces personnes doivent faire l'objet d'une approche spécifique mais au sein du droit commun.

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