Je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette audition. Depuis plus de soixante ans, l'ASSFAM oeuvre en faveur de l'intégration des migrants dans la société française. Ses principaux objectifs sont de favoriser la prévention des problèmes liés au phénomène de l'immigration ; promouvoir l'insertion sociale et professionnelle des personnes immigrées ou d'origine étrangère ; participer à l'action contre les phénomènes de discrimination ou d'exclusion sociale ; apporter une aide à l'exercice des droits ; enfin, contribuer à l'information et à la formation des acteurs de l'intégration.
Pour en venir à notre sujet d'aujourd'hui, l'action de l'ASSFAM auprès des personnes âgées immigrées se concentre essentiellement en Île-de-France et en Rhône-Alpes. Ce public s'inscrit au coeur de toutes nos actions, de manière très transversale à toutes les délégations – accompagnement vers l'intégration, la citoyenneté, l'égalité effective des chances – et nous cherchons à garantir à chacun les meilleures conditions de vieillissement possibles.
L'ASSFAM s'est toujours efforcée de s'adapter aux besoins réels des publics et d'affiner la connaissance de leurs problématiques et de leurs caractéristiques sociologiques.
Nos délégations mènent des actions d'intervention sociale auprès des migrants âgés ou dans des foyers de travailleurs migrants ; des actions collectives, de type ateliers sociolinguistiques ; des formations d'acteurs ; des études de repérage, de diagnostic des besoins des personnes en habitat diffus.
Nous avons centré nos actions sur trois thèmes-clés : l'accès aux droits, l'accès à la santé et la sortie de l'isolement.
Notre démarche consiste à nouer un contact avec les personnes âgées immigrées, à aller vers elles afin d'amorcer une action sociale en leur faveur. Cette façon de faire n'est pas très courante chez les travailleurs sociaux.
Avant d'aborder plus spécifiquement les interventions de l'ASSFAM, j'aimerais rappeler qui sont les migrants âgés que nous rencontrons, et les constats que nous partageons avec nos partenaires – ateliers Santé Ville, caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF), services sociaux, services de gérontologie, etc. – tout en précisant que les personnes âgées immigrées ne forment pas un groupe homogène.
Premier constat : très peu de migrants âgés sollicitent les services sociaux et sanitaires de droit commun pour faire valoir leurs droits, même élémentaires – droits à la retraite, services d'aide à domicile, entrée en foyer, etc. Il est assez difficile de repérer ce public que l'on qualifie le plus souvent d'invisible au regard du droit commun. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur les raisons de ce phénomène.
Deuxième constat : ce public souffre, la plupart du temps, d'un vieillissement physiologique précoce lié aux conditions de travail et de vie pendant la période d'activité salariée. Sont particulièrement prégnantes les pathologies liées aux mauvaises conditions de logement, aux carences alimentaires, aux affections respiratoires, aux problèmes de santé bucco-dentaire. Par ailleurs, certaines maladies métaboliques comme le diabète, par exemple, sont beaucoup plus fréquentes parmi la population immigrée âgée.
Troisième constat : les immigrés âgés ont moins souvent recours aux maisons de retraite. Ils souhaitent se maintenir le plus longtemps possible à leur domicile et, surtout, dans leur foyer. Ils expriment leur volonté de rester avec leurs pairs, à proximité de leurs amis qui, le plus souvent, résident dans le même foyer. Il est important de prendre cette dimension en considération, d'autant plus que les migrants âgés vivent souvent loin de leur famille. Mais ce moindre recours aux maisons de retraite peut s'expliquer par d'autres raisons : le coût de ces maisons, prohibitif au regard de leurs faibles ressources ; la réticence des intéressés à être pris en charge par l'aide sociale de la ville, qui suppose parfois une obligation alimentaire dont ils ne veulent pas ; le manque d'adaptation des structures existantes à leur mode de vie. On observe en effet un décalage entre les dispositifs de droit commun destinés aux personnes âgées et les caractéristiques culturelles et cultuelles des populations issues de l'immigration.
Quatrième et dernier constat : ce public est le plus souvent à l'écart des réseaux de proximité – notamment les commerces de proximité, les gardiens d'immeuble ou les cafés sociaux. Et pourtant, la plupart de ces personnes sont toujours autonomes et peuvent effectuer les actes de la vie courante. Elles ne participent pas non plus à la vie locale et échappent aux campagnes de prévention. Lors de nos permanences sociales, elles sont nombreuses à nous faire part de leur sentiment d'isolement et de leur besoin d'écoute.
La vie de ces migrants est fréquemment faite d'allers et retours au pays. Mais ils ne sont ni d'ici, ni de là-bas et, à force de vivre dans les foyers, ils ne peuvent plus s'en détacher. Même mariés ou vivant en foyer de travailleurs, certains se trouvent dans un extrême isolement socio-affectif, loin de la famille, sans qu'une réelle solidarité intergénérationnelle se manifeste en France. La plupart du temps sans leur conjoint et sans leurs enfants, ils ont la nostalgie du pays quand ils sont en France, et la nostalgie de la France quand ils sont au pays.
Les professionnels du secteur sanitaire et social ont également du mal à appréhender ce public : barrière de la langue, absence de coordination des interventions des différents acteurs, financement précaire de certaines actions qui se terminent prématurément, acteurs peu sensibilisés à la problématique spécifique des migrants âgés, modes de logement difficilement accessibles, mobilité de la population.
Je passerai sur les questions d'accès aux droits et à la santé : bien qu'elles représentent un lourd travail d'accompagnement social de proximité, elles ont été déjà largement décrites au cours de vos précédentes auditions. Il me semble en revanche essentiel d'insister sur les actions de lutte contre l'isolement menées par l'ASSFAM. Ces actions sont soutenues par la direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l'intérieur à travers un poste d'agent de développement local pour l'intégration – occupé par ma collègue Mme Taous Yahi.
Je ne parlerai pas – nous aurons peut-être l'occasion d'échanger plus tard à ce propos – de la problématique spécifique des femmes migrantes âgées. Mais je tenais à l'évoquer parce que, lorsque l'on parle des migrants âgés, on a tendance à oublier qu'il y a aussi des femmes parmi eux.
Je terminerai en évoquant les ateliers sociolinguistiques que nous animons, qui sont très suivis en Isère et dans le quartier du Luth, à Gennevilliers. En effet, les migrants âgés rencontrent des difficultés dans leur vie sociale, en partie parce qu'ils ne maîtrisent pas bien la langue française. Ils ne pratiquent pas de loisirs et les liens avec la famille restée au pays finissent par se disloquer. Ces ateliers les aident – et aident plus particulièrement les femmes âgées – à s'approprier des repères linguistiques et culturels, à développer leur autonomie et leur bien-être. Ils favorisent l'interactivité entre les participants, la convivialité, libèrent la parole et contribuent à mettre en valeur les capacités de chacun. Ils sont un vecteur de reconnaissance sociale, dans la mesure où les participants peuvent agir pour eux-mêmes et pour leurs enfants.