La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La mission d'information entend des représentants d'associations d'aide aux personnes âgées immigrées réunissant Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale Hauts-de-Seine et Seine-saint-Denis de l'Association service social familial migrants (ASSFAM) et Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l'intégration, en charge de la question du vieillissement des personnes immigrées à Gennevilliers, M. Mohamed Memri et Mme Mimouna Gaouaou, membres de l'Association des travailleurs maghrébins de France à Argenteuil (ATMF-Argenteuil), Mme Zineb Doulfikar, directrice de l'association « Chibanis 06 ».
Mes chers collègues, nous commençons notre cycle d'auditions de ce jour avec des associations d'aide aux personnes immigrées âgées. Nous recevons pour en parler Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis de l'Association service social familial migrants (ASSFAM) et Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l'intégration, en charge de la question du vieillissement des personnes immigrées à Gennevilliers, M. Mohamed Memri et Mme Mimouna Gaouaou, membres de l'Association des travailleurs maghrébins de France à Argenteuil (ATMF-Argenteuil), et Mme Zineb Doulfikar, directrice de l'association « Chibanis 06 ».
Association loi de 1901 créée en 1951, l'ASSFAM est un service social spécialisé destiné à faciliter l'intégration des migrants et à contribuer à leur insertion dans une optique de promotion dans la société française. Ses actions s'adressent aux nouveaux arrivés en France et aux personnes immigrées ou d'origine étrangère en difficulté d'insertion sociale et professionnelle.
Créée en 1982, l'ATMF est une association laïque, démocratique et indépendante qui oeuvre pour l'égalité des droits entre Français et immigrés, et contribue à la défense des exclus et des migrants avec ou sans papiers. Elle lutte contre toutes les formes d'exclusion, de racisme, d'islamophobie, d'antisémitisme, de discriminations et d'inégalités. Elle prône par ailleurs une « citoyenneté active » pour les Maghrébins de France, concept que vous aurez bien entendu la possibilité de nous expliquer plus en détails.
L'association « Chibanis 06 » est née pour répondre aux demandes, formulées par les immigrés âgés suivis par Mme Zineb Doulfikar, alors assistante sociale, de création d'un espace de parole et d'écoute permettant de rompre avec l'isolement et la solitude. Association loi de 1901, c'est aujourd'hui un lieu d'accueil, d'écoute et d'information, qui a également une vocation culturelle destinée à offrir aux personnes âgées des activités valorisantes capables de contribuer à leur épanouissement.
Je précise que notre mission d'information s'intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans, originaires d'États tiers à l'Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous abordons l'ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l'accès aux soins et aux droits de façon générale, difficultés d'intégration, isolement et dépendance, etc., autant de points sur lesquels vous pourrez apporter un éclairage essentiel pour nos travaux.
Je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette audition. Depuis plus de soixante ans, l'ASSFAM oeuvre en faveur de l'intégration des migrants dans la société française. Ses principaux objectifs sont de favoriser la prévention des problèmes liés au phénomène de l'immigration ; promouvoir l'insertion sociale et professionnelle des personnes immigrées ou d'origine étrangère ; participer à l'action contre les phénomènes de discrimination ou d'exclusion sociale ; apporter une aide à l'exercice des droits ; enfin, contribuer à l'information et à la formation des acteurs de l'intégration.
Pour en venir à notre sujet d'aujourd'hui, l'action de l'ASSFAM auprès des personnes âgées immigrées se concentre essentiellement en Île-de-France et en Rhône-Alpes. Ce public s'inscrit au coeur de toutes nos actions, de manière très transversale à toutes les délégations – accompagnement vers l'intégration, la citoyenneté, l'égalité effective des chances – et nous cherchons à garantir à chacun les meilleures conditions de vieillissement possibles.
L'ASSFAM s'est toujours efforcée de s'adapter aux besoins réels des publics et d'affiner la connaissance de leurs problématiques et de leurs caractéristiques sociologiques.
Nos délégations mènent des actions d'intervention sociale auprès des migrants âgés ou dans des foyers de travailleurs migrants ; des actions collectives, de type ateliers sociolinguistiques ; des formations d'acteurs ; des études de repérage, de diagnostic des besoins des personnes en habitat diffus.
Nous avons centré nos actions sur trois thèmes-clés : l'accès aux droits, l'accès à la santé et la sortie de l'isolement.
Notre démarche consiste à nouer un contact avec les personnes âgées immigrées, à aller vers elles afin d'amorcer une action sociale en leur faveur. Cette façon de faire n'est pas très courante chez les travailleurs sociaux.
Avant d'aborder plus spécifiquement les interventions de l'ASSFAM, j'aimerais rappeler qui sont les migrants âgés que nous rencontrons, et les constats que nous partageons avec nos partenaires – ateliers Santé Ville, caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF), services sociaux, services de gérontologie, etc. – tout en précisant que les personnes âgées immigrées ne forment pas un groupe homogène.
Premier constat : très peu de migrants âgés sollicitent les services sociaux et sanitaires de droit commun pour faire valoir leurs droits, même élémentaires – droits à la retraite, services d'aide à domicile, entrée en foyer, etc. Il est assez difficile de repérer ce public que l'on qualifie le plus souvent d'invisible au regard du droit commun. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur les raisons de ce phénomène.
Deuxième constat : ce public souffre, la plupart du temps, d'un vieillissement physiologique précoce lié aux conditions de travail et de vie pendant la période d'activité salariée. Sont particulièrement prégnantes les pathologies liées aux mauvaises conditions de logement, aux carences alimentaires, aux affections respiratoires, aux problèmes de santé bucco-dentaire. Par ailleurs, certaines maladies métaboliques comme le diabète, par exemple, sont beaucoup plus fréquentes parmi la population immigrée âgée.
Troisième constat : les immigrés âgés ont moins souvent recours aux maisons de retraite. Ils souhaitent se maintenir le plus longtemps possible à leur domicile et, surtout, dans leur foyer. Ils expriment leur volonté de rester avec leurs pairs, à proximité de leurs amis qui, le plus souvent, résident dans le même foyer. Il est important de prendre cette dimension en considération, d'autant plus que les migrants âgés vivent souvent loin de leur famille. Mais ce moindre recours aux maisons de retraite peut s'expliquer par d'autres raisons : le coût de ces maisons, prohibitif au regard de leurs faibles ressources ; la réticence des intéressés à être pris en charge par l'aide sociale de la ville, qui suppose parfois une obligation alimentaire dont ils ne veulent pas ; le manque d'adaptation des structures existantes à leur mode de vie. On observe en effet un décalage entre les dispositifs de droit commun destinés aux personnes âgées et les caractéristiques culturelles et cultuelles des populations issues de l'immigration.
Quatrième et dernier constat : ce public est le plus souvent à l'écart des réseaux de proximité – notamment les commerces de proximité, les gardiens d'immeuble ou les cafés sociaux. Et pourtant, la plupart de ces personnes sont toujours autonomes et peuvent effectuer les actes de la vie courante. Elles ne participent pas non plus à la vie locale et échappent aux campagnes de prévention. Lors de nos permanences sociales, elles sont nombreuses à nous faire part de leur sentiment d'isolement et de leur besoin d'écoute.
La vie de ces migrants est fréquemment faite d'allers et retours au pays. Mais ils ne sont ni d'ici, ni de là-bas et, à force de vivre dans les foyers, ils ne peuvent plus s'en détacher. Même mariés ou vivant en foyer de travailleurs, certains se trouvent dans un extrême isolement socio-affectif, loin de la famille, sans qu'une réelle solidarité intergénérationnelle se manifeste en France. La plupart du temps sans leur conjoint et sans leurs enfants, ils ont la nostalgie du pays quand ils sont en France, et la nostalgie de la France quand ils sont au pays.
Les professionnels du secteur sanitaire et social ont également du mal à appréhender ce public : barrière de la langue, absence de coordination des interventions des différents acteurs, financement précaire de certaines actions qui se terminent prématurément, acteurs peu sensibilisés à la problématique spécifique des migrants âgés, modes de logement difficilement accessibles, mobilité de la population.
Je passerai sur les questions d'accès aux droits et à la santé : bien qu'elles représentent un lourd travail d'accompagnement social de proximité, elles ont été déjà largement décrites au cours de vos précédentes auditions. Il me semble en revanche essentiel d'insister sur les actions de lutte contre l'isolement menées par l'ASSFAM. Ces actions sont soutenues par la direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l'intérieur à travers un poste d'agent de développement local pour l'intégration – occupé par ma collègue Mme Taous Yahi.
Je ne parlerai pas – nous aurons peut-être l'occasion d'échanger plus tard à ce propos – de la problématique spécifique des femmes migrantes âgées. Mais je tenais à l'évoquer parce que, lorsque l'on parle des migrants âgés, on a tendance à oublier qu'il y a aussi des femmes parmi eux.
Je terminerai en évoquant les ateliers sociolinguistiques que nous animons, qui sont très suivis en Isère et dans le quartier du Luth, à Gennevilliers. En effet, les migrants âgés rencontrent des difficultés dans leur vie sociale, en partie parce qu'ils ne maîtrisent pas bien la langue française. Ils ne pratiquent pas de loisirs et les liens avec la famille restée au pays finissent par se disloquer. Ces ateliers les aident – et aident plus particulièrement les femmes âgées – à s'approprier des repères linguistiques et culturels, à développer leur autonomie et leur bien-être. Ils favorisent l'interactivité entre les participants, la convivialité, libèrent la parole et contribuent à mettre en valeur les capacités de chacun. Ils sont un vecteur de reconnaissance sociale, dans la mesure où les participants peuvent agir pour eux-mêmes et pour leurs enfants.
Au-delà de la lutte contre l'isolement, qui constitue un axe transversal de notre politique, nous travaillons à la valorisation sociale des personnes âgées immigrées, à la valorisation de la mémoire et de l'histoire de l'immigration, notamment à travers des actions intergénérationnelles.
Il est important d'entretenir et de conserver cette mémoire, en faisant en sorte de la transmettre aux plus jeunes. Ainsi, nous organisons des rencontres entre des jeunes des collèges et des lycées et un groupe composé de personnes âgées immigrées rencontrées dans nos permanences d'accès aux droits, dans les foyers de travailleurs migrants, ou dans nos ateliers sociolinguistiques.
Ces rencontres sont l'occasion de parler des logiques qui ont façonné les situations migratoires et des difficultés d'intégration. Les personnes âgées ont des parcours très riches, qu'il est important de faire connaître aux plus jeunes. Nous considérons qu'il est nécessaire de soutenir ce travail de mémoire, d'inscrire cette histoire de l'immigration dans l'histoire commune. De fait, l'arrivée en France des migrants aujourd'hui âgés correspond à la période des Trente Glorieuses, et fait donc partie de l'histoire de France.
Mme Bandahan a insisté sur les actions destinées à lutter contre l'isolement. J'insisterai pour ma part sur l'importance du travail à l'échelon local. C'est à l'échelon départemental, communal ou intercommunal que les actions sont les plus efficaces. Comme vous l'avez sans doute entendu dans les précédentes auditions, le public des personnes immigrées âgées est difficile à appréhender, parce qu'il manque d'homogénéité. D'une commune ou d'un département à l'autre, les parcours sont différents, les arrivées correspondent à des phases historiques différentes. D'où l'intérêt de s'appuyer sur l'échelon local.
Il serait utile d'inscrire cette question dans les programmes régionaux et départementaux d'intégration des populations immigrées ou dans les schémas gérontologiques départementaux, qui constituent les documents de référence de la politique des conseils généraux en faveur des personnes âgées. En effet, même si ces schémas s'adressent à l'ensemble de la population, des programmes d'action spécifiques peuvent être mobilisés pour répondre à des besoins peu ou mal couverts au regard des difficultés particulières rencontrées par certains publics, notamment les plus fragilisés comme les personnes âgées immigrées vivant en foyers de travailleurs migrants. Mais j'aurais, bien sûr, d'autres propositions à formuler…
Vous pourrez nous remettre tous les documents que vous souhaitez, soit aujourd'hui, soit ultérieurement.
L'association des travailleurs maghrébins de France existe à Argenteuil depuis 1980. Elle mène des actions, pilote des projets, toujours en phase avec les besoins, les attentes de la population de notre ville, en particulier celle du Val-d'Argent. Parmi les nombreuses initiatives auxquelles l'ATMF participe, citons le dispositif CLAS (contrat local d'accompagnement à la scolarité), les actions de formation linguistique, l'Espace femmes citoyennes, un certain nombre d'ateliers (consacrés à l'informatique, l'art culinaire, etc.), les sorties pour les familles, les séjours familiaux, l'Espace jeunes et le service d'accès aux droits. Ce service consiste à accompagner, écouter et conseiller les usagers qui sollicitent une aide – rédaction ou interprétation d'un courrier, remplissage d'un formulaire de demande de logement, etc.
En 2009, pour compléter et donner une cohérence à cet ensemble, l'ATMF a décidé de s'occuper des personnes âgées, y compris de celles qui vivent au sein des foyers – en s'appuyant, bien entendu, sur les comités de résidents. Il faut savoir qu'à Argenteuil, 1 600 personnes environ vivent actuellement dans cinq foyers, le sixième ayant été récemment, et fort heureusement, rasé : il était complètement isolé du reste de la ville, situé sous un viaduc, face à un dépôt de carburants et au niveau d'une voie de chemin de fer… On peut se demander pour qui avait été conçu ce foyer tant sa localisation était exécrable.
En 2009, nous avons mis en place un projet de retraite active pour compléter le projet de l'ATMF. Si nous ne l'avions pas fait, qui se serait occupé de ces personnes, qui ne fréquentent pas les espaces sociaux, ni les espaces culturels, qui sont souvent malades et vivent la plupart du temps confinées dans leur chambre ? Mais je laisse Mme Gaouaou vous parler de cet espace.
Je fais en effet partie du groupe dont vous a parlé M. Memri, qui tente, entre autres, de faire sortir les chibanis de leur isolement. Ces hommes ont effectué pendant des années les travaux les plus difficiles et n'ont pas su vivre leur vie, ni ici ni dans leur pays. Ils ont appris à ne pas se donner d'importance et à passer après leur famille, ont vécu en retrait et se sont renfermés sur eux-mêmes. On parle de l'enfermement des femmes, mais celui de ces hommes retraités est encore plus difficile. Cela dit, nous rencontrons aussi, dans les foyers, des femmes âgées qui ne se considèrent pas comme des retraitées dans la mesure où elles n'ont jamais travaillé et même, ce qui est nouveau, des femmes seules qui sont venues pour travailler.
Nous sommes donc allés dans les foyers pour proposer des activités à plus de soixante-dix retraités. Comme il ne fallait pas aller trop vite, nous avons commencé par organiser des rencontres autour d'un thé. Les gens en ont parlé, de foyer à foyer et petit à petit, ils sont venus. Nous avons ainsi créé un lieu d'écoute et d'échange, ce qui manque précisément dans les foyers.
Il existe maintenant plusieurs ateliers : un atelier « informatique », un atelier « mémoire et transmission », car les anciens ont beaucoup à raconter, même s'ils n'en ont pas conscience. L'apprentissage du français se fait tout au long des conversations. Un professeur parle de l'histoire de l'immigration, dans le cadre plus large de l'histoire de France et apporte de la connaissance. Ce n'est pas parce qu'on ne sait ni lire ni écrire qu'on est privé d'intelligence.
Des sorties ont été organisées sur plusieurs jours, comme à Strasbourg ou au Mont-Saint-Michel. Nous avons visité l'Assemblée nationale, ce qui a été très valorisant pour ces retraités. Nous sommes aussi allés au théâtre afin d'assister à des pièces traitant de l'immigration, etc.
J'ajoute qu'au sein de l'ATMF, nous avons des contacts avec les élus de la mairie et avec les services sociaux, qui se déplacent à l'association.
Je voudrais également insister sur l'importance des problèmes de santé rencontrés par les retraités, qui sont usés par des travaux pénibles, et sur le manque cruel d'information dont ils disposent. En effet, dans les foyers, il n'y a pas de travailleurs sociaux. Et je terminerai sur une de leurs demandes : arrivés à leurs vieux jours, ils souhaiteraient pouvoir faire venir leur épouse auprès d'eux.
Précisons d'emblée que le terme « chibanis » signifie « cheveux gris », ce qui est plutôt affectueux, et pas du tout péjoratif.
Assistante sociale depuis maintenant trente-trois ans je me suis rendue à Nice en 1993 pour travailler auprès de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés des Alpes-Maritimes (ASTIAM), en raison de ma connaissance de la langue arabe.
Dès la fin des Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés employés dans le bâtiment se sont retrouvés au chômage, puis n'ont pu bénéficier que du seul revenu minimum d'insertion (RMI). Dans les années 1995-1996, j'ai commencé à recevoir davantage de personnes âgées entre cinquante-cinq et cinquante-huit ans, et je me suis rendu compte de la spécificité des problèmes qu'elles rencontraient. J'ai donc créé à leur intention des groupes de parole et, en 2000, j'ai mis en place l'association « Chibanis 06 ».
Les personnes âgées que nous recevons viennent rarement des foyers, dans la mesure où d'autres associations y interviennent. Il s'agit surtout d'hommes isolés, dont la famille et l'épouse sont restées au pays.
Au départ, mon rêve était de les faire accéder à la culture. Nous en avons beaucoup parlé avec M. Yassine Chaib – le sociologue qui, avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) des Alpes-Maritimes, m'a beaucoup aidée dans mon initiative. Nous avons d'ailleurs mis en place un atelier de calligraphie pendant quelques années. Malheureusement, nous avons été rapidement envahis par les problèmes administratifs qui se posent au quotidien.
J'ai travaillé dans le service social traditionnel jusqu'en 2009, tout en me consacrant à l'association, dont je suis la fondatrice et la responsable. Depuis cette date, je travaille à plein temps pour « Chibanis 06 » : il y a en effet beaucoup à faire. Mais il n'est pas question de vous noyer sous les chiffres et les statistiques, et je vous invite à vous reporter aux documents que je vais vous transmettre, et qui retracent, dans le détail, toutes nos actions.
Sachez malgré tout que « Chibanis 06 » s'efforce de faciliter l'accès de ces personnes âgées aux droits, à la santé et, dans une moindre mesure, à la culture. Nous organisons des voyages, des sorties. Nous avons mené à bien, en 2007, un projet intergénérationnel fantastique. Il était intitulé : « Retrouver ses racines à travers des récits de vie des personnes âgées migrantes » et s'adressait à vingt-trois jeunes issus de l'immigration, inscrits au GRETA « hôtellerie » de Nice.
Depuis cinq ans, nous recevons de nombreuses femmes veuves, célibataires ou divorcées, principalement originaires du Maroc et d'Algérie. Leur problématique est la même que celle des hommes : elles sont seules en France et continuent à aider leurs enfants restés au pays. Mais leur retraite est encore plus faible que celle des hommes. Elles ont commencé à émigrer dans les années 1980-1985 et sont plus nombreuses à ne bénéficier que de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
Comme je suis avant tout assistante sociale, je terminerai en évoquant les problèmes rencontrés par ces hommes et ces femmes qui bénéficient de l'ASPA.
Leur situation peut être terrible et certains d'entre eux vont très mal. J'ai reçu avant-hier un monsieur de quatre-vingt-dix ans, qui est resté trop de temps au Maroc, en l'occurrence six mois et dix jours. Pour ces dix jours de trop, on lui demande de rembourser 10 000 euros et le versement de l'ASPA lui a été suspendu. Un autre monsieur, d'origine tunisienne, doit rembourser 16 000 euros.
En ce moment, mon travail consiste à préparer des demandes d'aide juridictionnelle – pour prendre des avocats et former des recours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale – et à servir d'interprète. J'ai avec moi les conclusions d'une avocate qui va défendre un monsieur dont l'audience a été reportée parce que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) a demandé à « réfléchir » !
Il est très dur de recevoir ces personnes au quotidien. Ce que j'avais envie de vous dire aujourd'hui, c'est qu'elles ont le droit de vivre leur retraite dans la dignité. Ces personnes font partie de notre pays, elles ont participé à la construction de l'économie française. C'est une question de respect. Or, elles vivent leur retraite dans des conditions dramatiques.
Malgré le barrage de la langue, on peut faire des efforts pour les recevoir et les comprendre. Je collabore avec succès avec mes collègues assistantes sociales du centre communal d'action sociale (CCAS) de Nice. Mon rêve serait d'ailleurs que l'association « Chibanis 06 » disparaisse, que ces personnes vivent correctement et relèvent du droit commun.
Merci pour vos témoignages, qui viennent enrichir les travaux de cette mission. Je reviendrai sur certains points.
Mme Bendahan a relevé un trait caractéristique des migrants âgés, qui a été signalé dans toutes les auditions que nous avons menées : ceux-ci ne s'adressent que très rarement aux services de droit commun pour obtenir ce à quoi tout citoyen ou tout travailleur qui a cotisé peut prétendre dans notre pays. Cela m'amène à vous demander si vous conduisez, en direction des migrants âgés, des actions d'information spécifiques, afin de mieux leur faire connaître les structures sanitaires et sociales de droit commun. Je pense surtout aux plus isolés d'entre eux, qui ne vivent pas dans des structures collectives comme les foyers de travailleurs migrants, et que nous connaissons d'ailleurs fort mal.
L'information n'est toutefois pas une fin en soi. Comment les migrants âgés peuvent-ils se débrouiller, une fois arrivés au guichet ou dans le bureau d'un agent de ces services ? La barrière de la langue, notamment, reste difficilement surmontable, ce qui m'amène à vous demander si les services intéressés eux-mêmes font des efforts. Après tout, nous disposons maintenant d'un certain recul puisque c'est dans les années quatre-vingt-dix que la première vague de migrants est entrée dans la vieillesse et s'est approchée de l'âge de la retraite.
D'autres questions, qui sont rarement abordées au cours de nos auditions à l'Assemblée nationale, l'ont été à l'occasion de nos visites sur le terrain – à Vaulx-en-Velin, Colombes, Gennevilliers, etc.
Nous avons entendu les migrants âgés nous parler des discriminations vécues, selon eux, par leurs enfants ou leurs petits-enfants. La perception du racisme et des discriminations varie-t-elle, d'après vous, selon les générations ?
Pensez-vous que le rôle de médiation que vous remplissez entre ces migrants âgés et certaines institutions traduit les carences des pouvoirs publics ? Intervenez-vous pour combler ces carences ou pour compléter la prise en charge des institutions ?
Les collectivités territoriales – je pense principalement aux communes – facilitent-elles votre travail ? Que pourrait-on améliorer ?
Enfin, il y a quelques jours, à Paris, nous avons visité un café social. Faudrait-il créer davantage de lieux de ce type ? Ce serait le moyen de sortir ces personnes des problématiques purement administratives qui pèsent sur leur vie, et de lutter contre leur isolement.
Je m'associe bien sûr aux questions d'Alexis Bachelay. J'aurai quelques réflexions à ajouter et d'autres questions à poser.
Tout d'abord, la multiplicité des structures que vous représentez peut donner l'impression d'un maquis qui se serait constitué en fonction des besoins, au point que l'on pourrait se demander s'il ne conviendrait pas de rationaliser le système. Mais où en serait-on, si les uns et les autres n'avaient pas pris de telles initiatives ! Maintenant, comment faire mieux ?
Ensuite, Mme Doulfikar a été la seule à aborder la question de la législation sociale. J'espère que la mission contribuera à apporter, via l'Assemblée nationale, les réponses qui s'imposent et qui ont été éludées jusqu'à présent – pour des raisons inavouables, si je me réfère à l'audition récente de M. Jean-Louis Borloo par notre mission. Il faut en effet éviter qu'à l'occasion d'un voyage dans leur pays d'origine, certains immigrés âgés perdent le bénéfice des prestations sociales. À mon avis, ce n'est pas difficile à régler.
J'en viens à mes questions.
Vous avez évoqué les pathologies des travailleurs migrants. Je suppose qu'ils sont, comme les autres populations, affectés par la maladie d'Alzheimer. Que savez-vous à ce propos ?
Vous avez évoqué la situation des femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à vous solliciter. Je pense que le phénomène va s'amplifier. Peut-on anticiper cette difficulté ?
Vous avez évoqué l'immigration datant des Trente Glorieuses et déploré la barrière de la langue. De fait, une partie de ceux qui sont venus travailler chez nous après la décolonisation n'ont pas appris le français – ce que nous pouvons considérer comme « notre » échec. La situation s'est-elle améliorée ? Les jeunes travailleurs immigrés d'aujourd'hui maîtrisent-ils davantage la langue française ?
Quel regard portent ces migrants sur la jeunesse d'aujourd'hui ? Étant élu d'une circonscription des 18e et 19e arrondissements de Paris, j'ai l'impression qu'ils sont très critiques à l'égard de leur descendance. Je me demande d'ailleurs pourquoi les enfants qui étaient restés au pays ne sont pas venus rejoindre leur père travaillant en France.
Quel regard portent-ils sur leurs propres parents ? Peuvent-ils devenir des relais intergénérationnels ? Ils ont une mémoire à transmettre. Ils peuvent contribuer à « dédiaboliser » le passé et à favoriser la réconciliation. Cela peut avoir de l'importance dans le contexte actuel. Au mois de décembre, j'ai accompagné le Président de la République en Algérie. On voit bien que cette question est essentielle pour l'avenir de notre région commune.
Je connais un peu le travail de l'ASSFAM qui a été présente pendant quelques années à Vaulx-en-Velin où elle accompagnait, notamment, des femmes migrantes. Or, j'ai été frappée par ce que vous disiez sur les femmes qui, aujourd'hui, comme les hommes, une fois à la retraite, continuent à envoyer de l'argent au pays. Le phénomène est-il en train de se développer ? Pensez-vous qu'à terme, ces femmes rentreront dans leur pays d'origine ? Resteront-elles en France, comme le font les hommes ?
Avez-vous le sentiment que les échanges intergénérationnels que vous organisez favorisent, chez les plus jeunes, une meilleure prise en compte de l'histoire de notre pays ? Cette transmission a-t-elle un réel effet d'apaisement ? Il y a des sujets que l'on aborde toujours avec beaucoup d'émotion, comme celui de la guerre d'Algérie. De tels sujets sont-ils facilement évoqués à l'occasion de ces échanges ?
Enfin, au fil des auditions, deux conceptions sont apparues : la première consiste à transformer les foyers en maisons de retraite, ou du moins à construire des maisons de retraite un peu spécifiques pour les immigrés âgés ; la seconde consiste à insérer ces derniers dans les structures existantes. Avez-vous un point de vue sur la question ?
J'ai les mêmes interrogations que mes collègues. Je ferai néanmoins quelques observations.
Madame Bendahan, vous avez évoqué le coût des maisons retraites, trop élevé pour les immigrés âgés. Ceux-ci ont eu en effet des carrières courtes. Mais ils peuvent bénéficier de l'aide sociale et n'avoir ainsi rien à payer. Je pense donc que leur moindre accès aux maisons de retraites tient plutôt à des raisons d'ordre culturel.
De notre côté, nous avons remarqué que votre association réalisait un énorme travail d'approche auprès de ces populations et nous avons noté, lors de notre déplacement à Lyon, le rôle actif que jouent les femmes.
Vous avez par ailleurs abordé les problèmes de santé – tout autant psychiques que physiques – des immigrés âgés et insisté sur la lutte à mener contre leur isolement. Il semblerait qu'une structure telle que les cafés sociaux – qui remplace souvent le café du quartier qui a disparu – y contribue utilement. Pourrait-on faire en sorte que ce type de structure bénéficie à la fois aux résidents des bâtiments collectifs – je pense aux foyers – et aux gens de l'extérieur ?
Monsieur Vaillant, vous avez parlé de la maladie d'Alzheimer. Il se trouve que je suis la secrétaire générale de l'Association franco-marocaine de la maladie d'Alzheimer, créée il y a une vingtaine d'années par un monsieur d'origine marocaine dont la mère était atteinte de cette maladie. Je suis plus spécialement chargée de la coordination entre la France et le Maroc.
Nous envisageons de passer une convention avec le service de gérontologie de l'hôpital de Nice. Les personnes d'origine étrangère souffrant de la maladie d'Alzheimer, qui pratiquaient la langue française, finissent par oublier cette dernière et retournent à leur langue d'origine. Nous allons donc essayer de nous faire les interprètes des personnes atteintes de cette maladie. Nous prévoyons également de faire de la prévention.
Monsieur Bachelay, vous nous avez demandé si nous faisions en sorte d'informer les migrants âgés sur les droits dont ils peuvent bénéficier. La réponse est naturellement positive. Comme je l'ai dit au départ, je suis assistante sociale. Je les accompagne donc, même lorsqu'ils n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite. J'interviens comme médiatrice auprès des collègues assistantes sociales pour mieux leur faire comprendre la problématique de ces personnes. Mes relations avec le CCAS de Nice sont d'ailleurs excellentes.
Il est exact que les migrants âgés ne s'adressent pas à elles d'emblée. Ils viennent nous voir, déballent leur courrier que nous trions avec eux et en discutons ensemble. En cas de convocation dans une administration, nous jouons un rôle de médiation.
J'ai oublié tout à l'heure de vous dire que nous avions déposé aux archives départementales des Alpes-Maritimes des petits recueils retraçant la vie de chacun de ceux qui viennent nous voir à l'association, ainsi que les deux documentaires que nous avons réalisés sur eux : dans le premier, intitulé « Mémoires de chibanis », je les interroge pendant cinquante minutes sur leur vie ; dans le second, intitulé « 40 ans d'absence », que nous avons réalisé en 2007, nous avons filmé un monsieur qui n'est pas rentré au pays depuis quarante ans ainsi que sa femme et ses enfants qui, eux, sont restés au Maroc. Il est très émouvant de les entendre, les uns et les autres, exprimer leur souffrance.
Tout à l'heure, nous avons expliqué l'action menée par l'ATMF au sein de ce groupe de retraités. L'association n'a toutefois pas attendu la fin des années 2000 pour mener des actions dans les foyers, essentiellement en matière d'accès aux droits.
Ces foyers ont été conçus pour assurer un hébergement d'urgence, provisoire. Mais ce provisoire dure depuis plus de soixante ans ! Et comme ces foyers avaient un statut d'hôtels, les résidents n'étaient pas considérés comme des habitants de la ville. Par conséquent, même au bout de trente ou quarante ans, il n'était pas question pour eux de faire une demande de logement pour quitter leur foyer. Un tel statut à contribué à renforcer leur isolement : puisqu'ils ne faisaient pas partie de la ville, ils ne participaient à rien. D'où les premières initiatives de l'association. Cette année, un groupe de retraités d'Argenteuil a participé au banquet de fin d'année offert par la ville aux personnes retraitées de la commune. Et le 23 janvier dernier, comme l'a indiqué Mme Gaouaou, nous avons effectué une visite de l'Assemblée nationale, guidés par M. Philippe Doucet, député-maire de la circonscription d'Argenteuil-Bezons.
Je voudrais également parler des conventions bilatérales. La première convention franco-marocaine, qui date des années soixante, époque où il n'y avait que quelques milliers de Marocains en France, n'a jamais été révisée. Elle est donc obsolète. Il conviendrait donc de se préoccuper de cette question. Pourquoi ne s'adresserait-on pas aux associations qui travaillent sur le secteur, et aux organisations syndicales d'ici et de là-bas, pour prendre en compte les revendications des retraités ?
Je terminerai sur la carte de séjour portant la mention « retraité ».
Je suggère à la commission de consulter la revue du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), Plein Droit, qui a consacré à cette question un article intitulé « Vieillesse immigrée, vieillesse harcelée ». On y trouve des extraits de la délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) portant sur un contrôle massif opéré dans un des foyers d'Argenteuil. Nous ne sommes évidemment pas opposés aux contrôles, mais il faut savoir comment les agents de la caisse d'allocations familiales (CAF) ont procédé. Tout de suite après avoir demandé aux résidents de présenter leur passeport et des justificatifs sur les trois dernières années, ils ont suspendu les allocations non contributives – comme l'aide personnalisée au logement (APL) et l'ASPA – d'un certain nombre d'entre eux, soit parce qu'ils n'étaient pas là pendant la période de contrôle, soit parce qu'ils ont refusé de présenter leur passeport du pays d'origine. Selon la HALDE, ce contrôle était illégal et contraire à la convention européenne des droits de l'homme. Cela n'a pas empêché la CAF de gagner les deux procès qui avaient été intentés contre elle à la suite de la plainte déposée par certains résidents.
Sincèrement, cette carte est un piège. Vous, les représentants du peuple français, devez y mettre fin. Un retraité, membre du groupe, s'est vu privé de ses droits, tout simplement parce qu'il avait accepté la carte qu'on lui avait proposée à la préfecture du Val-d'Oise. On lui a dit qu'il pourrait faire des allers et retours au pays et qu'il n'aurait pas besoin de revenir jusqu'en France pour la renouveler.
Nous connaissons la situation des personnes titulaires de la carte de séjour portant la mention « retraité ». On peut même dire que c'était une fausse bonne idée. L'intention était louable mais c'est un échec.
La représentation nationale peut y remédier très rapidement.
Je voudrais revenir sur la question de l'accès aux droits. Il est effectivement important de mener des actions de proximité et de médiation dans les foyers de travailleurs migrants et, plus généralement, dans les lieux où ils sont présents. En effet, sur le terrain, il y a des lacunes.
Tout à l'heure, j'ai parlé de l'importance de l'implication des politiques à l'échelon local. En effet, selon leur degré d'implication, cette problématique est inscrite dans les schémas directeurs locaux, comme le programme départemental d'insertion (PDI) ou le schéma gérontologique, et des actions sont menées, ou ne le sont pas. Dans ce dernier cas, le tissu associatif vient en effet combler des manques.
Je tiens par ailleurs à déplorer le fait que les financements ne soient pas pérennes. L'ASSFAM bénéficie de financement du Fonds européen d'intégration (FEI) d'une durée de trois ans. Mais, en trois ans, il est tout juste possible d'amorcer une action ! Or, nous savons qu'avec le public auquel nous nous adressons, il faut agir sur le long terme. Il convient donc de pérenniser les financements et d'éviter le saupoudrage.
Il faut enfin réduire le déficit de sensibilisation des professionnels intervenant auprès de ce public. Pourquoi ne pas proposer des démarches interculturelles ou transculturelles afin de faciliter cette prise en charge ? On se rend bien compte, en effet, qu'il y a des a priori et des blocages des deux côtés.
Les actions de nos travailleurs sociaux pour l'accès aux droits constituent une passerelle vers le droit commun. Elles portent sur des problématiques très lourdes – dégâts de la carte de séjour « retraité », ASPA, etc. Mais nous avons fait le choix de ne pas en parler aujourd'hui, parce que nous savons que vous avez organisé de nombreuses auditions sur ces sujets.
Nous voudrions mettre l'accent sur la question de l'isolement – notamment celui des femmes. Certes, nous considérons qu'il est utile de développer les lieux de convivialité comme les cafés sociaux dont nous avons parlé. Mais nous insistons beaucoup sur les activités collectives et sur nos ateliers sociolinguistiques qui allient apprentissage de la langue et lutte contre l'isolement. Il faut encourager de telles actions, qui permettent de recréer une solidarité entre les participants et de valoriser leur identité. Ils peuvent ainsi s'intégrer plus normalement dans leur environnement.
Enfin, comme le disait ma collègue, il est essentiel de travailler auprès des professionnels, et pas uniquement auprès des publics. Je reconnais que dans certains cas, les services, comme la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ou la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), ont très bien répondu. En effet, ils ont pris conscience de l'inadaptation de leurs outils d'information et de l'intérêt de faire appel à des intermédiaires comme nous pour diffuser une information plus adéquate.
Je vous remercie. N'oubliez pas de nous remettre vos documents, ou, si vous le souhaitez, de nous envoyer des compléments de réponse par écrit.
Puis, la mission d'information entend des associations locales participant aux politiques d'intégration et de la ville, réunissant Mmes Anna Sibley et Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrices nationales de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI), Mme Claude Hénon, membre de l'Association havraise de solidarité et d'échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI), M. Gabriel Lesta, membre de l'ASTI de Perpignan, M. Claude Jacquier, président de l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), et M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique, M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), et M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l'antenne Île-de-France du GRDR.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant des représentants d'associations participant aux politiques d'intégration et de la ville. J'ai le plaisir d'accueillir Mmes Anna Sibley Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrices nationales de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI), Mme Claude Hénon, membre de l'Association havraise de solidarité et d'échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI), M. Gabriel Lesta, membre de l'ASTI de Perpignan, M. Claude Jacquier, président de l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), et M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique, M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), et M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l'antenne Île-de-France du GRDR.
Née dans les années soixante dans les bidonvilles de la région parisienne, la FASTI se bat pour les droits des personnes migrantes, pour la liberté d'installation et de circulation, pour l'égalité femmes-hommes et pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections. Les actions de la quarantaine d'ASTI présentes sur le territoire sont très diverses : cours d'alphabétisation et de français langue étrangère, soutien à la scolarité, aide juridique au séjour et aux droits sociaux, activités interculturelles – cinéma, radio, fêtes, concerts, etc. –, soutien aux femmes immigrées…
Lors de sa création en 1970 par des militants associatifs et syndicaux, l'Office dauphinois des travailleurs immigrés avait pour objectif de soutenir les travailleurs issus de l'immigration dans un contexte marqué par des conditions de logement insalubres dans le centre-ville ancien de Grenoble. Devenue en 2004 l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), l'association s'est donné trois missions principales : informer et aider les personnes à conquérir leurs droits sociaux et politiques, proposer des solutions en matière de logement – l'Office gère un foyer de travailleurs migrants –, prévenir et lutter contre les discriminations de toutes natures. Le foyer géré par l'ODTI a été restauré et transformé en résidence sociale dans le cadre du plan national de traitement des foyers de travailleurs migrants. Au total, l'ODTI accueille et soutient environ 2 000 personnes par an.
Enfin, le GRDR, organisation non gouvernementale (ONG), agit depuis 1969 pour la promotion sociale, culturelle et économique des migrants subsahariens en France et pour le développement de leurs régions d'origine. L'association assiste les travailleurs immigrés en vue d'assurer à leurs familles, villages et pays un meilleur accès à l'éducation, à la santé, à l'eau, à la production agricole et à la micro-entreprise. Chaque année, des écoles ou des dispensaires voient le jour dans les pays du Sahel avec l'appui du GRDR, tandis qu'en France des associations de migrants, appuyées par l'ONG, apportent leur aide aux femmes et aux migrants les plus âgés notamment. Le GRDR intervient dans cinq pays – le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Bissau et la France – et une soixantaine de communes, avec une vingtaine de partenaires européens et ouest-africains.
Je précise que notre mission d'information s'intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d'États tiers à l'Union européenne, qui représentent 800 000 personnes – les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous traitons de l'ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l'accès aux soins et aux droits de façon générale, difficultés d'intégration, isolement, dépendance, etc.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous recevoir. Au nom de la FASTI, qui regroupe une soixantaine d'associations, mes collègues et moi-même allons vous présenter la vision que nous avons sur le terrain. Mme Fernanda Marruchelli exposera les problèmes généraux rencontrés en matière d'accès aux droits, d'accès à la santé et de conditions de vie, puis Mme Claude Hénon et M. Gabriel Lesta illustreront ce constat par le récit d'expériences vécues, au Havre et à Perpignan.
Il nous faut malheureusement dresser un constat négatif s'agissant de l'accès aux droits et à la santé des personnes migrantes âgées. Pourtant, à travers leur dignité, c'est celle de la société française qui est en jeu.
Les personnes qui ont un titre de séjour se heurtent à des obstacles pour obtenir le renouvellement de celui-ci, notamment en raison de la dématérialisation des demandes opérée depuis un an par les préfectures, procédure qui suppose qu'on prenne rendez-vous par internet : je vous laisse imaginer les difficultés que cela représente pour des personnes qui parlent mal la langue ou ne maîtrisent pas l'écriture.
Nous nous reconnaissons dans le constat dressé par les associations que vous avez reçues précédemment – comme le Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l'égalité des droits (CATRED), le Groupe d'intervention et de soutien des immigrés (GISTI), la Ligue des droits de l'homme (LDH) ou le Collectif pour l'avenir des foyers (COPAF) –, ainsi que dans leurs préconisations, notamment celles relatives à la carte de séjour portant la mention « retraité ». Si la mise en place de cette carte, créée par la loi du 11 mai 1998, partait d'une bonne idée – permettre aux vieux migrants d'effectuer plus facilement des allers et retours entre la France et leur pays d'origine –, il s'avère qu'elle n'est pas un véritable titre de séjour, mais une sorte de visa permanent. En échangeant la carte de résident contre cette carte, les migrants âgés perdent le droit au séjour de manière définitive, ainsi que l'essentiel des droits à l'assurance maladie – bien que les cotisations sociales continuent d'être prélevées sur leur pension de retraite –, et la plupart des droits sociaux. De plus, dans les préfectures, rien n'est expliqué aux demandeurs, et ceux-ci ne peuvent pas mesurer les conséquences qu'aura leur choix de bénéficier de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Nous dénonçons des pratiques aussi déloyales et nous demandons la suppression de cette carte ; les retraités étrangers doivent pouvoir jouir du régime de droit commun, et non d'un statut particulier injuste, qui les prive des droits qu'ils ont acquis par leur présence et leur travail en France.
Je n'évoquerai pas la question des prestations sociales soumises au contrôle, car je préfère laisser mes camarades qui ont une expérience de terrain en parler.
Nombre de migrants âgés ont exercé un travail où ils étaient exposés à des risques professionnels ou à des substances cancérigènes comme le plomb, l'amiante, les solvants chlorés, la silice ou les poussières de bois. Les cancers qu'ils ont pu contracter du fait de leur travail sont mal connus ; nous souhaiterions que l'on porte une plus grande attention aux facteurs de risque, et que les personnes atteintes d'un cancer ne soient pas contraintes d'effectuer des démarches épuisantes pour faire reconnaître leur maladie professionnelle.
Les migrants souffrent souvent d'un vieillissement physiologique précoce en raison de leurs conditions de travail – je vous renvoie aux études de la CNAV sur la question. Cette usure physique provoque un état de dépendance, dont les politiques publiques ne tiennent pas compte. Actuellement, il n'existe pas de prise en charge adéquate : les migrants âgés ne disposent pas de complémentaire santé susceptible de supporter une partie des frais occasionnés par une aide à domicile ; le personnel des organismes d'aide et de soins à domicile, qui est quasi exclusivement féminin, hésite à se rendre dans les foyers de travailleurs migrants. Il serait opportun de mettre en place dans ces foyers des unités de vie qui permettraient aux personnes âgées de ne pas mal vieillir et d'être aidées au quotidien. Nous souhaiterions que les immigrés âgés soient considérés par la société française comme des personnes âgées comme les autres, et qu'ils aient accès aux mêmes dispositifs que les autres.
Pour ce qui est du droit à la vie privée et familiale, de nombreux résidents en situation régulière ont du mal à obtenir un titre de séjour pour leurs ascendants à charge. Plus généralement, les enfants, même quand ils ont la nationalité française, ont toutes les peines du monde à faire venir en France un parent isolé ; celui-ci ne peut même pas mener une vie paisible avec les siens.
Autre problème, l'accès à la nationalité française est souvent conditionné à un certain niveau de ressources ; bien qu'ils aient contribué à la construction de la France au plan économique et social, les migrants âgés ont non seulement de toutes petites retraites, mais ils sont pénalisés du fait de bas revenus !
L'accès à la nationalité française est également conditionné à la maîtrise de la langue française. Alors que jusqu'à leurs soixante ans, on a simplement demandé aux migrants âgés de travailler, sans qu'aucune structure ni aucune entreprise ne leur propose le moindre cours, on leur reproche à présent de ne pas connaître le français et on leur demande de dépenser 3 000 euros pour pouvoir acquérir la nationalité française !
Nous trouvons en outre injuste le fait que la nationalité française puisse leur être refusée parce que la conjointe est restée au pays.
J'aurais souhaité aborder la question du logement et celle des femmes, mais je n'en aurai pas le temps.
Je voudrais pour terminer évoquer les problèmes liés aux funérailles. Le rapatriement du corps est une question à laquelle pensent les immigrés âgés mais son coût est très élevé et j'estime que le service public devrait s'en occuper. La question est d'autant plus importante qu'il est difficile de se faire inhumer en France suivant le rite musulman, car le nombre de « carrés musulmans » dans les cimetières est nettement insuffisant par rapport à la demande.
Je vais vous exposer la situation d'un foyer du Havre, géré par Coallia, et qui doit devenir une résidence sociale. Faute de concertation, et comme les gestionnaires n'ont aucune considération pour les résidents, le projet est actuellement bloqué et judiciarisé.
Le Havre, comme tout port, accueille beaucoup de populations migrantes. Certains résidents du foyer habitent là depuis quarante ans ; ils ne veulent pas d'une résidence sociale où ils seraient logés dans des chambres avec kitchenette ; ils souhaitent pouvoir continuer à disposer de cuisines et de salles à manger collectives, ainsi que de salles polyvalentes pour les activités associatives. La sous-préfecture du Havre ayant compétence pour s'occuper de la population migrante, les personnes doivent prendre rendez-vous par internet – ce qui est très compliqué pour elles. La situation est pénible et très stressante.
Aujourd'hui, pour un migrant âgé, devoir s'adresser à une administration, c'est se préparer aux pires ennuis. On vous demande des documents impossibles à produire, même quand il ne s'agit pas d'ouvrir droit à une prestation : par exemple, l'acte de naissance de votre épouse qui est au pays. On comptabilise page par page sur votre passeport le temps passé hors de France durant l'année. On vous traite en permanence comme un fraudeur potentiel. Certes, beaucoup de Français se trouvent dans la même situation, mais les immigrés âgés sont traités de manière extrêmement humiliante, et c'est d'autant plus douloureux pour eux qu'ils ont connu une période où les choses étaient différentes. Mais, depuis une vingtaine d'années, la situation ne fait qu'empirer !
L'accès aux droits sociaux étant soumis à une condition de résidence, des contrôles sont effectués par les caisses. À Perpignan, nous avons relevé d'importants dysfonctionnements : contrôles intempestifs sans préavis de passage, pouvant survenir durant les périodes d'absence légale ; en cas d'absence constatée, suspension automatique des droits ; comptabilisation des absences de date à date, et non sur une année civile comme le prévoit pourtant la loi ; contrôles des passeports aléatoires, avec une interprétation des tampons systématiquement défavorable aux migrants âgés ; recours aux documents des douanes étrangères, sans tenir compte des éventuelles erreurs dues aux homonymies, extrêmement nombreuses au Maghreb. Tout cela aboutit à des suspensions de droits unilatérales, brutales, sans avertissement et sans possibilité de se justifier.
Comme il est difficile d'obtenir un rendez-vous avec la caisse, il faut des mois pour qu'une erreur soit reconnue ; pendant ce temps, les droits sont suspendus – avec toutes les conséquences que cela implique. Les suspensions de droits peuvent aussi donner lieu à des demandes de remboursement d'indus d'un montant extravagant, avec des échelonnements de paiements non conformes aux grilles légales, ou pouvant courir jusqu'à l'âge de cent quatorze ans ! En faisant appel aux commissions de recours amiable, on peut obtenir correction, mais cela prend plusieurs mois et, pendant ce temps, les remboursements continuent – sachant qu'ils peuvent aller jusqu'à 400 euros par mois pour un revenu de 770 euros. Lorsque les droits sont rouverts, toute la somme est affectée rétroactivement aux remboursements, alors que ces personnes s'étaient endettées auprès de leurs amis pour pouvoir vivre !
Le résultat, ce sont des revenus faibles, qui remettent en cause la notion de minimum vieillesse, une vie dans l'angoisse perpétuelle et une véritable assignation à résidence pour des personnes qui sont contraintes de rester en France alors qu'elles ont été coupées de leur famille durant toute leur vie professionnelle – le regroupement familial étant quasiment impossible au regard de la faiblesse de leurs revenus.
Il est donc nécessaire de faire évoluer la loi et les règlements. On pourrait, par exemple, rendre « exportables » certains droits sociaux, comme l'ASPA, qui deviendrait universelle : on continuerait à en bénéficier même en cas de retour a pays pour y vivre avec son conjoint ou ses enfants. Le coût pour les finances publiques serait le même, voire inférieur, dans la mesure où un départ définitif, même en conservant son droit à l'ASPA, impliquerait que la personne ne bénéficierait plus de l'APL.
Sans revenir sur les diagnostics et les propositions qui figurent dans les comptes rendus des précédentes auditions, je me contenterai de développer quelques points à partir de l'expérience de la petite association locale qu'est l'ODTI – notre budget atteint 1,1 million d'euros et nous ne possédons qu'un seul établissement.
L'ODTI est aujourd'hui en redressement judiciaire : nous avons jusqu'à 2018 pour rembourser 550 000 euros mais nous avons néanmoins été autorisés à poursuivre nos activités. Nous avons donc dû engager des réformes. Les associations comme la nôtre, créée à Grenoble à l'époque où M. Hubert Dubedout était maire de la ville, sont en difficulté en raison des coupes décidées dans les subventions, essentiellement étatiques, entre 2004 et 2007 ; nous avons pour notre part perdu 700 000 euros. D'autres pourraient se trouver bientôt dans la même situation. Pourtant, nos associations sont indispensables : il faut impérativement les préserver.
Il faut également soutenir les expériences locales, car c'est peut-être là qu'apparaissent les plus grandes innovations. Nous devons bénéficier d'un droit à l'expérimentation, qui doit venir du bas pour alimenter le sommet.
Plus de la moitié du public que nous recevons a plus de soixante et un ans. Nous accueillons essentiellement des hommes, mais aussi, désormais, des femmes. Dans les quartiers où nous intervenons, on note en effet un affaiblissement du rôle des pères, et plus généralement une dévalorisation du rôle des anciens. Il convient de réfléchir à la manière de le restaurer. Aujourd'hui, les femmes jouent un rôle essentiel dans les quartiers : ce sont elles qui tiennent les familles monoparentales, qui sont prescriptrices, opératrices, et qui assurent une sorte de paix sociale.
Nous utilisons plusieurs types d'habitat : nous avons de l'habitat en colocation, nous avons transformé le foyer de travailleurs migrants en résidence sociale, et nous disposons d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ainsi que d'une formule hôtelière. Sur l'année, le taux d'occupation est de 95 %.
Peut-être faudrait-il abandonner l'approche en termes de précarité et de pauvreté pour mettre en valeur le rôle des diasporas dans le cadre de la mondialisation. Un grand nombre de nos publics est qualifié ; les transferts de ressources vers les pays d'origine représentent un montant plus élevé que celui de l'aide publique au développement, et équivalant à celui des investissements directs étrangers ; en outre, ils ne sont soumis à aucune condition et sont particulièrement bien ciblés sur les pays et les villages d'origine. La plupart des populations âgées transfèrent une part importante de leurs maigres ressources.
Nous devons impérativement qualifier des professionnels pour travailler dans ce secteur – non seulement des salariés, mais aussi des bénévoles et des retraités. C'est de plus en plus difficile ; en ce qui me concerne, je suis retraité du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et il m'est difficile de mobiliser mes collègues sur ces questions.
Il convient de passer d'une approche en termes d'assistanat à une approche en termes de projet de vie, dans le cadre du développement soutenable ; nous parlons à ce propos de « développement soutenable communautaire ». Il s'agit de développer, non le communautarisme, mais les communautés et les capacités à agir des individus.
Il convient également de passer de l'hébergement à l'habitat. Nous intervenons dans le centre-ville de Grenoble, dans les quartiers anciens, comme le quartier Très-Cloîtres, sensible au plan social et « dur » d'un point de vue architectural : c'est un quartier de béton et de pierre. Pour répondre à la demande de nombreux chibanis, nous essayons de créer un potager et un verger ; nous ne disposons que d'une surface de 80 mètres carrés, mais cela peut être positif.
On s'intéresse beaucoup aux lieux et aux individus, mais moins à une troisième composante, qui joue pourtant un rôle important : les institutions. Or, ce que nous constatons actuellement, c'est une balkanisation des territoires, un empilement administratif incessant, de l'État jusqu'au canton, une sectorisation et un cloisonnement des administrations. Pour notre potager, par exemple, il nous faut mobiliser vingt-cinq vice-présidents, adjoints ou représentants de l'État ! Cela retarde toutes les procédures. « Simplification » : que l'on applique ce mot d'ordre aussi aux institutions !
Nous sommes bombardés de demandes d'évaluation sous forme de tableaux Excel. À la suite du redressement judiciaire, nous avons dû nous priver des deux tiers de notre personnel, pour remplir les mêmes missions. Il nous a donc fallu inventer de nouvelles façons de faire et recruter des professionnels capables d'exercer plusieurs métiers – c'est ce qu'à l'échelon européen, on appelle « l'approche intégrée ». À l'ODTI, nous estimons qu'un équivalent temps plein plus un équivalent temps plein, cela fait plus que deux équivalents temps plein : cela peut difficilement rentrer dans un tableau Excel !
En conclusion, contrairement à ce que l'on prétend, le va-et-vient n'est pas une situation exceptionnelle ; il n'est l'apanage de personne. Au regard de la progression rapide du PIB des pays d'Afrique et d'Asie, ce sera demain le lot de tous nos enfants.
Chercheur au CNRS, j'ai dû taire mes activités militantes pendant quarante ans : vous n'en trouverez nulle trace dans mes rapports d'activité. Pourquoi ? Parce qu'en France, nous séparons la recherche et la formation, l'État et les collectivités territoriales, les entreprises et les associations. Il faut impérativement sortir de ces clivages si nous souhaitons inventer et innover.
Notre association GRDR-Migrations, citoyenneté, développement a maintenant quarante-deux ans et, dès sa création, elle a travaillé sur l'immigration, principalement subsaharienne. Son but est d'accompagner les immigrés et leurs associations pour soutenir le développement des pays d'origine : la mobilité doit être considérée comme un enrichissement, pour la société d'origine comme pour la société d'accueil.
Nous sommes nous aussi confrontés aujourd'hui à la question du vieillissement, et donc à celle de l'accès aux droits des migrants âgés.
Beaucoup de choses justes ont été dites. Je voudrais insister sur la nécessité de valoriser ces immigrés vieillissants, qui ont beaucoup apporté à leur pays d'accueil comme à leur pays d'origine. Nous avons pour cela mis en place des actions intergénérationnelles. D'autre part, 8 % seulement des migrants âgés résident en foyer : comment agir auprès de tous les autres ? Comment les associer à la vie de leur quartier et leur permettre de demeurer actifs, ce qu'ils ont toujours été ? Comment impliquer les associations de migrants dans ces réflexions sur le vieillissement, mais aussi sur la citoyenneté ?
Nous essayons toujours d'insister sur leurs atouts, plutôt que sur la précarité.
Nous voulons également observer ce qui se passe ailleurs en Europe et nous en inspirer ; nous participons ainsi à la plateforme européenne des personnes âgées (AGE).
Je voudrais évoquer, à partir de notre expérience, un public spécifique : celui des femmes immigrées âgées, de plus en plus nombreuses, mais peu accompagnées pour accéder aux droits et aux soins notamment. Ces femmes sont invisibles dans l'espace public et rarement prises en considération. Dans les trois territoires où je travaille – le dix-neuvième et le vingtième arrondissements de Paris, ainsi qu'Aubervilliers –, il faut toutefois noter que ce public est pris en compte par les schémas gérontologiques départementaux ; mais ce n'est pas le cas partout, par exemple dans le Val-de-Marne.
La difficulté de l'articulation entre les politiques de l'État et celles des collectivités territoriales est évidente, mais il faut aussi mentionner la difficulté d'articuler les politiques sociales, gérontologiques, d'intégration… C'est pourquoi nous avons ménagé d'importants espaces de concertation, avec des comités de pilotage, et mobilisé des réseaux d'acteurs. Il faut en effet les sensibiliser et essayer de mieux organiser les différentes politiques menées.
L'enjeu majeur, c'est l'accès de ces publics au droit commun, même s'il peut être nécessaire, à des moments spécifiques, de mettre en place des actions spécifiques. Mais il faut veiller à ne pas mettre en place un traitement trop particulier et plutôt favoriser l'appropriation du droit commun par tout le monde. De la même façon, le vieillissement concerne l'ensemble de la société et pas seulement les immigrés.
Les femmes avec lesquelles nous travaillons – dans une démarche d'action sociale, d'expérimentation, de mutualisation et de réflexion globale sur les actions à mener – sont majoritairement, mais pas uniquement, arrivées en France depuis plus de vingt-cinq ans. Le veuvage, et plus généralement la rupture conjugale, est une situation très fréquente : plus de 70 % d'entre elles n'ont pas de conjoint. Leurs ressources – retraite, mais aussi complémentaire santé – sont souvent très faibles, en raison de leurs trajectoires professionnelles ; elles ont fréquemment travaillé de façon hachée, et souvent exercé des métiers pénibles. Cela n'est d'ailleurs pas nouveau : l'Institut national de la statistique et des études économique (INSEE) a montré dans l'enquête « Handicap-Santé » de 2008-2009 un large renoncement aux soins notamment, pour des raisons financières.
Nous essayons de travailler de façon transversale et interrégionale, dans une logique de mise en commun de nos pratiques professionnelles et d'échanges d'expériences entre nos centres de Rouen, Lille et Montreuil.
Enfin, une question se pose : celle de la trop faible reconnaissance institutionnelle aujourd'hui accordée aux associations de migrants. Il y avait cinq femmes adultes-relais dans le vingtième arrondissement ; il n'y en a plus qu'une.
Malgré le grand nombre d'auditions déjà réalisées par notre mission, nous avons toujours le plaisir d'entendre des points de vue nouveaux. Cela nous permet d'affiner notre diagnostic.
Ma première question ira à la FASTI : pensez-vous qu'il serait opportun de faciliter l'accès à la nationalité ? Cela répond-il à une attente ? Nous avons déjà plusieurs fois posé cette question et les réponses ont toujours été très nuancées, avec beaucoup de retenue et de pudeur.
Faciliter les naturalisations, c'est quelque chose qui peut être fait rapidement : à titre personnel, je serais plutôt partisan de prévoir, pour ces cas-là, une procédure hors du circuit commun – même si je souscris à l'idée que le droit commun est en principe préférable à des procédures particulières.
Ma deuxième question s'adresse au GRDR : pourriez-vous nous parler des actions que vous conduisez dans les pays d'origine et nous en donner quelques exemples ?
Ma troisième question s'adresse à l'ODTI : nous assistons à la fin du mythe du retour ; beaucoup de ces immigrés ont cru qu'ils ne venaient en France que pour le temps de leur vie professionnelle, mais ils souhaitent finalement rester. Cela pose la question de l'« exportabilité » de certains droits, mais aussi de l'appréhension de la fin de vie et du lieu de sépulture. Ne faudrait-il pas commencer par considérer les résidences et les foyers comme des logements à part entière ? La mission se veut en tout cas très vigilante sur le plan de traitement des foyers, dont l'achèvement rapide est indispensable.
Les auditions d'associations apportent en effet toujours des perspectives nouvelles.
Il faut bien sûr éradiquer les conditions de vie indignes – nous pensons tous en particulier aux foyers de l'est parisien. Cette action doit être menée par l'État et par les collectivités territoriales, en partenariat. Mais il faut agir en tenant compte des aspirations de tous, car elles peuvent différer grandement selon les endroits, les parcours, les personnes… La valorisation des trajectoires est effectivement un enjeu majeur.
La simplification est en effet tout à fait nécessaire, de même que l'internationalisation des droits ; en ce domaine, il faudrait sans doute envisager des actions bilatérales. J'ai conscience que ce sont des questions lourdes et qui ne seront pas réglées rapidement !
Nous sommes tous ici d'accord pour faciliter les naturalisations. Mais il faut aussi respecter l'identité et la volonté de chacun : la nationalité ne doit pas conditionner l'accès aux droits ou aux soins. Il faut s'interroger sur les critères : celui des revenus, celui du conjoint ; en particulier, il ne faut pas éluder le problème de la polygamie.
Nous parlons des migrants d'hier, mais, vous avez raison, il faut aussi penser à ceux d'aujourd'hui et de demain : comment anticiper ces problèmes ?
Enfin, comment faciliter la pratique d'une religion, dans le cadre des lois de la République ? Plusieurs d'entre nous essayent, localement, mais de façon parfois considérée comme un peu aventurière, de régler ce problème bien réel.
Pourriez-vous préciser ce que vous disiez sur les parents isolés et leurs enfants ?
Le travail en partenariat avec les collectivités territoriales est évidemment essentiel : sentez-vous chez ces dernières une plus grande sensibilité aux problèmes rencontrés par les immigrés âgés ?
J'ai beaucoup apprécié les propos de M. Jacquier sur les diasporas et la hausse du niveau de qualification. Pourriez-vous les préciser ? Existe-t-il des études en ce domaine ?
Je voudrais enfin poser, comme je le fais souvent, la question des maisons de retraite : estimez-vous préférable de permettre à ces migrants âgés de vieillir ensemble, dans les foyers où ils ont vécu, ou de les inciter au contraire à s'installer dans des maisons de retraite existantes, avec les difficultés que nous connaissons ?
Le rendez-vous à prendre par internet, cela n'est souvent pas facile pour les personnes âgées en général, alors pour des migrants âgés, effectivement, c'est redoutable ! C'est un problème qui concerne tout le monde.
Je vous propose de répondre rapidement, dans les minutes qui nous restent, aux questions qui vous semblent essentielles, et de compléter par écrit si cela vous paraît utile.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur : il est essentiel d'articuler actions spécifiques et droit commun ; aujourd'hui, un traitement particulier est nécessaire pour aider les femmes immigrées âgées, car elles cumulent les discriminations – liées au genre, à l'origine, à l'âge.
Il est également essentiel de prendre en considération la grande hétérogénéité de ces publics, de leurs parcours, de leurs projets migratoires. Nous avons évoqué l'immigration maghrébine et subsaharienne, mais n'oublions pas, par exemple, l'immigration asiatique.
Ce que nous constatons, c'est plutôt une prépondérance des allers et retours. Ce va-et-vient ne cesse que quand la personne tombe malade ; elle se voit alors obligée de demeurer en France. Notre association propose donc des solutions originales, notamment en matière de logement : nous avons imaginé un système hôtelier adapté à la pratique de la « navette », avec des chambres partagées.
Certains migrants restent sur le sol français sans jamais retourner dans leur pays d'origine : souvent alors, il y a une situation de rupture personnelle. Mais le souhait de tous n'est certainement pas de rester sur le sol français.
Il semble que, pour des raisons financières, les allers et retours soient plus fréquents avec le Maghreb qu'avec les pays du Sahel.
En effet.
S'agissant des diasporas, c'est vrai, notre association reçoit dans ses permanences juridiques de plus en plus de personnes très qualifiées, qui nous sollicitent pour leurs parents âgés, ou pour elles-mêmes. Les problèmes posés par les migrations concernent des personnes très différentes les unes des autres.
Quant aux maisons de retraite, je connais beaucoup de personnes très attachées à leur lieu de vie : il faut alors se demander comment favoriser le maintien à domicile même dans des habitats qui, au départ, ne sont pas forcément adaptés pour cela. On peut l'envisager dans des résidences sociales comme celle que nous gérons. Je doute pour ma part que la question des maisons de retraite constitue une priorité.
Je le dis souvent : pendant longtemps, en Moselle, nous n'avions pas du tout d'Italiens dans nos maisons de retraite, car ils étaient pris en charge par leur famille. Aujourd'hui, les mentalités ont changé. Il en ira de même pour les personnes venues du Maghreb ou du Sahel : ce n'est pas dans leur culture aujourd'hui, mais cela changera vite.
Il nous paraîtrait judicieux de faciliter l'accès à la nationalité française, même si tous les vieux migrants ne souhaitent pas devenir français ; cela relève de la liberté de chacun.
Plus largement, il faudrait un changement de regard sur les migrations et les migrants : il faudrait cesser de soupçonner ces personnes systématiquement, de s'acharner contre elles, et les considérer, tout simplement, comme des gens d'ici, qu'ils aient acquis ou pas la nationalité française.
Beaucoup d'enfants, souvent français eux-mêmes, souhaitent faire venir leurs parents pour prendre soin d'eux ; ce sont souvent des parents isolés, une mère veuve ou un père veuf. Le problème est alors celui de l'accès au visa et de l'accueil dans les consulats.
Mesdames et messieurs, je vous remercie pour vos réponses et pour tout le travail que vous effectuez.
Enfin, la mission d'information entend, sur les thèmes de l'apprentissage de la langue française et de la lutte contre l'analphabétisme et l'illettrisme, M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l'enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI), et Mme Sophie Étienne directrice, M. Khaled Abichou, directeur de l'association Initiatives contre l'illettrisme et lutte contre l'analphabétisme (ICI & LA), et Mme Camille Lalung, référente pédagogique.
Mes chers collègues, nous terminons cette matinée avec une audition consacrée à l'apprentissage de la langue française et à la lutte contre l'illettrisme et l'analphabétisme et recevons M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l'enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI), et Mme Sophie Etienne, directrice, ainsi que M. Khaled Abichou, directeur de l'association Initiatives contre l'illettrisme et lutte contre l'analphabétisme (ICI & LA), accompagné de Mme Camille Lalung, référente pédagogique.
Fondée en 1971 par des personnalités issues du monde syndical, associatif, politique et universitaire animées par des préoccupations humanistes et citoyennes, la Fédération AEFTI est un réseau d'associations loi de 1901 dont l'objectif est la lutte contre l'illettrisme et l'analphabétisme, la promotion du droit à la formation et à la qualification de la population immigrée et des publics en difficulté d'insertion. Aujourd'hui, il existe sept AEFTI, réparties sur le territoire national.
Autrefois animées par des formateurs bénévoles, les AEFTI se sont professionnalisées tout en maintenant une structure associative vivante ; elles représentaient, en 2009, quatre-vingt-seize centres de formation, 36 000 personnes accueillies et 330 formateurs.
De son côté, l'association Initiatives contre l'illettrisme et lutte contre l'analphabétisme (ICI & LA), créée en 2001, est un centre de ressources de lutte contre l'illettrisme. Ce centre est un espace d'information, d'animation, de mutualisation et de capitalisation qui assure les fonctions suivantes : information des acteurs sur les dispositifs de formation de base ; sensibilisation à la prise en compte des savoirs de base dans les actions d'insertion sociale et professionnelle ; animation de groupes de travail pour la mutualisation des compétences des acteurs pédagogiques et institutionnels de l'insertion et de la formation ; contribution à la réalisation des actions dans le cadre du plan régional de lutte contre l'illettrisme d'Île-de-France.
Je précise que notre mission d'information s'intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d'États tiers à l'Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous abordons l'ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l'accès aux soins et aux droits de façon générale, difficulté d'intégration, isolement et dépendance, etc. Il nous a souvent été dit que leur mauvaise maîtrise de la langue française pouvait avoir d'importantes conséquences sur leur accès aux dispositifs sociaux de droit commun. Aussi votre éclairage nous sera-t-il très certainement utile.
Il y a encore quatre ou cinq ans, les retraités fréquentaient nos centres parce qu'ils souhaitaient pouvoir enfin maîtriser la langue française pour mieux s'intégrer à la société et vaquer plus librement à leurs occupations. Malheureusement, les stages en leur direction ont disparu puisque la politique d'intégration des immigrés s'est, au cours des dernières années, essentiellement intéressée aux primo-arrivants. Il faut savoir que ces stages ont même été rémunérés durant une période. Depuis le démantèlement du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) et la création de l'Agence nationale pour la cohésion sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (ACSé) et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), les retraités n'ont plus droit à aucune formation. Après un véritable parcours du combattant, tout au plus peuvent-ils en bénéficier lorsque les municipalités agissent en ce domaine. Non seulement nos centres menaient – et pour certains mènent encore – des actions d'alphabétisation des retraités dans les foyers mais ils les aidaient également dans leurs démarches administratives – sécurité sociale, allocations familiales ou aide personnalisée au logement. Il peut même s'agir d'anciens combattants qui ne peuvent pas rentrer au pays parce qu'ils perdraient leurs droits.
Nos centres disposent de formateurs bénévoles qui, le soir, proposent des cours d'alphabétisation au sein des AEFTI ou des foyers. Auparavant, nous pouvions assurer la formation des sans-papiers. Malheureusement, personne ne peut plus venir nous voir sans être auparavant passés par des pôles de diagnostic où il est demandé aux immigrés de présenter leurs papiers. En l'absence de ceux-ci, ils n'ont droit à aucune formation, alors que seule la maîtrise de la langue française leur permettrait de s'intégrer. C'est pourquoi, comme nous sommes des militants, nous assurons des cours du soir qui ne sont financés ni par l'ACSé ni par l'OFII.
Notre structure s'est professionnalisée pour répondre à l'évolution des politiques conduites en matière d'intégration, notamment au fait que la formation linguistique est désormais soumise à des appels d'offre. Alors que la formation dispensée répondait auparavant aux besoins locaux, cette évolution a malheureusement écarté le public de proximité, dont faisaient partie les chibanis et leurs épouses qui sont arrivées en France dans le cadre du regroupement familial. Ce public n'a plus la possibilité d'apprendre le français. Toutefois, des dispositifs, comme les ateliers sociolinguistiques, permettent d'élargir le public des bénéficiaires de l'enseignement du français. Le secteur caritatif tente lui aussi d'assurer l'apprentissage linguistique auprès des personnes âgées et des sans-papiers, qui sont écartés des dispositifs de droit commun. Mais les cours sont dispensés par des bénévoles, qui ne sont pas nécessairement formés à cette fin. Aussi, l'enseignement dispensé dans ce cadre n'est-il pas toujours de grande qualité.
La Fédération AEFTI est un des membres fondateurs de l'Association pour le droit à la langue du pays d'accueil, visant à promouvoir le droit pour tous à une formation linguistique de qualité. Comme à l'heure actuelle, je l'ai dit, la qualité de la formation n'est pas garantie, nous menons des actions d'ingénierie de formation à l'attention des formateurs – nous avons été à l'origine de la mise en place de la formation de tous les formateurs au « français langue d'intégration » (FLI). Nous menons également des projets de professionnalisation des acteurs de l'insertion, créons des outils pour l'alphabétisation et publions une revue scientifique, qui fait le lien entre la formation de terrain et l'université, ainsi qu'une revue d'interface qui permet aux acteurs de l'intégration de s'exprimer sur la question de la formation. Plusieurs numéros ont traité de la question des chibanis, ces derniers exigeant non pas tant un traitement social, comme s'ils devaient être réduits au statut de victimes, mais plutôt la possibilité d'être écoutés, car, dotés d'une riche expérience, ils pourraient la transmettre aux jeunes générations des quartiers dans le cadre de projets intergénérationnels.
Nous sommes très honorés d'être auditionnés par les représentants de la nation et souhaitons que vos travaux aboutissent pour améliorer la condition de ceux qui ont contribué à l'effort d'industrialisation de la France.
En 1971, un membre du Conseil national du patronat français déclarait : « La main-d'oeuvre étrangère comprend mal le français. La spécialisation devait rester la règle, une main-d'oeuvre trop fruste ne pouvant s'adapter à la modernisation. » L'origine du problème actuel tient dans ce préjugé.
C'est en effet à cause de celui-ci que, lorsque l'industrie française s'est restructurée dans les années 1980, après les deux chocs pétroliers, les travailleurs immigrés n'ont pas bénéficié des dotations du Fonds national pour l'emploi, alors que celui-ci était bien « garni » – et je ne parle pas des fonds mutualisés. Nous n'aurions pas à résoudre ce problème aujourd'hui si, à l'époque, des actions spécifiques de reclassement, de formation et d'accès aux compétences, notamment linguistiques, avaient été mises en place.
Ces personnes ont pourtant travaillé en France entre trente et cinquante ans, notamment sur les chaînes de production d'automobiles, en remplacement des ouvriers spécialisés français.
L'intérêt de notre structure pour cette population vient du fait que, dans le cadre des plans régionaux de lutte contre l'illettrisme, qui s'occupent prioritairement des personnes qui ont été scolarisées en langue française, l'axe « cohésion sociale » la vise directement. Le problème de l'accès aux compétences pourrait donc être résolu au plan territorial – une trentaine de ces plans sont actuellement signés ou en cours de signature – si cette population bénéficiait pleinement des dispositifs de droit commun.
En effet, je ne crois pas à l'utilité des dispositifs particuliers. Il faut savoir qu'il existe, d'un côté, ces plans régionaux de lutte contre l'illettrisme décidés par le ministère du travail et mis en place par l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) et, de l'autre, des programmes régionaux d'intégration des populations immigrées (PRIPI), qui dépendent du ministère de l'intérieur et sont mis en oeuvre par la DAIC. Or, alors que les problèmes rencontrés concernent la maîtrise de la langue orale et écrite et l'accès à des compétences sociales pour communiquer avec son environnement, nous avons affaire à deux politiques différentes en dépit de l'existence de points de convergence qui se situent autour des territoires. Il suffirait de flécher, dans les dispositifs de droit commun, des actions spécifiques pour ces populations sans créer de dispositifs particuliers, pour améliorer leur maîtrise de la langue et leur accès aux compétences sociales – pour, par exemple, simplement savoir retirer de l'argent à un guichet automatique avec une carte bancaire.
Il existe deux référentiels de compétences européens : le cadre européen des compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie, qui s'adresse, en ce qui concerne la France, aux francophones scolarisés en France qui n'ont pas acquis tous les savoirs, et le cadre européen commun de référence pour les langues, qui s'adresse uniquement aux populations immigrées. Or, nous avons affaire à des personnes qui sont en France depuis trente ou quarante ans, voire davantage : peut-on les traiter comme des primo-arrivants ? Il faut les traiter dans le cadre de l'accès aux compétences sociales de communication. Cela permettrait de créer des points de convergence entre les pilotages politiques des actions menées par les deux ministères du travail et de l'intérieur.
Que l'intégration soit à l'heure actuelle si rare est dommageable pour le public qui vous intéresse, qui doit subir la fracture numérique en plus des difficultés d'apprentissage de la langue et d'accès à la lecture et à l'écriture. Ces adultes migrants ont du mal à s'adapter à la modernisation de leur poste professionnel et ne peuvent exécuter, dans leur vie quotidienne, des actes aussi simples que le retrait d'argent à un distributeur automatique ou l'achat à une borne d'un ticket de métro ou d'un billet de train.
Toutes les formations de base à la bureautique dans les espaces publics numériques demandent comme prérequis la lecture et l'écriture. Or, la recherche montre que ces outils permettent l'alphabétisation, ce qui permettrait d'accélérer l'apprentissage dans les deux domaines et donc de mieux intégrer les immigrés âgés.
En l'absence de dispositifs de droit commun en direction de ces populations, c'est le FEI qui les prend en charge, mais de façon marginale. Il conviendrait de généraliser ces actions.
Même si depuis les années 1980, l'immigration a évolué dans notre pays, il reste en France 350 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans, qui sont arrivés entre les années 1950 et 1970 sans pouvoir bénéficier des dispositifs qui accompagnent aujourd'hui les primo-arrivants pour la simple raison que ces dispositifs n'existaient pas.
Quelle est la part des immigrés âgés qui ont été scolarisés dans leur pays d'origine ? Lorsqu'ils l'ont été, à quel âge ont-ils, en moyenne, quitté l'école ? En effet, ce n'est pas la même chose d'immigrer en maîtrisant la lecture et l'écriture dans la langue de son pays d'origine et d'immigrer en étant totalement analphabète, y compris dans sa langue maternelle.
Quel est le taux de réussite chez le public que vous accompagnez, compte tenu évidemment des évolutions réglementaires qui ont rendu plus difficile l'accès des immigrés âgés aux dispositifs que vous proposez ? Revenir sur ces évolutions pourrait du reste faire partie des préconisations de la mission. À quelles difficultés autres que les lenteurs cognitives propres à l'âge ces personnes se heurtent-elles?
La non-maîtrise de la langue française constitue un frein non seulement à l'accès aux droits, mais aussi à la réalisation des gestes les plus simples de la vie quotidienne. Ce frein est d'autant plus important que s'amplifie la dématérialisation des procédures administratives, laquelle oblige de passer de plus en plus souvent par internet. Comme vous l'avez parfaitement souligné, à la fracture linguistique s'ajoute la fracture numérique.
Pensez-vous que les immigrés âgés soient l'objet de discriminations en raison, notamment, de leur maîtrise imparfaite de la langue française ? Si oui, cette absence de maîtrise serait-elle une des sources principales de discrimination ?
Si je vous ai bien compris, les immigrés âgés ont encore besoin d'une formation continue, alors qu'ils sont à l'heure actuelle abandonnés à eux-mêmes.
L'objectif de la mission est d'être une force de propositions : il ressort de vos propos qu'il est d'autant plus nécessaire de remettre l'apprentissage au coeur des dispositifs prévus en direction de ces immigrés âgés que les exigences de la vie moderne les poussent vers internet et qu'ils sont souvent arrivés analphabètes en France. Il leur est donc impossible d'acquérir seuls les nouvelles technologies.
Madame Étienne et monsieur Abichou, vous avez évoqué la qualité de la formation dispensée par les bénévoles. Toutefois, le bénévolat n'interdit pas la labellisation des associations.
Vous avez également évoqué la question des papiers qui sont désormais exigés pour pouvoir participer aux formations. Certes, il est toujours possible de créer des associations ouvertes à tous – la semaine dernière nous nous sommes rendus dans les locaux d'une association, située dans le quartier Belleville à Paris, dispensant des cours de français à des personnes chinoises dont la plupart n'avaient pas de papiers. Le blocage administratif que vous avez évoqué est d'autant plus paradoxal que le public est demandeur. De plus, sans qu'on sache toujours bien pourquoi, la nationalité française est refusée à de très nombreux immigrés, aujourd'hui âgés, qui la demandent sans succès depuis de très nombreuses années, alors même qu'ils ont choisi de rester en France. Il arrive que les demandeurs d'asile, arrivés récemment dans notre pays, soient naturalisés dans des délais plus courts que les migrants âgés arrivés il y a plusieurs décennies.
Il est difficile de déterminer avec exactitude le parcours scolaire de ces immigrés âgés, du fait que celui-ci n'a pas été recensé à leur arrivée sur le territoire français, contrairement, par exemple, aux étudiants étrangers venant achever leur formation en France. De plus, le caractère morcelé de la prise en charge de l'alphabétisation des immigrés par les associations de quartiers dans les années 1960 ne permet pas d'établir des chiffres précis.
Je ne pensais pas tant à des statistiques précises qu'à une évaluation sur le terrain, à travers des témoignages.
Le plus souvent, la formation est dispensée par des associations de bénévoles – il en existe un grand nombre ne serait-ce qu'à Paris : or, très souvent, ces associations ne procèdent pas à des évaluations des progrès réalisés. Il faudrait sinon professionnaliser le bénévolat, du moins prévoir une formation systématique des bénévoles afin de garantir, comme l'a souligné Mme Étienne, la qualité de la formation.
Les recrutements des années 1950 à 1970 visaient spécifiquement les candidats analphabètes– dans le film Mémoires d'immigrés, Yamina Benguigui rappelle que les recruteurs de la régie nationale Renault allaient jusqu'à serrer la main des villageois des douars pour vérifier qu'elle était bien calleuse et qu'il ne s'agissait donc ni d'intellectuels ni de paresseux ! C'était un critère de recrutement. J'estime à 200 000 le nombre de personnes concernées par votre mission – immigrés âgés et leurs conjoints arrivés dans les années 1970 à l'ouverture du regroupement familial. Ce sont essentiellement des Nord-africains et des Africains francophones, recrutés dans ce qu'on appelait les États du « champ » – c'est ainsi que le ministère de la coopération dénommait la zone francophone. Ces personnes vivent dans des foyers Adoma ou dans des meublés. En dépit de la rénovation du quartier, certains ont pu, pour ne prendre que cet exemple, rester à la Goutte d'Or.
La vague des années 1970 est celle d'immigrés ayant suivi un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) dans leur pays d'origine. Je suis d'origine tunisienne. Mes camarades avaient quitté l'école pour la section professionnelle. Le niveau d'écrit de ces immigrés est donc imparfait mais ils disposent des connaissances de base. Ils ne concernent pas la mission car ils ont pu bénéficier d'une promotion professionnelle lors des réorganisations du travail dans les années 1980 – il y avait alors peu d'Algériens mais un grand nombre de Turcs, qui fuyaient, à l'époque, la dictature militaire. Ils étaient arrivés comme réfugiés politiques. Quant aux immigrés asiatiques, ils ont très souvent été scolarisés dans leur pays d'origine.
S'agissant des discriminations, il faut savoir que l'administration n'hésite pas à demander à des immigrés âgés de soixante-dix ans et plus, venus renouveler leur carte de séjour, leur diplôme de langue française, alors qu'ils vivent en France depuis quarante ans. C'est une pratique courante dans certaines préfectures.
L'administration ne distingue pas les immigrés âgés des primo-arrivants. Elle semble également ignorer qu'en raison du regroupement familial, les immigrés âgés d'aujourd'hui rencontrent des difficultés que ne rencontreront plus les immigrés âgés de demain.
Si ces pratiques sont systématiques, elles sont discriminatoires. Demander un diplôme de langue française à un primo-arrivant répond à une certaine logique, puisqu'il peut bénéficier de dispositifs de droit commun, mais il s'agit d'une forme ciblée de discrimination quand cette demande est formulée à l'endroit d'immigrés âgés qui, eux, n'ont pas pu bénéficier des mêmes dispositifs.
Je tiens à rendre hommage aux travailleurs sociaux, qui témoignent d'une forte empathie individuelle à l'égard de ces immigrés retraités, en raison de leur âge ou par reconnaissance pour leur participation à l'effort national, d'autant que ces populations ont toujours fait preuve, contrairement à leurs enfants, d'une grande discrétion.
S'agissant des aspects cognitifs de la formation à leur dispenser, nous sommes convaincus que ces immigrés âgés doivent bénéficier d'une approche multidisciplinaire, laquelle exige des intervenants très bien formés, qu'ils soient salariés ou bénévoles.
Mon doctorat portait sur l'apprentissage des savoirs de base. Dans les années 1970, l'université s'est tournée vers ces immigrés, s'apercevant que leurs besoins étaient différents de ceux des étudiants : s'ils souhaitaient apprendre le français, c'est qu'ils en avaient besoin pour leur travail et la vie de tous les jours. C'est grâce à ce public qu'est née l'approche communicative, qui permet d'adapter la formation aux besoins. La définition d'un « niveau seuil » ou B1, issue cette approche, a permis de créer le cadre européen commun de référence.
L'université s'est par la suite et durant plusieurs années désintéressée de ce public. C'est le secteur associatif qui a alors pris la relève. Il s'est progressivement professionnalisé. L'AEFTI a créé de nombreux outils en direction de ce public – elle mettra à disposition à compter du 29 avril 2013 un logiciel interactif pour apprendre à se servir des bornes automatiques.
L'approche doit en effet être d'autant mieux adaptée aux différents publics auxquels nous avons affaire que les flux migratoires ont changé. Les nouveaux publics relèvent désormais en majeure partie du flux français langue étrangère (FLE), du fait qu'ils ont été scolarisés dans leur langue maternelle mais ne maîtrisent pas la langue française. En revanche, les chibanis, qui proviennent de pays francophones, connaissent le français « oral » : ce dont ils ont besoin, c'est d'un apprentissage du français « écrit ». Il ne s'agit donc pas de la même approche : la formation doit être différente.
Les AEFTI étant militantes, elles ont créé des formations sur la grève ou le droit – récemment encore sur le droit du travail. Il est important de ne pas réduire la formation à la seule approche linguistique.
La réussite dépend de la motivation de celui qui suit les cours.
Je souhaiterais évoquer le label qualité « FLI », dont j'ai été une des contributrices et qui a donné ses lettres de noblesse à l'apprentissage de l'usage quotidien de la langue française. Ce label est délivré par l'État aux organismes professionnels de formation. Assurer une formation de qualité implique en effet d'avoir auparavant défini les besoins des personnes. Il était également prévu de mettre en place un agrément pour les structures employant des bénévoles, ceux-ci ayant pour fonction de servir d'intermédiaires entre les immigrés et des formateurs professionnels de qualité. Notre public est composé d'adultes et non pas d'enfants : les cours qui leur sont dispensés doivent absolument prendre en considération cette caractéristique essentielle.
Au plan politique, je regrette que les titres de séjour soient conditionnés au niveau de langue de l'immigré. Pour les primo-arrivants, il conviendrait de prendre en considération leur progression. Quant aux immigrés âgés, ils sont à mes yeux citoyens français de fait. On leur doit la qualité de la formation.
Je partage les analyses des orateurs précédents.
Je suis venu en France au début des années 1970 pour travailler dans le bâtiment. Notre génération parle le français sans le maîtriser. Nos prédécesseurs arrivés dans les années 1960 étaient des analphabètes en provenance d'États qui venaient juste d'accéder à l'indépendance. De plus, le niveau de scolarisation était différent d'un pays d'origine à un autre : il était à l'époque plus élevé en Tunisie qu'au Maroc.
J'ai dirigé une AEFTI en Seine-Saint-Denis : j'ai eu affaire à des quadragénaires ou des quinquagénaires qui souhaitaient se former. Ils ont fort heureusement pu recourir au congé individuel de formation (CIF), même si l'accès à ce congé ne peut se faire avant un délai de trois ans. Ces formations sont nécessaires pour progresser sur le plan professionnel – je citerai l'exemple d'un camionneur malien qui a pu enfin, après sa formation, remplir sans plus aucune difficulté les formulaires de la douane.
Avant la création de l'ACSé, des communes finançaient des formations pour ceux qui vivent ou travaillent sur leur territoire. Désormais, ces communes se tournent vers la politique de la ville, pour laquelle la formation linguistique n'est plus la priorité. La sécurité est désormais la première préoccupation.
Les villes ont plus de pouvoir dans le cadre de l'ACSé que dans celui des contrats de ville, dont les financements reposaient pour moitié sur la commune et pour moitié sur l'État, qui pouvait les refuser. Désormais, les villes sont libres de disposer de leur volume financier et l'État ne fait plus que prendre acte de leur politique en la matière. Elles sont responsables.
En effet, les villes comptent désormais sur l'ACSé. Je citerai l'exemple de la commune de Pantin, qui a assuré des cours durant quinze ans auprès d'un public composé essentiellement de femmes de quarante à cinquante ans. Cette formation linguistique était « leur passeport pour la vie », car elle leur assurait une pleine autonomie dans la vie de tous les jours. Elles n'avaient plus besoin de demander à leurs enfants de les aider dans leurs démarches ou de les accompagner chez le médecin. Je pourrais vous citer d'autres exemples. Il importe de ne pas confondre ce public avec celui des primo-arrivants, comme le font trop souvent les médias. Le décalage entre ces deux publics est réel. Il est malheureux qu'en raison du manque de moyens, les cours qui étaient dispensés à ces femmes ou à ces immigrés âgés ne puissent plus l'être.
Quant au racisme de l'administration, qui provoque parfois de l'énervement, il se traduit surtout par des demandes impossibles à satisfaire. Il est arrivé ainsi à l'administration d'exiger d'un étranger qui venait chercher un titre de séjour comme conjoint étranger d'un citoyen français, deux certificats prouvant que le couple possédait un logement commun et un compte bancaire commun, alors même que l'obtention de ces deux certificats nécessitent la possession préalable du titre de séjour !
J'ai dû accompagner cette personne avec deux déclarations, la première de l'office HLM et la seconde de la banque, attestant que la loi interdisait de délivrer un logement commun ou d'ouvrir un compte commun, tant que l'administration n'avait pas délivré elle-même à un titre de séjour à cette personne. Voilà ce qui se passe dans les préfectures !