Intervention de Zineb Doulfikar

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Zineb Doulfikar, directrice de l'association « Chibanis 06 » :

Précisons d'emblée que le terme « chibanis » signifie « cheveux gris », ce qui est plutôt affectueux, et pas du tout péjoratif.

Assistante sociale depuis maintenant trente-trois ans je me suis rendue à Nice en 1993 pour travailler auprès de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés des Alpes-Maritimes (ASTIAM), en raison de ma connaissance de la langue arabe.

Dès la fin des Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés employés dans le bâtiment se sont retrouvés au chômage, puis n'ont pu bénéficier que du seul revenu minimum d'insertion (RMI). Dans les années 1995-1996, j'ai commencé à recevoir davantage de personnes âgées entre cinquante-cinq et cinquante-huit ans, et je me suis rendu compte de la spécificité des problèmes qu'elles rencontraient. J'ai donc créé à leur intention des groupes de parole et, en 2000, j'ai mis en place l'association « Chibanis 06 ».

Les personnes âgées que nous recevons viennent rarement des foyers, dans la mesure où d'autres associations y interviennent. Il s'agit surtout d'hommes isolés, dont la famille et l'épouse sont restées au pays.

Au départ, mon rêve était de les faire accéder à la culture. Nous en avons beaucoup parlé avec M. Yassine Chaib – le sociologue qui, avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) des Alpes-Maritimes, m'a beaucoup aidée dans mon initiative. Nous avons d'ailleurs mis en place un atelier de calligraphie pendant quelques années. Malheureusement, nous avons été rapidement envahis par les problèmes administratifs qui se posent au quotidien.

J'ai travaillé dans le service social traditionnel jusqu'en 2009, tout en me consacrant à l'association, dont je suis la fondatrice et la responsable. Depuis cette date, je travaille à plein temps pour « Chibanis 06 » : il y a en effet beaucoup à faire. Mais il n'est pas question de vous noyer sous les chiffres et les statistiques, et je vous invite à vous reporter aux documents que je vais vous transmettre, et qui retracent, dans le détail, toutes nos actions.

Sachez malgré tout que « Chibanis 06 » s'efforce de faciliter l'accès de ces personnes âgées aux droits, à la santé et, dans une moindre mesure, à la culture. Nous organisons des voyages, des sorties. Nous avons mené à bien, en 2007, un projet intergénérationnel fantastique. Il était intitulé : « Retrouver ses racines à travers des récits de vie des personnes âgées migrantes » et s'adressait à vingt-trois jeunes issus de l'immigration, inscrits au GRETA « hôtellerie » de Nice.

Depuis cinq ans, nous recevons de nombreuses femmes veuves, célibataires ou divorcées, principalement originaires du Maroc et d'Algérie. Leur problématique est la même que celle des hommes : elles sont seules en France et continuent à aider leurs enfants restés au pays. Mais leur retraite est encore plus faible que celle des hommes. Elles ont commencé à émigrer dans les années 1980-1985 et sont plus nombreuses à ne bénéficier que de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Comme je suis avant tout assistante sociale, je terminerai en évoquant les problèmes rencontrés par ces hommes et ces femmes qui bénéficient de l'ASPA.

Leur situation peut être terrible et certains d'entre eux vont très mal. J'ai reçu avant-hier un monsieur de quatre-vingt-dix ans, qui est resté trop de temps au Maroc, en l'occurrence six mois et dix jours. Pour ces dix jours de trop, on lui demande de rembourser 10 000 euros et le versement de l'ASPA lui a été suspendu. Un autre monsieur, d'origine tunisienne, doit rembourser 16 000 euros.

En ce moment, mon travail consiste à préparer des demandes d'aide juridictionnelle – pour prendre des avocats et former des recours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale – et à servir d'interprète. J'ai avec moi les conclusions d'une avocate qui va défendre un monsieur dont l'audience a été reportée parce que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) a demandé à « réfléchir » !

Il est très dur de recevoir ces personnes au quotidien. Ce que j'avais envie de vous dire aujourd'hui, c'est qu'elles ont le droit de vivre leur retraite dans la dignité. Ces personnes font partie de notre pays, elles ont participé à la construction de l'économie française. C'est une question de respect. Or, elles vivent leur retraite dans des conditions dramatiques.

Malgré le barrage de la langue, on peut faire des efforts pour les recevoir et les comprendre. Je collabore avec succès avec mes collègues assistantes sociales du centre communal d'action sociale (CCAS) de Nice. Mon rêve serait d'ailleurs que l'association « Chibanis 06 » disparaisse, que ces personnes vivent correctement et relèvent du droit commun.

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