Intervention de Claude Jacquier

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Claude Jacquier, président de l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels, ODTI :

Sans revenir sur les diagnostics et les propositions qui figurent dans les comptes rendus des précédentes auditions, je me contenterai de développer quelques points à partir de l'expérience de la petite association locale qu'est l'ODTI – notre budget atteint 1,1 million d'euros et nous ne possédons qu'un seul établissement.

L'ODTI est aujourd'hui en redressement judiciaire : nous avons jusqu'à 2018 pour rembourser 550 000 euros mais nous avons néanmoins été autorisés à poursuivre nos activités. Nous avons donc dû engager des réformes. Les associations comme la nôtre, créée à Grenoble à l'époque où M. Hubert Dubedout était maire de la ville, sont en difficulté en raison des coupes décidées dans les subventions, essentiellement étatiques, entre 2004 et 2007 ; nous avons pour notre part perdu 700 000 euros. D'autres pourraient se trouver bientôt dans la même situation. Pourtant, nos associations sont indispensables : il faut impérativement les préserver.

Il faut également soutenir les expériences locales, car c'est peut-être là qu'apparaissent les plus grandes innovations. Nous devons bénéficier d'un droit à l'expérimentation, qui doit venir du bas pour alimenter le sommet.

Plus de la moitié du public que nous recevons a plus de soixante et un ans. Nous accueillons essentiellement des hommes, mais aussi, désormais, des femmes. Dans les quartiers où nous intervenons, on note en effet un affaiblissement du rôle des pères, et plus généralement une dévalorisation du rôle des anciens. Il convient de réfléchir à la manière de le restaurer. Aujourd'hui, les femmes jouent un rôle essentiel dans les quartiers : ce sont elles qui tiennent les familles monoparentales, qui sont prescriptrices, opératrices, et qui assurent une sorte de paix sociale.

Nous utilisons plusieurs types d'habitat : nous avons de l'habitat en colocation, nous avons transformé le foyer de travailleurs migrants en résidence sociale, et nous disposons d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ainsi que d'une formule hôtelière. Sur l'année, le taux d'occupation est de 95 %.

Peut-être faudrait-il abandonner l'approche en termes de précarité et de pauvreté pour mettre en valeur le rôle des diasporas dans le cadre de la mondialisation. Un grand nombre de nos publics est qualifié ; les transferts de ressources vers les pays d'origine représentent un montant plus élevé que celui de l'aide publique au développement, et équivalant à celui des investissements directs étrangers ; en outre, ils ne sont soumis à aucune condition et sont particulièrement bien ciblés sur les pays et les villages d'origine. La plupart des populations âgées transfèrent une part importante de leurs maigres ressources.

Nous devons impérativement qualifier des professionnels pour travailler dans ce secteur – non seulement des salariés, mais aussi des bénévoles et des retraités. C'est de plus en plus difficile ; en ce qui me concerne, je suis retraité du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et il m'est difficile de mobiliser mes collègues sur ces questions.

Il convient de passer d'une approche en termes d'assistanat à une approche en termes de projet de vie, dans le cadre du développement soutenable ; nous parlons à ce propos de « développement soutenable communautaire ». Il s'agit de développer, non le communautarisme, mais les communautés et les capacités à agir des individus.

Il convient également de passer de l'hébergement à l'habitat. Nous intervenons dans le centre-ville de Grenoble, dans les quartiers anciens, comme le quartier Très-Cloîtres, sensible au plan social et « dur » d'un point de vue architectural : c'est un quartier de béton et de pierre. Pour répondre à la demande de nombreux chibanis, nous essayons de créer un potager et un verger ; nous ne disposons que d'une surface de 80 mètres carrés, mais cela peut être positif.

On s'intéresse beaucoup aux lieux et aux individus, mais moins à une troisième composante, qui joue pourtant un rôle important : les institutions. Or, ce que nous constatons actuellement, c'est une balkanisation des territoires, un empilement administratif incessant, de l'État jusqu'au canton, une sectorisation et un cloisonnement des administrations. Pour notre potager, par exemple, il nous faut mobiliser vingt-cinq vice-présidents, adjoints ou représentants de l'État ! Cela retarde toutes les procédures. « Simplification » : que l'on applique ce mot d'ordre aussi aux institutions !

Nous sommes bombardés de demandes d'évaluation sous forme de tableaux Excel. À la suite du redressement judiciaire, nous avons dû nous priver des deux tiers de notre personnel, pour remplir les mêmes missions. Il nous a donc fallu inventer de nouvelles façons de faire et recruter des professionnels capables d'exercer plusieurs métiers – c'est ce qu'à l'échelon européen, on appelle « l'approche intégrée ». À l'ODTI, nous estimons qu'un équivalent temps plein plus un équivalent temps plein, cela fait plus que deux équivalents temps plein : cela peut difficilement rentrer dans un tableau Excel !

En conclusion, contrairement à ce que l'on prétend, le va-et-vient n'est pas une situation exceptionnelle ; il n'est l'apanage de personne. Au regard de la progression rapide du PIB des pays d'Afrique et d'Asie, ce sera demain le lot de tous nos enfants.

Chercheur au CNRS, j'ai dû taire mes activités militantes pendant quarante ans : vous n'en trouverez nulle trace dans mes rapports d'activité. Pourquoi ? Parce qu'en France, nous séparons la recherche et la formation, l'État et les collectivités territoriales, les entreprises et les associations. Il faut impérativement sortir de ces clivages si nous souhaitons inventer et innover.

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