Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 21 mai 2013 à 16h15
Commission des affaires européennes

Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur :

La charte qui a été signée au Bangladesh ne porte que sur la sécurité des bâtiments et non sur celle des personnes. Or, il nous importe de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises multinationales notamment, qui doivent faire preuve de transparence. Les donneurs d'ordres ne peuvent se permettre d'accuser leurs sous-traitants : c'est à eux de prouver que les ordres qu'ils donnent seront suivis et c'est donc à leur niveau que la responsabilité est engagée. Nous avons assisté là au plus grave accident industriel qu'ait jamais connu le Bangladesh, ce qui prouve que le commerce a une responsabilité. Je souhaite donc que rien ne soit plus comme avant.

Concernant les panneaux photovoltaïques, le caractère tardif de la mesure s'explique par le nécessaire travail d'investigation qui a dû être effectué pour mettre en oeuvre les instruments de défense commerciale. Qui plus est, ayant inondé le marché mondial, la Chine elle-même se trouve désormais en difficulté. Elle peut donc être ramenée à la raison sur ce point puisqu'elle y a elle-même intérêt. Quant à la France et à l'Allemagne, elles sont très compétitives dans le domaine des panneaux photovoltaïques « hautement concentrés », certains systèmes à haute valeur ajoutée nous permettant d'obtenir un rendement très supérieur à celui de la gamme produite par les entreprises chinoises. Il nous faut donc non seulement trouver un accord avec la Chine mais également envoyer ce signal, même tardif, afin de favoriser le développement d'industries spécialisées dans les énergies renouvelables. À cet égard, le Conseil européen qui se tiendra cette semaine est très important puisqu'il sera consacré à la politique énergétique européenne. Si l'on parvient à trouver un accord avec l'Allemagne concernant le potentiel d'action de l'Europe en matière d'énergies renouvelables, nous montrerons que nous sommes capables d'investir ensemble en faveur d'une politique industrielle d'avenir.

Je serai en Malaisie et en Indonésie lorsque le Président de la République se rendra au Japon au début du mois de juin. Cela étant, je m'y rendrai également moi-même. Le Président y abordera de nombreux sujets, notamment la politique de change et la politique monétaire – sujets majeurs ayant fait l'objet de deux déclarations du G20 en vertu desquelles ces politiques devaient être tournées vers le marché intérieur. Si les chiffres ne nous permettent pas encore de mesurer les effets de ces politiques sur le commerce extérieur japonais, les résultats sont cependant indubitables. D'autres sujets d'ordre commercial seront également abordés avec le Japon, notamment l'alimentation – domaine dans lequel les Japonais continuent de nous opposer une barrière non tarifaire, considérant que les additifs alimentaires français présentent des risques d'insécurité alimentaire. Nous continuerons donc de soutenir notre revendication en la matière tout au long de la négociation. Le secteur agroalimentaire fait en effet partie des intérêts offensifs que l'on peut promouvoir face au Japon.

S'agissant du mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs, l'Allemagne s'oppose fermement à son inclusion dans l'accord – une opposition que soutiennent aussi bien la France que l'Angleterre. Nous considérons en effet que le mécanisme interétatique est suffisant et qu'introduire la partie privée au sein du dispositif aboutira au contournement des tribunaux nationaux, tout en risquant de bloquer la faculté qu'ont les États de légiférer. L'Allemagne a fait savoir son opposition auprès de la Commission européenne qui n'a toujours pas répondu ni modifié son projet de mandat. Cela fait donc partie des sujets sur lesquels nous devrons avancer d'ici aux 13 et 14 juin car nous proposons de nous en tenir au mécanisme actuel.

Quant au secteur viticole, nous sommes très attachés aux indications géographiques – véritable spécificité européenne – alors même que les Américains et les Canadiens défendent des marques. En effet, nous ne partageons pas la même conception de la propriété intellectuelle. Notre commissaire européen doit comprendre qu'en la matière, nous souhaitons adopter une approche offensive et non pas défensive. Nous ne sommes d'ailleurs pas le seul pays à tenir à ces indications géographiques – tant pour le vin que pour d'autres produits – qui correspondent à un véritable principe d'action. Nous y sommes tellement attachés que dans le cadre du projet de loi sur la consommation, ma collègue Sylvia Pinel, ministre du commerce, de l'artisanat et du tourisme, souhaite les étendre à des produits industriels afin d'éviter des problèmes comparables à ceux du couteau Laguiole, pour lequel aucun brevet n'avait été déposé et qui n'était par conséquent pas protégé.

En ce qui concerne les services financiers, bien que je ne dispose d'aucun document écrit émanant des États-Unis, je sais de la Commission européenne elle-même que les Américains pourraient effectivement demander leur exclusion du contenu de l'accord.

La question des marchés publics illustre la manière dont on peut recourir au principe de réciprocité tout au long de la négociation : l'ouverture doit en effet s'opérer au fur et à mesure que cette négociation progresse. Et si certains marchés publics sont particulièrement fermés, plusieurs États refusent de prévoir des exclusions, craignant que dans ce cas, les Américains refusent de négocier, et pensant que ceux-ci ouvriront du jour au lendemain leur commerce maritime. Mais cet objectif paraît fort difficile à atteindre spontanément, tant que nous n'aurons pas recours au rapport de forces – qui, en l'occurrence, nous est plutôt favorable. Et si les Américains souhaitent négocier cet accord, encore faut-il qu'ils le prouvent, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent.

Quant au Fonds bois, j'y suis aussi attachée puisqu'il fait partie de l'une des quatre familles prioritaires, que j'ai appelée « Mieux vivre en ville ». La filière bois est porteuse d'avenir : de nombreuses entreprises – parmi lesquelles des PME – en exportent dans le monde entier, comme Gauthier, qui a sa maison-mère en Vendée et dont on trouve des magasins et des franchises partout. Cependant, la scierie est un chaînon manquant dans la filière, de telle sorte que bien que nous ayons du bois sur notre territoire, il nous faut d'abord importer le produit transformé – qui constitue en fait la véritable source de la valeur ajoutée – pour ensuite réexporter des meubles. C'est pourquoi, dans le cadre des investissements d'avenir, le gouvernement précédent avait créé un Fonds bois, ensuite réactivé par Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Et c'est aussi pourquoi Ubifrance accompagne les entreprises.

C'est dans le cadre de l'ouverture des marchés tiers promue par les accords de libre-échange que la baisse des droits de douane pourra s'opérer. En effet, ces droits sont souvent élevés sur les produits transformés que nous revendons. Et lorsqu'aucun droit ne s'applique, ce sont alors des taxes très fortes. En Inde, malgré l'application de taxes allant de 200 à 250 %, la vente de nos vins progresse, ce qui signifie qu'il existe des consommateurs éclairés. Notre position reste cependant fragile car nous ne sommes pas seuls sur le marché mondial et que le vin constitue un otage tout trouvé lorsqu'un État souhaite appliquer des mesures de rétorsion. S'agissant des États-Unis, j'ai oublié de vous signaler qu'ils sont en train de revoir leurs normes de sécurité alimentaire. Il est donc inutile de nous précipiter tant que nous ignorons la règle du jeu qu'ils nous imposeront.

S'agissant des droits d'accise sur la viticulture, ils dépendent du ministère des finances. Les parlementaires qui défendent le secteur étant très actifs, vous disposez sans doute de travaux susceptibles convaincre le ministre des finances.

Estelle Grelier a évoqué un « OTAN économique » : je ne partage nullement cette vision des choses car je ne considère pas l'Europe comme un demandeur face aux États-Unis dans la négociation de cet accord de libre-échange mais comme la première force de marché mondiale. J'en saurai sans doute davantage d'ici au Conseil européen de Luxembourg sur les intérêts américains offensifs et défensifs et sur les intentions de la Commission européenne quant à la révision de son mandat qu'elle doit réviser.

Nous avons tout intérêt à parvenir à conclure cet accord, dès lors qu'il s'agit bien d'un partenariat, étant donné nos intérêts offensifs dans l'agriculture – sur les produits laitiers transformés, les vins et spiritueux –, les services financiers – notamment assurantiels –, les marchés publics – notamment au profit de toutes les entreprises gérant des services aux collectivités locales et de tout ce qui concerne les infrastructures –, la chimie, les textiles et l'habillement. En fait, tout l'enjeu de la négociation consiste à mettre en balance nos intérêts offensifs et défensifs.

La Commission européenne a indiqué qu'elle pourrait conclure cet accord d'ici à deux ans mais je n'y crois pas un instant. La négociation avec le Canada est ainsi bloquée alors qu'elle dure depuis cinq ans. Nous savons également que la négociation avec le Japon sera longue et difficile. Et si les États-Unis pensent qu'ils doivent se trouver dans le même état d'esprit que lorsqu'ils ont négocié l'ALENA, ils se trompent de partenaire. Nous devons ici faire jouer le rapport de force politique en notre faveur. Là où le délai que s'accorde la Commission m'inquiète, c'est que la composition de celle-ci changera l'an prochain – après les élections européennes. En outre, les Irlandais qui président actuellement l'Union européenne souhaiteraient beaucoup terminer leur présidence par un accord des États-membres sur un mandat de négociation. Cela étant, ce rythme précipité ne me paraît guère raisonnable. Quoi qu'il en soit, je me félicite – au vu des articles que je lis dans la presse – que pour la première fois, la négociation d'un accord de libre-échange devienne un enjeu politique. Tant mieux si la politique européenne intéresse les Français ! Encore faut-il politiser le sujet à bon escient.

Enfin, quant à la valorisation de l'excellence européenne, si des rapprochements normatifs peuvent s'avérer nécessaires, encore doivent-ils se faire sur les meilleures bases possibles. L'Europe s'est dotée de réglementations environnementales, telles que le règlement REACH, ayant permis à nos entreprises industrielles d'accomplir des efforts de compétitivité. Il est donc évident qu'elles refuseront désormais de se désarmer face aux entreprises américaines. C'est pourquoi il convient de trouver le bon curseur et de conclure un accord fondé sur les normes les plus ambitieuses possibles – car celles-ci deviendront des références mondiales.

Si d'aucuns considèrent que les accords de libre-échange plombent le multilatéralisme, je les perçois davantage comme des leviers puisque tous les États qui ne concluront pas cet accord retrouveront sans doute un intérêt à se réfugier sous l'aile du multilatéralisme.

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