Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis honoré d'être la première personne auditionnée sur ce sujet important. Je vais essayer de synthétiser ce que j'ai appris en préparant mon rapport et, avec l'aide de mes collaborateurs, de répondre à vos questions.
En conduisant ces travaux, j'ai réalisé à quel point la sidérurgie était ancrée dans l'histoire industrielle de notre pays. Il s'agit non seulement d'une question économique, industrielle et technique d'importance, mais aussi d'une tradition très vivace en Moselle. À Florange se trouvent les deux derniers hauts fourneaux (sans compter ceux de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson) d'une région dont l'histoire a été marquée, pendant plus d'un siècle, par la mine et la sidérurgie. Il convient d'avoir cette dimension à l'esprit quand on traite de ce sujet.
La demande d'acier au plan mondial est en croissance continue, de 6 % par an en moyenne – mais cela recouvre deux phénomènes très différents.
D'abord, la demande provient essentiellement d'Asie, surtout de Chine, tandis que le marché européen est en stagnation, voire en érosion. Or, comme l'acier circule peu sous forme de brames, le marché mondial des demi-produits se structure essentiellement suivant les plaques continentales, avec un marché européen, un marché asiatique et un marché américain. La croissance du marché asiatique ne profite donc pas directement à l'industrie européenne.
Ensuite, la crise économique de 2008 a touché de plein fouet le secteur de l'acier, qui alimente de nombreuses industries de transformation, dont la construction, l'industrie automobile et l'emballage. La crise de ces industries a entraîné, suivant les zones, une chute de 30 à 50 % de la consommation d'acier. Aujourd'hui, celle-ci n'est pas revenue à son niveau antérieur : on n'a récupéré que la moitié de la baisse – il faut dire qu'on n'avait jamais produit autant d'acier dans le monde qu'en 2008. Reste que l'Europe se trouve aujourd'hui en surcapacité de production.
Après la crise, on est passé par une période d'attentisme, les opérateurs industriels voulant voir comment les choses allaient évoluer avant de décider s'ils allaient ou non faire redémarrer les installations. En 2011, un certain nombre d'entre eux ont pris conscience que le marché ne reviendrait pas à son niveau antérieur à horizon visible – c'est-à-dire d'ici à cinq ans ; ils ont donc renoncé à maintenir leurs capacités de production en l'état et ont privilégié une logique de restructuration. C'est à ce moment-là que les problèmes ont commencé.
La Chine a joué, indirectement, un rôle majeur dans l'accélération de la crise. Non parce qu'elle aurait alimenté l'Europe en acier, car elle produit essentiellement pour son marché intérieur – en moins de dix ans, elle a accru ses capacités de production d'un volume équivalent à la production sidérurgique européenne ! –, mais parce que l'accroissement de la demande asiatique a eu des répercussions spectaculaires sur les prix des matières premières : celui du charbon à coke a quadruplé, celui du minerai de fer a été multiplié par huit. Les coûts de production s'en sont trouvés considérablement accrus, alors que, dans le même temps, le prix de l'acier ne variait que dans une fourchette de 10 %. D'où une situation de très forte tension.
L'explosion des prix des matières premières a eu pour conséquence de faire basculer la marge des sidérurgistes vers les opérateurs miniers : en 2000, 10 % de la marge générée allait à l'opérateur minier, 90 % au sidérurgiste ; dix ans plus tard, 80 % de la marge va à l'opérateur minier, 20 % au sidérurgiste. Cela contribue à expliquer la stratégie de certains acteurs, comme ArcelorMittal, qui privilégient une logique d'intégration verticale en amont, vers la mine.
Si l'industrie sidérurgique européenne doit aujourd'hui faire face à une situation de surcapacité, elle conserve néanmoins de nombreux d'atouts.
En premier lieu, si, à l'exception de sa frange orientale, elle produit peu de minerai de fer, elle a la chance d'avoir de grandes façades maritimes ; les usines situées près des ports – ce qui est le cas des deux plus grands sites sidérurgiques français que sont Dunkerque et Fos – sont bien placées pour transformer le minerai et produire de la fonte.
Elle dispose ensuite d'un personnel qualifié et d'un fort potentiel de recherche. La sidérurgie ne s'improvise pas. La France non seulement sait faire de la fonte, mais possède des centres de recherche lui permettant de se positionner sur le marché des aciers à haute valeur ajoutée. La chance de la sidérurgie européenne, c'est, d'une part, de disposer en aval d'une industrie consommatrice d'acier, d'autre part, de savoir fabriquer des aciers spéciaux qui se vendent à un prix permettant de rentabiliser les unités de production – alors que sur les marchés de commodités, on vend de l'acier à bas prix.
Plusieurs opérateurs européens sont actuellement en cours de restructuration : ArcelorMittal à Florange et à Liège, ThyssenKrupp en Allemagne. Dans ce contexte, le commissaire européen chargé de l'industrie et de l'entreprenariat, Antonio Tajani, a convoqué une table ronde réunissant les principaux acteurs de la filière et les représentants des États membres afin de dégager des pistes de travail en vue de défendre et de renforcer l'industrie sidérurgique européenne. L'Union européenne s'est emparée du sujet, ce qui est une très bonne chose : dans le cadre d'un marché de plaque continentale, il était important qu'elle se mobilise pour donner le maximum d'atouts à son industrie et pour la protéger contre les aciers produits dans des systèmes économiques inéquitables.
En France, à la suite d'intenses discussions avec l'État, ArcelorMittal s'est engagé à investir dans la sidérurgie française, à conserver sur le long terme les capacités de production des sites de Dunkerque et de Fos et à mettre en oeuvre un plan d'investissement visant à préserver l'outil sidérurgique de Florange. L'État se mobilise pour s'occuper de cette filière, qui se trouve dans une situation complexe.