La réunion

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La séance est ouverte à onze heures.

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Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue pour cette première réunion de la Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie. Nos réunions auront lieu de préférence le mercredi matin ; nous avons fixé pour terme de nos travaux la première semaine de juillet, avec un point d'étape courant mai. Outre les auditions, nous avons prévu des déplacements sur le terrain.

Pour débuter le cycle des auditions, nous recevons ce matin M. Pascal Faure, ingénieur général des mines et, depuis décembre 2012, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services.

Quelques mois avant cette nomination, M. Pascal Faure avait été chargé par le ministre du redressement productif d'une mission sur la filière de l'acier en France et sur l'avenir du site de Florange. Son rapport, rendu public à la fin du mois de juillet 2012, vous a été distribué ; il constituera une base de réflexion très utile pour nos travaux.

Ce rapport, qui a été écrit en moins de deux mois, dresse un état du marché de l'acier en Europe. Il montre en particulier le poids du groupe ArcelorMittal, premier producteur mondial, dont il décrit avec précision les stratégies industrielle et minière. Je vous signale à ce sujet que nous avons convoqué officiellement MM. Mittal père et fils pour une audition à la fin du mois de mars.

Le champ d'investigation de notre commission est vaste. Il porte non seulement sur la stratégie du groupe ArcelorMittal en France et ses conséquences, mais aussi sur la situation et les perspectives de développement des activités sidérurgiques et métallurgiques en Europe, notamment dans les secteurs de l'aluminium et du cuivre. Les nouveaux procédés industriels et l'évolution des produits de ces filières, qui se trouvent actuellement confrontées à la concurrence de la Chine et d'autres grands pays, sont au coeur de notre réflexion. C'est pourquoi nous avons tenu à rencontrer M. Pascal Faure dès le début de nos travaux.

Monsieur le directeur général, vous êtes accompagné de MM. Pierre Angot et Marc Rohfritsch, qui sont des spécialistes de ces questions ; ils ne manqueront pas d'aiguiller notre réflexion sur les pistes de la modernisation d'activités qui ne sont pas seulement, comme on le croit trop souvent, de « vieilles industries » héritières des deux premières révolutions industrielles.

Je vais vous donner la parole pour un bref exposé liminaire, puis notre rapporteur, M. Alain Bocquet, et les autres membres de la Commission d'enquête vous poseront des questions. Mais au préalable, puisque vous êtes auditionné par une commission d'enquête parlementaire, je vous demande, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Faure, Angot et Rohfritsch prêtent successivement serment.

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis honoré d'être la première personne auditionnée sur ce sujet important. Je vais essayer de synthétiser ce que j'ai appris en préparant mon rapport et, avec l'aide de mes collaborateurs, de répondre à vos questions.

En conduisant ces travaux, j'ai réalisé à quel point la sidérurgie était ancrée dans l'histoire industrielle de notre pays. Il s'agit non seulement d'une question économique, industrielle et technique d'importance, mais aussi d'une tradition très vivace en Moselle. À Florange se trouvent les deux derniers hauts fourneaux (sans compter ceux de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson) d'une région dont l'histoire a été marquée, pendant plus d'un siècle, par la mine et la sidérurgie. Il convient d'avoir cette dimension à l'esprit quand on traite de ce sujet.

La demande d'acier au plan mondial est en croissance continue, de 6 % par an en moyenne – mais cela recouvre deux phénomènes très différents.

D'abord, la demande provient essentiellement d'Asie, surtout de Chine, tandis que le marché européen est en stagnation, voire en érosion. Or, comme l'acier circule peu sous forme de brames, le marché mondial des demi-produits se structure essentiellement suivant les plaques continentales, avec un marché européen, un marché asiatique et un marché américain. La croissance du marché asiatique ne profite donc pas directement à l'industrie européenne.

Ensuite, la crise économique de 2008 a touché de plein fouet le secteur de l'acier, qui alimente de nombreuses industries de transformation, dont la construction, l'industrie automobile et l'emballage. La crise de ces industries a entraîné, suivant les zones, une chute de 30 à 50 % de la consommation d'acier. Aujourd'hui, celle-ci n'est pas revenue à son niveau antérieur : on n'a récupéré que la moitié de la baisse – il faut dire qu'on n'avait jamais produit autant d'acier dans le monde qu'en 2008. Reste que l'Europe se trouve aujourd'hui en surcapacité de production.

Après la crise, on est passé par une période d'attentisme, les opérateurs industriels voulant voir comment les choses allaient évoluer avant de décider s'ils allaient ou non faire redémarrer les installations. En 2011, un certain nombre d'entre eux ont pris conscience que le marché ne reviendrait pas à son niveau antérieur à horizon visible – c'est-à-dire d'ici à cinq ans ; ils ont donc renoncé à maintenir leurs capacités de production en l'état et ont privilégié une logique de restructuration. C'est à ce moment-là que les problèmes ont commencé.

La Chine a joué, indirectement, un rôle majeur dans l'accélération de la crise. Non parce qu'elle aurait alimenté l'Europe en acier, car elle produit essentiellement pour son marché intérieur – en moins de dix ans, elle a accru ses capacités de production d'un volume équivalent à la production sidérurgique européenne ! –, mais parce que l'accroissement de la demande asiatique a eu des répercussions spectaculaires sur les prix des matières premières : celui du charbon à coke a quadruplé, celui du minerai de fer a été multiplié par huit. Les coûts de production s'en sont trouvés considérablement accrus, alors que, dans le même temps, le prix de l'acier ne variait que dans une fourchette de 10 %. D'où une situation de très forte tension.

L'explosion des prix des matières premières a eu pour conséquence de faire basculer la marge des sidérurgistes vers les opérateurs miniers : en 2000, 10 % de la marge générée allait à l'opérateur minier, 90 % au sidérurgiste ; dix ans plus tard, 80 % de la marge va à l'opérateur minier, 20 % au sidérurgiste. Cela contribue à expliquer la stratégie de certains acteurs, comme ArcelorMittal, qui privilégient une logique d'intégration verticale en amont, vers la mine.

Si l'industrie sidérurgique européenne doit aujourd'hui faire face à une situation de surcapacité, elle conserve néanmoins de nombreux d'atouts.

En premier lieu, si, à l'exception de sa frange orientale, elle produit peu de minerai de fer, elle a la chance d'avoir de grandes façades maritimes ; les usines situées près des ports – ce qui est le cas des deux plus grands sites sidérurgiques français que sont Dunkerque et Fos – sont bien placées pour transformer le minerai et produire de la fonte.

Elle dispose ensuite d'un personnel qualifié et d'un fort potentiel de recherche. La sidérurgie ne s'improvise pas. La France non seulement sait faire de la fonte, mais possède des centres de recherche lui permettant de se positionner sur le marché des aciers à haute valeur ajoutée. La chance de la sidérurgie européenne, c'est, d'une part, de disposer en aval d'une industrie consommatrice d'acier, d'autre part, de savoir fabriquer des aciers spéciaux qui se vendent à un prix permettant de rentabiliser les unités de production – alors que sur les marchés de commodités, on vend de l'acier à bas prix.

Plusieurs opérateurs européens sont actuellement en cours de restructuration : ArcelorMittal à Florange et à Liège, ThyssenKrupp en Allemagne. Dans ce contexte, le commissaire européen chargé de l'industrie et de l'entreprenariat, Antonio Tajani, a convoqué une table ronde réunissant les principaux acteurs de la filière et les représentants des États membres afin de dégager des pistes de travail en vue de défendre et de renforcer l'industrie sidérurgique européenne. L'Union européenne s'est emparée du sujet, ce qui est une très bonne chose : dans le cadre d'un marché de plaque continentale, il était important qu'elle se mobilise pour donner le maximum d'atouts à son industrie et pour la protéger contre les aciers produits dans des systèmes économiques inéquitables.

En France, à la suite d'intenses discussions avec l'État, ArcelorMittal s'est engagé à investir dans la sidérurgie française, à conserver sur le long terme les capacités de production des sites de Dunkerque et de Fos et à mettre en oeuvre un plan d'investissement visant à préserver l'outil sidérurgique de Florange. L'État se mobilise pour s'occuper de cette filière, qui se trouve dans une situation complexe.

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A-t-on une première idée des orientations du futur plan européen pour l'acier, dont l'annonce vient d'être faite par le commissaire européen Tajani ? S'apparenteront-elles aux mesures prises par la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) à l'époque où l'on considérait que la sidérurgie était en situation de crise manifeste ? Quelles sont les priorités de la France en la matière ? Doit-on s'inquiéter de ce que le groupe ArcelorMittal joue la politique de la « chaise vide » dans les travaux préparatoires au plan ? Cela ne révèle-t-il pas le peu de cas que ce groupe fait d'éventuelles perspectives de développement en Europe ?

Les deux groupes ayant une vocation mondiale et s'impliquant fortement dans le secteur minier, pour des raisons qui semblent plus spéculatives qu'industrielles, peut-on établir un parallèle entre les stratégies européennes d'ArcelorMittal pour la sidérurgie et de Rio Tinto Alcan pour l'aluminium ?

A l'échelle européenne, des restructurations sont-elles envisageables dans le cadre du futur plan acier européen entre sidérurgistes de grande et de moyenne taille ? La santé financière du groupe allemand ThyssenKrupp pose-t-elle au gouvernement allemand un problème aussi grave que la situation d'ArcelorMittal à son homologue français ? Les gouvernements allemand et français évoquent-ils ces questions entre eux ?

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Le groupe de haut niveau sur l'acier réuni à l'initiative de M. Antonio Tajani a démarré d'abord avec les industriels et les partenaires sociaux, puis les États membres ont été invités ; il s'agit d'une dynamique en cours, dont l'objectif est d'aboutir à un plan d'action d'ici au mois de juin. Une réunion du groupe a eu lieu le 12 février, à laquelle le ministre du redressement productif a personnellement participé, de même, notamment, que ses homologues luxembourgeois et belge et que le secrétaire d'État allemand. Le sujet, très politique, intéresse au plus haut point les États européens qui possèdent encore une industrie sidérurgique, comme la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Italie et l'Angleterre, car la sidérurgie constitue l'amont de toute une chaîne industrielle et représente de nombreux emplois : 54 000 en France, dont la moitié chez ArcelorMittal. Les discussions portent sur plusieurs axes – Marc Rohfritsch vous en parlera plus en détail. Toutefois, au stade où nous en sommes, il n'existe pas encore de plan, mais plutôt des pistes de travail, des recommandations.

ArcelorMittal joue-t-il vraiment, comme vous le dites, la politique de la « chaise vide » ? L'industriel est représenté dans le groupe par M. Robrecht Himpe, responsable Europe des aciers plats au carbone : il s'agit d'un des principaux responsables opérationnels d'ArcelorMittal en Europe et du mandataire de M. Mittal. Cependant, il est vrai que, dans le groupe ArcelorMittal, les décisions sont prises au plus haut niveau et que si l'on veut connaître la position du groupe, il vaut mieux rencontrer MM. Mittal père et fils !

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Marc Rohfritsch, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés

Un document contenant l'ensemble des recommandations du groupe de haut niveau a été remis à l'issue de la table ronde du 12 février ; il balaye la palette des outils dont dispose la Commission européenne afin de répondre aux problèmes de l'industrie sidérurgique en matière de défense commerciale, de coût de l'énergie, de contraintes législatives et réglementaires, etc. Ce document brosse également un état du secteur : on y voit clairement qu'il existe un énorme différentiel de compétitivité entre les industriels européens et les autres ; pour le réduire, il faudrait jouer sur une série de politiques : politique du climat, avec la contrainte carbone ; politique de la recherche et développement – notamment pour élaborer les nouveaux procédés d'élaboration des aciers à faible teneur en carbone ; politique de l'emploi, avec le fonds européen d'ajustement à la mondialisation et les fonds d'aide aux sites en reconversion. Dans ce document, on examine point par point ce qui pourrait être proposé afin d'améliorer la situation des industriels européens.

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Les enjeux ne sont pas exactement les mêmes pour Rio Tinto Alcan et pour ArcelorMittal ; cependant, il est certain que les marges proviennent aujourd'hui davantage de l'exploitation des mines que de la production d'acier. Les marchés européens sont saturés – et ils le resteront durablement, car la croissance démographique est faible, les perspectives de croissance économique sont réduites, le marché est déjà équipé en biens consommant de l'acier ou de l'aluminium, ces matériaux se trouvant en compétition l'un avec l'autre sur certaines applications, ou avec d'autres matériaux comme les matériaux composites ou le plastique. Aujourd'hui, les constructeurs automobiles achètent de l'acier en faible quantité, mais ils exigent qu'il soit plus résistant et plus léger.

Pour améliorer leurs marges, les sidérurgistes doivent donc soit investir en amont, dans la mine – et l'on peut se demander à bon droit si cela procède d'une logique d'intégration industrielle ou d'une logique purement spéculative –, soit se positionner, à l'aval, sur des produits à haute valeur ajoutée.

ArcelorMittal a-t-il privilégié la logique spéculative ? Nous nous sommes posé la question. En toute honnêteté, je ne pense pas qu'on puisse l'en accuser, dans la mesure où les marges dégagées grâce à la mine ont permis de soutenir les investissements dans la sidérurgie ; dans une certaine mesure, la mine a servi la sidérurgie. La question est maintenant de savoir si M. Mittal va continuer à investir dans son outil sidérurgique ou s'il va le laisser en déshérence, jusqu'au jour où il sera forcé de constater qu'il n'a pas d'autre choix que de l'arrêter. Les cycles d'investissement étant particulièrement longs dans la sidérurgie – ils durent environ vingt ans –, on peut s'abstenir d'investir durant quelques années en faisant croire que tout va bien, et se retrouver ensuite avec un outil vieillissant. C'est pourquoi l'État a insisté auprès de M. Mittal pour qu'il prenne des engagements en matière d'investissements sur les sites sidérurgiques. Il était logique qu'il décide de maintenir Dunkerque et Fos, car il s'agit de sites stratégiquement importants : Dunkerque est probablement le meilleur site européen ; quant à Fos, il fournit tous les marchés du sud de l'Europe – aujourd'hui sinistrés, mais cela ne durera pas. En revanche, il fallait impérativement obtenir des assurances concernant les sites secondaires, comme Florange, où M. Mittal s'est engagé à investir 180 millions d'euros. Il ne faut pas faire de procès d'intention à l'entreprise – même si la vigilance s'impose.

L'aluminium a connu une évolution à peu près comparable. L'Asie, notamment la Chine et le Moyen-Orient, a fortement augmenté ses capacités de production ; la France ne produit plus que 1 % de l'aluminium mondial. Le facteur structurant, c'est le coût de l'énergie : c'est en grande partie en fonction de lui que l'on pourra ou non préserver les capacités de production en Europe.

« Restructuration industrielle » est un pléonasme ! Une industrie qui n'évolue pas se condamne elle-même. L'histoire de la sidérurgie européenne est d'ailleurs faite de restructurations : Arcelor, puis ArcelorMittal résultent d'une série d'agrégations et de consolidations. En revanche, il convient de procéder aux restructurations à bon escient, en respectant les cycles d'investissement et en intervenant sur des marchés en croissance ; le jour où l'on n'est plus en phase avec les marchés, les outils industriels sont condamnés.

Je pense pour ma part qu'il y a de la place pour deux types d'opérateurs sidérurgiques en Europe.

D'abord, ceux qui, comme Voestalpine, Salzgitter ou Dillinger, ne produisent en Europe que 3 à 5 millions de tonnes d'acier par an – contre 15 millions pour ArcelorMittal et 16 millions pour ThyssenKrupp –, mais qui sont positionnés sur des marchés très spécialisés. Par exemple, Dillinger a fabriqué les tôles fortes épaisses utilisées pour le viaduc de Millau – il n'a que deux ou trois concurrents en Europe – et Voestalpine produit toujours localement une partie de son minerai et s'intéresse essentiellement à des marchés à haute valeur ajoutée.

Ensuite, les gros opérateurs intégrés. On peut comparer de ce point de vue la façon dont ArcelorMittal et ThyssenKrupp se sont structurés. ArcelorMittal s'est construit par agrégations successives, le groupe s'efforçant de réunir sous la même bannière des sites très dispersés – il est aujourd'hui le plus éclaté à travers l'Europe ; ThyssenKrupp, en revanche, produit toute sa fonte à Duisbourg, en Allemagne, et l'acier pour emballage à Rasselstein, ce qui lui permet de réaliser d'importantes économies d'échelle. Toutes choses égales par ailleurs, un dispositif industriel intégré est en général plus rentable économiquement – même s'il faut tenir compte de la proximité du client. Cependant, ArcelorMittal n'a peut-être pas mené sa logique de rationalisation à son terme.

Pour remédier à la surcapacité de production actuelle, il faudra probablement que ces grands groupes abandonnent les sites européens les plus anciens et les moins rentables – notamment en Europe de l'est –, qu'ils définissent un certain nombre de sites stratégiques et qu'ils investissent massivement dans ceux-ci.

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Le coût de l'électricité représente 40 % du prix de l'aluminium. Alors que Tinto Rio Alcan peut se faire payer un barrage au Canada, les règles européennes en vigueur interdisent aux États membres d'aider directement leur industrie ! La réglementation européenne est-elle vraiment adaptée ? Le consortium Exeltium, mis en place et financé par de grands groupes industriels « électro-intensifs », n'est-il pas dans l'impasse ?

Pourriez-vous nous donner des précisions sur l'application de l'accord entre l'État et ArcelorMittal relatif au site de Florange ? De quels moyens les pouvoirs publics disposent-ils pour en contrôler la mise en oeuvre ? L'action du comité de suivi est-elle efficace ?

Que pensez-vous des transferts de charges entre sites, notamment entre Liège et Dunkerque et entre Basse-Indre et Florange ?

Pourriez-vous approfondir la question de la spécialisation dans des « niches » de produits à haute valeur ajoutée ? L'ancien bassin de Sheffield, au Royaume Uni, serait un bon exemple de cette démarche.

Est-il exact, comme nous l'ont dit des syndicalistes, que des brames ont été pour la première fois importées de Chine ?

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Marc Rohfritsch, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés

L'Europe a décidé de libéraliser le marché de l'énergie. La conséquence, dans la plupart des pays, a été une augmentation du prix de l'électricité pour le consommateur. L'explication de la Commission européenne est que, comme le marché n'est pas totalement libéralisé, il existe des freins à l'établissement d'un prix de marché uniforme qui expliqueraient les distorsions actuelles ; il faut donc attendre encore quelques années pour voir les effets de la libéralisation.

Exeltium comprend deux étapes. Le premier consortium, mis en place en 2008, a permis à un groupe d'industriels « électro-intensifs » de souscrire à des tranches d'énergie à un prix qui, certes, n'a cessé d'augmenter – de 35 à plus de 40 euros le mégawatt-heure –, mais qui a l'avantage de la prévisibilité, ce qui est un atout important sur un marché fluctuant. Exeltium 2 semble effectivement être dans l'impasse. Toutefois, mon équipe n'étant pas chargée de suivre ces sujets – du ressort de la direction générale de l'énergie et du climat –, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus.

Ce ne sont pas seulement les règles européennes qui sont en cause, mais aussi l'arbitrage réalisé entre le prix de vente au consommateur individuel (vous et moi) et le prix de vente au consommateur professionnel (par exemple l'industriel). En France, on a plutôt fait le choix d'un prix de l'électricité assez bon marché pour les particuliers. D'autres pays ont fait différemment : le Canada, par exemple, a mis en place un tarif spécifique pour les « électro-intensifs », lié à la production hydroélectrique. On peut effectivement se demander si la « rente » de l'hydroélectricité française doit profiter à l'ensemble des consommateurs ou s'il ne serait pas préférable de la concentrer sur quelques cibles stratégiques.

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Une chose est sûre : il ne reste plus que deux sites producteurs d'aluminium en France. Leurs contrats de fourniture d'énergie arrivent prochainement à expiration et les conditions de leur renouvellement sont un enjeu majeur pour la survie des sites. Sur la trentaine de sites producteurs d'aluminium que comptait il n'y a pas si longtemps l'Europe, dix ont disparu, dix sont menacés et ceux qui restent risquent de se trouver concentrés dans un très petit nombre de pays, comme l'Islande.

L'application de l'accord entre l'État et ArcelorMittal fait actuellement l'objet de discussions entre la direction et les salariés au sein du comité central d'entreprise – qui est l'instance légitime pour prendre certaines décisions. Il reste que l'État a obtenu de M. Mittal un certain nombre d'engagements écrits et qu'il convient de veiller à ce qu'ils soient respectés à travers le dialogue social ; certains ont trait aux investissements, d'autres à la gestion des salariés – sachant qu'à Florange, la pyramide des âges est plutôt favorable, dans la mesure où 20 % des employés doivent partir à la retraite dans les deux ou trois prochaines années. Il a donc été mis en place un comité de suivi local, sous l'égide de l'ancien sous-préfet de Thionville, M. François Marzorati, qui suit le dossier depuis plusieurs années.

Il est de l'intérêt de tous que le comité de suivi joue correctement son rôle ; si l'on décèle des divergences entre ce qui était prévu et ce qui est fait, il faudra l'évoquer au plus haut niveau. J'ai longuement discuté avec les cadres d'ArcelorMittal chargés du dossier et je pense que l'on a la chance d'avoir au sein de la division ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (qui comprend notamment les sites de Dunkerque et Florange) des responsables compétents et fiables. Il devrait être possible d'établir un dialogue de qualité avec le management local de l'entreprise. Il faut rester vigilant, bien sûr, mais tous les éléments sont réunis pour que cela se passe bien. Il faut le dire aux 2 600 employés de Florange, qui sont très inquiets, non seulement en raison des menaces qui pèsent sur leurs emplois, mais aussi parce que cela fait des années qu'ils n'ont plus aucune visibilité sur l'avenir – et chacun sait à quel point cela peut être anxiogène.

Le problème pour ArcelorMittal, étant donné l'état du marché, est de répartir la charge de travail et de définir d'éventuelles spécialisations pour les sites. Si ceux-ci sont soumis aux mêmes enjeux, ne nions pas qu'il existe aussi une certaine concurrence entre eux : Liège et de Florange fabriquent en partie les mêmes produits. Sans jouer les uns contre les autres, il ne faut pas être naïf : tout le monde n'arrivera pas à sauver l'essentiel.

J'estime que Dunkerque est actuellement le meilleur site d'ArcelorMittal en Europe. Après l'avoir été pendant des années, Fos vit en ce moment une période de transition, avec un changement de génération et la perte des savoir-faire initiaux. Florange dispose d'atouts incontestables, les deux principaux étant la proximité des clients – l'industrie automobile, pour une grande part – et son savoir-faire en matière d'aciers de haute technicité. L'emballage pose plus de problèmes, car le marché est difficile, les marges sont très faibles, et l'acier est concurrencé par d'autres produits, comme l'aluminium. Si vous utilisez une canette ou une boîte de conserve, vérifiez avec un petit aimant : vous verrez qu'il y a moins d'acier qu'on ne le pense ! En France, les activités d'emballage sont implantées à Basse-Indre et à Florange. La décision de transférer l'amont de la chaîne de production de Basse-Indre à Florange pour la mutualiser ne remet pas en cause l'avenir du site, bien au contraire – quoiqu'il existe une incertitude concernant l'utilisation du chrome hexavalent, qui fait partie des substances dont le règlement Reach a prévu l'interdiction : un investissement sera donc nécessaire si l'on veut maintenir intacte la capacité de production de Basse-Indre. D'autre part, il m'a été dit que les emplois touchés par ce transfert seraient des emplois non permanents : cela ne nuira pas structurellement à l'entreprise. Le dispositif français ne semble pas menacé.

Ce qui permettra à l'Europe de s'en sortir, malgré l'absence de mines et avec des coûts de production qui ne seront jamais aussi compétitifs que ceux de l'Asie ou de l'Amérique du Sud, c'est la recherche et développement (R & D) et sa capacité d'innovation. Il serait illusoire de penser que, pour vendre de l'acier, il suffit de produire de la fonte : cet acier-là se vend au prix le plus bas du marché et, dans ce domaine, l'Europe sera toujours mal placée. Elle devrait plutôt se positionner sur les marchés de niche, comme ceux des tôles fortes, des câbles particuliers ou des aciers à haute technicité. L'évolution de la société fait que l'on aura de plus en plus besoin de tels produits. Or tout le monde ne sait pas les fabriquer ; la force de la France et de l'Europe est de disposer d'une longue tradition en la matière. Il importe de la conserver et d'investir dans ce secteur – donc de ne pas sacrifier la recherche. Il convient d'être vigilant, car tous les centres de recherche, du fait des agrégations successives, se trouvent aujourd'hui au sein d'ArcelorMittal.

S'agissant des brames, j'ignore s'il y a eu des importations en provenance de Chine.

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Marc Rohfritsch, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés

De Chine, nous d'avons pas d'informations en ce sens, mais en provenance de Russie, oui : Severstal en a fourni des quantités limitées, équivalant à peu près à une semaine de production de Florange, à des prix extrêmement bas, afin de faire face à une situation particulière.

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Le marché est limité – 30 millions de tonnes dans le monde –, parce que la brame circule peu. En revanche, l'entrée de la Russie dans l'OMC va amener ce pays, qui a des coûts de production relativement faibles, à alimenter l'Europe en produits en aluminium et en acier à bas prix. Le coût du transport n'étant pas très élevé, il s'agit d'une réelle menace sur le marché des commodités.

Quant à la Chine, c'est à plus long terme qu'il faudra être vigilant, car quand le marché intérieur aura atteint son seuil d'équipement, elle deviendra surcapacitaire et cherchera à écouler son acier, sous la forme non de brames, mais de bobines ou d'aciers transformés à plus forte valeur ajouté.

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Monsieur Faure, je souhaite vous remercier pour votre contribution dans l'affaire Florange.

J'abonderai dans votre sens : on produit à Florange, à Hayange et dans toute la vallée de la Fensch de l'acier de très haute qualité. Ce n'est pas un désert industriel ! L'acier Usibor a été imaginé pour toutes les voitures actuellement en phase de conception ; si l'investissement est fait à Florange, on peut penser que les débouchés seront assurés, en raison de la proximité des constructeurs automobiles. De même, à Gandrange, il existe encore un laminoir à couronnes et barres (LCB) – certes approvisionné par les fourneaux de Duisbourg. Dans cette vallée, on produit également des rails pour les lignes à grande vitesse (LGV), que l'on exporte jusqu'en Inde et qui sont parmi les plus performants au monde.

J'ignore si l'accord passé avec M. Mittal garantit la pérennité de tous ces outils. ArcelorMittal dispose en France d'un tel monopole qu'il peut faire pratiquement ce qu'il veut. Cela étant, ce qui se passe en Belgique montre qu'il faut faire des choix et, de ce point de vue, l'accord est plutôt positif pour la filière à froid lorraine. Il reste maintenant à le faire respecter.

Ce sont les derniers hauts fourneaux de Lorraine qui vont fermer. Cela entraînera, directement ou indirectement, la suppression de 1 500 emplois ; ces personnes ne se retrouveront pas toutes au chômage, mais les emplois ne seront pas remplacés du jour au lendemain. ArcelorMittal fait l'économie d'un plan social, mais aussi de l'obligation de remplacer les emplois supprimés, comme l'impose la loi de modernisation sociale. Quant aux intérimaires et aux sous-traitants, ils ont disparu depuis longtemps…

La production européenne d'acier est passée en quelques années de 180 millions à 145 millions de tonnes. Si elle revenait au niveau antérieur, ces hauts fourneaux ne manqueraient-ils pas ? Dans la vallée de la Fensch, la fonte vient de Duisbourg pour le LCB, de Dunkerque pour Usibor et d'Angleterre pour Tata Steel. Ne risque-t-on pas d'hypothéquer l'avenir en cas de reprise ?

L'accord prévoit la mise sous cocon des hauts fourneaux dans l'attente d'une éventuelle mise en oeuvre d'ULCOS, ce projet innovant qui permettra de réduire de moitié les émissions de CO2 et d'améliorer la productivité énergétique. Comment va-t-on procéder ? Doit-on conserver les cowpers en chauffe ou faudra-t-il de toute façon les remplacer ? Les avis sur la question divergent.

Aujourd'hui, le prix de la tonne de CO2 est tellement bas qu'ULCOS ne semble plus intéresser grand monde. Qu'en est-il ? Est-il réaliste de laisser les hauts fourneaux en friche pendant des années dans l'attente d'une hypothétique réutilisation dans le cadre d'ULCOS – qui prévoit de toute façon la reconstruction de l'un d'eux ?

L'hypothèse d'une éventuelle reprise du site a fait l'objet d'un intense débat, tant politique que technique. Le repreneur potentiel, Duferco, était un opérateur industriel, et non un financier. Si ce scénario avait été retenu, on peut se demander si cela aurait permis de préserver ArcelorMittal Research et de récupérer les brevets, et si d'autres emplois en Lorraine et en France n'auraient pas été menacés – ce sur quoi ArcelorMittal a probablement joué.

D'autre part, le repreneur potentiel m'a confirmé qu'il pensait pouvoir produire de l'acier à des prix inférieurs à ceux du marché – qui sont fixés par ArcelorMittal, grâce à sa situation de quasi-monopole. Cela ne gênait-il pas tout le monde, y compris les petits producteurs qui tirent avantage de la situation actuelle ?

Rappelons enfin que le siège d'ArcelorMittal se trouve au Luxembourg. L'intérêt de ce dernier est qu'ArcelorMittal reste puissant ; c'est également celui de l'Allemagne, parce qu'ArcelorMittal n'y est pas en situation de monopole et que le système de la cogestion l'empêche de fermer des sites. La France ne se trouve pas dans la même situation : notre talon d'Achille, c'est qu'ArcelorMittal détient chez nous un monopole. Notre choix était donc restreint – mais il fallait tenter de sauver l'essentiel.

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Je précise que M. Michel Liebgott est le président du groupe d'études sur la sidérurgie, qui sera chargé du suivi de l'application des recommandations de la Commission d'enquête.

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La question de l'aluminium concerne directement ma circonscription. S'il ne reste plus que deux sites de production en France, les activités de recherche et développement y sont toujours très importantes, notamment en termes d'emploi et de dynamisme économique. A Voreppe, dans l'Isère, est implanté un centre de recherche et développement et le siège social de la branche aluminium de Rio Tinto Alcan, dont les fonctions support concernent aussi bien l'Europe que l'Afrique et qu'une partie du continent américain. Or il semble que Rio Tinto cherche à réduire ses activités de R & D, puisqu'il est question de licencier 30 % du personnel sur le site de Voreppe. D'après le cabinet Secafi, Mittal souhaite lui aussi réduire de 15 % ses activités de R & D en France. Voilà qui augure mal de l'avenir de la sidérurgie et de la filière aluminium en France ! Qu'en pensez-vous ?

D'autres similitudes apparaissent, qui concernent les méthodes de travail. Une table ronde sur l'avenir de la filière aluminium en France a été réunie la semaine dernière et des groupes de travail ont été créés ; ils doivent remettre leurs propositions pour juin. Ne sera-t-il pas trop tard ? Le groupe Rio Tinto Alcan a annoncé qu'il préciserait à l'automne le volume des licenciements concernant la R & D et les fonctions support. Quel sera le rôle des groupes de travail ? S'agit-il d'un simple écran de fumée ou auront-ils une réelle influence sur l'avenir de la filière ?

Peut-on compter sur les engagements d'ArcelorMittal, vu ce qui s'est passé avec le projet ULCOS ?

Pour la production d'aluminium, le coût de l'énergie est déterminant. Or, bien que l'aluminium se recycle sans problème, la filière du recyclage n'est pas très développée en France. Ne conviendrait-il pas de s'engager dans cette voie ?

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L'inconnue, c'est l'attitude de M. Mittal et sa capacité à respecter ses engagements. Le 31 juillet dernier, lors des questions au Gouvernement, j'avais interrogé M. Montebourg sur une éventuelle entrée de l'État au capital des sociétés sidérurgiques. Dans sa réponse, le ministre avait fait référence au rapport de M. Faure et annoncé qu'un dialogue serait engagé au plus haut niveau afin d'infléchir les décisions prises en défaveur de l'Europe. Il semblerait que la création du comité de suivi réponde à cette volonté ; mais a-t-on abandonné l'hypothèse d'un engagement fort de l'État et d'un contrôle financier sur les activités du groupe ?

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

Le plan d'investissement qui a été négocié à Florange et dont l'application est surveillée par le comité de suivi a des résultats concrets, dont la presse s'est faite l'écho. Le lancement il y a quelques jours d'Usibor grande largeur, acier de haute qualité destiné à l'industrie automobile, est ainsi le résultat d'investissements récents ; d'autres seront réalisés par exemple pour remplacer les moteurs du train à chaud en vue de produire cet acier avec une meilleure productivité. C'est une bonne nouvelle, car il s'agissait d'un point délicat dans les négociations avec ArcelorMittal : comme cela concernait la partie amont du processus de fabrication, M. Mittal ne voulait pas se lier les mains.

Il convient toutefois de rester vigilant : le passé l'a montré, les promesses n'engagent pas tout le monde de la même manière. Cependant, il existe une feuille de route et tout doit être fait pour qu'elle soit mise en oeuvre. Si cela ne marche pas, je pense que l'État prendra ses responsabilités.

ArcelorMittal détient presque la moitié des parts du marché de l'acier pour l'automobile : cela a des effets structurants ! La concentration étant appelée à se renforcer en Europe, il faudra veiller à ce qu'un acteur n'ait pas la capacité de privilégier une politique de prix élevés sur une politique de volume, c'est-à-dire de gérer la pénurie du marché pour maintenir des prix élevés. A moyen terme, c'est très risqué, car si un nouvel arrivant casse les prix, tout s'effondre !

Néanmoins, l'hypothèse que le marché de l'acier revienne à son niveau de 2008 ne paraît guère crédible. Le challenge, qui concerne l'aluminium comme l'acier, porte sur la filière de recyclage. La France exporte de la ferraille, notamment vers ses voisins européens, et ne recycle qu'un tiers de l'acier qu'elle produit, contre les deux tiers pour les États-Unis ! Il faudrait développer la filière du traitement des véhicules hors d'usage. Il y a là un gisement mal exploité ; idem pour l'aluminium, qui se recycle quasi-indéfiniment à qualité presque constante.

Il est vrai que si l'on refroidit les hauts fourneaux, on les fragilisera, mais la mise sous cocon est la moins mauvaise solution pour maintenir durablement à l'arrêt l'outil industriel et éviter qu'il ne soit détruit par le gel. De toute façon, les deux hauts fourneaux de Florange arrivaient en fin de cycle d'investissement et avaient besoin d'une rénovation lourde dans un horizon de trois ans.

L'effondrement du cours du CO2 a été dramatique pour ULCOS : alors que le projet avait été établi sur la base d'une tonne à 30 ou 40 euros, elle se négocie aujourd'hui à 3 ou 4 euros, soit dix fois moins ! Aucun modèle économique ne peut résister à cela. Il existe en outre des incertitudes techniques : avant de vouloir l'appliquer à Florange, le procédé devait être testé sur un haut fourneau de taille intermédiaire. On ne l'a expérimenté que sur un haut fourneau de laboratoire, il reste des obstacles à lever avant de passer à l'échelle industrielle. Un groupe de recherche travaille d'ailleurs sur le sujet. D'autres incertitudes portent sur le coût, sur le financement, ainsi que sur la capacité du système à stocker le CO2 – ce qui remettrait en cause le financement européen. Bref, il faut retravailler le projet, et se donner du temps ; dans cette perspective, la mise sous cocon semble une phase nécessaire.

Le ministre a ouvert la semaine dernière un chantier sur l'avenir de l'aluminium en France, qui réunit tous les acteurs de la filière : industriels, fédérations, représentants du personnel. L'objectif est de définir d'ici à juin un plan d'action de filière, établi à partir des travaux menés dans les cinq groupes de travail installés à l'issue de la table ronde ; ils portent respectivement sur la stratégie pour la filière – notamment à l'export –, les emplois et compétences, l'efficience énergétique, la recherche et l'innovation, le recyclage.

La R & D est stratégique. Si l'on constate une érosion des centres de recherche, il convient de réagir. Il peut se produire des regroupements et des évolutions, mais le potentiel de recherche ne doit pas être affaibli.

Quant à une éventuelle reprise du site de Florange, on verra si elle s'impose. Pour l'heure, commençons par mettre en oeuvre la feuille de route !

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Vous estimez que le site de Florange dispose d'atouts importants en raison de la proximité des clients et de son savoir-faire. Dans votre rapport de juillet dernier, vous affirmiez que le site était rentable ; à la mi-décembre, une note interne signée par la direction du groupe et transmise par la CFDT jugeait qu'il était même l'un des plus rentables du groupe sidérurgique. Qu'en est-il aujourd'hui ? Avez-vous des éléments nouveaux à nous apporter ?

À la page 59 de votre rapport, vous indiquez que le centre de recherche ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz est le plus important du groupe et qu'il était probablement l'une des principales raisons de l'intérêt de Mittal pour la reprise d'Arcelor. Lors d'une précédente audition, des représentants des syndicats ont évoqué un abandon du financement de la R & D chez ArcelorMittal. Comment l'expliquez-vous ?

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Quelles relations entretiennent ArcelorMittal et ThyssenKrupp ?

Quels sont les échanges entre les pays européens ? Qui fournit l'industrie automobile allemande ? Est-ce ArcelorMittal ? Comment fonctionnent les autres pays européens ?

Existe-t-il encore des mines à exploiter en Europe ? Le fait que Mittal en ait acheté à prix fort en Russie n'obère-t-il pas ses finances ? Son mauvais bilan n'est-il pas dû à ses investissements dans les mines et à son endettement plutôt qu'à l'activité sidérurgique elle-même ?

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Dans votre rapport, vous jugez que l'effort d'investissement d'ArcelorMittal à Florange était jusqu'ici insuffisant et qu'il serait nécessaire d'investir 80 millions d'euros par an. ArcelorMittal s'engage aujourd'hui à investir 180 millions d'euros sur cinq ans : on est loin du compte !

C'est à une fausse mise sous cocon que l'on procède ! Hier, plusieurs « cowpers » se sont éteints parce que, pour une question de coût, les hauts fourneaux sont alimentés par du gaz de cokerie et non par du gaz naturel. Le gaz de cokerie provoquant des détériorations, les cowpers vont s'éteindre petit à petit et la mise sous cocon devra être stoppée. Que peut-on faire ? La déception a déjà été très grande quand ArcelorMittal a annoncé l'abandon du projet ULCOS ; il faut impérativement que les hauts fourneaux soient maintenus sous cocon le temps de travailler sur un nouveau projet. N'y a-t-il pas décalage entre le discours et la réalité ?

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

La réalisation d'ULCOS implique de toute façon la réfection complète d'un haut fourneau ; qu'il soit sous cocon, arrêté ou dégradé ne changera techniquement pas grand-chose. L'avantage du projet, dans sa phase précédente, était que l'on procédait immédiatement et simultanément à la rénovation du haut fourneau, à la mise en place du nouveau procédé et à l'exploitation.

Vous avez raison, madame Grommerch : il existe un très fort écart entre les 180 millions d'euros d'investissements annoncés et ce qui était indiqué dans mon rapport. Toutefois, l'assiette n'est pas la même : le rapport évoquait les investissements globaux nécessaires, alors que les 180 millions portent uniquement sur le train à chaud et sur la filière froide, et non sur ce qu'on appelle la phase liquide, qui est également très onéreuse. Je considère donc que cette somme est raisonnable.

Je n'ai pas donné de chiffres précis sur la rentabilité du site, car ils auraient été une source de polémique, qui auraient nuit à l'exploitation du rapport. Néanmoins, le handicap de Florange, qui est l'éloignement de la mer, est compensé par sa très forte intégration : toutes les installations sont sur place ; voilà pourquoi j'ai écrit que le site était viable. Quant à la note interne, je n'en avais pas eu connaissance à l'époque de la rédaction du rapport. Je pense que le site de Florange a un sens, avec ou sans hauts fourneaux, mais à une condition : qu'il soit exploité par un opérateur de sidérurgie capable, grâce à de la R & D ou à des brevets, d'entretenir son point fort, qui est la production d'aciers de haut de gamme ; cela suppose des investissements réguliers.

Le marché européen est dominé par deux acteurs. Or, par précaution, les clients, notamment dans l'automobile, préfèrent disposer d'une double source d'approvisionnement, afin de pouvoir faire face à tout type de problème. En conséquence, ArcelorMittal a cédé à ThyssenKrupp l'exploitation sous licence de certains brevets, notamment celui de l'Usibor. Au plan mondial, le principal partenaire d'ArcelorMittal reste toutefois Nippon Steel ; ils viennent d'ailleurs de faire une offre conjointe pour l'acquisition d'une usine sidérurgique appartenant à ThyssenKrupp aux États-Unis.

Pour des raisons de concurrence, les liens s'établissent plutôt entre opérateurs situés sur des continents différents. Il n'était pas de l'intérêt de M. Mittal que le site de Florange soit repris par un tiers ; c'est pourquoi il n'a rien fait pour promouvoir une éventuelle cession. Le ministre a décidé de lancer le processus de reprise pour ne pas perdre une chance de réussir ; nous avons démarché plus de cent sidérurgistes dans le monde, mais sans succès.

Monsieur Hutin, je ne vois pas quelles mines pourraient être exploitées de manière rentable en Europe – hormis en Russie ou en Ukraine.

ArcelorMittal est très fortement endetté. Cet endettement se conjuguant avec de récentes pertes, le groupe a commencé à céder ses actifs – notamment une participation dans l'une de ses plus belles mines au Canada. Si la reprise ne vient pas, il sera probablement conduit à poursuivre avec de nouvelles cessions.

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Marc Rohfritsch, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés

La dette d'ArcelorMittal, colossale, pèse en effet très lourd ; après s'être élevée jusqu'à près de 25 milliards de dollars, elle s'établit aujourd'hui autour de 20 milliards. Elle est notamment due à l'achat d'actifs miniers en haut de cycle ; cela a coûté très cher à ArcelorMittal, mais étant donné la situation d'oligopole de trois sociétés dans le commerce international de minerai de fer, il s'agissait d'une question cruciale pour le groupe.

À la fin de l'année 2012, ArcelorMittal a levé 4 milliards de dollars par une offre combinée d'actions et d'obligations. Sa trésorerie est bonne. Bien que la note de sa dette ait été dégradée en catégorie spéculative, les analystes financiers considèrent qu'elle reste soutenable. ArcelorMittal examine même la possibilité de racheter, en partenariat avec un autre sidérurgiste, les actifs de ThyssenKrupp aux États-Unis, dont la valeur se situerait entre 1,5 et 2 milliards d'euros. L'objectif est de ramener d'ici trois à quatre ans la dette à un niveau permettant à ArcelorMittal de sortir de la catégorie spéculative et de pouvoir se financer à des taux plus intéressants.

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Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS

La note d'ArcelorMittal est comparable à celle de ThyssenKrupp et des autres sidérurgistes : ils sont nombreux à être mal notés.

La séance est levée à midi quarante-cinq.