Intervention de Vincent Peillon

Séance en hémicycle du 4 juin 2013 à 21h30
Refondation de l'école de la république — Article 38, amendement 326

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

La vraie question, comme vous l'avez dit, est de savoir comment développer l'apprentissage dans notre pays. De 2002 à 2012, vous aviez fixé un objectif très ambitieux : passer de 400 000 à 800 000 apprentis. Or la hausse n'a été que de 10 000 jeunes en apprentissage supplémentaires ! Je me souviens de débats avec Xavier Bertrand, qui, à la fin de la législature précédente, voulait relancer l'apprentissage : il n'y arrivait pas.

Je suis pour ma part d'accord avec cet objectif. Je me demande comment développer l'apprentissage, mais je pense – c'est le sens de toute notre réflexion sur l'école – que le premier travail à mener, pour sortir de ces blocages, c'est d'analyser les obstacles aux réformes françaises. Ces obstacles ont entravé l'action de tous les gouvernements : en matière d'école, nous savons tous de quoi il est question ! C'est pour cela – je vous l'ai dit à plusieurs reprises – que notre réforme est efficace, en ce qu'elle propose des objectifs simples mais qui n'ont pas encore été essayés, comme de donner la priorité au primaire.

Pour ce qui est de l'apprentissage, pourquoi une simple augmentation de 10 000 contrats malgré un discours très volontariste ? Votre discours était très volontariste quant aux objectifs, mais je crois également – je l'ai déjà dit – qu'il était sincère quant au modèle qu'il entendait promouvoir. La raison de cet échec est, elle aussi, simple : la tradition française, y compris dans les entreprises, n'est pas favorable à cette formule. On le voit avec les jeunes de quatorze ans, ou même ceux de quinze ans : la formule de l'apprentissage n'a pas le succès qu'elle mérite dans le monde professionnel. Cela fonctionne dans certaines branches, mais pas dans beaucoup d'autres branches.

Pour notre part, nous voulons créer 20 000 places d'apprentissage sous statut scolaire pour cette année. Voilà quelle est la bonne démarche ! Vous nous dites que nous avons des préjugés contre les formations en alternance, mais c'est faux. C'est précisément le fait que l'apprentissage est réalisé sous statut scolaire qui nous permet d'agencer l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences avec le stage en entreprise.

Deuxièmement, vous devez garder en tête la question du décrochage. Vous nous dites que des jeunes sont malheureux dans le système scolaire. L'Institut de la jeunesse et de l'éducation populaire vient de communiquer des chiffres alarmants : c'est une véritable catastrophe nationale ! 1,9 million de jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Parmi eux, 900 000 – on le voit en zone urbaine, en zone périurbaine – ne se raccrochent à aucun dispositif, ne cherchent même plus !

Ce sont 150 000 « décrocheurs » qui sortent chaque année du système éducatif sans qualification. Nous venons d'en « raccrocher » 20 000 grâce au système que nous avons mis en place, sur la base des plateformes de lutte contre le décrochage scolaire qui ont été construites auparavant. Il est donc possible d'agir, à condition de mettre en place de bons dispositifs, qui peuvent remettre ces jeunes en mouvement par une formation, ou par un stage.

Je ne vous fais pas de procès d'intention, mais vraiment, je ne pense pas que nous ayons des blocages idéologiques ! Je pense au contraire qu'il s'agit d'un objectif très important pour la France.

Il faut aussi analyser les raisons de ces échecs, et essayer d'y remédier. Permettez-moi de vous dire en toute sincérité, sans posture, que si j'avais cru une seule seconde que le dispositif permettant l'accès à l'apprentissage dès quatorze ans était valable, je n'aurais pas cherché à le supprimer. Je ne l'aurai pas plus supprimé que les plateformes de soutien aux décrocheurs, que j'ai au contraire saluées ! Il en va de même avec l'article 7 de ce projet de loi, qui porte sur le dispositif Robien. Hier, vous vouliez l'annuler. Ce cas de figure n'est pas très éloigné de celui dont nous discutons, car ce dispositif n'a pas donné de résultats.

J'ai salué la constitution de 350 plateformes de soutien aux décrocheurs en reconnaissant que sur ce point l'action de la précédente majorité a été positive. Quant au dispositif concernant les jeunes de quatorze ans dont nous discutons, il ne me paraît pas bon. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas le remplacer par un autre dispositif !

Dernier point, à propos du parcours d'orientation. Vous savez, la grande affaire de l'enseignement professionnel, c'est de permettre aux jeunes gens et aux jeunes filles de construire leur orientation positivement. C'est ce que je disais tout à l'heure : cela suppose un véritable travail d'accompagnement.

Vous évoquiez tout à l'heure l'Allemagne. Dans la formation des enseignants en Allemagne, la question de l'orientation – c'est-à-dire de l'accompagnement positif des élèves dans tout leur parcours – est posée d'emblée. En France, pour des raisons historiques, l'orientation a été totalement évacuée hors du métier d'enseignant, hors de la pédagogie. Il faut l'y réintégrer ! C'est l'idée du parcours de formation et d'orientation, avec les entreprises. Cela concerne les métiers manuels comme les métiers intellectuels, et ceux qui combinent les deux dimensions. Rousseau disait que « nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds et nos mains ». Le respect du travail manuel est une vieille tradition française : mais pourquoi l'isoler du reste ? Nous allons redonner à tout cela une unité grâce aux parcours d'orientation et de formation.

Je n'ai pas de difficulté à reconnaître nos désaccords. Vous pouvez donc défendre la loi Cherpion ! Mais notre orientation de fond est le développement de l'apprentissage. C'est ce que nous ferons. Ce débat ne doit pas être artificiellement dégradé en polémique. Il y a d'autres sujets de désaccord : nous les avons vus tout à l'heure. Nous sommes pour l'apprentissage, et nous nous en donnons les moyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion