Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 4 juin 2013 à 21h30
Refondation de l'école de la république — Article 55, amendements 182 181 185 183 188 184

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

J'allais vous le proposer, madame la présidente. Et j'ai une bonne nouvelle pour mes collègues : il n'est pas trois heures trente, mais minuit vingt. Tout va bien !

Pour la sixième fois en trois mois, je reviens sur la notion d'exception pédagogique. Vous penserez peut-être que je m'entête, mais il s'agit d'une question primordiale du point de vue du travail quotidien des enseignants, que ce soit en primaire, au collège, au lycée ou dans l'enseignement supérieur.

Pourquoi souhaitons-nous une modification du texte sur ce point ? Lorsque j'avais défendu les mêmes amendements au mois de mars, vous nous aviez expliqué, monsieur le ministre, qu'il fallait attendre les conclusions du rapport Lescure. Ce rapport a été publié. Nous l'avons tous étudié : il contient des préconisations allant dans le sens des amendements que je défends aujourd'hui. Je ne souhaite pas attendre l'élaboration d'une loi spécifique pour reprendre les préconisations du rapport Lescure, car je pense qu'il est temps de prendre certaines décisions attendues par le monde enseignant.

J'ai déjà expliqué en quoi consiste cette exception pédagogique : j'essaierai donc d'être brève. L'exception pédagogique empêche les enseignants d'utiliser certains documents, certaines oeuvres cinématographiques ou musicales, à des fins pédagogiques – ce qui paraît complètement incohérent s'agissant d'éducation. La reprise de simples extraits ne menace en rien le marché de l'édition scolaire. Je sais les pressions que vous devez subir de la part de ce secteur, mais nous devons aussi réfléchir ensemble au travail quotidien des enseignants à qui nous confions nos enfants. Nous tenons vraiment à ce que le code de la propriété intellectuelle soit modifié maintenant. Comme je viens de le rappeler, face à une règle inepte qui bride les possibilités de nos enseignants, il est de notre devoir de leur fournir un code adapté aux pratiques actuelles.

J'en viens au contenu des amendements – j'irai très vite.

Il est actuellement impossible d'utiliser des partitions de musique en classe, sauf à acheter la même partition pour chacun des élèves. Nous pouvons en discuter, mais quelle ineptie !

Les innovations pédagogiques et les expérimentations, par ailleurs, sont des pratiques très modernes. Ces notions reviennent de manière très fréquente, que ce soit dans la loi pour la refondation de l'école de la République ou dans la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Or, il arrive que ces activités ludiques ne puissent être pratiquées actuellement à cause de la notion très contraignante d'exception pédagogique.

Vous le savez, l'imagination des enseignants est sans limite lorsqu'il s'agit de faire assimiler des notions, qu'elles soient plus ou moins complexes. En voilà un premier exemple : une professeure des écoles, au Havre, a découpé un livre imagé en vingt-six morceaux de puzzle. Elle a donné un morceau à chaque enfant et le puzzle a été reconstitué chronologiquement en commun. Cette professeure était dans l'illégalité, car l'exception pédagogique exclut les activités ludiques.

Autre exemple : un professeur de musique ne peut pas faire apprendre à ses élèves des morceaux de musique classique à l'aide d'un quiz musical. Vous me répondrez que ce sont pourtant des extraits – et cela me permet de démontrer la complexité de la situation dans laquelle se trouvent les enseignants, qui, à chaque fois qu'ils osent organiser quelque chose d'un peu différent, doivent se demander s'ils sont ou non dans la légalité. Dans le cas de ce quiz de musique classique donc, le professeur serait effectivement dans la légalité s'il utilisait ces extraits d'oeuvres de façon classique, mais comme il le fait dans le cadre d'une activité ludique, il n'y a pas droit.

Ainsi, monsieur le ministre, vous voulez développer l'expérimentation pédagogique dans les écoles, mais vous conservez dans ce texte une législation qui bride totalement les enseignants. Pour eux et pour les enfants, j'espère que vous ferez en sorte de rendre l'innovation pédagogique réellement possible.

S'agissant de la diffusion d'oeuvres intégrales dans le cadre de la scolarité, quels que soient les niveaux, je ne vous ferai pas lever la main comme la dernière fois – certains seront peut-être déçus ! – mais je pense que nous avons tous vu La Guerre du feu en entier. En tout cas ceux qui n'en ont vu qu'une moitié ont raté quelque chose ! Mais les enseignants qui ont diffusé cette oeuvre magistrale, grâce à laquelle nous avons tous compris comment les hommes vivaient au temps de la Préhistoire, étaient là encore dans l'illégalité. C'est dommage. Je ne vois pas comment ils peuvent travailler si cette réglementation n'est pas modifiée aujourd'hui.

Dernier exemple : un professeur d'anglais qui souhaiterait faire assimiler par ses élèves la règle du prétérit en utilisant une chanson des Beatles ou d'Abba ne peut absolument pas le faire, puisqu'il lui est impossible de diffuser dans sa classe une chanson en entier.

Face à ces inepties, face à ces réglementations totalement absurdes qui brident l'innovation pédagogique à laquelle nous encourageons tous nos équipes pédagogiques, je vous demande donc, pour la dernière fois cette année, s'il est possible de modifier le code de la propriété intellectuelle pour que nos enseignants puissent enfin travailler normalement, en liberté, et surtout dans la légalité.

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