Intervention de France Caillavet

Réunion du 22 mai 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

France Caillavet, directrice de recherche en économie :

Les questions relatives à la pauvreté et à l'alimentation doivent être abordées dans une perspective multidisciplinaire, combinant notamment les sciences sociales et biologiques.

Les chiffres ne représentent que la partie émergée de l'iceberg et concernent la partie de la population pauvre qui peut être touchée par des enquêtes. Ils sous-estiment donc beaucoup la pauvreté, en particulier la plus extrême.

Le budget alimentaire des ménages les plus pauvres est très faible – inférieur à 5 euros par jour pour les 10 % les plus pauvres. En outre, l'alimentation pèse plus lourd dans le budget de ces ménages, où elle représente le deuxième poste après le logement. Les produits sous-représentés dans les dépenses alimentaires de ces ménages sont les fruits, les produits de la mer et les boissons alcoolisées.

L'insécurité alimentaire se définit en termes de quantité, avec un apport énergétique insuffisant, et de qualité, avec une alimentation inadaptée. Elle touche non seulement les personnes en situation d'extrême pauvreté monétaire, mais également celles dont les revenus se situent au-dessus du seuil de pauvreté et qui appartiennent à des catégories socioprofessionnelles plus moyennes. Selon certaines données, l'insécurité alimentaire serait liée pour 12 % à des raisons financières. En outre, 31 % des bénéficiaires de l'aide alimentaire auraient des apports énergétiques insuffisants et 43 % une alimentation d'une qualité inadaptée. Cela pourrait notamment s'expliquer par le fait que ces personnes procéderaient à des arbitrages budgétaires différents. Il s'agirait plus souvent de ménages monoparentaux, plus souvent fumeurs et pour qui le budget viande serait particulièrement important – ce qui correspond probablement à une composition différente du ménage.

J'en viens à l'influence des contraintes budgétaires sur les inégalités nutritionnelles et de santé. De fait, les inégalités de santé s'aggravent pour les pathologies liées à l'alimentation, notamment pour les bénéficiaires d'aide alimentaire. Chez les ménages pauvres, l'alimentation est plus défavorable à la santé. En quantité, ces ménages consomment en effet moins de fruits et légumes, moins de poisson et davantage de produits sucrés, notamment de boissons sucrées, ce qui signifie que leur alimentation est plus dense en énergie et moins riche en micronutriments. Les enfants et les adolescents de ces ménages consomment davantage de boissons sucrées et sautent plus souvent le petit déjeuner, ce qui correspond à un rythme alimentaire défavorable.

La situation est encore plus grave pour les personnes en situation d'insécurité alimentaire, chez qui les restrictions sont encore plus grandes s'agissant de la viande et du poisson, et qui consomment davantage de boissons sucrées, de plats préparés, ce qui peut être lié à des conditions moins favorables en termes de logement et d'équipement ménager. Ces personnes recourent également moins souvent aux soins. Cette situation induit des écarts importants avec les recommandations nutritionnelles.

Une piste de recherche est que ces choix alimentaires particuliers sont guidés par la hiérarchie des prix alimentaires. En effet, les recommandations alimentaires sont difficilement respectées avec un faible budget – moins de 5 euros par jour, je le rappelle, pour les ménages pauvres et 2,3 euros par jour pour les bénéficiaires d'aide alimentaire. Avec un tel budget, un apport énergétique suffisant ne peut être obtenu qu'avec des aliments très peu variés, car une calorie de fruits et légumes est cinq fois plus chère qu'une calorie d'autres aliments. On comprend donc que les ménages pauvres n'aient guère d'autre choix qu'une alimentation dense en énergie et pauvre en micronutriments.

Le lien entre revenus et nutrition est donc manifeste en France comme dans tous les pays, et l'aide alimentaire doit compenser ce déficit nutritionnel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion