Table ronde sur « la pauvreté et l'alimentation en Europe », avec la participation de Mmes Isabel Jonet, présidente de la Fédération européenne des banques alimentaires (FEBA), Karima Delli, membre du Parlement européen, France Caillavet, directrice de recherche en économie, et MM. Alain Seugé, président de la Fédération française des banques alimentaires, Jean-Louis Callens, secrétaire national en charge de l'aide alimentaire du Secours populaire, Guillaume Bapst, directeur de l'Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES), et Olivier Berthe, président des Restaurants du coeur.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 22 mai 2013 à 16 heures 30
Présidence de Mme Danielle Auroi
La séance est ouverte à 17 heures
I. Table ronde sur « la pauvreté et l'alimentation en Europe », avec la participation de Mmes Isabel Jonet, présidente de la Fédération européenne des banques alimentaires (FEBA), Karima Delli, membre du Parlement européen, France Caillavet, directrice de recherche en économie, et MM. Alain Seugé, président de la Fédération française des banques alimentaires, Jean-Louis Callens, secrétaire national en charge de l'aide alimentaire du Secours populaire, Agathe Cousin, chargée des partenariats et de la communication de l'Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES), et Olivier Berthe, président des Restaurants du coeur.
Au niveau européen, l'alimentation et la pauvreté ont longtemps relevé du Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) qui, compte tenu des surplus agricoles dont on disposait alors, était lié à l'agriculture.
Avant-hier, la Commission des affaires sociales du Parlement européen s'est prononcée contre la réduction d'un milliard d'euros que la Commission européenne proposait pour le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). C'est là pour vous qui représentez le monde associatif un signe que nous, parlementaires nationaux ou européens, sommes plutôt vos alliés dans votre combat. La décision de nos collègues du Parlement européen exprime qu'il est inadmissible et insupportable que de nombreux exécutifs, et, de fait, également la Commission européenne soient tentés de réaliser des économies sur le dos des plus pauvres. Mme Karima Delli, membre du Parlement européen, évoquera certainement cette question.
Il est donc demandé que le Fonds soit maintenu à son niveau de 2007-2013, soit 3,5 milliards d'euros, même si se posent encore des questions quant au caractère facultatif de la participation à ce Fonds et de son cofinancement.
Il faut maintenant savoir quels seront les méthodes, les moyens et les engagements fermes pris par chaque État. M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, s'est engagé à compléter l'enveloppe si le FEAD ne suffisait pas, mais cet engagement ne vaut évidemment que pour la France et il conviendra donc de veiller à la situation des autres pays européens.
Le gouvernement français a fait savoir qu'il souhaitait mobiliser en priorité les fonds pour l'aide alimentaire et qu'il serait attentif à ce que ces fonds ne reviennent pas dans l'enveloppe globale du Fonds social européen (FSE). De fait, le risque existe que les fonds versés au FSE, répartis entre les régions, ne tombent dans un tonneau des Danaïdes. La position française apparaît donc comme une assurance face à ce risque et je me réjouis de pouvoir vous faire part de cet engagement ferme.
Je compte bien que le dialogue que nous allons avoir avec vous, experts de terrain, nourrira notre réflexion et nos propositions, nous permettant d'être vos représentants aux niveaux national et européen.
Notre table ronde se déroulera en deux temps. Le premier sera un « état des lieux » axé autour de quelques questions simples : Quelle est la situation de la pauvreté dans l'Union européenne et quelles sont aujourd'hui les inquiétudes principales ? Quel est le lien entre inégalité de revenus et inégalités nutritionnelles en France ? Qu'en est-il des discussions que vous avez sur le FEAD et comment les politiques européennes peuvent-elles répondre à la montée de la pauvreté en Europe ? Ainsi la taxe sur les transactions financières risque-t-elle, si elle voit jamais le jour, d'être affectée au soutien de très nombreuses politiques. Ce serait cependant un signe fort qu'elle ne soit pas détournée de ce qui était sa première raison d'être, à savoir la lutte contre la pauvreté.
Dans un second temps, nous évoquerons les réponses possibles. À cet égard, la diversité de vos origines nous permettra d'envisager des approches diverses. Pourquoi le combat contre la pauvreté en Europe doit-il mobiliser tous les acteurs et quels sont les risques liés aux nouvelles attributions et au mode de fonctionnement du FEAD ? Quels sont les nouveaux publics de l'aide alimentaire et comment lutter contre un gaspillage qui est toujours un risque d'éparpillement aux effets négatifs ? Nous verrons ensuite quel est le travail de l'Observatoire pauvreté-nutrition-alimentation (OPNALIM) mis en place par la Fédération française des banques alimentaires, qui pourrait être un très bon outil, ainsi que celui des épiceries solidaires.
Pour ouvrir cette table ronde, Mme Isabel Jonet, présidente de la Fédération européenne des banques alimentaires (FEBA), va nous parler de la situation de la pauvreté dans l'Union européenne et des inquiétudes qui se profilent aujourd'hui.
La situation de la pauvreté dans l'Union européenne est grave : en 2011, selon des données statistiques d'Eurostat, 120 millions de personnes, soit près d'un quart de la population européenne, étaient menacées de pauvreté et d'exclusion sociale. Ce taux avait déjà augmenté en 2009 et 2010.
La crise actuelle qui frappe l'Europe ne permet pas de penser que les choses se sont améliorées en 2012. Au contraire, le chômage ne fait que croître et le niveau de vie a chuté dans la plupart des pays européens. En 2011, 10 % de la population européenne n'avait pas de quoi acheter de la viande, du poisson ou l'équivalent en protéines, un jour sur deux.
S'il est vrai que certains pays sont plus touchés que d'autres, la moyenne européenne est très inquiétante et bouleversante. Le modèle social bâti en Europe de l'Ouest en période de croissance après la guerre n'est plus soutenable, compte tenu de l'évolution démographique et de la diminution de la prospérité économique. Ce modèle n'a par ailleurs jamais existé en Europe de l'Est, où les pensions de retraite et les prestations sociales sont beaucoup moins développées – ou n'existent même pas. Tout le modèle européen est menacé par les réalités et les lois sociales d'autres pays qui produisent beaucoup plus que nous avec des facteurs de production bien moins chers.
La pauvreté revêt de multiples facettes : pauvreté monétaire, privation matérielle sévère, très faible intensité de travail – autant d'aspects désormais pris en compte dans les indicateurs de suivi de l'Union européenne.
Au-delà des statistiques, les personnes concernées sont des enfants, souvent des familles nombreuses, des femmes seules, notamment âgées, des jeunes – diplômés ou non – sans emploi, des retraités connaissant des problèmes de santé de plus en plus nombreux dans une Europe vieillissante et des personnes qui ont travaillé toute une vie. Il s'agit aussi, bien sûr, de personnes sans-abri dans une situation d'extrême pauvreté, de migrants, souvent sans-papiers, qui ne figurent pas dans les statistiques et n'ont pas envie de retourner dans leur pays d'origine d'où ils ont fui des conflits armés et des conditions de vie misérables.
Toujours au-delà des statistiques, il faut prendre en compte cette nouvelle notion de pauvreté « relative », pauvreté cachée des personnes dont le niveau de vie a tellement baissé qu'elles ne peuvent plus se situer en référence à leur groupe de consommation d'origine. Ces personnes sont encore jeunes et ont toutes leurs capacités intellectuelles mais, lorsqu'elles ont perdu leur emploi à quarante-cinq ou cinquante ans, risquent de ne plus jamais retrouver de travail et sont frustrées dans leurs attentes à l'égard de l'idéal européen.
Les États membres de l'Union européenne ont été invités à améliorer l'efficacité de leurs politiques d'inclusion sociale en se focalisant sur l'emploi, l'adéquation des minima sociaux et l'accès aux biens et services essentiels, dont l'alimentation et la santé. L'emploi reste la priorité, car il conditionne l'accès au logement et la perte de ce dernier constitue le facteur d'entrée dans la grande pauvreté. Il ne faut cependant pas perdre de vue que de nombreuses personnes démunies, notamment des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, ne sont pas ou plus employables et doivent être accompagnées. On parlera alors plutôt, dans ces cas, d'inclusion que d'insertion, d'accueil affectif et d'accompagnement.
Certains pays européens n'offrent toujours pas d'accès à un revenu minimal et, dans de nombreux pays, un grand nombre de personnes démunies ne sont pas en mesure d'exercer leurs droits en raison de la complexité des dispositifs ou parce qu'elles sont tellement stigmatisées dans l'opinion publique qu'elles choisissent de ne pas le faire.
Un tel taux de pauvreté est inacceptable dans un espace où la paix existe – paix acquise par la création de l'Europe, comme l'a rappelé le Prix Nobel attribué récemment à l'Union européenne. C'est tout un idéal de société solidaire qui est menacé. Il nous faut être bien conscients que les personnes en situation de pauvreté, surtout celles qui n'ont plus d'espoir, pourraient accorder moins d'importance que nous à cette paix que nous chérissons tant.
Je donne maintenant la parole à Mme France Caillavet pour évoquer les inégalités de revenus et les inégalités nutritionnelles en France.
Les questions relatives à la pauvreté et à l'alimentation doivent être abordées dans une perspective multidisciplinaire, combinant notamment les sciences sociales et biologiques.
Les chiffres ne représentent que la partie émergée de l'iceberg et concernent la partie de la population pauvre qui peut être touchée par des enquêtes. Ils sous-estiment donc beaucoup la pauvreté, en particulier la plus extrême.
Le budget alimentaire des ménages les plus pauvres est très faible – inférieur à 5 euros par jour pour les 10 % les plus pauvres. En outre, l'alimentation pèse plus lourd dans le budget de ces ménages, où elle représente le deuxième poste après le logement. Les produits sous-représentés dans les dépenses alimentaires de ces ménages sont les fruits, les produits de la mer et les boissons alcoolisées.
L'insécurité alimentaire se définit en termes de quantité, avec un apport énergétique insuffisant, et de qualité, avec une alimentation inadaptée. Elle touche non seulement les personnes en situation d'extrême pauvreté monétaire, mais également celles dont les revenus se situent au-dessus du seuil de pauvreté et qui appartiennent à des catégories socioprofessionnelles plus moyennes. Selon certaines données, l'insécurité alimentaire serait liée pour 12 % à des raisons financières. En outre, 31 % des bénéficiaires de l'aide alimentaire auraient des apports énergétiques insuffisants et 43 % une alimentation d'une qualité inadaptée. Cela pourrait notamment s'expliquer par le fait que ces personnes procéderaient à des arbitrages budgétaires différents. Il s'agirait plus souvent de ménages monoparentaux, plus souvent fumeurs et pour qui le budget viande serait particulièrement important – ce qui correspond probablement à une composition différente du ménage.
J'en viens à l'influence des contraintes budgétaires sur les inégalités nutritionnelles et de santé. De fait, les inégalités de santé s'aggravent pour les pathologies liées à l'alimentation, notamment pour les bénéficiaires d'aide alimentaire. Chez les ménages pauvres, l'alimentation est plus défavorable à la santé. En quantité, ces ménages consomment en effet moins de fruits et légumes, moins de poisson et davantage de produits sucrés, notamment de boissons sucrées, ce qui signifie que leur alimentation est plus dense en énergie et moins riche en micronutriments. Les enfants et les adolescents de ces ménages consomment davantage de boissons sucrées et sautent plus souvent le petit déjeuner, ce qui correspond à un rythme alimentaire défavorable.
La situation est encore plus grave pour les personnes en situation d'insécurité alimentaire, chez qui les restrictions sont encore plus grandes s'agissant de la viande et du poisson, et qui consomment davantage de boissons sucrées, de plats préparés, ce qui peut être lié à des conditions moins favorables en termes de logement et d'équipement ménager. Ces personnes recourent également moins souvent aux soins. Cette situation induit des écarts importants avec les recommandations nutritionnelles.
Une piste de recherche est que ces choix alimentaires particuliers sont guidés par la hiérarchie des prix alimentaires. En effet, les recommandations alimentaires sont difficilement respectées avec un faible budget – moins de 5 euros par jour, je le rappelle, pour les ménages pauvres et 2,3 euros par jour pour les bénéficiaires d'aide alimentaire. Avec un tel budget, un apport énergétique suffisant ne peut être obtenu qu'avec des aliments très peu variés, car une calorie de fruits et légumes est cinq fois plus chère qu'une calorie d'autres aliments. On comprend donc que les ménages pauvres n'aient guère d'autre choix qu'une alimentation dense en énergie et pauvre en micronutriments.
Le lien entre revenus et nutrition est donc manifeste en France comme dans tous les pays, et l'aide alimentaire doit compenser ce déficit nutritionnel.
Mme Chantal Guittet, députée du Finistère, va maintenant nous présenter la réflexion engagée dans ces domaines par la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.
Face au risque de voir disparaître en 2014 les fonds destinés aux plus démunis, un compromis a heureusement été trouvé avec la création du Fonds européen d'aide aux plus démunis, que la Commission européenne propose de doter de 2,5 milliards d'euros. La Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a élaboré un rapport d'information, communiqué à nos parlementaires européens, qui indique la position des parlementaires français sur cette question.
En effet, si la création du FEAD est un réel soulagement en ce qu'elle évite la disparition des fonds destinés aux personnes les plus démunies, ce dispositif est cependant moins-disant par rapport à celui qui existait précédemment, du fait tant de la nature des prestations – avec un montant en baisse – que de l'élargissement de son champ d'intervention et du montant et du fonctionnement de l'aide. De fait, le Fonds concerne non plus exclusivement l'aide alimentaire, mais également d'autres biens, comme les vêtements et les biens de première nécessité. Il s'agit donc désormais d'un instrument englobant l'ensemble des aspects de la précarité – alimentation, logement, besoins matériels et exclusion sociale.
La France souhaite que ce Fonds soit en priorité mobilisé pour l'aide alimentaire de base, et cela d'autant plus que le montant qui lui est alloué accuse une baisse d'un tiers par rapport à celui du Plan européen d'aide aux plus démunis.
Nous devrons en outre veiller à éviter le risque d'une fusion entre le FEAD, dont les missions sont déjà plus larges que celles du PEAD, et le volet « intégration » du Fonds social européen, qui doit représenter au moins 20 % des interventions de ce dernier. Ce risque est en effet celui d'une dilution du FEAD dans le FSE, au détriment de l'aide alimentaire.
Nous ne souhaitons pas non plus que l'accès à l'aide alimentaire soit, comme le prévoit la Commission européenne, limité à certaines catégories telles que les sans-abri et les enfants les plus pauvres, car cette aide concerne des publics très divers. Nous devons veiller à éviter le risque que certaines dépenses parfaitement justifiées ne deviennent inéligibles. D'une manière générale, la France est donc opposée à toute disposition visant à allouer des objectifs supplémentaires à ce Fonds en matière de lutte contre la pauvreté.
Certaines associations caritatives se sont par ailleurs inquiétées de la mise en place de politiques d'activation d'aide à l'insertion, qui devraient selon nous revenir à des collectivités.
Pour ce qui est des montants engagés, il est encourageant que la Commission des affaires sociales du Parlement européen ait demandé le maintien du chiffre de 3,5 milliards d'euros, mais ce montant n'est pas encore voté et devra être discuté. Cette enveloppe concerne en outre vingt-sept pays et il faut savoir ce qu'il adviendra de l'argent qui ne sera pas utilisé. Nous ne voulons pas qu'il revienne dans le pot commun du Fonds social européen, et souhaitons qu'il soit destiné à l'aide aux plus démunis, sous peine de voir cette aide subir une diminution encore plus drastique.
Le cofinancement soulève également des inquiétudes, car les pays les plus pauvres pourraient, faute d'être capables de verser la participation minimale requise de 15 %, renoncer à recourir à l'aide du FEAD. Nous souhaitons que ce dernier couvre un maximum de 85 % non pas des dépenses, mais des dépenses publiques. Nous sommes favorables à la suppression de l'obligation de cofinancement et, à défaut, demandons qu'elle soit limitée à 5 % afin que les plus démunis puissent bénéficier de l'aide.
Toutes ces mesures font l'objet des conclusions qui peuvent être consultées sur notre site Internet. Si des avancées très importantes ont été proposées par la Commission des affaires sociales du Parlement européen, la bataille n'est pas encore gagnée et il nous faut unir toutes nos forces pour que le Fonds puisse remplir pleinement son rôle et venir en aide aux millions d'Européens qui connaissent des difficultés.
Quelles solutions préconisez-vous pour résoudre le problème du cofinancement dans les pays qui n'ont pas les moyens de financer leur participation de 15 % ?
La Commission des affaires sociales du Parlement européen a préconisé que, pour les pays les plus pauvres, la part des dépenses prise en charge par le FEAD soit portée de 85 % à 95 %.
Cela dépendra des pays. Certains sont prêts à supporter ce cofinancement, tandis que d'autres ne le pourront pas. C'est certainement un motif d'angoisse en Pologne ou dans certains pays de l'Est qui, faute d'un plan d'alimentation pour les plus démunis, ont vraiment besoin d'une aide alimentaire.
Les 15 % supplémentaires pourraient être ouverts à d'autres cofinancements que ceux des fonds publics, comme les dons de personnes privées ou les denrées récupérées par les bénévoles dans le cadre de ce recyclage que nous appelons la « ramasse ». C'est une manière de s'aider soi-même.
Je m'étonne de vos craintes, Madame Jonet, car la Pologne n'est pas un pays en difficulté – c'est même l'un de ceux qui ont le moins de problèmes économiques en Europe.
La pauvreté se voit-elle accorder dans notre pays la considération qui convient de la part des politiques et reçoit-elle les réponses appropriées ? Ne faut-il pas, au-delà des moyens, mettre en place des réformes de fond ?
Par ailleurs, Madame Jonet, certains pays européens ont-ils adopté des politiques réellement performantes en matière de pauvreté ?
La question de la pauvreté et de l'exclusion n'a jamais été au coeur des politiques publiques – si cela avait été le cas, cela se saurait. En deuxième lieu, il ne suffit pas de se défausser sur l'État providence : la question de la pauvreté concerne aussi les citoyens, les entreprises et les associations.
Enfin, bien que la responsabilité sociale des entreprises soit souvent invoquée, il reste beaucoup à faire, notamment contre la précarité énergétique et l'exclusion bancaire. Ainsi, un amendement que nous avions déposé au Sénat sur le plafonnement des frais de rejet, voté en pleine nuit, a finalement été rejeté le lendemain lors d'un second vote, à la demande des banques qui n'étaient pas prêtes à faire un geste, pourtant modeste, en faveur des populations pauvres. Ce sont encore là des questions difficiles dans notre pays.
La FEBA est présente dans 23 pays, compte 254 banques alimentaires et travaille avec des milliers d'associations caritatives. Nous connaissons donc bien la situation sur le terrain, mais je ne saurais pas vous citer d'exemples de pays appliquant des politiques performantes en matière de pauvreté. Sans doute n'a-t-on pas encore voulu aborder de front la réalité qui nous menace tous.
Car la pauvreté est désormais une réalité en Europe et elle va augmenter à cause du chômage et de la démographie. Il faut la regarder en face pour trouver des solutions performantes, mais réalistes.
Je vous remercie pour vos exposés. Les chiffres que vous avez cités sont éloquents et angoissants.
Combien de pays pourraient-ils être concernés par un cofinancement à hauteur de 5 % ? Par ailleurs, au-delà de l'urgence que vous avez vocation à gérer, des partenariats ont-ils été mis en place avec d'autres institutions en vue d'un accompagnement permettant aux personnes qui vous sollicitent de sortir de la précarité ?
Sur les dix-neuf pays qui recouraient au PEAD, les quatre grands bénéficiaires étaient l'Italie avec 23 %, la France et l'Espagne avec 17 %, et la Pologne avec 16 %. À l'autre bout de la chaîne, on trouve la Bulgarie, la Lituanie, la Slovaquie et Malte : les pays les plus pauvres ne parviennent même pas à demander à l'Europe le bénéfice du Fonds.
Par ailleurs, certains pays ont attaqué le PEAD, estimant que c'était non pas à l'Europe, mais aux États, de régler la question de la pauvreté. C'est notamment le cas de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne, qui n'ont jamais recouru au PEAD.
Au-delà des déceptions, on peut aussi éprouver certaines satisfactions. La lutte contre la pauvreté se place ainsi au deuxième rang des causes les plus soutenues par l'opinion publique française, se situant presque à égalité avec la protection de l'enfance, alors qu'elle n'occupait que le troisième ou quatrième rang voilà encore cinq ou six ans selon l'enquête annuelle TNS. L'opinion publique veut donc que l'ensemble du monde humanitaire et politique français s'occupe de ces questions.
Pour ce qui est de savoir si nous avons des relations avec d'autres associations, il faut déjà indiquer que nous faisons déjà, au sein de nos propres organismes, un travail permanent d'inclusion sociale. Nous nous sommes attachés à démontrer à la Commission européenne et aux pays hostiles à cette idée que l'aide alimentaire était en réalité le début de l'inclusion sociale et que nos réseaux menaient déjà de nombreuses actions de micro-crédit, de lutte contre l'exclusion scolaire et d'aide au retour au logement et à l'emploi durables. L'aide alimentaire n'est pas une aide d'urgence ; c'est déjà un acte d'insertion.
L'Allemagne, qui a attaqué le PEAD devant la Cour de justice européenne, connaît pourtant une pauvreté importante.
Il l'est de deux points : 15,2 % en Allemagne, contre un peu plus de 13 % en France. La comparaison des taux de chômage est sans commune mesure en faveur de l'Allemagne, mais voilà moins d'un an, un rapport du ministère allemand du travail a été falsifié, comme l'a démontré la presse allemande, afin de ne pas laisser apparaître ses conclusions. Ce débat sera sans doute occulté durant la campagne électorale qui se déroule actuellement en Allemagne, mais une partie de l'opinion publique et du monde associatif allemands – avec notamment l'association Die Tafel, qui est à nos côtés dans ce combat – serait favorable à ce que l'Allemagne soit éligible au futur FEAD.
Vous avez souligné que l'État providence ne peut pas forcément tout faire. Avez-vous une réflexion sur ce point et existe-t-il déjà des exemples de travail mixte mené, par exemple, avec des fondations ou des dons ? Sans doute reviendrons-nous aussi, dans la seconde partie de nos échanges, sur le travail des bénévoles.
Par ailleurs, le fait que l'aide alimentaire serve à de nombreux autres objets alourdit-il votre tâche ou s'agit-il là d'une évolution logique ?
Le Secours populaire, association à vocation généraliste, n'a jamais été aussi actif que depuis la naissance du PEAD, qui lui a donné des moyens forts pour dispenser une aide alimentaire. La semaine dernière, une dame qui avait poussé notre porte en demandant du lait pour ses enfants a fini par révéler, dans la discussion, qu'elle n'avait pas d'enfants, mais elle était trop gênée pour le dire d'emblée. C'est là une situation que connaissent des millions de personnes. Nous sommes très à l'aise avec le fait qu'il faille assurer une aide généraliste.
Depuis trois ans, nous avons entrepris dans plusieurs villes une expérimentation visant à faire baisser le coût de la nutrition infantile pour les familles se situant en dessous du seuil de la pauvreté. Cette expérimentation, menée avec une grande entreprise – Blédina de Danone –, se déroule sur plusieurs territoires, avec la Caisse nationale d'allocations familiales et des pédiatres. Une étude a été lancé avec l'Inserm en vue d'en évaluer l'impact et de montrer que les questions de nutrition des jeunes enfants ne sont prises en compte dans aucune statistique épidémiologique. Il s'agit d'une alchimie très compliquée, où chacun a mis des moyens, le rôle de l'État se limitant toutefois, au démarrage, à une intervention de la Caisse des dépôts et consignations destinée à amorcer la pompe. Si cette action fonctionne, elle essaimera. De telles initiatives sont toutefois difficiles à monter et chaque partenaire doit mouiller sa chemise et mettre quelques billes dans l'affaire.
Tout ne repose pas sur l'aide européenne. Sur les 100 000 tonnes d'aide distribuées par les banques alimentaires, d'une valeur d'environ 300 millions d'euros, les subventions des collectivités locales et de l'État représentent environ 10 millions d'euros et l'aide du PEAD 30 millions d'euros. La part de l'État peut donc être évaluée, en données monétaires, à environ 15 % des moyens mis à la disposition des personnes que nous aidons.
N'est-ce pas là l'occasion de recenser toutes les expériences diverses réalisées par les associations sur notre territoire ? Dans le département du Gers, dont je suis députée, la Banque alimentaire, le Secours populaire et d'autres organismes réalisent un important travail, qu'il faut faire connaître.
En tant que vice-présidente de la commission des affaires sociales du Conseil général du Gers, je m'interroge sur l'avenir de ce dispositif, dans lequel les départements sont actuellement chefs de file pour les programmes d'insertion financés par le FSE.
Pour ce qui est du recensement des actions, l'avis no 72 du Conseil national de l'alimentation, publié l'année dernière, est un excellent rapport qui fait un point complet sur l'aide alimentaire en France.
Mme Karima Delli, membre du Parlement européen, va maintenant nous dire comment les politiques européennes peuvent répondre à la montée de la pauvreté en Europe.
L'état des lieux est grave et je tire la sonnette d'alarme. Trois ans après 2010, année européenne de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le constat est en effet alarmant au niveau européen. Même si nous ne disposons pas encore des derniers chiffres d'Eurostat, je rappelle qu'en 2011 120 millions d'européens étaient menacés de pauvreté, soit une augmentation de 4 millions depuis 2009, que 25 millions d'enfants vivant dans la pauvreté étaient menacés d'exclusion et que 10 millions n'avaient pas de quoi s'habiller décemment. Quarante millions de personnes vivaient encore dans des situations de dénuement extrême, sans accès aux premiers biens et services essentiels – logement, chauffage ou alimentation équilibrée. Ce nombre est inquiétant, car il représente environ 340 000 personnes supplémentaires en situation de pauvreté chaque année depuis 2010. On compte en outre plus de 4 millions de sans-abri en Europe, et encore ce chiffre est-il sous-évalué.
L'augmentation de la pauvreté s'accompagne d'un accroissement du chômage, qui atteint cette année le taux record de 12 % dans l'Union européenne. L'aggravation de la précarité est majeure et les inégalités se creusent. Avec la crise, le niveau de vie des personnes les plus modestes baisse fortement et, de conjoncturelle, la pauvreté est devenue structurelle.
Le visage des premières victimes de la crise a changé : il s'agit de plus en plus souvent de femmes isolées, de jeunes, de femmes sans enfants, de personnes âgées et de migrants. La privation matérielle et alimentaire constitue une forme grave de violation des droits humains, garantis notamment par les textes européens, dans des sociétés d'abondance.
Quels outils l'Europe met-elle en oeuvre pour régler cette question prioritaire ?
Tout d'abord, l'Union européenne s'est engagée dans la stratégie « Europe 2020 », dont tous les États doivent respecter l'objectif d'une réduction de 20 millions du nombre de pauvres d'ici à 2020 – chiffre qui ne peut être atteint avec les politiques mises en oeuvre par certains États. L'un des moyens prévus pour atteindre cet objectif est la « plate-forme de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale », une initiative phare créée en 2011 en vue de permettre l'échange de bonnes pratiques entre les États membres et le développement de l'apprentissage mutuel dans les domaines de la formation, de l'accès à l'emploi, de l'inclusion sociale et de la lutte contre les discriminations.
Les fonds européens donnent lieu à une véritable bataille entre le Parlement européen et le Conseil. Nous avons demandé que, pour la prochaine programmation, 20 % de tous les programmes du Fonds social européen soient consacrés à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et dédiés à l'inclusion des personnes en situation de pauvreté et menacées d'exclusion. Nous, les écologistes, insistons pour que cette proportion de fonds structurels soit portée à 25 %.
L'Union européenne envisage trop souvent les politiques de lutte contre la pauvreté du strict point de vue de l'accès à l'emploi, alors que le nombre de travailleurs pauvres explose aujourd'hui. Le travail ne protège plus de la pauvreté, ce qui a poussé le Parlement européen à demander à la Commission européenne, pour la première fois de son histoire, une directive de revenu minimum pour toutes et tous, quel que soit leur âge. Nous attendons que la Commission nous remette une feuille de route sur cette question.
Je suis par ailleurs l'auteur de la première stratégie européenne en faveur des sans-abri, qui définit des axes forts que tous les États auront l'obligation de mettre en place.
Quant aux aides alimentaires, nous avons voté en Commission des affaires sociales le dernier règlement instituant notamment le Fonds européen d'aide aux plus démunis. La grande majorité des membres de la Commission a voté pour que le montant du budget reste de 3,5 milliards d'euros – montant à partir duquel les chefs d'État et de gouvernement devront négocier. Nous avons aussi décidé que la participation à ce fonds devrait être obligatoire, malgré les réticences de certains pays. La solidarité européenne est pour tous et ne se fera jamais à la carte. Nous avons également fixé des normes de qualité pour les données distribuées, car les pauvres ont droit à une alimentation saine.
Nous avons voté ce rapport, mais en raison d'une majorité insuffisante, il n'y a pas de mandat de négociation avec le Conseil : le rapport devra donc repasser en séance plénière, où les votes ne sont pas toujours les mêmes qu'en commission. La bataille, notamment sur la participation obligatoire, ne fait donc que commencer.
D'un point de vue administratif, il est nécessaire que la France simplifie ses procédures. Monter des projets et récupérer l'argent auprès du FSE prendra énormément de temps – le nouveau fonds sera sans doute en place, avec des mesures transitoires, le 1er janvier 2014. Il faut donc nous interroger : voulons-nous maintenir les structures actuelles du FSE, ou bien demandons-nous à la France de mettre en place une nouvelle autorité dédiée à la gestion de ces fonds, notamment pour aider les associations ?
Dans notre rapport, le Fonds d'aide aux plus démunis concerne l'aide alimentaire, et plus généralement l'aide en biens matériels, ce qui concerne notamment les sans-abri. Contrairement à ce qu'avait demandé la Commission, il n'y aura pas de cible : le Fonds pourra venir en aide à tous ceux qui en ont besoin, travailleurs pauvres, femmes seules avec des enfants, personnes âgées…
Nous encourageons enfin les associations à travailler sur les circuits courts de production et de consommation, qui permettent de développer les solidarités locales et de préparer l'après 2020 : 2020, c'est demain ; soyons prêts à toutes les éventualités, y compris une coupure des crédits par la Commission.
Nous abordons maintenant la seconde partie de notre table ronde, consacrée aux réponses possibles.
Le combat pour sauver l'aide alimentaire a connu deux phases : en 2011, la mobilisation du Gouvernement comme des parlementaires nationaux et européens a permis de premiers votes positifs ; les prises de positions successives, et surtout le vote d'hier, montrent de grands progrès. Nos messages ont été entendus. Nous voulons donc vous adresser un très grand merci pour votre combat, d'autant qu'il a fallu des alliances de tendances politiques différentes pour en arriver à ces succès. L'aide alimentaire européenne joue un grand rôle dans la sécurité alimentaire, et un rôle de cohésion sociale : sans cela, nous risquerions la catastrophe – d'autres pourraient prendre cette place, et ils ne seraient pas forcément aussi bien intentionnés.
Dès aujourd'hui, il faut le dire, l'aide européenne ne représente qu'un quart à un tiers des distributions, et sans doute moins même aujourd'hui, car ces chiffres datent quelque peu.
Pour compenser la baisse des subventions, nous voulons explorer deux pistes. La première, c'est la lutte contre le gaspillage : il est insupportable qu'un cinquième ou un quart de ce qui est produit finisse à la poubelle. Il faut notamment s'attaquer aux absurdités législatives qui freinent le développement de la « ramasse » – on paye une taxe sur les produits donnés, mais pas lorsqu'ils sont jetés... La seconde piste consiste – même si le FEAD sort de la PAC – à faire appel à la solidarité du monde agricole – il y est prêt. Aujourd'hui, un don financier donne droit à une réduction fiscale, mais pas un don en produits : les réductions fiscales ne sont pas à la mode, je le sais bien, mais nous allons néanmoins proposer des dispositifs pour encourager les dons en nature, les dons agricoles, car c'est le principal réservoir d'aide alimentaire pour nos associations. Un euro de dépense fiscale engendre une aide de 5 à 8 euros, grâce au bénévolat et à l'effet levier du monde associatif : on devrait insister plus sur les économies faites en subventions que sur le montant des dépenses fiscales. Nous voulons donc mobiliser non seulement le monde agricole, mais aussi l'industrie agro-alimentaire et même le monde de la logistique.
L'alimentation est un bien essentiel, un principe inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme. C'est un pilier de la vie en société, notamment dans nos cultures latines : les rituels autour de la nourriture sont innombrables, des courses à la préparation du repas, de la dégustation en commun à la vaisselle. C'est un facteur essentiel pour le retour à l'autonomie des plus fragiles : manger plus équilibré, prendre en charge son budget en cuisinant au lieu d'acheter des plats préparés sont des moyens d'entamer un retour vers l'autonomie. Cuisiner pour soi-même ou pour ses enfants, c'est une façon de prendre des responsabilités. Tout cela doit vous paraître bien banal, mais ça ne l'est pas pour les plus fragiles.
Ceux qui viennent chercher de l'aide alimentaire le font régulièrement : nos bénévoles peuvent alors engager le dialogue, à partir de l'alimentation. Beaucoup renvoient l'aide alimentaire à l'urgence, au monde des sans-abri ; les médias, les sachants pensent qu'elle n'est que le dernier des filets de sécurité. Mais c'est un contresens absolu : au contraire, nous nous adressons autant aux travailleurs pauvres qu'aux sans-abri, aux populations marginalisées. Considérée par certains comme dépassée – elle apparaît à peine dans le plan pluriannuel de lutte contre l'exclusion –, l'aide alimentaire est au contraire pour nous un levier très important d'une lutte globale contre l'exclusion sociale et pour le retour à l'autonomie.
L'OPNALIM sera un lieu d'échanges, où l'on pourra croiser les problématiques de l'alimentation et de la précarité, ce qui est rarement fait, avec notamment les universitaires spécialistes de ces questions : nous voulons favoriser les nouvelles initiatives, ainsi que la production et la diffusion de nouvelles études, pour faire valoir tout ce que l'aide alimentaire peut apporter à la lutte contre la précarité.
On mesure mal les contours de la précarité : aujourd'hui, une étude réalisée avec les étudiants de l'ESSEC l'a montré, 75 % de ceux qui viennent chercher de l'aide alimentaire veulent certes mieux manger, plus équilibré, mais peuvent surtout grâce à cela se maintenir dans leur habitat, payer leur énergie… Ces questions sont très liées. Aujourd'hui, le taux d'effort pour le logement et l'énergie est insoutenable : les grandes entreprises doivent financer des biens et des services non seulement pour les pauvres, mais aussi pour les personnes modestes, celles qui se maintiennent tant bien que mal aux limites du seuil de pauvreté – grâce notamment à l'aide alimentaire.
Malheureusement, nous ne pouvons pas dire aujourd'hui que nous luttons contre la précarité et la pauvreté ; nous essayons plutôt de freiner leur progression. Nous nous adressons à des publics très divers, occasionnels ou pérennes. Beaucoup ont honte et rasent les murs, d'autres viennent pour parler. Il ne faudrait donc pas limiter la question de l'aide alimentaire à celle de la nutrition.
Sur le gaspillage, nous avons pris part à un groupe de travail qui a donné lieu à un rapport rendu au Gouvernement. J'ai pour ma part participé au travail sur les indicateurs : il est important de mesurer, d'évaluer les moyens mis en oeuvre. Nous avons fixé des indicateurs et des cadres. Il faudra être vigilant sur l'engagement réel de toutes les parties prenantes - entreprises, associations, ménages… Nous avons aussi préconisé la création d'un observatoire indépendant à même de suivre et d'évaluer le gaspillage.
La « ramasse » – un tiers de nos denrées aujourd'hui – est très importante non seulement pour lutter contre le gaspillage, mais aussi pour compenser certains manques, notamment en produits frais. Elle permet aussi de changer les relations qu'entretiennent les entreprises et les associations.
Nos organisations vont d'ailleurs devoir développer la logistique, les lieux de dépôt, …
Avec les nouvelles attributions du FEAD, il y a un risque de disparition pure et simple de l'aide alimentaire européenne dont les crédits ont déjà baissé de 30 % – alors que la baisse globale du budget n'est que de 8 % ! Et, dans le même temps, nous constatons une forte augmentation de la pauvreté : le nombre de personnes qui ont poussé la porte du Secours populaire a augmenté de 13,2 %. Le FEAD, le PEAD sont aussi des moteurs, qui aident à construire d'autres projets. Cette baisse de 30 %, ce sont des millions et des millions de repas en moins !
Le risque, c'est aussi que l'aide alimentaire ait du mal à exister au sein du FSE. Les associations sont très nombreuses en France. Elles interviennent non seulement pour l'aide alimentaire, mais aussi pour l'aide aux sans-abri, la fourniture de vêtements, de loisirs… Comment va-t-on répartir les fonds ?
Le risque, c'est de prendre du retard, encore du retard, et que pendant plusieurs mois, aucune structure ne prenne ces questions en charge. Aujourd'hui, c'est l'agence FranceAgriMer qui s'en occupe, mais qui prendra demain le relais ? Pendant six ou sept mois, nous ne saurons tout simplement pas comment faire. M. Le Foll nous a dit qu'il allait prendre ses responsabilités, mais comment ?
Je suis très inquiet : il y a vraiment urgence. Dans nos distributions, ça gronde. Je n'ai jamais vu autant d'aigreur et si peu d'espoir. Quand on leur demande de se mobiliser, de nous aider, ces personnes ne réagissent pas, ou alors avec colère. Manger, c'est comme respirer : c'est obligatoire. Sans nos associations, certains ne mangeraient pas, n'auraient rien à donner à leurs enfants !
Tout le monde doit se mobiliser au plus vite. Et je parle de 2014, pas de 2020 ! Si on veut faire reculer la pauvreté, il ne faut pas diminuer les subventions données à ce qui marche.
Vous connaissez tous le principe des épiceries solidaires : offrir un libre choix de produits à toutes sortes de personnes, qui sont souvent dans la « zone grise » de la précarité – elles sont au-dessus du seuil de pauvreté, mais rencontrent des difficultés à boucler leurs fins de mois. Nos clients vivent souvent des minima sociaux ; ce sont souvent des retraités et des travailleurs pauvres, des parents isolés. C'est aussi une façon de créer du lien social et de valoriser les personnes, pour leur savoir-faire alimentaire par exemple ; nous proposons des ateliers à partir de l'alimentation, sur la saisonnalité des produits par exemple, et , au-delà, sur la gestion d'un budget. Il s'agit donc non seulement de permettre à tous de manger mieux et de façon plus diversifiée, mais aussi – très modestement – d'agir sur d'autres formes de précarité : la baisse de la dépense alimentaire permet de réaffecter les sommes non utilisées à cette fin au paiement de l'énergie, du logement, ou des dettes.
Nous rencontrons les mêmes problèmes que les autres associations présentes ici : proposer une offre suffisante en quantité et en qualité, ce qui est difficile notamment pour les produits frais, surtout pour les fruits et légumes.
Nous avons pour cela mis en place des chantiers d'insertion, avec les MIN (marchés d'intérêt national) : nous récupérons des invendus et des retraits agricoles, tout en aidant l'insertion professionnelle de personnes éloignées de l'emploi. Mais cela pose d'autres questions : le don n'est effectivement pas assez développé et de nouvelles incitations, par exemple fiscales, constitueraient une bonne idée. Avec la crise, les gens donnent moins, et surtout le plus tard possible, ce qui pose problème en particulier pour les produits frais dont la durée de vie est très limitée. Nous ne voulons surtout pas renvoyer nos clients à une image dégradante : si nous voulons favoriser l'équilibre alimentaire, nous devons proposer des produits qui fassent envie. Qui aurait envie de manger une salade toute fripée ? Il faut donc inciter à donner non seulement plus, mais aussi mieux. Le don sert, à l'évidence, à réduire le gaspillage alimentaire, et va devenir une source majeure d'approvisionnement pour nous tous ; mais est-ce véritablement une réponse structurelle ? Pour des raisons évidentes d'environnement et de coût, la lutte contre le gaspillage alimentaire est souhaitable ; mais le lien de cette question avec celle de l'aide alimentaire n'est pas simple.
Nous essayons aussi de mettre en place des circuits courts, auprès de petits producteurs en difficulté, dans une triple logique de prévention, d'insertion professionnelle et de développement local. Nous sommes ici dans une logique d'achat.
La question de la pauvreté est effectivement souvent traitée comme une question d'urgence ; on parle beaucoup du coût de l'aide alimentaire, mais on mesure mal les économies qu'elle permet de réaliser, en termes de santé publique – puisque l'alimentation est très liée à la santé –, d'emploi, d'accès à l'énergie…
Je ne proposais pas de substituer la « ramasse » à l'achat de produits – grâce aux dons reçus, les Restos du coeur achètent beaucoup. Ce sont des systèmes complémentaires : nous achetons ce que nous ne pouvons pas nous procurer par d'autres moyens.
Quand je parlais de la filière agricole, je pensais non pas au don de produits en fin de course, mais aux dons de toute la filière, qui deviendraient des produits durables. Nos bénévoles sont des militants viscéralement engagés dans la lutte contre la pauvreté : ils ne distribueraient jamais de produits périmés ou dégradés. Cela irait contre nos convictions les plus profondes. Sur ce point, lors de l'affaire des plats préparés à la viande de cheval, on a d'ailleurs pu entendre quelques propos démagogiques.
Je ne parlais pas de vous ! Je voulais plutôt répondre à des questions que l'on nous adresse, à des propositions que nous recevons. Dans l'esprit du public, l'aide alimentaire est une solution au gaspillage : les industriels de l'agro-alimentaire, les supermarchés se sentent fautifs. Mais lutter contre le gaspillage alimentaire n'est pas le but de l'aide alimentaire, pas du tout ! À Rungis, nous recevons parfois des produits pourris, que nous refusons bien sûr : mais cela montre l'image qu'ont certains de la pauvreté.
Il serait bon, je crois, de mettre en valeur ici le rôle des bénévoles. Si l'on évaluait mieux leur travail, on verrait combien il est important.
La société a plus que jamais besoin des bénévoles : pour effectuer les missions des 35 000 bénévoles de la Croix rouge, il nous faudrait un budget de 224 millions d'euros par an ! Et c'est sans compter le plus important : la participation citoyenne, l'accompagnement de l'autre. Nos bénévoles travaillent à des rythmes extrêmement divers. Il faut aussi souligner qu'ils sont formés, accueillent, orientent, animent des ateliers… sans bien sûr prendre la place des travailleurs sociaux. Sans eux, la Croix-Rouge ne pourrait pas mener ses actions, d'aide alimentaire en particulier. Cela devrait plaider en notre faveur : nous ne sommes pas simplement des consommateurs de budget !
Il serait sans doute bon d'harmoniser la façon dont on évalue le bénévolat : pour les Restos du coeur, l'évaluation est plutôt que 63 000 bénévoles correspondent à un budget de 150 millions. Peu importe. Au-delà de l'aspect économique, les bénévoles prennent le temps d'accueillir, d'écouter : cela ne s'estime pas. Cela produit pourtant très certainement des économies gigantesques en termes de santé, physique et psychique.
Une représentante d'une association d'aide à l'enfance d'un pays du nord de l'Europe me disait il y a peu que, dans son pays, on n'a pas une telle culture de la nourriture. Sur le PEAD, cela a provoqué un vrai malentendu : si nous voulons maintenir l'aide alimentaire européenne, il faut vaincre cet obstacle psychologique et culturel.
C'est vrai. L'Allemagne et les pays du Nord considèrent ces programmes comme de la charité. Nous avons mené une véritable bataille idéologique pour faire au contraire reconnaître que c'est l'application d'un droit fondamental : cette bataille est en voie d'être gagnée.
Le Parlement européen a souhaité maintenir le budget de l'aide alimentaire, mais nous sommes dans un processus de codécision, et le Conseil européen est plutôt favorable à une baisse. La bataille se fait donc entre nous !
Il y a urgence, monsieur Callens, vous avez raison : si nous voulons un budget à la hauteur, il faut anticiper. Mais attention : le FEAD ne sera pas dans le FSE. Il faut donc s'organiser très vite : c'est pourquoi je suis favorable à la création d'une autorité française dédiée à la mise en application du Fonds européen d'aide aux plus démunis. M. Garot veut mettre en place un plan contre le gaspillage alimentaire ; il faut mettre tout le monde autour de la table pour travailler sur les circuits courts… Il faut un pacte de solidarité alimentaire.
Dans de nombreux pays, les épiceries sociales et solidaires n'existent pas : il a été difficile de faire comprendre à nos collègues ce qu'elles sont, mais elles commencent maintenant à être prises en considération.
La banque alimentaire doit être un lieu où l'on n'a pas honte de dire qu'on est pauvre, un lieu de dialogue : c'est très important. Cela va bien au-delà de la question de l'alimentation.
Le travail des bénévoles n'est pas pris en compte dans le calcul du PIB : c'est pourquoi il faut mener la bataille idéologique des indicateurs.
Tout repose sur les bénévoles, mais on voit bien qu'ils sont de plus en plus âgés. C'est inquiétant. Il faudrait aller dans les écoles expliquer la nécessité de l'engagement citoyen !
Pour 2014, le Gouvernement prévoit la mise en place d'une procédure simplifiée qui reprendrait celle du PEAD.
Monsieur Piard, où se déroulent les expériences dont vous parliez ?
À Nantes, Nancy, Grenoble, Strasbourg… Nous avions commencé une expérience à Paris, mais cette ville est un monde très compliqué.
Nous en parlons peu pour le moment : nous ne voulons pas créer de faux espoirs.
L'incitation fiscale aux dons en nature paraît une idée très intéressante, mais pourquoi ces dons ne sont-ils pas déjà considérés comme du mécénat ?
Ils le sont. Mais il y a un problème spécifique aux dons agricoles : lorsque les agriculteurs donnent des surplus à une coopérative, ils n'ont pas droit à un certificat fiscal. C'est un obstacle fort, mais qui peut être facilement levé.
Le budget d'aide alimentaire européen sera peut-être sauvé ; mais il nous revient aussi, à nous parlementaires nationaux, de trouver des alliés et de les convaincre de nous rejoindre, même s'ils ont d'autres pratiques – je pense à l'Allemagne, à la Pologne. C'est une bataille qui vaut d'être menée, même pour la pacifiste que je suis. L'OPNALIM sera très certainement un bon outil. Les idées de simplification et de création d'une autorité dédiée paraissent bonnes : nous pouvons, ici à l'Assemblée nationale, les reprendre et les favoriser. Il reste à construire des propositions concrètes.
Tout ce que vous avez dit sur la lutte contre le gaspillage paraît très pertinent. De même, mobiliser les agriculteurs serait aussi une très bonne chose : en aidant les plus démunis dans de bonnes conditions, ils feraient preuve de solidarité, mais s'y retrouveraient certainement aussi financièrement – les circuits courts, par exemple, ça a du sens ! Il faudrait travailler sur ces points avec M. Le Foll, ainsi qu'avec M. Garot.
Dans toutes ces initiatives, il s'agit de bien autre chose que de charité – l'appellation anglo-saxonne charities nous fait du tort ! L'aide alimentaire et, au-delà, la lutte contre la précarité permettent à chacun de conserver son autonomie et sa dignité. C'est un combat commun que nous devons mener chacun à notre échelle. Nous serons toujours plus intelligents à plusieurs.
La séance est levée à 19 h 10