Je ne voulais pas faire souffrir votre impatience !
Concernant le texte lui-même, l'exposé des motifs de votre proposition de résolution et les interventions précédentes ont déjà suffisamment illustré, chiffres à l'appui, la réalité des questions que vous avez identifiées, pour nous dispenser d'être itératifs.
Ordonné autour de deux éléments principaux, l'article unique appelle en premier lieu à promouvoir dans le processus de désignation des dirigeants des grandes institutions culturelles la diversité et la parité. Je ne suis pas certain que la première exigence – celle de la diversité – ne soit pas au moins aussi importante, grande et difficile, que la seconde. Il nous invite en second lieu à revisiter le mode de désignation des candidats au vu de leurs projets.
À cet égard, des commissions pluralistes seraient chargées d' « auditionner les postulants ». Comment seront-elles composées ? Quelle sera la nature de leur pluralisme ? Statutaire ? Idéel, pour ne pas dire idéologique ? Quelles seront leurs attributions ? Sélectives ? Jusqu'à quel point ? Consultatives ? Jusqu'à quel point ? En d'autres termes, quelle synthèse attendre, si synthèse il doit y avoir, entre le pouvoir réglementaire de nomination, qui revient à l'exécutif – nous ne le contestons surtout pas – et celui de co-instruction dévolu aux commissions comme le souhaite ce texte ?
Qu'attendre, sinon d'abord une légitimité mieux assise parce que plus largement préparée et reconnue – ce qui est déjà une bonne chose – des nominations envisagées ? Qu'attendre, sinon également une attention si ce n'est plus grande du moins mieux partagée au projet – ce qui nous renvoie au fond même du sujet.
Oui, il y a, dans ce pays notamment, et cela ne date pas d'aujourd'hui, un risque de captation politique ou mandarinale au niveau des nominations prestigieuses. Un certain nombre de nominations, d'expositions – je songe à l'affaire récente du Grand Palais mais je n'ai peut-être pas besoin de m'étendre – ont pu poser question. Je m'empresse de préciser que les talents des personnalités ne sont nullement en cause, mais on est en droit de se demander si dans un certain nombre de cas ne s'exerce pas une sorte de droit de tirage de certains grands établissements publics sur certains lieux d'exposition.
N'existe-t-il pas pourtant dans l'université, d'autres lumières ? Dans le corps des conservateurs, des érudits séduisants ? À l'étranger, des commissaires capables d'organiser des expositions éblouissantes ?
Bref, on le voit bien, le risque, qui n'est pas seulement celui de notre pays, mais celui tout de même d'un État fortement centralisé, est toujours le même : celui d'un système qui, par esprit de système, favorisera plutôt un art officiel ou un certain conformisme dans lequel on s'accommode d'une forme de soumission à un monde culturel dont la domination s'exerce en réalité ailleurs, y compris à travers certains marchés dans le cadre de la mondialisation.
Cela étant, ce texte, j'y insiste, est bon. Il est intéressant en ce qu'il pose des questions pertinentes s'agissant d'un système très centralisé – ce qui n'est pas propre à la culture. Il offre probablement une certaine protection par rapport à ce que certains ont décrit comme l'un des dangers de notre fonctionnement, à savoir qu'un système centralisé offre, beaucoup plus qu'un système éclaté ou décentralisé, la possibilité pour un petit nombre d'en capter les leviers en oubliant parfois les rêves initiaux au nom desquels il a été établi.
Ce texte, de ce point de vue, remet en question ce système, mais sans le dire, paisiblement, avec beaucoup de componction dans le choix des termes. Ce n'est pas là son moindre mérite.
Si nous le votons, c'est parce qu'il remet entre vos mains, madame la ministre, la responsabilité de ces enjeux, parce qu'il donne un sens aux nominations à venir, parce qu'il propose autre chose qu'une réponse simplement conforme à l'esprit du temps.
Il ne nous reste plus peut-être qu'à souhaiter que l'on se souvienne, au-delà de ce texte, de Vitez, de Vilar, de Jack Lang et de son festival de Nancy, de Martinelli, Françon, Marcel Maréchal, Laclotte, Faivre d'Arcier, Pontus Hulten.
Bref, la proposition de résolution peut rouvrir le champ des interrogations, ce qui n'est pas son moindre mérite s'agissant de la culture.