Intervention de Catherine Coutelle

Séance en hémicycle du 5 juin 2013 à 15h00
Recrutement à la tête des grandes institutions culturelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle :

C'est une réalité, malheureusement !

S'y ajoute une répartition discriminante des financements. Comment expliquer que le coût moyen d'un spectacle peut varier du simple au double, dans une même institution, selon qu'il est mis en scène par une femme ou par un homme ? On retrouve là un phénomène de discrimination dans les financements déjà observé dans la recherche à l'université : les équipes de recherche féminines ont moins d'argent que les équipes masculines.

Le milieu de la culture n'est pas hors de notre société. On y véhicule les mêmes préjugés. On y développe les mêmes violences sexistes. Ces phénomènes de discrimination et d'exclusion des femmes diffèrent peu de ceux que l'on observe dans d'autres secteurs.

Cela peut surprendre. Est-ce que la culture n'a pas aussi vocation à être non-conformiste, voire subversive, à casser les codes plutôt qu'à les reproduire et à renforcer les stéréotypes ?

Selon Reine Prat, auteure, à la demande du ministère de la culture, de deux rapports sur l'égalité, « ce qui […] renforce la résistance au changement, dans le milieu du spectacle, réside sans doute justement dans son activité même et sa raison d'être : ayant à charge de produire et de proposer des représentations, il a tendance à illustrer et justifier l'organisation inégalitaire et ségréguée du corps social ». Si la culture représente notre société, il n'est pas surprenant que les femmes y soient discriminées, et qu'on y retrouve des comportements sexistes. Le poids des stéréotypes véhiculés par la culture et les médias n'est pas anodin. « À la télévision », et vous le savez, madame la ministre, « le temps de parole des femmes est très majoritairement consacré au témoignage alors que celui des hommes est la plupart du temps lié au savoir ».

Aujourd'hui, France Télévisions s'est dotée d'un répertoire de femmes pouvant être sollicitées, notamment en tant qu'expertes. Que les responsables des programmations s'en saisissent.

Au regard de son importance dans toute société, la sphère de la culture a potentiellement une influence, donc une responsabilité quant aux représentations qu'elle diffuse auprès des spectateurs, et donc de nos concitoyens.

L'impact des inégalités dans la culture est tel qu'il ne peut être ignoré. C'est une injustice flagrante qui est faite aux femmes, notamment artistes, dans notre pays, qui n'est pas compatible avec nos exigences républicaines. C'est un gâchis de compétences et de talents. C'est une limite au rayonnement artistique, et une entrave au développement économique du secteur. La société se prive de compétences, et, en ce qui me concerne, je n'aurais aucun problème à en trouver chez les femmes.

Faire progresser la place des femmes permettrait de renouveler et vivifier ce secteur, objectif important pour un pays qui défend l'exception culturelle. Et la parité pourrait être l'un des enjeux de cette exception culturelle française.

Enfin, si les représentations artistiques tendent aujourd'hui à renforcer les normes sexistes, je sais qu'elles peuvent aussi contribuer à l'invention de nouveaux rapports plus justes.

Du chemin reste à parcourir pour relever ces défis. La résolution que nous examinons doit constituer un pas important. Elle s'appuie sur une résolution du Parlement européen du 10 mars 2009.

L'État doit mettre en oeuvre le principe de parité et, au-delà des nominations, la place des femmes doit devenir une dimension forte des politiques publiques culturelles. Ce secteur est fortement subventionné. La puissance publique dispose d'outils pour faire appliquer la loi. L'intervention publique ne doit certes pas s'immiscer dans le processus de la création artistique, mais elle peut garantir la parité aux postes de direction, l'égal accès aux moyens de production et à la diffusion, la mixité des programmes, la déconstruction des représentations sexistes. Il faut inscrire l'égalité entre femmes et hommes dans les cahiers des charges, renforcer le rôle de l'observatoire de l'égalité que vous avez bien voulu, madame la ministre, créer au sein de votre ministère, mettre en place des statistiques sexuées qui nous permettraient de mesurer le phénomène. La mobilisation du Gouvernement est essentielle. Je sais qu'elle est au rendez-vous.

Nos imaginaires sont largement colonisés par les représentations inégalitaires, sexistes, transmises par les médias ou certaines créations artistiques. Cela commence dès le plus jeune âge. J'ai d'ailleurs mis en place cette année, dans ma circonscription, un prix des albums de jeunesse non sexistes.

La culture peut être un frein aux évolutions nécessaires vers une société plus juste, comme elle peut au contraire les favoriser.

Comme Virginia Woolf le déplorait déjà, la littérature est appauvrie, au-delà de ce que nous pouvons en juger, par toutes ces portes qui ont été refermées sur les femmes. Alors, madame la ministre, ouvrons-les !

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